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Décisions

CA Limoges, ch. corr., 27 mai 1998, n° 97-00217

LIMOGES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Syndicat national des masseurs-kinésithérapeutes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Renon

Conseillers :

MM. Vernudachi, Nerve

Avocats :

Mes Dupuy, Verger-Morlhigem.

TGI Limoges, ch. corr., du 5 mai 1997

5 mai 1997

Décision dont appel :

Sur l'action publique :

Le tribunal a déclaré P Marie-Thérèse coupable des faits qui lui sont reprochés, en répression :

- l'a condamnée à 50 000 F d'amende,

- a prononcé à son encontre l'interdiction d'exercer l'activité d'holothérapeute ou toute autre activité similaire pendant cinq ans,

- a ordonné, aux frais de la condamnée, le coût de chaque publication ne devant pas dépasser 5 000 F, la publication du communiqué suivant dans les journaux Le Populaire du Centre et Santé Magazine :

" Par jugement du 5 mai 1997, Mme P Marie-Thérèse épouse T a été condamnée par le Tribunal correctionnel de Limoges à 50 000 F d'amende, à l'interdiction d'exercer l'activité d'"holothérapeute" pendant cinq ans pour exercice illégal de la profession de masseur-kinésithérapeute et publicité comportant des allégations mensongères, et à payer la somme de 50 000 F de dommages-intérêts au Syndicat national des masseurs-kinésithérapeutes.

En effet, cette activité d'holothérapeute consiste en des " massages " dits aussi " effleurements tactiles réflexogènes ", accompagnés d'un régime alimentaire, à visée d'amaigrissement, actes thérapeutiques pour lesquels Mme T pratique sans aucun diplôme. La publicité incriminée parue le 7 janvier 1995 fait, en outre, abusivement référence à un CQMSE, Comité d'éthique, et à des revues qui n'ont ni cautionné, ni testé cette méthode ".

- et l'a condamné au paiement d'un droit fixe de procédure d'un montant de 600 F.

Sur l'action civile :

Le tribunal a :

- reçu le Syndicat national des masseurs-kinésithérapeutes en sa constitution de partie civile,

- déclaré P Marie-Thérèse épouse T responsable de son préjudice,

- condamné P Marie-Thérèse épouse T à payer au Syndicat national des masseurs-kinésithérapeutes la somme de 50 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 1 500 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale,

- rejeté la demande de fermeture de l'établissement incriminé situé à Panazol,

- condamné Mme T aux dépens de l'action civile.

Appels

Appel a été interjeté par :

Mme P Marie-Thérèse, le 7 mai 1997 ;

M. le Procureur de la République, le 7 mai 1997.

LA COUR

En mars 1993, Mme T a ouvert à Panazol un centre d'holothérapie sous contrat de concession de marque et d'enseigne X ;

Le 7 janvier 1995, elle a fait paraître dans le journal Le Populaire du Centre un encart publicitaire intitulé " Mincir et rester mince : une réalité " et mentionnant ses coordonnées " Institut M.-Th. T. " ;

Cet article expliquait la " méthode globale " utilisée : massages réflexogènes suivant certains méridiens d'acupuncture plus des pressions sur des points précis du corps ayant pour effet de couper la faim, de tonifier les organes paresseux et d'améliorer la qualité de la peau, associée à une formule alimentaire temporaire ;

Il se référait à " Top Santé " juin 1992, " Santé Magazine " octobre 1992 et indiquait " Publicité vérifiée par le CQMSE (Comité Qualitatif Médical Scientifique et d'Ethique) ;

Le Président du Syndicat national des masseurs-kinésithérapeutes a rappelé à Mme T, par courrier du 12 janvier 1995 que la pratique des massages était réservée aux masseurs-kinésithérapeutes et lui a demandé communication de ses diplômes tout en saisissant la Direction de la Concurrence, de la consommation et de la Répression des Fraudes ;

Le 1er mars 1995 ce service a établi un procès-verbal à l'encontre de Mme T pour infraction à l'article L. 121-1 du Code de la consommation relevant :

- d'une part que la référence faite à Top Santé et à Santé Magazine était de nature à laisser penser aux lecteurs que des articles sur l'holothérapie avaient été publiés dans ces deux magazines alors qu'il ne s'agissait que d'encarts publicitaires au contenu identique à celui du Populaire du Centre mais comportant la liste de tous les centres X ouverts en France ;

- d'autre par, que l'indication " Publicité vérifiée par le CQMSE (Comité Qualitatif Médical Scientifique et d'Ethique) " qui n'est en réalité que le comité consultatif médical, scientifique et d'éthique de la revue Santé Magazine était de nature à créer une confusion avec le Comité Consultatif National d'Ethique pour les Sciences de la Vie et de la Santé ;

Mme T a soutenu qu'elle n'était pas l'auteur de cet article qui émanait des conseils en publicité appartenant au réseau X ;

