CCE, 18 juin 1991, n° M.098
COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Décision
ELF/BC/CEPSA
LA COMMISSION DES COMMUNAUTES EUROPEENNES,
1. La notification précitée concerne une opération prévue dans un protocole d'accord conclu le 25 avril 1991 entre la société nationale Elf Aquitaine (ELF), Banco Central SA (BC) et Compania Española de Petroleos SA (CEPSA) suivant lequel ELF cède à CEPSA ses droits et obligations liés à l'option sur Ertoil consentie par General Mediterranean Holding (GMH) à ELF. En contrepartie ELF accroît sa participation au capital de CEPSA de 20,5 % à 34 % au travers d'augmentations du capital successives.
Cette opération fait suite à l'opération déjà notifiée le 22 mars 1991 (n° IV-M063 - ELF/Ertoil) et qui a donné lieu à une décision de la Commission en date du 29avril 1991 sur base de l'article 6 (1) b du règlement du Conseil n° 4064-89, déclarant ladite opération compatible avec le Marché commun.
2. Après examen de la présente notification, la Commission a abouti à la conclusion que l'opération notifiée entre dans le champ d'application du règlement du Conseil n° 4064-89 et ne soulève pas de doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le Marché commun.
I. CONCENTRATION
3. L'opération notifiée est une concentration au sens de l'article 3 (1) b du règlement n° 4064-89.
4. En effet, le résultat de l'opération susmentionnée consiste en l'acquisition par ELF du contrôle conjoint de CEPSA avec Banco Central; du fait de la cession des droits d'acquisition d'Ertoil à CEPSA, ELF et Banco Central contrôlent aussi conjointement Ertoil.
Le contrôle en commun s'explique par le fait qu'en raison de leur niveau de participation au capital de CEPSA (34 % pour ELF, environ 34 % pour BC) elles bénéficieront chacune d'un droit de véto sur les décisions stratégiques de l'entreprise (règle de la majorité qualifiée de 75 %), notamment, les plans stratégiques à 5 ans, politiques d'investissements, tous projets d'investissement, d'acquisition ou de contrat d'approvisionnement, politique industrielle et stratégie commerciale, ainsi que la politique de marque.
BC et ELF devront coopérer d'une manière permanente afin d'éviter un blocage réciproque lors des votes sur les décisions concernant les activités essentielles de CEPSA/Ertoil.
5. Cette entreprise commune (CEPSA/Ertoil) va accomplir de manière durable toutes les fonctions d'une entité économique autonome sur les marchés en cause.
6. La création de cette entreprise commune n'entraînerait pas une coordination de comportement concurrentiel ni entre BC et ELF, ni entre les entreprises mères et l'entreprise commune. BC n'a pas et n'est pas susceptible d'avoir d'activités dans les marchés voisins, en amont ou en aval de ceux de l'entreprise commune.
Quant aux rapports entre ELF et CEPSA/Ertoil, les marchés en cause présentent des structures à ce point différentes (voir infra) que, compte tenu de la nature des produits concernés et du coût d'une entrée ou d'un retour de l'une sur le marché de l'autre et inversement, des interactions concurrentielles ne peuvent être présumées.
La présence d'activités parallèles d'ELF en Espagne ne constitue pas non plus un élément sérieux pour une coordination prévisible en raison de leur importance très réduite par rapport aux activités de CEPSA/Ertoil. La même conclusion vaut pour les activités de CEPSA en France.
Finalement, l'octroi d'une licence pour l'utilisation de la marque ELF par CEPSA/Ertoil renforce le caractère concentratif de l'opération.
II. DIMENSION COMMUNAUTAIRE
7. Le projet de concentration est de dimension communautaire. En effet, le chiffre d'affaires mondial réalisé par ELF, BC, CEPSA et Ertoil ensemble était, au cours du dernier exercice (1990), de 35 499 millions d'Ecus. Le chiffre d'affaires total réalisé individuellement dans la Communauté par chacune des quatre entreprises représentait un montant supérieur à 250 millions d'Ecus. Les quatre entreprises ne réalisent pas deux tiers de leur chiffre d'affaires communautaire dans un seul et même Etat membre.
III. COMPATIBILITE AVEC LE MARCHE COMMUN
Les marchés de référence
8. Les secteurs concernés par cette concentration sont relatifs aux activités de raffinage du pétrole et à la commercialisation des produits issus des raffineries.
