Livv
Décisions

CA Douai, 6e ch., 5 novembre 2002, n° 02-01072

DOUAI

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Marie

Conseillers :

Mme Sorlin, M. Fournier, Avocat : Me de Monjour.

TGI Lille, ch. corr., du 2 nov. 2001

2 novembre 2001

Faits et procédure antérieure

Les magasins à l'enseigne X faisaient diffuser un journal d'annonces publicitaires titré "Y" et portant sur la période du 13 au 24 décembre 1999.

Parmi les annonces figurait celle relative à la mise en vente de fromage cantal Entre Deux AOC avec l'indication "150 jours d'affinage" pour un prix au kilo de 6 euros 84.

Deux contrôleurs de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes constataient le 17 décembre 1999 la mise en vente au magasin X d'Aurillac de trois pièces de fromage sous une étiquette portant la mention "Cantal Entre Deux AOC 150 jours d'affinage 44,90 F. le kg", l'une des pièces supportant également une autre étiquette où figurait la mention :

"Cantal Entre Deux lait cru affiné tunnel

Expédié le 14.12.99 DLUO 07.02.00

Lot 34823603

LFO <adresse>

CAD Aurillac"

Une enquête auprès du fabricant et du fournisseur de ces pièces de cantal leur faisait conclure qu'elles n'avaient été affinées que pendant 112 jours.

Ils recevaient le 8 février 2000 un courrier de la direction départementale de la Corrèze les infirmant qu'un contrôle opéré le 24 décembre 1999 au rayon fromage du magasin X de Laguenne (19) avait mis en évidence l'offre de pièces de cantal comportant les mêmes caractéristiques, alors qu'elles n'avaient été affinées que pendant 92 et 105 jours.

La poursuite de l'enquête leur apprenait que d'autres pièces de cantal avaient été livrées et mises à la vente dans le cadre de l'opération " Y " dans d'autres magasins (Faches Thumesnil, Cambrai) et que l'offre du fournisseur de cantal pour l'opération promotionnelle envisagée par les magasins X ne contenait pas d'indication relative à une exigence d'une durée d'affinage de 150 jours.

A la suite de quoi, ils dressaient procès-verbal de délit de publicité fausse ou de nature à induire en erreur sur la durée de l'affinage des fromages "Cantal" mis en vente, à l'encontre de Monsieur Alexis D., en sa qualité de chef de groupe de restauration du département produits frais de la centrale d'achats X .

Ce dernier était cité devant le Tribunal correctionnel de Lille pour :

- avoir effectué une publicité comportant sous quelque forme que ce soit des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur :

- les qualités substantielles,

- les propriétés,

d'un bien ou d'un service, en l'espèce en diffusant un tract publicitaire intitulé "Y" valable du 13 au 24 décembre 1999, sur lequel était annoncé la mise en vente de "Cantal Entre Deux AOC 150 jours d'affinage", alors que les vérifications opérées tant auprès des fournisseurs (SA Z/SA W) que de quatre hypermarchés X (sis à Faches Thumesnil, Escaudœuvres, Aurillac, Laguenne) font apparaître que le Cantal Entre Deux mis en vente avait une durée d'affinage très inférieure à celle annoncée dans le tract publicitaire, respectivement de :

- 86 jours d'affinage pour les produits contrôlés et mis en vente au sein de l'hypermarché de Faches Thumesnil,

- 100 et 86 jours d'affinage pour les produits contrôlés et mis en vente au sein de l'hypermarché Cambrai sis à Escaudœuvres,

- 100 et 112 jours d'affinage pour les produits contrôlés et mis en vente au sein de l'hypermarché d'Aurillac,

- 92 et 105 jours d'affinage pour les produits contrôlés et mis en vente au sein de l'hypermarché de Laguenne,

Faits prévus et réprimés par les articles L. 121-1, L. 121-4, L. 121-5, L. 121-6, L. 213-1 du Code de la consommation.

Par jugement du 2 novembre 2001, le tribunal rejetait dans ses motifs (disposition non reprise au dispositif) une exception de nullité des poursuites, fondée sur la violation des dispositions de l'article 6 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales et l'article préliminaire du Code de procédure pénale, déclarait le prévenu coupable des faits et le condamnait à la peine de 3 048,98 euros.

Ce dernier relevait appel du jugement le 8 novembre 2001, suivi le 19 novembre 2001 par le ministère public,

Procédure d'appel

Le prévenu a comparu à l'audience du 1er octobre 2002, assisté de son avocat.

Par voie de conclusions écrites déposées à l'audience, il a soulevé in limine litis et à titre principal la nullité des poursuites au visa des articles 6 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme et de l'article préliminaire du Code de procédure pénale, et à titre subsidiaire sa relaxe.

Motifs

Sur l'exception de nullité

Le prévenu fait valoir qu'un certain nombre de pièces contredisant totalement les conclusions des agents de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes dans leur procès-verbal de délit, ont été extraites du dossier que ces derniers concluent en effet à la publicité mensongère au motif qu'un fournisseur du cantal en cause (et il n'y en avait qu'un en l'espèce, à savoir les sociétés du groupe 3 A) n'aurait pas été informé de la durée d'affinage requise, alors qu'ils ont soustrait du dossier qu'ils ont transmis au procureur de la République, deux pièces contredisant leur conclusion, à savoir :

l) un procès-verbal de déclaration de monsieur J, chef du rayon " produits frais " au magasin X d'Aurillac, daté du 17 décembre 1999, qui rapporte les propos suivants :

" Je vous précise également que j'ai commandé le produit correspondant à la publicité, c'est-à-dire 150 jours d'affinage - (cf. préparation de commande) " ;

2) un courrier adressé par Monsieur S (négociateur pour les sociétés du groupe B) à X le 6 octobre 1999, donnant confirmation de l'accord pour le prospectus de décembre 1999, lequel mentionne la durée d'affinage de 150 jours.

