TPICE, 3e ch., 12 juillet 2000, n° T-45/00
TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES
Ordonnance
PARTIES
Demandeur :
Conseil national des professions de l'automobile, Fédération nationale des distributeurs, loueurs et réparateurs de matériels de bâtiments de travaux publics et de manutention, Auto Contrôle 31 (SA), YAM 31 (SARL), Roux (SA), Foucher-Creteau, Verdier distribution (SARL)
Défendeur :
Commission des Communautés européennes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lenaerts
Juges :
MM. Azizi, Jaeger
Avocat :
Me Bourgeon.
LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre),
Antécédents du litige
1. Le règlement (CE) n° 2790-1999 de la Commission, du 22 décembre 1999, concernant l'application de l'article 81, paragraphe 3, du traité à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées (JO L 336, p. 21, ci-après le "règlement attaqué"), déclare, sous certaines conditions, l'article 81, paragraphe 1, CE inapplicable aux accords ou pratiques concertées qui sont conclus entre deux ou plus de deux entreprises dont chacune opère, aux fins de l'accord, à un niveau différent de la chaîne de production ou de distribution, et qui concernent les conditions dans lesquelles les parties peuvent acheter, vendre ou revendre certains biens ou services (ci-après les "accords verticaux").
2. Les parties requérantes sont des petites et moyennes entreprises (ci-après les "PME") ou, dans le cas du Conseil national des professions de l'automobile (ci-après le "CNPA") et la Fédération nationale des distributeurs, loueurs et réparateurs de matériels de bâtiments de travaux publics et de manutention (ci-après la "DLR"), représentent les intérêts de telles entreprises. Les PME en question seraient liées par des accords verticaux tombant dans le champ d'application du règlement attaqué.
Procédure et conclusions des parties
3. Par requête enregistrée au greffe du Tribunal le 29 février 2000, les parties requérantes ont introduit le présent recours.
4. Les parties requérantes concluent à ce qu'il plaise au Tribunal:
- annuler le règlement attaqué;
- condamner la Commission aux dépens.
5. Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 5 avril 2000, la Commission a, en vertu de l'article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, soulevé une exception d'irrecevabilité.
6. Dans son exception, la Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :
- rejeter le recours comme irrecevable;
- condamner les parties requérantes aux dépens.
7. Les parties requérantes ont déposé leurs observations sur l'exception d'irrecevabilité le 18 mai 2000.
Sur la recevabilité
8. En vertu de l'article 114, paragraphe 3, du règlement de procédure, la suite de la procédure sur l'exception d'irrecevabilité est orale, sauf décision contraire du Tribunal. Le Tribunal estime que, en l'espèce, il est suffisamment éclairé par les pièces du dossier et qu'il n'y a pas lieu d'ouvrir la procédure orale.
Arguments des parties
9. La Commission explique que le règlement attaqué ne peut être considéré comme une décision prise sous l'apparence d'un règlement concernant directement et individuellement les parties requérantes au sens de l'article 230, quatrième alinéa, CE. Il s'agirait, en effet, d'un acte de caractère purement normatif. Le recours serait donc irrecevable.
10. Les parties requérantes rétorquent que la Commission n'est pas fondée à invoquer l'article 230 CE dès lors que le règlement attaqué aurait été adopté en violation des formes substantielles procédurales prévues à l'article 83, paragraphe 1, CE et en violation de l'article 81, paragraphe 1, CE.
11. Ensuite, elles font valoir que le règlement attaqué constitue en réalité une décision les concernant directement et individuellement. Elles expliquent, à cet effet, qu'elles sont ou qu'elles représentent des PME qui, en leur qualité de distributeurs, se trouvent dans une situation de dépendance économique vis-à-vis des grands fournisseurs. Par l'application du règlement attaqué, les accords verticaux qui instaurent cet état de dépendance économique et qui éliminent toute concurrence au sein d'une marque, échapperaient à l'application de l'article 81, paragraphe 1, CE et à la sanction de nullité ex tunc prévue à l'article 81, paragraphe 2, CE. Elles soulignent l'effet cumulatif des restrictions de la concurrence contenues dans les accords verticaux (arrêts de la Cour du 25 octobre 1977, Metro/Commission, 26-76, Rec. p. 1875, et du 22 octobre 1986, Metro/Commission, 75-84, Rec. p. 3021).