9. Il y a donc lieu de distinguer les marchés de produits suivants :
- marché des "grand produits" (en distinguant les essences, gasoil et fuel lourd);
- gaz de pétrole liquéfié (GPL);
- huiles de base;
- lubrifiants (en distinguant les segments auto, industriel et marin);
- bitumes;
- carburéacteurs;
- naphta et benzène.
En ce qui concerne le marché des "grands produits", depuis 1927, la distribution de la plus grande partie des produits issus du raffinage a été soumise à un monopole d'Etat, confié à la société publique Campsa, propriétaire des moyens d'infrastructure de distribution primaire (pipe-lines et dépôts), ainsi que fournisseur unique des stations-service soumises au régime de concession administrative. Chacun des raffineurs se voit attribuer un "quota" de fourniture à Campsa, proportionnel à sa participation au capital social de Campsa. Ces participations ont été calculées à l'origine en fonction de la capacité de raffinage de chaque compagnie.
% de capital Droit à fourniture en %
Repsol SA [*] 15,61 % 0 %
Repsol Petroleo 41,07 % 50,1 %
CEPSA 14,64 % 17,9 %
Petronor (contrôlée à 80 % par Repsol) 12,98 % 15,8 %
Petromed 7,51 % 9,2 %
Ertoil 5,76 % 7 %
Autres [*] 2,43 % 0 %
[* Ces sociétés, qui n'ont pas d'activités de raffinage, ne disposent par conséquent d'aucun droit de fourniture]
Le marché géographique de référence.
10. Les activités de Ertoil et CEPSA se limitent fondamentalement à l'Espagne. En effet, les parts de marché de CEPSA en France, seul autre Etat membre où elle est présente, ne dépassent pas 0,5 % dans aucun marché de produits. Les parts de marché d'ELF en France se situant entre 15 % et 33 %, l'analyse suivante peut se limiter pour l'essentiel au cadre espagnol, puisque la concentration ne renforcerait pas de façon significative la position d'ELF en France.
Produits soumis au monopole
11. En ce qui concerne les "grandes produits" soumis au monopole, le marché géographique de référence est le territoire péninsulaire de l'Espagne et les Baléares. En arrivant à cette conclusion, la Commission a tenu compte des éléments suivants:
- Aucune société non-espagnole ne dispose de raffineries sur le territoire péninsulaire de l'Espagne.
- Les raffineurs espagnols contrôlent l'accès tant à la logistique de distribution primaire qu'à la plus grande partie du réseau de distribution de détail existant (stations-service) au travers de Campsa, dont ils sont les actionnaires.
- Les importations sont soumises à des restrictions quantitatives.
- Selon la législation espagnole, les opérateurs du réseau parallèle ne peuvent pas s'approvisionner auprès des raffineurs espagnols en vue de commercialiser ces produits sur le territoire péninsulaire de l'Espagne et les Baléares.
12. L'imminente échéance de la période d'adaptation du monopole pétrolier espagnol, prévue dans l'Acte d'Adhésion pour le 1er janvier 1992, n'est pas de nature à avoir une incidence prévisible à court et à moyen terme:
- le réseau logistique de distribution en vrac restera la propriété de Campsa;
- la création d'un réseau de distribution au détail est un processus long et exigeant de lourds investissements.
Produits hors monopole
13. En ce qui concerne les produits hors monopole, la Commission considère également que le marché géographique de référence est en principe le territoire péninsulaire de l'Espagne et les Baléares pour les raisons suivantes :
- la nature des produits et leurs coûts de transport;
- le régime de distribution, et surtout les conditions d'accès à la logistique de distribution primaire;
- l'existence des contingents à l'importation, qui combinée à l'impossibilité pour les producteurs étrangers de raffiner en Espagne, résulte en une faible présence de ceux-ci sur le territoire péninsulaire de cet Etat membre;
- le rôle des marques.
Pour certains sous-produits dont les échanges sont sur le point d'être libérés ou sont déjà libérés, la définition du marché géographique de référence peut être plus large (lubrifiants et benzène).
