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Décisions

CJCE, 25 juillet 1991, n° C-353/89

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Commission des Communautés européennes

Défendeur :

Royaume des Pays-Bas

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Présidents :

MM. Mancini, O'Higgins, Moitinho de Almeida, Rodriguez Iglesias

Avocat général :

M. Tesauro

Juges :

MM. Slynn, Kakouris, Schockweiler, Grévisse, Zulee

Avocats :

Mes Bos, Zwaan, Berardis, Marenco, Barents

CJCE n° C-353/89

25 juillet 1991

LA COUR,

1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 17 novembre 1989, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CEE, un recours visant à faire constater que le royaume des Pays-Bas, en réservant à une entreprise néerlandaise tout ou partie des commandes émanant des organismes nationaux néerlandais de radiodiffusion et en restreignant la retransmission aux Pays-Bas de programmes des autres États membres comportant de la publicité spécialement destinée au public néerlandais, a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 59 du traité CEE.

2 La Commission attaque deux mesures indépendantes l'une de l'autre : la première concerne l'obligation faite aux organismes nationaux de radiodiffusion établis aux Pays-Bas de faire réaliser tout ou partie de leurs programmes par une entreprise néerlandaise la seconde est relative aux conditions mises à la transmission par câble de programmes émanant d'autres États membres, lorsque ces programmes contiennent de la publicité destinée en particulier au public néerlandais. Ces deux mesures sont contenues dans la loi néerlandaise du 21 avril 1987, réglant la fourniture de programmes de radiodiffusion et de télévision, les redevances de radiotélévision et les mesures d'aides aux organes de presse (Staatsblad n° 249 du 461987, ci-après "Mediawet").

3 La Mediawet vise à mettre en place un système de radiodiffusion et de télévision à caractère pluraliste et non commercial En vertu des articles 31 et 34 de cette loi, le temps d'antenne disponible pour la diffusion de programmes sur le réseau national de radio ou de télévision est attribué par l'institution chargée de la surveillance de l'application de la Mediawet, le Commissariaat voor de Media, notamment à des organismes de radiodiffusion, qui sont des associations d'auditeurs ou de téléspectateurs, dotées de la personnalité juridique et représentant les grands courants de pensée de la société néerlandaise.

4 Ces organismes ont, en principe, l'entière liberté de réaliser eux-mêmes des émissions. Toutefois, ils ont l'obligation, moins contraignante dans le cas de la télévision que dans celui de la radio, de recourir aux moyens techniques (studios d'enregistrement, ateliers de décors, techniciens ) que possède une société anonyme de droit néerlandais, le Nederlandse Omroepproduktie Bedrijf (ci-après "Bedrijf").

5 Cette obligation figure dans l'article 61 de la Mediawet

Celui-ci prévoit :

"Pour assurer le maintien des moyens de production, les organismes qui ont obtenu du temps d'antenne sur le réseau national doivent dépenser chaque année auprès du Bedrijf l'ensemble des montants mis à leur disposition en application des articles 101 et 102 en ce qui concerne la réalisation des programmes radio, et un pourcentage fixé par décret en ce qui concerne la réalisation des programmes de télévision".

6 Les articles 101 et 102 cités dans cette disposition visent en substance les redevances de radiotélévision mises à la charge des auditeurs ou des téléspectateurs, et que le Commissariaat voor de Media rétrocède aux organismes de radiodiffusion.

7 L'article 154 de la Mediawet précise, en outre, que pour ce qui concerne la télévision, le pourcentage visé à l'article 61 est fixé à 75 %.

8 La seconde des mesures attaquées par la Commission figure dans l'article 66 de la Mediawet. Cet article concerne la transmission, aux Pays-Bas, au moyen de la télédistribution, de programmes de radio ou de télévision émis à partir de l'étranger. Il dispose :

"1) Le gérant d'un réseau de télédistribution peut :

a) transmettre les programmes qui sont émis par un organisme de radiodiffusion étranger au moyen d'un émetteur de radiodiffusion et qui, la plupart du temps, peuvent être captés directement dans la zone desservie par le réseau câblé au moyen d'une antenne individuelle normale dans des conditions de qualité généralement satisfaisantes.