Elle a reconnu n'avoir aucune qualification dans le domaine médical, ayant seulement suivi un stage de quelques jours avant de débuter son activité et participant à des séminaires annuels ;

Elle a expliqué que le traitement pour faire maigrir les clients consistait en une cure allant de quatre à neuf semaines pour un coût variant de 6 760 à 13 260 F, débutant par un entretien personnalisé et se poursuivant par une pratique de massages doux (réflexogènes) suivant certains méridiens d'acupuncture, et de stimulation manuelle de certains points d'acupuncture accompagnée de la remise de documents relatifs aux comportements alimentaires et d'un travail psychologique ;

Elle a contesté pratiquer des massages, terme improprement utilisé sans intention malveillante et soutenu qu'il s'agissait de l'" effleurement tactile de certains méridiens " ;

Elle a invoqué les centaines de clients pouvant témoigner de l'efficacité de la méthode ;

Appelante du jugement rendu le 5 mai 1997 par le Tribunal correctionnel de Limoges et dont le dispositif est ci-dessus rapporté, Mme T, qui comparait en personne assistée de son conseil, demande à la cour de la relaxer des fins de la poursuite, de débouter la partie civile de ses réclamations et subsidiairement de la faire bénéficier de larges circonstances atténuantes ;

Elle prétend que les conditions de déroulement de l'enquête ne lui ont pas permis de se défendre équitablement, la Direction de la Répression des Fraudes n'étant pas habilitée à enquêter sur une infraction d'exercice illégal de la profession de masseur-kinésithérapeute ;

Elle soutient que les éléments pris en compte par l'administration ne correspondent pas plus à la lettre qu'à l'esprit de l'article L. 121-1 du Code de la consommation ;

Elle relève que le terme de massage n'est pas en lui même protégé et qu'il existe manifestement à la lecture de nombreux magazines un usage de tolérance ;

Reprenant la définition du massage qui est une histocinèse elle souligne qu'elle n'intervient aucunement sur les tissus et que les effleurements qu'elle pratique ne peuvent être assimilés à une mobilisation ou une stimulation méthodique, mécanique ou réflexe des tissus ;

Elle fait valoir enfin :

- qu'elle est liée par un contrat de concession, de marque et d'enseigne avec X ;

- qu'il existe en France plus de soixante dix centres identiques au sien et implantés très légalement sans qu'aucune poursuite n'ait été engagée à leur encontre ;

- qu'elle a été immatriculée au Registre du Commerce sans difficultés ;

- que rien ne pouvait lui laisser penser qu'elle commettait une infraction ;

- que sa méthode ne présente aucun danger pour la santé.

Le Ministère Public a requis la confirmation de la décision entreprise sous réserve de l'interdiction professionnelle à laquelle il n'est pas favorable ;

Il relève que l'article paru dans le Populaire du Centre est subtil mais de nature à induire en erreur et que Mme T pratiquait des massages à fin thérapeutique lato sensu.

Le Syndicat national des masseurs-kinésithérapeutes rééducateurs conclut à la confirmation du jugement déféré et réclame une indemnité complémentaire de 5 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;

Il rappelle les dispositions de l'article L. 487 du Code de la santé publique réservant la pratique du massage à un professionnel diplômé et celles du décret du 26 août 1985 définissant le massage ;

Il fait remarquer que la cure prescrite par Mme T, outre son coût exorbitant, s'accompagne d'un régime alimentaire dont la prescription relève de la compétence exclusive d'un médecin ;

Il indique que le terme d'holothérapie peut faire penser à un domaine médical ou paramédical et peut créer une grave confusion dans l'esprit des clients surtout avec la référence au CQMSE ;

Il précise que les massages chinois sont du domaine exclusif des médecins ou masseurs-kinésithérapeutes et enseignés comme tels dans les écoles de formation ;

Il invoque le réel préjudice subi par la profession dès lors que la confiance du public est mise à mal par de telles pratiques s'apparentant plus au charlatanisme qu'au domaine médical.

Sur l'action publique :

- Sur le délit de publicité mensongère :

Attendu que la culpabilité de Mme T a été justement retenue de ce chef dans la limite des éléments visés à la prévention ;

Qu'il est en effet manifeste que les références habilement présentées dans l'encart à deux magazines notoirement spécialisés dans le domaine de la santé et au CQMSE (Comité Qualitatif Médical Scientifique et d'Ethique) étaient de nature à induire en erreur un lecteur normalement avisé en lui laissant croire que la méthode présentée était testée par des professionnels et cautionnée par un organisme officiel ;

Que Mme T ne peut valablement s'exonérer de toute responsabilité en la rejetant sur le réseau X alors qu'elle a pris l'initiative de diffuser l'article qui mentionne ses coordonnées personnelles et qu'en tant qu'annonceur elle avait une obligation de loyauté du contenu de son article.