Iles Canaries
14. Les Iles Canaries constituent un marché géographique distinct. Compte tenu de la distance entre les Iles Canaries et le reste de l'Espagne, du régime particulier en matière douanière et commerciale prévu à l'article 25 du traité d'adhésion de l'Espagne à la Communauté et de l'absence de monopole de distribution, cette région espagnole ne rentre pas dans le marché géographique de référence, utilisé aux fins de la présente décision. En outre, et compte tenu du fait que ni ELF ni Ertoil n'ont une présence significative dans ces îles, elles ne constituent pas un marché affecté par le projet de concentration.
IV. APPRECIATION DE L'OPERATION.
15. Après la concentration, il resterait trois sociétés disposant des raffineries. La position gobale de chacune, sur base de la capacité totale de raffinage est donnée dans le tableau suivant:
Capacités de raffinage (en % du marché espagnol)
Repsol [*] 58,0 %
CEPSA + Ertoil 32,3 % (25 %+7 %)
Petromed 9,7 %
[* En y incluant la capacité de Petronor, filiale à 89 % de Repsol.]
Une analyse des parts de marché détenues par les parties à la concentration permet de constater des positions de marché dépassant les 25 %, découlant de la concentration, dans les marchés suivants:
- "marché des grands produits" (essences, gasoil, fuel-oil);
- huiles de base;
- lubrifiants,surtout dans les segments auto et marin;
- bitumes;
- carburéacteurs;
- benzène.
16. Marché des grands produits. Sur base des parts dans l'approvisionnement de la Campsa, l'ensemble CEPSA/Ertoil (avec 24,9 %) serait largement dépassé par la société publique Repsol (avec 65,9 %).
Les importations de ces produits effectuées par ELF correspondent à son activité dans le réseau parallèle. Elles ont représenté en 1989 une valeur de 2 milliards de pesetas, soit 0,3 % du marché.
17. Les parts de marché de CEPSA et Ertoil dans le marché de référence en ce qui concerne les essences, gasoils et fuel-oils se ventilent comme suit:
CEPSA Ertoil Total
Essences 14,4 % 6,3 % 20,7 %
Gasoils 18,5 % 6,8 % 25,3 %
Fueloils 36,02 % 5,8 % 41,8 %
En ce qui concerne les essences et gasoils, les parts de marché de Repsol qui, par ailleurs, détient la majorité du capital social de Campsa et contrôle ainsi la distribution de ces produits soumis au monopole, sont de 66 % pour les deux produits. En ce qui concerne les fuel-oils, il faut noter que la part de marché détenue par CEPSA/Ertoil en 1990, qui est similaire à celle de Repsol, est conjoncturelle. En effet, en 1988 et 1989, cette part de marché était inférieure (27,3 % et 30,9 % respectivement). Par ailleurs, la capacité de production et la production de Repsol représente plus du double de celle de CEPSA/Ertoil. De ce fait, il n'y a pas lieu de considérer que le projet de concentration aboutira à la création d'une position dominante dans ces marchés.
18. Huiles de base. Les huiles de base constituent un produit intermédiaire pour la production des lubrifiants. La plus grande partie de la production est captive. Le reste de la production est vendu à des entreprises qui, en ajoutant des additifs, élaborent leurs propres lubrifiants.
La part de marché de CEPSA et Ertoil est de 39,8 %, celle de Repsol de 31 %, les importations (40 milles tonnes) représentant 28,9 %. Par ailleurs, Mobil a une production propre mais captive.
Bien que la part de marché de CEPSA/Ertoil soit relativement élevée, elle ne peut être considérée comme un indice de position dominante, compte tenu du degré de pénétration des importations (en progression) et de la plus grande capacité installée de production du concurrent principal (Repsol).
Par ailleurs, et compte tenu de l'imminente libéralisation des importations, les opérateurs internationaux installés en Espagne pourront augmenter leur approvisionnement à partir de leurs maisons-mères. Shell et Total s'approvisionnent déjà à partir de la production de leur propre groupe.
19. Lubrifiants. Les parts de marché des lubrifiants dans chaque segment se ventilent comme suit en 1990:
CEPSA Ertoil (Tot.) ELF-Repsol
Auto 21,7 % 8 % 29,7 % 4,431 %
Industr. 7,6 % 6 % 13,6 % 0,812 %
Marine 26,8 % 6 % 32,8 % 0,023 %
Les grandes compagnies étrangères (Esso, Shell, Gulf, Mobil, Total, etc.) ont fortement pénétré le marché espagnol depuis l'ouverture des contingents à l'importation en 1988, et à l'heure actuelle représentent ensemble une part de marché de 23,8 % dans le segment auto. La fabrication de lubrifiants à partir d'huiles de base est relativement simple, et compte tenu de l'imminente libéralisation des importations, on peut s'attendre à une concurrence accrue de la part des compagnies multinationales qui peuvent pénétrer le marché avec des marques connues des constructeurs de voitures ou sous leurs propres marques, mais avec homologation de ces constructeurs.