b) transmettre des programmes autres que ceux visés sous a) et qui sont émis par un organisme en tant que programmes de radiodiffusion, conformément à la législation applicable dans les pays d'émission Si ces programmes contiennent des messages publicitaires, leur diffusion n'est autorisée qu'à la condition que ces messages soient produits par une personne morale distincte, qu'ils puissent être clairement séparés d'autres parties du programme et ne soient pas diffusés le dimanche, que la durée de ces messages ne dépasse pas 5 % du temps d'antenne utilisé, que l'organisme de radiodiffusion satisfasse aux dispositions de l'article 55, paragraphe 1, et que les recettes soient intégralement affectées à la production des programmes. Toutefois, si ces conditions ne sont pas remplies, la diffusion d'un tel programme est également autorisée à la condition que les messages publicitaires qu'il contient ne soient pas destinés en particulier au public néerlandais.

2) Aux fins de l'application de la disposition du paragraphe 1, sous b), les messages publicitaires sont en tout état de cause réputés s'adresser en particulier au public néerlandais s'ils sont diffusés au cours ou immédiatement à la suite d'une partie de programmes ou d'un ensemble cohérent de parties de programmes comportant un sous-titrage néerlandais ou une partie de programme en langue néerlandaise.

3) Notre ministre peut accorder une dérogation à l'interdiction inscrite au paragraphe 1, sous b), en ce qui concerne les programmes de radiodiffusion qui sont émis en Belgique à destination du public néerlandophone de Belgique ".

9 L'article 55, paragraphe 1, qui est visé dans cette disposition prévoit qu'en principe "les organismes qui ont obtenu du temps d'antenne ne peuvent pas être utilisés pour permettre à des tiers de réaliser des bénéfices".

10 Pour un plus ample exposé des faits du litige, du déroulement de la procédure et des moyens et arguments des parties, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

Sur le champ d'application de l'article 59 du traité

11 La Commmission estime que les deux mesures mises en œuvre par le royaume des Pays-Bas violent le principe de la libre prestation des services que met en œuvre l'article 59 du traité. Le Gouvernement néerlandais fait valoir, pour sa part, que ces mesures sont entièrement justifiées.

12 Le débat portant donc sur le champ d'application de cet article, il convient d'en définir la portée et les limites.

13 L'article 59 dispose, en son premier alinéa, que les restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de la Communauté doivent être progressivement supprimées au cours de la période de transition à l'égard des ressortissants des États membres établis dans un pays de la Communauté autre que celui du destinataire de la prestation.

14 A cet égard, il résulte d'une jurisprudence constante (voir en dernier lieu, arrêts du 26 février 1991, Commission/France, point 12, C-154-89, Rec. p. I-659 Commission/Italie, point 15, C-180-89, Rec. p. I-709 et Commission/Grèce, point 16, C-198-89, Rec. p. I-727) que l'article 59 du traité implique, en premier lieu, l'élimination de toute discrimination exercée à l'encontre du prestataire en raison de sa nationalité ou de la circonstance qu'il est établi dans un État membre autre que celui où la prestation doit être exécutée.

15 Ainsi que la Cour l'a relevé dans son arrêt du 26 avril 1988, Bond van Adverteerders, points 32 et 33 (352-85, Rec. p. 2085), des réglementations nationales qui ne sont pas indistinctement applicables aux prestations de services quelle qu'en soit l'origine ne sont compatibles avec le droit communautaire que si elles peuvent relever d'une disposition dérogatoire expresse, tel l'article 56 du traité De cet arrêt (point 34), il ressort encore que des objectifs de nature économique ne peuvent constituer des raisons d'ordre public au sens de cet article.

16 En l'absence d'harmonisation des règles applicables aux services, voire d'un régime d'équivalence, des entraves à la liberté garantie par le traité dans ce domaine peuvent, en second lieu, provenir de l'application de réglementations nationales, qui touchent toute personne établie sur le territoire national, à des prestataires établis sur le territoire d'un autre État membre, lesquels doivent déjà satisfaire aux prescriptions de la législation de cet État.