Il souligne que ces pièces devaient obligatoirement être transmises par les agents de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes au procureur de la République, conformément aux dispositions de l'article L. 121-2 du Code de la consommation et estime qu'un tel procédé, émanant d'agents investis d'une mission de service public, est inadmissible et a nui gravement à sa défense et à son droit à un procès équitable et contradictoire, préservant l'équilibre entre les droits des parties.

Le tribunal a rejeté l'exception de nullité au motif suivant :

" Force toutefois est de constater que le tribunal est saisi pour des faits constatés par les agents assermentés d'une administration chargée d'établir et des constatations et des enquêtes à la suite d'infractions au Code de la consommation ;

Ces éléments versés au débat et soumis à l'appréciation du tribunal sont ceux et seulement ceux contenus dans le dossier pénal, l'accusation et la défense disposant des mêmes éléments d'information ;

Ces éléments à charge sont débattus de façon loyale et contradictoire le jour de l'audience ;

La défense ne peut sérieusement soutenir avoir été lésée dans l'exercice de ses droits légitimes car elle dispose des mêmes armes que son contradicteur ;

En tout état de cause, tout moyen ou élément nouveau peut être avancé et discuté à la barre du tribunal ;

Le caractère souverain de l'appréciation du tribunal ne se fondant que sur des moyens de fait et de droit connus de tous, l'exception ne saurait prospérer ".

Le prévenu critique cette motivation en faisant valoir qu'il était en droit d'attendre des agents assermentés de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, qu'ils respectent, à l'instar du juge d'instruction, et en vertu des dispositions de l'article préliminaire du Code de procédure pénale, le principe du procès équitable et contradictoire, préservant l'équilibre entre les droits des parties, et que le tribunal ne pouvait, sans se contredire, considérer que les éléments versés au débat et soumis à son appréciation se limitaient à ceux contenus dans le dossier pénal, l'accusation et la défense disposant ainsi des mêmes éléments d'information, alors que s'il n'avait pas pu verser le jour des débats les deux pièces omises dans le dossier pénal, personne n'en aurait eu connaissance.

S'il verse au débat la photocopie d'un courrier émanant de Monsieur S, commercial du fournisseur de cantal pour l'opération de promotion envisagée par les magasins X, daté du 6 octobre 1999, qui porte confirmation de la commande, notamment, de " cantal Entre Deux Meules et 1/4 Meule affinage 150 jours ", il n'est pas établi que l'existence de ce courrier ait été connue des contrôleurs de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes.

Figure en revanche au dossier pénal un document, qui n'est pas référencé au dossier de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes adressé au procureur de la République, et qui est la photocopie d'un procès-verbal de déclaration de Messieurs J et R, respectivement " responsable produits frais, et directeur ", entendus le 17 décembre 1999 au magasin X d'Aurillac par Messieurs Christophe Labonne et Robert Mathias, agents de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, co-auteurs du procès-verbal de délit ouvert ce même 17 décembre 1999, et clos le 23 juin 2000.

Ce procès-verbal de déclaration est coté C 3 au dossier pénal de fond, alors que le dossier de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, comprenant le procès-verbal de délit et l'ensemble de ses annexes, est coté C 2.

Il n'a pas pu être versé après coup par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, car il provient d'une télécopie émise le 18 octobre 2001 par " X Production Bazar-EM ", ce qui rejoint l'allégation du prévenu selon laquelle il a été à l'origine du versement de cette pièce au dossier de la procédure, en vue de l'audience du 2 novembre 2001.

Les agents de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, en tant qu'agents habilités par la loi à constater au moyen de procès-verbaux les infractions aux dispositions de l'article L. 121-1 du Code de la consommation, sont tenus de transmettre au Procureur de la République non seulement le procès-verbal proprement dit de constatation de l'infraction, mais également tous les procès-verbaux qu'ils ont établis es-qualité dans le cadre de l'enquête ayant donné lieu à l'établissement dudit procès-verbal d'infraction.

En l'espèce, leur omission de joindre, en annexe à leur procès-verbal de délit, le procès-verbal de déclaration de Messieurs De Jésus et Riso, lequel pouvait être analysé comme un élément à décharge, que cette omission ait été ou non volontaire, est objectivement de nature à faire douter de la sincérité de l'ensemble des constatations contenues dans leur dossier, lequel porte ainsi en lui-même le principe d'une atteinte irrémédiable aux intérêts du prévenu, non susceptible d'être réparée dans le cadre d'un débat contradictoire devant le tribunal.

L'ensemble des pièces figurant au dossier de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes doit donc être annulé, et le jugement entrepris infirmé sur ce point.

Sur le fond

Le dossier pénal étant dépourvu en conséquence de l'annulation du procès-verbal de tout élément à charge, le prévenu sera renvoyé des fins de la poursuite, et le jugement entrepris à nouveau infirmé.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, - Infirmant le jugement entrepris , - Annule toutes les pièces contenues dans le dossier de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, - Renvoie le prévenu des fins de la poursuite.