12. Enfin, se référant aux arrêts de la Cour du 16 avril 1970, Compagnie française commerciale et financière/Commission (63-69, Rec. p. 205), et du 5 mai 1977, Koninklijke Scholten Honig/Conseil et Commission (101-76, Rec. p. 797), les parties requérantes font observer que le règlement attaqué ne définit en rien la situation objective de droit et de fait qui justifierait une atteinte aux dispositions du traité CE.
Appréciation du Tribunal
13. Il doit d'abord être constaté que le recours, qui a été introduit par des personnes physiques ou morales, tend à l'annulation d'un règlement adopté par la Commission. Dès lors, contrairement à ce que prétendent les parties requérantes, la recevabilité du recours doit être appréciée à la lumière des conditions prévues à l'article 230, quatrième alinéa, CE.
14. L'allégation des parties requérantes selon laquelle le règlement attaqué aurait été adopté en violation, d'une part, des formes substantielles prescrites par l'article 83, paragraphe 1, CE, qui prévoit que les règlements utiles en vue de l'application des principes figurant aux articles 81 CE et 82 CE sont adoptés par le Conseil, et, d'autre part, de l'article 81, paragraphe 1, CE n'a aucune incidence sur l'éventuelle recevabilité du présent recours. Une telle argumentation se rapporte, en effet, au fond de l'affaire. En outre, un acte de la Commission qui bénéficie de la présomption de légalité (arrêt de la Cour du 8 juillet 1999, Hüls/Commission, C-199-92 P, Rec. p. I-4287, point 84) n'a pas à définir "la situation objective de droit et de fait qui justifierait une atteinte aux dispositions du traité CE".
15. Ensuite, aux termes de l'article 230, quatrième alinéa, CE, les personnes physiques ou morales peuvent former un recours contre toute décision qui, bien que prise sous l'apparence d'un règlement, les concerne directement et individuellement. L'objectif de cette disposition est, notamment, d'éviter que, par le simple choix de la forme d'un règlement, les institutions communautaires puissent exclure le recours d'un particulier contre une décision qui le concerne directement et individuellement et de préciser ainsi que le choix de la forme ne peut changer la nature d'un acte (voir arrêt de la Cour du 17 juin 1980, Calpak et Società Emiliana Lavorazione Frutta/Commission, 789-79 et 790-79, Rec. p. 1949, point 7, et ordonnance du Tribunal du 28 octobre 1993, FRSEA et FNSEA/Conseil, T-476-93, Rec. p. II-1187, point 19). Il résulte d'une jurisprudence constante que le critère de distinction entre le règlement et la décision doit être recherché dans la portée générale ou non de l'acte en question (voir, notamment, arrêt de la Cour du 6 octobre 1982, Alusuisse/Conseil et Commission, 307-81, Rec. p. 3463, point 8).
16. Il convient donc de déterminer la nature de l'acte attaqué.
17. Il y a lieu de constater que le règlement attaqué déclare, sous certaines conditions, l'article 81, paragraphe 1, CE inapplicable aux accords verticaux. Le règlement attaqué qui définit son champ d'application de manière abstraite s'adresse à la généralité des entreprises concernées par des ententes de caractère vertical.
18. Il s'ensuit que le règlement attaqué revêt, par sa portée, un caractère normatif et ne constitue pas une décision au sens de l'article 249 CE.
19. Toutefois, le caractère normatif du règlement attaqué n'exclut pas, pour autant, qu'il puisse concerner directement et individuellement certaines personnes physiques ou morales (voir arrêt de la Cour du 18 mai 1994, Codorniu/Conseil, C-309-89, Rec.p. I-1853, point 19; arrêts du Tribunal du 14 septembre 1995, Antillean Rice Mills e.a./Commission, T-480-93 et T-483-93, Rec. p. II-2305, point 66, et du 13 décembre 1995, Exporteurs in Levende Varkens e.a./Commission, T-481-93 et T-484-93, Rec. p. II-2941, point 50).