17 Ainsi qu'il découle d'une jurisprudence constante (voir, en dernier lieu, les arrêts du 26 février 1991, Commission/France, précité, point 15 Commission/Italie, précité, point 18 et Commission/Grèce, précité, point 18), pareilles entraves tombent sous le coup de l'article 59 dès lors que l'application de la législation nationale aux prestataires étrangers n'est pas justifiée par des raisons impérieuses d'intérêt général, ou que les exigences que traduit cette législation sont déjà satisfaites par les règles imposées à ces prestataires dans l'État membre où ils sont établis.

18 A cet égard, figurent parmi les raisons impérieuses d'intérêt général déjà reconnues par la Cour les règles professionnelles destinées à protéger les destinataires du service (arrêt du 18 janvier 1979, Van Wesemael, point 28, 110-78 et 111-78, Rec. p. 35), la protection de la propriété intellectuelle (arrêt du 18 mars 1980, Coditel, 62-79, Rec. p. 881), celle des travailleurs (arrêt du 17 décembre 1981, Webb, point 19, 279-80, Rec. p. 3305 arrêt du 3 février 1982, Seco/EVI, point 14, 62-81 et 63-81, Rec. p. 223 arrêt du 27 mars 1990, Rush Portuguesa, point 18, C-113-89, Rec. p. I-1417), celle des consommateurs (arrêts du 4 décembre 1986, Commission/France, point 20, 220-83, Rec. p. 3663 Commission/Danemark, point 20, 252-83, Rec. p. 3713 Commission/Allemagne, point 30, 205-84, Rec. p. 3755 Commission/Irlande, point 20, 206-84, Rec. p. 3817 arrêts du 26 février 1991, Commission/Italie, précité, point 20, et Commission/Grèce, précité, point 21), la conservation du patrimoine historique et artistique national (arrêt du 26 février 1991, Commission/Italie, précité, point 20), la valorisation des richesses archéologiques, historiques et artistiques et la meilleure diffusion possible des connaissances relatives au patrimoine artistique et culturel d'un pays (arrêts du 26 février 1991, Commission/France, précité, point 17, et Commission/Grèce, précité, point 21).

19 Enfin, selon une jurisprudence constante, l'application des réglementations nationales aux prestataires établis dans d'autres États membres doit être propre à garantir la réalisation de l'objectif qu'elles visent et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour qu'il soit atteint en d'autres termes, il faut que le même résultat ne puisse pas être obtenu par des règles moins contraignantes (voir en dernier lieu, arrêts du 26 février 1991, Commission/France, précité, points 14 et 15 Commission/Italie, précité, points 17 et 18 Commission/Grèce, précité, points 18 et 19).

20 C'est à la lumière des principes ainsi rappelés qu'il convient d'examiner, en premier lieu, l'obligation faite par l'article 61 de la Mediawet aux organismes nationaux de radiodiffusion de recourir aux moyens techniques du Bedrijf pour la réalisation de leurs programmes de radiodiffusion ou de télévision et, en second lieu, les conditions mises par l'article 66 de la Mediawet à la transmission aux Pays-Bas de messages publicitaires contenus dans des programmes de radio ou de télévision émis à partir d'autres États membres.

Sur l'obligation, absolue ou partielle, de recourir aux moyens techniques du Bedrijf pour la réalisation des programmes de radiodiffusion ou de télévision

21 La Commission critique l'article 61 de la Mediawet au motif qu'il empêcherait les entreprises établies dans les autres États membres de fournir leurs services pour la réalisation de programmes radiophoniques aux organismes nationaux de radiodiffusion établis aux Pays-Bas, et réduirait à 25 % leurs possibilités d'offrir des services à ces mêmes organismes pour la production de programmes télévisés.

22 Il convient de relever d'emblée que le système mis en place par l'article 61 de la Mediawet conduit effectivement à une restriction à la libre prestation des services à l'intérieur de la Communauté au sens de l'article 59 du traité.

23 En effet, l'obligation faite à tous les organismes nationaux de radiodiffusion établis dans un État membre de recourir en tout ou en partie aux moyens techniques offerts par une entreprise nationale, empêche ces organismes ou limite, en tout cas, leurs possibilités de s'adresser aux services des entreprises établies dans d'autres États membres. Elle comporte donc un effet protecteur en faveur d'une entreprise de services établie sur le territoire national et défavorise, dans la même mesure, les entreprises du même type établies dans d'autres États membres.