- Sur le délit d'exercice illégal de la profession de masseur-kinésithérapeute :

Attendu qu'il est constant que selon l'article L. 487 du Code de la santé publique nul ne peut exercer la profession de masseur-kinésithérapeute, c'est-à-dire de pratiquer le massage et la gymnastique médicale, s'il n'est muni du diplôme d'Etat de masseur-kinésithérapeute ;

Que selon le décret du 26 août 1985 on entend par massage " toute manœuvre réalisée sur la peau manuellement ou par l'intermédiaire d'appareillages autres que les appareils d'électrothérapie, avec ou sans l'aide de produits qui comporte une mobilisation ou une stimulation méthodique mécanique ou réflexe des tissus " ;

Attendu que le geste pratiqué par Mme T, identique quelle que soit sa dénomination de " massage réflexogène " ou d'" effleurement tactile " entre dans cette définition, s'agissant, même si elle reste relativement superficielle, est efficace et sans danger pour la santé d'une manœuvre externe réalisée sur les tissus afin de provoquer des réflexes et de tonifier des organes ;

Qu'au delà de l'effet purement esthétique recherché par certains clients de l'institut et qui pourrait faire entrer l'acte dans les prévisions de l'article L. 501 du Code la santé publique, cette méthode était en outre utilisée à des fins thérapeutiques pour traiter des surcharges pondérales notamment en préalable à des interventions chirurgicales ;

Que Mme T qui pratique des massages sans être titulaire du diplôme d'Etat de masseur-kinésithérapeute a ainsi, à bon droit, été déclarée coupable d'exercer illégalement la profession de masseur-kinésithérapeute ;

Attendu que la peine de 50 000 F d'amende sanctionnant les deux délits sera confirmée comme étant adaptée aux faits et aux possibilités financières de Mme T qui réalise de substantiels bénéfices grâce à cette activité d'holothérapeute ;

Que l'interdiction d'exercer ladite activité qui ne pourrait être prononcée que dans le cadre d'un sursis avec mise à l'épreuve apparaît inopportune dès lors que Mme T appartient à un réseau dont les autres membres n'ont pas fait l'objet de poursuites ;

Que la publication d'un communiqué sera par contre maintenue afin d'assurer une parfaite information des clients actuels et potentiels de Mme T.

Sur l'action civile :

Attendu que la constitution de partie civile du Syndicat national des masseurs-kinésithérapeutes rééducateurs a été justement déclarée recevable et fondée, la préjudice invoqué étant la conséquence directe et certaine des agissements de Mme T ;

Que ce préjudice, ni identifié ni quantifié par la partie civile, paraît devoir être équitablement réparé par l'allocation d'une somme de 30 000 F à titre de dommages-intérêts ;

Attendu qu'aucune considération d'équité ne justifie qu'une indemnité complémentaire soit accordée à la partie civile sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, après en avoir délibéré, Reçoit Mme T et le Ministère Public en leurs appels ; Sur l'action publique : Confirme le jugement entrepris sur la culpabilité ; L'émendant partiellement sur la peine et statuant à nouveau : Condamne Mme P Marie-Thérèse épouse T à une amende de cinquante mille (50 000) francs ; Ordonne aux frais de la condamnée la publication du communiqué suivant dans le Populaire du Centre et Santé Magazine, le coût de chaque publication ne pouvant pas dépasser 5 000 F : " Par arrêt rendu le 27 mai 1998, la Cour d'appel de Limoges a condamné Mme Marie-Thérèse P épouse T à une amende de 50 000 F pour exercice illégal de la profession de masseur-kinésithérapeute et publicité mensongère et au paiement de la somme de 30 000 F de dommages-intérêts au Syndicat national des masseurs-kinésithérapeutes rééducateurs en retenant : - que l'activité d'holothérapeute consiste en des massages réflexogènes ou effleurements tactiles accompagnés d'un régime alimentaire à visée d'amaigrissement, actes thérapeutiques que Mme T pratique sans aucun diplôme, - que la publicité parue le 7 janvier 1995 fait abusivement référence à un CQMSE (Comité Qualitatif Médical Scientifique et d'Ethique) et à des revues qui n'ont ni testé ni cautionné cette méthode ; Condamne P Marie-Thérèse au paiement d'un droit fixe de procédure d'un montant de huit cent (800) francs. Le tout par application des articles L. 501 alinéa 1, L. 487 du Code de la santé publique, L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 alinéa 1, L. 121-6, L. 213-1 et L. 121- 4 du Code de la consommation, 473 et 800 du Code de procédure pénale. Sur l'action civile : Confirme le jugement déféré en ce qu'il a reçu la constitution de partie civile du Syndicat national des masseurs-kinésithérapeutes rééducateurs, a déclaré Mme T responsable de son préjudice et lui a alloué mille cinq cent (1 500) francs au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ; Le réforme pour le surplus en statuant à nouveau : Condamne Mme P Marie-Thérèse épouse T à payer au Syndicat national des masseurs-kinésithérapeutes rééducateurs la somme de trente mille (30 000) francs à titre de dommages-intérêts ; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale en cause d'appel.