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Décisions

CA Paris, 13e ch. B, 16 mai 1991, n° 9204-90

PARIS

Arrêt

PARTIES

Défendeur :

Association FO Consommateurs DGI

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lenormand

Conseillers :

Mmes Magnet, Barbarin

Avocats :

Mes Le Foyer de Costil, Sansot, Frémaux.

TGI Paris, 31e ch., du 21 nov. 1990

21 novembre 1990

Rappel de la procédure :

Le jugement :

Par jugement du 21 novembre 1990, le Tribunal de Paris (31e chambre), statuant contradictoirement, a condamné Denis G et Didier T à la peine de cent mille francs d'amende chacun pour publicité fausse ou de nature à induire en erreur, le premier en qualité d'auteur et le second en qualité de complice, a "prononcé" la publication par extraits du jugement dans "France Soir", "Le Parisien", "Ouest-France", et "La Dépêche du Midi", et a condamné, en outre, solidairement les prévenus à payer à l'association FO Consommateurs DGI, partie civile, la somme de vingt mille francs (20 000) à titre de dommages-intérêts et celle de mille cinq cent francs (1 500) en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;

Faits commis en décembre 1988 à Paris et sur le territoire national,

Et ce, par application des articles 44 de la loi du 27-12-1973 et 1er de la loi du 1-08-1905 ;

Le tribunal a condamné les prévenus aux dépens envers l'Etat liquidés à la somme de : 659,37 F (chacun sa part) ;

Appels :

Appel a été interjeté par :

1- G Denis, T Didier, le 30 novembre 1990, par l'intermédiaire de leur conseil,

2- le Procureur de la République près le Tribunal de grande instance de Paris, à l'encontre des deux prévenus, le même jour.

Décision :

Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi.

Sur les appels régulièrement interjetés tant par les prévenus, dont le recours porte sur les dispositions tant pénales que civiles, que par le Ministère public à l'encontre d'un jugement du Tribunal de grande instance de Paris (31e chambre) en date du 21 novembre 1990 dont le dispositif est rappelé ci-dessus.

Les premiers juges ayant exactement rappelé les termes de la prévention, la cour s'en rapporte, sur ce point, aux énonciations du jugement attaqué.

A l'audience de la cour du 28 mars 1991, Denis G, assisté de son conseil, sollicite sa relaxe, par voie de conclusions, faisant valoir qu'il a été condamné par les premiers juges comme auteur principal alors qu'il était le publicitaire et non l'annonceur et qu'en outre il ignorait que les foies gras ayant fait l'objet de la campagne publicitaire étaient importés. Il affirme que c'est la " cellule de dramatisation " du groupe " X " qui a rédigé la fiche ayant servi de support aux messages publicitaires et qu'il s'est contenté, pour sa part, de passer commande à la société " Y ", celle-ci ayant réalisé un reportage en Périgord et produit la cassette support des messages publicitaires.

Didier T, assisté de son conseil, sollicite également sa relaxe, faisant valoir, par voie de conclusions, qu'il était chargé, en qualité de président du conseil d'administration de la société Z, l'une des centrales d'achat du groupe " X ", de trouver un fournisseur pour une vente promotionnelle de foies gras et qu'il a passé contrat avec Jean M, gérant de la SARL " P ", mais qu'à aucun moment il ne s'est occupé de la campagne publicitaire, cette mission relevant de la " cellule de dramatisation ", et qu'il ignorait que les foies gras n'étaient pas originaires du Périgord.

L'association FO Consommateurs, partie civile, représentée par son conseil, demande, par voie de conclusions, la confirmation du jugement attaqué et, en outre, la condamnation des prévenus à lui payer une somme supplémentaire de cinq mille (5 000) francs au titre des frais irrépétibles qu'elle a exposés en cause d'appel.

Sur l'action publique :

Le 5 janvier 1989, des inspecteurs de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, dûment commissionnés, ont dressé procès verbal contre Claude M, président directeur général de la société anonyme "Z" et Denis G, responsable de l'agence de publicité "W", pour création et diffusion de publicité comportant des allégations fausses ou de nature à induire en erreur sur l'origine et les qualités substantielles de foies gras d'oie, faits prévus et réprimés par les articles 44-I et 44-II de la loi du 27 décembre 1973.

L'attention des inspecteurs avait été appelée par un message publicitaire, diffusé sur les ondes de " RTL ", le 15 décembre 1988, tendant à la promotion par les magasins " X " de foies gras provenant du Périgord noir. Ayant appris par le concepteur des cassettes contenant les messages, à savoir la société " Y ", que l'auteur des textes mixés par cette entreprise était la société " W ", ils se rendaient au siège de cette société <adresse>pour obtenir l'ensemble des textes des messages publicitaires passés par " X " et entendre les responsables, Yves B, chef de publicité de la société W, déclarait aux inspecteurs que le responsable de la société était M. Denis G, que le budget de la " campagne de dramatisation foies gras " s'était monté à un million et demi de francs environ, et que les préconisations avaient porté sur le caractère de production locale artisanale et la notion de " terroir Périgord noir ", région traditionnelle du foie gras.