24 Le Gouvernement néerlandais fait valoir que ce régime préférentiel déploie ses effets restrictifs dans la même mesure à l'égard des entreprises de services, autres que le Bedrijf, établies aux Pays-Bas, et à l'égard des entreprises établies dans les autres États membres.

25 Cette circonstance n'est, en tout état de cause, pas de nature à exclure le régime préférentiel dont bénéficie le Bedrijf du champ d'application de l'article 59 du traité Par ailleurs, il n'est pas nécessaire que toutes les entreprises d'un État membre soient avantagées par rapport aux entreprises étrangères Il suffit que le régime préférenciel mis en place bénéficie à un prestataire national.

26 Le Gouvernement néerlandais fait également valoir qu'il est nécessaire d'assurer une transition harmonieuse entre le précédent système de radiodiffusion, dans lequel les moyens techniques nécessaires à la réalisation de programmes appartenaient au secteur public, et la mise en place d'un régime de concurrence En effet, selon le Gouvernement néerlandais, il s'imposait, en premier lieu, de préserver les acquis culturels de la période précédente et, en second lieu, d'éviter la faillite du Bedrijf et des licenciements massifs. A l'audience, ce Gouvernement a cependant annoncé que l'obligation en cause avait été supprimée depuis le 1er janvier 1991 en ce qui concerne la réalisation des programmes de télévision et le serait à partir du 1er janvier 1992 en ce qui concerne la réalisation des programmes de radio.

27 Quant à l'argument tiré de la nécessité de n'assurer que progressivement la mise en place d'un régime de concurrence, il y a lieu de rappeler que la période transitoire qu'a prévue le traité a expiré le 31 décembre 1969 et que les impératifs de l'article 59 du traité sont devenus d'application directe et inconditionnelle à l'expiration de cette période (voir l'arrêt du 18 janvier 1979, Van Wesemael, précité, point 26) Partant, un législateur national ne saurait être autorisé à introduire de nouveaux délais .

28 Pour ce qui est des adaptations récentes du régime préférentiel critiqué, elles ne sont pas de nature à modifier les appréciations qui précèdent D'une part, l'obligation faite par la Mediawet subsiste en ce qui concerne la réalisation de programmes de radio D'autre part, il est de jurisprudence constante (voir, en dernier lieu, arrêts du 30 mai 1991, Commission/Allemagne, point 31, C-361-88, et point 35, C-59-89, Rec. p. 0000) que l'objet d'un recours introduit au titre de l'article 169 du traité est fixé par l'avis motivé de la Commission et que, même au cas où le manquement a été éliminé postérieurement au délai déterminé en vertu du deuxième alinéa dudit article, la poursuite de l'action conserve un intérêt en vue d'établir la base d'une responsabilité qu'un État membre peut être dans le cas d'encourir, en conséquence de son manquement, à l'égard d'autres États membres, de la Communauté ou de particuliers.

29 Le Gouvernement néerlandais fait encore valoir que des exceptions à l'article 59 sont légitimes lorsqu'elles trouvent leur justification dans l'intérêt général Il affirme à cet égard que ces restrictions sont justifiées par les impératifs tenant à la politique culturelle qu'il a mise en place dans le secteur audiovisuel Il explique que celle-ci a pour but de sauvegarder la liberté d'expression des différentes composantes, notamment sociales, culturelles, religieuses ou philosophiques existant aux Pays-Bas, telle qu'elle doit pouvoir se manifester dans la presse, à la radio ou à la télévision Il rappelle que le Bedrijf, en mettant des moyens techniques à la disposition des divers organismes nationaux de radiodiffusion, permet le maintien du statut pluraliste et non commercial de l'audiovisuel néerlandais Il ajoute que le Bedrijf accomplit également des tâches culturelles, telles que la gestion d'une phonothèque, la conservation d'archives filmiques ou la direction d'un orchestre ou de choeurs Or, des raisons de politique culturelle, telles que celles-là, devraient être rangées parmi les considérations d'intérêt général qui peuvent justifier des mesures restrictives, même si ces dernières sont de nature économique.