Aucun des clients consultés par la Commission n'a fait état de difficultés en relation avec le projet de concentration.
En ce qui concerne les huiles marines, la pénétration des compagnies étrangères (Shell avec 12%, BP avec 7,5%, Castrol et Esso avec 7,5 %, Texaco avec 7 %) est très importante; elles ont atteint dans l'ensemble une part de marché de 51 %.
20. Bitumes. Les parts de marché se ventilent comme suit:
1988 1989 1990
CEPSA+Ertoil [*] 40,3 % 38,3 % 42,5 %
Repsol/Petronor [*] 25,9 % 30,1 % 43,2 %
Petromed 2,9 % 6,1 % 12,8 % 69,1 % 74,5 % 98,5 %
[* Dont 50 % de la production d'Asesa, filiale commune de CEPSA et de Repsol.]
Ce marché est très spécifique, du fait du poids élevé et du faible prix de vente (16 ptas/kg) des produits en cause, et du contrôle des sociétés de distribution (BPMed, Proas, Asfalnor, Repsol Productos Asfalticos), par les raffineurs espagnols.
La Commission considère qu'il n'y a pas création d'une position dominante dans ce marché pour les raisons suivantes:
- les conditions de concurrence se circonscrivent dans une large mesure au cadre régional. Compte tenu de la localisation des raffineries en Espagne, la concentration ne modifie pas substantiellement la structure du marché en cause.
- la production de bitumes est résiduelle. Les conditions de production font que tous les opérateurs peuvent élargir énormément leur production à court terme. Ainsi, Petromed a multiplié par 4 sa part de marché en trois ans, et Repsol est passé de 25% en 1988 à 43% en 1990.
- les importations sont possibles à partir de la France, pour le Nord-Est de l'Espagne: elles se sont élevées à 153 000 tonnes en 1988.
- aucun des clients consultés par la Commission n'a fait état de difficultés en relation avec le projet de concentration.
21. Carburéacteurs. Les parts de marché se ventilent comme suit en 1990:
Repsol 56 %
CEPSA+Ertoil 26,6 % (20,7+5,9)
Petromed 7,1 %
Compte tenu de l'écart entre Repsol et les autres concurrents, et de la nécessité absolue d'avoir accès à la logistique de distribution de Campsa pour approvisionner les avions, le projet de concentration n'a pas comme conséquence la création d'une position dominante.
22. Bases pétrochimiques. Parmi ces produits, la concentration n'aboutit à un renforcement significatif des positions des entreprises concernées que dans le cas du benzène. Une grande partie de la production est captive. Les importations en Espagne s'élèvent à 25 000 tonnes en 1989.
Compte tenu du fait que le benzène en tant que produit de base de l'industrie chimique est coté internationalement, et qu'il y a un commerce intracommunautaire importante (800 000 tonnes en 1989, plus 500 000 tonnes importées des pays hors communauté), la concentration ne crée pas de position dominante dans ce marché.
EVALUATION FINALE
23. Compte tenu de la présence de Repsol, qui dépasse largement la capacité de production de l'ensemble CEPSA/Ertoil, et détient des parts de marché égales ou supérieures dans tous les marchés affectés, ainsi que de la présence de Petromed qui constitue une source de concurrence appréciable; de la réglementation actuelle du secteur pétrolier en Espagne et du rôle de Repsol dans ce secteur, ainsi que de la concurrence extérieure déjà implantée dans certains des marchés affectés, le projet de concentration ne crée ou ne renforce pas de position dominante susceptible d'entraver de façon significative la concurrence dans aucun de ses marchés affectés.
24. Pour les raisons ci-dessus exposées, la Commission a décidé de ne pas s'opposer à l'opération notifiée et de la déclarer compatible avec le Marché commun. Cette décision est adoptée en application de l'article 6 (1) b du règlement du Conseil n° 4064-89.