CA Paris, 18e ch. E, 27 octobre 2000, n° 97-36396
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Bethune
Défendeur :
FTH Thirard (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Meridias
Conseillers :
Mmes Panthou Renard, Signoret
Avocats :
Mes Charpentier, Valcin.
LA COUR,
Vu l'appel du 4 août 1997 par Jean-Jacques Béthune du jugement prononcé le 25 juin 1997 par le Conseil de prud'hommes de Bobigny (section de l'encadrement) qui a condamné la société Thirard à lui verser les sommes avec intérêts légaux de 108 900 F à titre d'indemnité de préavis, 10 890 F au titre de l'indemnité incidente de préavis, 5 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile mais qui l'a débouté du surplus de ses prétentions,
Vu les conclusions du 31 août 2000 au soutien de ses observations orales par lesquelles il demande à la cour, réformant partiellement le jugement déféré, de condamner la société Thirard à lui verser les sommes de 1 306 800 F à titre d'indemnité de clientèle, 871 200 F à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 200 000 F à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral, 20 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, les autres dispositions du jugement étant confirmées,
Vu les conclusions d'appel incident du 31 août 2000 de la société FTH Thirard au soutien de ses observations orales par lesquelles elle demande à la cour, réformant le jugement déféré, de débouter Jean-Jacques Béthune de toutes ses demandes, subsidiairement d'ordonner une expertise pour déterminer l'importance de la clientèle issue du travail du salarié et celle liée à l'activité de la société elle-même, de condamner Jean-Jacques Béthune au paiement d'une indemnité de 20 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Considérant que Jean-Jacques Béthune, engagé suivant contrat du 4 mai 1981 par la société Thirard en qualité de VRP rémunéré à la commission sur les affaires réalisées sur son secteur, était convoqué à un entretien préalable à son licenciement fixé de 25 octobre 1995 par courrier du 20 octobre 1995 lui notifiant sa mise à pied à titre conservatoire ; qu' il était licencié par courrier du 30 octobre 1995 pour faute grave, aux motifs suivants :
"Le 19 octobre 1995, nous avons reçu un appel téléphonique de l'agence de Yerres de la banque Crédit Mutuel.
Par cet appel, le directeur de la banque demandait à Mme Devisne, responsable de service comptable de la société FTH Thirard de lui confirmer que la société FTH Thirard était bien l'émetteur d'une lettre datée du 18 octobre 1995, prétendument adressée par la société FTH Thirard à la banque, l'informant de l'émission par elle d'un virement de 56 000 F à votre bénéfice.
Lors de l'entretien précité, vous avez admis l'existence matérielle de ce faux, mais avez indiqué que vous n'en étiez pas vous-même l'auteur, qui serait votre femme.
La découverte de cette infraction vous amène à déposer une plainte pénale auprès de M. le Procureur de la République du Tribunal de grande instance d'Evry.
Dans la mesure où, en tout état de cause, cette manœuvre, si vous n'en étiez pas l'auteur, n'a pu intervenir à votre insu, d'autant moins qu'elle intervient quatre mois après une première opération de même nature avec la trésorerie de Brunoy qui nous a été révélée, nous vous notifions votre licenciement immédiat, sans préavis ni indemnité de rupture".
Que par courrier de 30 octobre 1995, la société FTH Thirard a libéré Jean-Jacques Béthune de son obligation de non-concurrence ;
Sur le licenciement
Considérant que selon le procès-verbal de son audition par l'unité de gendarmerie de Brunoy, Jean-Jacques Béthune a reconnu l'existence de faux documents émis à son bénéfice tels que visés dans la lettre de licenciement, à savoir d'une part, une lettre datée du 18 octobre 1995 à l'entête de la société FTH Thirard à l'agence du Crédit Mutuel de Yerres informant celle-ci de l'émission par la société d'un virement de 56 000 F sur son compte bancaire et d'autre part, une fausse main levée d'opposition sur son salaire par la trésorerie de Brunoy en date du 17 mai 1995, mais a contesté être l'auteur de ces agissements ; que Mme Bauer son épouse a reconnu au contraire avoir établi ces faux documents ;
Considérant que la société FTH Thirard ne produit aucune pièce, aucune attestation démontrant que Jean-Jacques Béthune ait été complice de ces faits et même qu'il en ait été informé ; qu'aucune négligence de sa part n'étant de surcroît démontrée, les faits énoncés dans la lettre de licenciement pour fonder une faute grave ne sont en conséquence pas prouvés, laquelle faute grave ne peut en conséquence être requalifiée en une cause réelle et sérieuse de licenciement ; que la société FTH ne peut donc s'exonérer du paiement des indemnités afférentes du préavis, non contestées en leur montant et doit indemniser l'appelant du préjudice résultant de son licenciement sans cause réelle et sérieuse ; que la cour dispose d'éléments suffisants pour fixer à 250 000 F l'indemnité due en réparation ;