30 Entendue en ce sens, une politique culturelle peut certes constituer une raison impérieuse d'intérêt général justifiant une restriction à la libre prestation des services En effet, le maintien du pluralisme qu'entend garantir cette politique néerlandaise est lié à la liberté d'expression, telle qu'elle est protégée par l'article 10 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, qui figure parmi les droits fondamentaux garantis par l'ordre juridique communautaire (arrêt du 14 mai 1974, Nold, point 13, 4-73, Rec. p. 491).

31 Toutefois, en obligeant les organismes nationaux de radiodiffusion qui représentent les composantes sociales, culturelles, religieuses ou philosophiques de la société néerlandaise, à faire réaliser en tout ou partie leurs émissions par une entreprise nationale, le royaume des Pays-Bas va au-delà du but qu'il poursuit, à savoir la protection de la liberté d'expression En effet, le pluralisme dans le secteur audiovisuel d'un État membre ne peut en rien être affecté par la possibilité qui serait ouverte aux divers organismes nationaux de radiodiffusion de s'adresser aux prestataires de services établis dans d'autres États membres Comme l'a fait remarquer à juste titre la Commission, si ces organismes de radiodiffusion ont réellement intérêt à s'adresser au Bedrijf, il n'est pas nécessaire de leur en imposer l'obligation.

32 Par ailleurs, ainsi que le reconnaît le Gouvernement néerlandais lui-même, les tâches culturelles accomplies par le Bedrijf sont financées intégralement par l'État Elles sont donc étrangères à l'obligation faite aux organismes de radiodiffusion de dépenser tout ou partie de leurs moyens financiers auprès du Bedrijf et ne peuvent donc être de nature à la justifier.

33 Le Gouvernement néerlandais s'est ensuite référé à l'article 90 du traité De cette disposition, il déduit que les États membres peuvent, sur leur territoire, soustraire certaines activités économiques à la libre concurrence Dans le cadre du système audiovisuel néerlandais, un tel monopole serait justifié par les raisons d'intérêt général déjà exposées, à savoir le maintien du pluralisme dans les médias, l'intérêt pour les organismes nationaux de radiodiffusion d'avoir accès à des moyens techniques de qualité et l'accomplissement par le Bedrijf de tâches culturelles non rentables.

34 A ce propos, il suffit de noter qu'il résulte de l'arrêt du 19 mars 1991, France/Commission, point 22 (C-202-88, Rec. p. I-1223), que l'article 90 du traité présuppose certes l'existence d'entreprises titulaires de certains droits spéciaux ou exclusifs, mais qu'il ne s'ensuit pas pour autant que tous les droits spéciaux ou exclusifs sont nécessairement compatibles avec le traité Cette compatibilité doit être appréciée au regard des différentes règles auxquelles l'article 90, paragraphe 1, renvoie.

35 Il en découle que savoir si un État membre peut soustraire certaines prestations de services à la libre concurrence revient à déterminer si les restrictions à la libre prestation de services, qui seraient ainsi créées, peuvent être justifiées par les raisons d'intérêt général qui ont été relevées ci-avant (points 17 et 18).

36 Or, ainsi qu'il a été dit plus haut (points 31 et 32), aucune raison d'intérêt général ne justifie, dans le cas d'espèce, le régime privilégié que les autorités néerlandaises ont accordé au Bedrijf.

37 Il y a dès lors lieu de constater qu'en obligeant les organismes qui ont obtenu du temps d'antenne sur le réseau national de radiodiffusion à dépenser auprès du Bedrijf l'ensemble des montants mis à leur disposition en ce qui concerne la réalisation des programmes de radio et un pourcentage fixé par décret en ce qui concerne la réalisation des programmes de télévision, le royaume des Pays-Bas a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 59 du traité.

Sur les conditions mises à la transmission aux Pays-Bas de messages publicitaires contenus dans des programmes de radio ou de télévision émis à partir d'autres États membres.