Il précisait également que la correction des textes mixés par " Y " avait été effectuée par lui en accord avec Z société anonyme responsable des achats pour " X ". Yves B remettait aux inspecteurs des fraudes la teneur des trente quatre messages destinés à la diffusion radiophonique.

Sur ces trente quatre messages, qui font tous état de foie gras sélectionné dans le Périgord, vingt comportaient le terme " Périgord ", quatorze les termes " Périgord noir ", huit le terme " Sarlat " et vingt deux faisaient référence au travail réalisé sur les lieux de production en Périgord (élevage des oies, gavage, sélection des foies).

Les inspecteurs des fraudes entendaient également le responsable de la société ayant vendu le produit à Z, à savoir Jean M, gérant de la SARL " P " dont le siège administratif est à Castels (Dordogne). Par contrat conclu le 8 juin 1988 entre Jean M et Didier T, ce dernier représentant Z, la société P avait vendu plus de 284 000 bocaux de foies gras à destination des magasins " X ". Il résultait de l'enquête que 238 188 bocaux contenaient un produit fabriqué à partir de foies gras frais ou congelés en provenance de Hongrie, Pologne, Bulgarie et Israël ; ces produits avaient été ensuite dénervés et assaisonnés, puis cuits et mis en bocaux par la société " G " à Monfort-en-Chalosse (Landes) qui les avaient vendus à la SARL " P ".

Par ailleurs, Jean M avait acheté à la société D, en complément, 32 622 bocaux de deux cent grammes de foies gras entiers dont il n'a pu préciser l'origine. Au total, 284 472 bocaux ont été livrés par la société " P " à Z.

Le parquet de Paris, saisi du rapport de la Direction des fraudes ordonnait un complément d'enquête dans le cadre duquel Michel B, Denis G et Didier T ont été entendus.

Michel B, président du conseil d'administration de la société " X France ", chargée de la coordination des achats de marchandises pour le groupe " X ", a déclaré que Didier T et Denis G étaient respectivement, au moment de la campagne publicitaire, présidents de Z (l'une des centrales d'achat d' " X France ") et de la société de publicité W. Il expliquait que la société " X France " travaillait avec une " cellule de dramatisation " chargée de rechercher les produits pouvant donner lieu à une publicité, qui confiait ensuite à Z le soin de trouver les fournisseurs, celle-ci chargeant alors " W " de réaliser la campagne publicitaire. En ce qui concerne la campagne sur les foies gras, la campagne Michel B disait n'avoir jamais vu les messages proposés par " W ", n'ayant pas eu à donner son accord.

Didier T déclarait que le fournisseur, la société " P ", avait été choisi pour son meilleur rapport " qualité prix " et n'avait jamais fait état de l'origine des foies que, personnellement, il pensait être française. Il disait ne pas avoir eu connaissance des messages enregistrés par la société " Y ".

Denis G, de son côté, déclarait que la société W, dont il était le responsable à l'époque, avait donné mission à " Y " d'aller faire un reportage dans la région de production, Z lui ayant donné le nom du fournisseur. Il disait ignorer que les foies gras ne provenaient pas du Périgord.

Considérant que la campagne publicitaire organisée en décembre 1988 par le groupe X pour la promotion de foies gras était entièrement axée sur la notion de produit du terroir, à savoir le Périgord noir, région de production artisanale ; que cette publicité indiquait incontestablement aux consommateurs que les foies étaient d'origine périgourdine, les messages publicitaires portant aussi bien sur l'élevage des oies dans cette région que sur la sélection et la préparation des foies ;

Considérant que dès lors, ladite publicité comportait des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire les consommateurs en erreur sur l'origine et les qualités substantielles du produit qui en faisait l'objet ;que le caractère mensonger de cette publicité n'est d'ailleurs nullement contesté par les prévenus ;

Considérant que Didier T, en tant que responsable de la société Z, centrale d'achat chargée plus particulièrement de la charcuterie, a conclu le 8 juin 1988 avec Jean M, gérant de la SARL " P ", un contrat aux termes duquel ce dernier s'engageait à fournir plus de trois cent mille bocaux de foies gras, soit cinquante trois tonnes de produit, ledit contrat ne comportant aucune indication sur l'origine ou la qualité des produits vendus, bien que Didier T ait affirmé avoir choisi le meilleur rapport " qualité prix " ; qu'il est impensable que, compte tenu de l'importance du marché et de son expérience en matière d'achats de charcuterie, Didier T n'ait pas eu connaissance de l'origine des foies gras alors qu'il aurait dû, connaissant le thème de la campagne publicitaire, exiger contractuellement de la société " P " la fourniture de foies du Périgord ;