20. S'agissant, d'abord, du point de savoir si les parties requérantes sont individuellement concernées par le règlement attaqué, il y a lieu de rappeler que, pour qu'une personne physique ou morale puisse être considérée comme individuellement concernée par un acte de portée générale, il faut qu'elle soit atteinte, par l'acte en cause, en raison de certaines qualités qui lui sont particulières ou d'une situation de fait qui la caractérise par rapport à toute autre personne(arrêt de la Cour du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25-62, Rec. p. 197, 223; ordonnances du Tribunal du 30 septembre 1997, Federolio/Commission, T-122-96, Rec. p. II-1559, points 59, et du 29 avril 1999, Alce/Commission, T-120-98, Rec. p. II-1395, point 19).
21. À cet égard, les parties requérantes soulignent leur dépendance économique ou, dans le cas du CNPA et de la DLR, la dépendance économique de leurs membres vis-à-vis des grands fournisseurs et l'impossibilité, par l'effet du règlement attaqué, d'invoquer la sanction de nullité ex tunc prévue par l'article 81, paragraphe 2, CE pour les accords verticaux tombant dans le champ d'application du règlement attaqué.
22. Il y a lieu de rappeler qu'il ressort d'une jurisprudence constante que la recevabilité des recours introduits par les associations peut être admise lorsque celles-ci représentent les intérêts de leurs membres, qui, eux, seraient recevables à agir (arrêt Exporteurs in Levende Varkens e.a./Commission, cité au point 19 ci-dessus, point 64; ordonnance Federolio/Commission, citée au point 20 ci-dessus, point 61).
23. Toutefois, l'exemption accordée par le règlement attaqué, qui implique la non-applicabilité de l'article 81, paragraphe 1, CE et, par voie de conséquence, de la sanction de nullité prévue à l'article 81, paragraphe 2, CE, concerne les parties requérantes en raison de leur qualité objective d'opérateur économique lié par des ententes de caractère vertical, au même titre que tous les autres opérateurs parties à de telles ententes. Quant à l'état de dépendance économique mis en exergue par les parties requérantes, il doit être constaté que cette circonstance n'est pas de nature à les caractériser par rapport à tout autre opérateur économique dès lors que, comme les parties requérantes le soutiennent elles-mêmes dans leur requête, en France, "plusieurs milliers de [PME]" et, en Europe, "plusieurs dizaines de milliers de PME" sont exposées à cet état.
24. Enfin, il doit être constaté que le CNPA et la DLR ne revendiquent aucun droit de nature procédurale et n'invoquent aucun intérêt propre, distinct de ceux de leurs membres, qui aurait été affecté par le règlement attaqué (arrêts de la Cour du 2 février 1988, Van der Kooy e.a./Commission, 67-85, 68-85 et 70-85, Rec. p. 219, points 21 à 24, et du 24 mars 1993, CIRFS e.a./Commission, C-313-90, Rec. p. I-1125, points 28 à 30; ordonnance Federolio/Commission, citée au point 20 ci-dessus, point 61).
25. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que les parties requérantes ne sauraient être considérées comme individuellement concernées par le règlement attaqué. Les parties requérantes ne satisfaisant pas à l'une des conditions de recevabilité posées par l'article 230, quatrième alinéa, CE, le présent recours doit être rejeté comme irrecevable.
26. Toutefois, à défaut d'être en mesure de demander l'annulation du règlement attaqué, les parties requérantes conservent la possibilité d'en exciper l'illégalité devant les juridictions nationales, statuant dans le respect de l'article 234 CE (arrêt de la Cour du 17 novembre 1998, Kruidvat/Commission, C-70-97 P, Rec. p. I-7183, points 48 et 49).
Sur les dépens
27. En vertu de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Les parties requérantes ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (troisième chambre),
Ordonne :
1) Le recours est rejeté comme irrecevable.
2) Les parties requérantes sont condamnées aux dépens.