38 En ce qui concerne les conditions imposées par l'article 66, paragraphe 1, sous b), deuxième phrase, de la Mediawet, au sujet de la transmission aux Pays-Bas de messages publicitaires contenus dans les programmes de radiotélévision émis à partir de l'étranger, il convient de constater d'emblée que de telles conditions comportent une double restriction à la libre prestation des services D'une part, elles empêchent les gérants de réseau de télédistribution établis dans un État membre de transmettre des programmes de radio ou de télévision offerts par des émetteurs établis dans d'autres États membres, qui ne satisfont pas ces conditions D'autre part, elles limitent les possibilités qu'ont ces émetteurs de programmer au profit de publicitaires établis notamment dans l'État de réception des messages destinés spécialement au public de cet État.

39 Ainsi que la Commission l'a relevé à juste titre, les conditions qui sont exigées par l'article 66 de la Mediawet appartiennent à deux catégories différentes. Il y a tout d'abord des conditions qui ont trait à la structure des émetteurs : ceux-ci doivent confier la publicité à une personne morale indépendante des fournisseurs de programmes ils doivent affecter intégralement leurs recettes publicitaires à la production de programmes ils ne peuvent permettre à des tiers de réaliser des bénéfices Il y a ensuite des conditions qui se réfèrent à la publicité elle-même : celle-ci doit être clairement identifiée en tant que telle et séparée des autres parties du programme elle ne peut dépasser 5 % du temps d'antenne elle ne doit pas être diffusée le dimanche Il convient donc d'examiner ces conditions séparément.

A - En ce qui concerne les conditions relatives à la structure des organismes de radiodiffusion établis dans d'autres États membres

40 S'agissant des conditions relatives à la structure des organismes de radiodiffusion établis dans d'autres États membres, le Gouvernement néerlandais explique qu'elles sont identiques à celles que doivent remplir les organismes néerlandais de radiodiffusion Ainsi, l'exigence selon laquelle les messages publicitaires doivent être produits par une personne juridique distincte des producteurs de programmes correspondrait à l'interdiction faite par la Mediawet aux organismes nationaux d'émettre de la publicité commerciale, la diffusion de celle-ci étant réservée à la fondation pour la publicité télévisée, la "Stichting Etherreclame" (ci-après "STER ") L'obligation faite aux émetteurs des autres États membres de ne pas procurer de bénéfices à des tiers serait destinée à garantir le caractère non commercial de la radiodiffusion, caractère que la Mediawet vise à maintenir pour les organismes nationaux de radiodiffusion. Enfin, l'exigence ayant trait à l'affectation des recettes publicitaires, qui doivent être réservées à la production de programmes, aurait pour but d'offrir aux émetteurs des autres États membres des moyens au moins équivalents à ceux qui existent dans le système national, où la plus grande partie des recettes de publicité de la STER couvrirait les frais de fonctionnement de la radio et de la télévision.

41 Le Gouvernement néerlandais justifie ces restrictions en faisant valoir qu'elles ont pour objectif d'éviter une emprise excessive des publicitaires sur l'élaboration des programmes, qui pourrait mettre en péril la politique culturelle qu'il a mise en place dans le secteur audiovisuel.

42 Il convient cependant de constater qu'il n'y a pas de relation nécessaire entre pareille politique culturelle, et les conditions relatives à la structure des organismes de radiodiffusion étrangers En vue d'assurer le pluralisme dans le secteur audiovisuel, il n'est nullement indispensable, en effet, que la législation nationale impose aux organismes de radiodiffusion établis dans d'autres États membres de s'aligner sur le modèle néerlandais, s'ils entendent diffuser des programmes contenant des messages publicitaires à l'intention du public néerlandais Pour garantir le pluralisme qu'il souhaite maintenir, le Gouvernement néerlandais peut fort bien se borner à élaborer le statut de ses propres organismes de manière appropriée.

43 Des conditions touchant à la structure des organismes de radiodiffusion étrangers ne peuvent donc être regardées comme objectivement nécessaires en vue de garantir l'intérêt général que constitue le maintien d'un système national de radio et de télévision assurant le pluralisme.