Sur l'indemnité de clientèle
Considérant que la société FTH Thirard soutient pour s'opposer à la demande d'indemnité de clientèle que Jean-Jacques Béthune ne peut se prévaloir du statut de VRP au motif qu'il n'exerce pas de manière exclusive cette profession du fait de la création avec son épouse et ses enfants d'une société Olifra, immatriculée le 19 juin 1995, ce qui le conduit à exercer pour son propre compte une activité d'intermédiaire de commerce et de représentation conformément à l'objet social de cette société, et qu'en conséquence, il ne satisfait pas à la condition définie à l'alinéa 2 de l'article L. 751-1 du Code du travail ;
Mais considérant que cette création de la société Olifra est antérieure de quelques mois de la rupture du contrat de travail; que l'exercice d'une activité de Jean-Jacques Béthune pour son propre compte pendant cette période est contredit par les factures produites par la société Thirard aux débats, dès lors qu'elles concernent soit une société Serrurerie de Picardie commercialisant une sous-marque de la société Thirard, comme l'explique Jean-Jacques Béthune sans contestation de l'intimée, soit un commissionnement de Jean-Jacques Béthune sur la société Thirard elle-même ou la société Serrurerie de Picardie; que l'intimé ne peut en conséquence s'exonérer de l'application au bénéfice de Jean-Jacques Béthune du statut de VRP;
Considérant sur l'indemnité de clientèle, que Jean-Jacques Béthune a prospecté pendant quinze ans le marché de la serrurerie pour le compte de la société Thirard ; que pour contester la création d'une clientèle par Jean-Jacques Béthune, la société Thirard se contente de produire un tableau comparatif des performances de ses VRP en septembre 1995, année du licenciement d'après lequel, selon l'intimée, il serait le plus mal classé, et des mises en garde adressées au salarié sur ses résultats auprès de quelques clients ; que ces seuls éléments ne suffisent cependant pas à justifier le recours à une mesure d'expertise alors que Jean-Jacques Béthune produit de nombreux documents établissant qu'il a créé une clientèle (Mister - CSB - Bricorama - Bricomarché - Croiset et Cagnat - Ets Quirin - HK Industrie - Brico Truc notamment) et que cette clientèle s'est maintenue et développée ; que Jean-Jacques Béthune peut en effet justifier de l'apport de 396 clients en janvier 1993 avec un chiffre d'affaires en nette progression jusqu'à la rupture (soit selon les listings de la société Thirard 1 124 578,15 F en 1983, 8 145 292 F en 1993, et encore pendant les neuf premiers mois de l'année du licenciement, 6 287 844 F) ; que cette progression s'est concrétisée par l'augmentation de son commissionnement d'année en année, lequel devait atteindre par année entière de travail 367 413,38 F en 1993 et 363 862,73 F en 1994 (pour un commissionnement de 99 607,92 F en 1983) ; qu'une indemnité de clientèle équivalant à un an de commissionnement s'il était resté dans l'entreprise, soit 400 000 F, compte tenu de la progression dont il justifie, doit lui être allouée conformément à l'article L. 751-9 du Code du travail en réparation de la perte pour l'avenir du bénéfice de la clientèle qu'il a apportée, créée et développée ;
Sur les dommages-intérêts pour préjudice moral
Considérant que Jean-Jacques Béthune ne justifie d'un fait personnel de la société Thirard qui lui aurait été préjudiciable ;
Sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile
Considérant que Jean-Jacques Béthune doit être partiellement indemnisé de ses frais de procédure ; que la demande de la société Thirard, qui sera condamnée aux dépens, ne peut prospérer ;
Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement entrepris en ses dispositions relatives à l'indemnité de préavis et de congés payés incidents, Le réforme pour le surplus et statuant à nouveau, Déboute la société FTH Thirard de sa demande d'expertise, - La condamne à payer à Jean-Jacques Béthune avec intérêts légaux à compter de cet arrêt, les sommes de 400 000 F (quatre cent mille francs) à titre d'indemnité de clientèle et de 250 000 F (deux cent cinquante mille francs) à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, - Déboute Jean-Jacques Béthune de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice moral, - Condamne la société FTH Thirard aux dépens, - La condamne à payer à Jean-Jacques Béthune la somme de 8 000 F (huit mille francs) en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, - Rejette sa demande au titre de cet article.