Considérant que, selon Didier T, la " cellule de dramatisation ", organisme sans forme juridique regroupant des directeurs de magasins " X ", était chargé, au sein du groupement, de déterminer les produits susceptibles de faire l'objet d'une promotion et de contrôler la campagne publicitaire ; que, toutefois, Michel B, président du conseil d'administration d' " X France ", a déclaré aux enquêteurs : " Quand la cellule a trouvé le produit, elle confie à la centrale d'achat appropriée, Z pour le foie gras, la mission de trouver le fournisseur. La centrale d'achat confie ensuite la publicité à " W "... que c'est Z, qui a indiqué à la société " W ", aux dires mêmes de Denis G, les coordonnées du fournisseur ; que Yves B, chef de publicité à " W ", a indiqué aux inspecteurs des fraudes que, les axes publicitaires étant définis, il avait pris contact avec le réalisateur de cassettes, la société " Y ", celle-ci lui proposant ensuite un projet qu'il corrigeait en accord avec les responsables des produits X, en l'occurrence, Z, qui lui faisait part de ses observations ; qu'il a précisé que, sur ses instructions, " Y " avait procédé à diverses corrections jusqu'à accord définitif de la part de W et des responsables du produit ;

Considérant qu'il résulte de ces différents éléments que la société Z a passé commande d'une campagne publicitaire à la société " W " après avoir acheté le produit incriminé, et lui a communiqué les nom et adresse du fournisseur, que la centrale d'achat, même si la publicité n'a pas été diffusée à son compte exclusif, est donc bien l'annonceur et, comme tel, auteur principal de l'infraction de publicité mensongère ;que lorsque le contrevenant est une personne morale, comme en l'espèce, la responsabilité de ladite infraction incombe à ses dirigeants ;que dès lors, en sa qualité, au moment des faits, de président du conseil d'administration de la société Z, Didier T doit être considéré comme auteur principal de l'infraction de publicité mensongère visée à la prévention ;qu'en effet, l'annonceur doit être à même de justifier les allégations publicitaires et, pour ce faire, a l'obligation de vérifier la véracité de la publicité ;

Qu'il échet, en conséquence, de réformer le jugement attaqué en ce qu'il a déclaré Didier T coupable de complicité de ce délit.

Considérant qu'il est constant que Denis G, en tant que président du conseil d'administration de la société " W ", était à l'époque des faits responsable de la campagne publicitaire, la société " Y " agissant sur les instructions et sous le contrôle de " W ", que le publicitaire, qui est membre du groupe " X ", ne pouvait sous-traiter un reportage en Périgord à la société " Y " sans vérifier auprès de l'annonceur, en l'occurrence Z, l'origine du produit, alors que la campagne publicitaire était entièrement axée sur la notion de produit du terroir, qu'il en résulte que Denis G a, en connaissance de cause, aidé Z à promouvoir une publicité comportant des énonciations mensongères ou de nature à induire en erreur les consommateurs et s'est ainsi rendu complice du délit de publicité mensongère ;

Qu'il échet, en conséquence, de réformer le jugement attaqué en ce qu'il a déclaré Denis G coupable de ce délit en tant qu'auteur ;

Considérant qu'il échet de confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a condamné Didier T et Denis G à la peine de deux cent mille francs (200 000 F) d'amende chacun, laquelle est équitable, et d'ordonner la publication du présent arrêt dans deux journaux " France Soir " et " Le Figaro ", sans que le coût de chaque insertion puisse dépasser la somme de huit mille (8 000) francs, TVA incluse ;

Sur l'action civile :

Considérant que les faits visés à la prévention sont de nature à porter atteinte à l'intérêt collectif des consommateurs, que, dès lors, l'association FO Consommateurs DGI, partie civile, est bien fondée à demander réparation du préjudice qui en découle et qu'il convient de confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a condamné solidairement Didier T et Denis G à payer à ladite association la somme de vingt mille (20 000) francs à titre de dommages-intérêts et celle de mille cinq cent (1 500) francs en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ; qu'il échet, y ajoutant, de condamner solidairement les deux prévenus à verser à la partie civile une somme supplémentaire de mille cinq cent (1 500) francs au titre des frais irrépétibles qu'elle a exposés en cause d'appel ;

Par ces motifs et ceux non contraires des premiers juges : LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit l'appel des prévenus et du Ministère public, Déclare Didier T coupable de publicité fausse ou de nature à induire en erreur, Déclare Denis G coupable de complicité du même délit, Les condamne à deux cent mille (200 000) francs d'amende chacun ; Ordonne la publication du présent arrêt, par extrait, aux frais des condamnés, dans les journaux " France Soir " et " Le Figaro ", sans que le coût de chaque insertion puisse dépasser la somme de huit mille (8 000) francs, TVA incluse, Condamne solidairement Didier T et Denis G à payer à l'association " FO Consommateurs, DGI ", partie civile, la somme de vingt mille (20 000) francs à titre de dommages-intérêts et celle de trois mille (3 000) francs en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ; Condamne Didier T et Denis G chacun pour sa part, aux dépens d'instance et d'appel, ces derniers étant liquidés à la somme de 471,59 F. Le tout par application de l'article 44 de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973, des articles 55, alinéa 1er, 60 du Code pénal, 473, 512, 515 du Code de procédure pénale.