B - En ce qui concerne les conditions relatives aux messages publicitaires

44 Selon le Gouvernement néerlandais, et contrairement au point de vue défendu par la Commission, ni l'interdiction de transmettre des messages publicitaires certains jours, ni la limitation de la durée, ni l'obligation de les identifier en tant que tels et de les séparer des autres parties des programmes n'ont de caractère discriminatoire Les services fournis par la STER seraient soumis aux mêmes restrictions. Le Gouvernement néerlandais s'est référé à cet égard à l'article 39 de la Mediawet De ce texte, il résulterait que le Commissariaat voor de Media attribue à la STER du temps d'antenne disponible sur le réseau national, et que cette attribution doit se faire de telle sorte que les programmes des organismes nationaux de radiodiffusion ne soient pas interrompus Enfin, selon le même article, aucun temps d'antenne ne serait attribué les dimanches .

45 A cet égard, il y a lieu de souligner d'abord que peuvent être justifiées par des raisons impérieuses d'intérêt général des restrictions à l'émission de messages publicitaires telles que l'interdiction de publicité pour certains produits ou certains jours, la limitation de la durée ou de la fréquence des messages, ou des restrictions qui ont pour but de permettre aux auditeurs ou aux téléspectateurs de ne pas confondre la publicité commerciale avec d'autres parties du programme De telles restrictions peuvent, en effet, être imposées pour protéger les consommateurs contre les excès de la publicité commerciale ou, dans un but de politique culturelle, pour maintenir une certaine qualité des programmes.

46 Il convient ensuite de relever que les restrictions en cause ne concernent que le marché des messages publicitaires destinés spécialement au public néerlandais Ce marché était également le seul visé par l'interdiction de publicité contenue dans la Kabelregeling qui a donné lieu aux questions préjudicielles dans le cadre de l'affaire Bond van Adverteerders (voir l'arrêt du 26 avril 1988, précité). Même si les messages publicitaires ont trait à des produits qui peuvent être consommés aux Pays-Bas, les restrictions ne jouent que lorsque les messages accompagnent des programmes en néerlandais ou sous-titrés en néerlandais En outre, ces restrictions peuvent être levées en ce qui concerne les programmes en néerlandais qui sont émis en Belgique à destination du public belge néerlandophone.

47 A la différence de la Kabelregeling, les dispositions de la Mediawet visées ici ne réservent plus à la STER la totalité des recettes provenant des messages publicitaires destinés spécialement au public néerlandais Toutefois, en réglementant la transmission de ces messages, elles restreignent la concurrence à laquelle la STER peut être confrontée, sur ce marché, de la part des organismes de radiodiffusion étrangers Elles aboutissent ainsi, même si c'est à un moindre degré que la Kabelregeling, à protéger les recettes de la STER et poursuivent donc le même objectif que la réglementation antérieure Or, ainsi qu'il a été jugé dans l'arrêt du 26 avril 1988, Bond van Adverteerders (précité, point 34), cet objectif ne peut justifier des restrictions à la libre prestation de services.

48 Il y a donc lieu de constater qu'en interdisant aux gérants de réseau de télédistribution établis sur son territoire de transmettre des programmes de radio ou de télévision contenant des messages publicitaires destinés en particulier au public néerlandais et émis par les organismes de radiodiffusion établi sur le territoire d'un autre État membre, lorsque ne sont pas remplies certaines conditions relatives à la structure de ces organismes ou ayant trait aux messages publicitaires contenus dans leurs programmes et destinés au public néerlandais, le royaume des Pays-Bas a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 59 du traité.

Sur les dépens

49 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens La partie défenderesse ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

déclare et arrête :

1) En obligeant les organismes qui ont obtenu du temps d'antenne sur le réseau national de radiodiffusion à dépenser auprès du Bedrijf l'ensemble des montants mis à leur disposition en ce qui concerne la réalisation des programmes de radio et un pourcentage fixé par décret en ce qui concerne la réalisation des programmes de télévision et en interdisant aux gérants de réseau de télédistribution établis sur son territoire de transmettre des programmes de radio ou de télévision contenant des messages publicitaires destinés en particulier au public néerlandais et émis par un organisme de radiodiffusion établi sur le territoire d'un autre État membre, lorsque ne sont pas remplies certaines conditions relatives à la structure de ces organismes ou ayant trait aux messages publicitaires contenus dans leurs programmes et destinés au public néerlandais, le royaume des Pays-Bas a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 59 du traité CEE.

2) Le royaume des Pays-Bas est condamné aux dépens.