CCE, 1 décembre 1997, n° M.1021
COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Décision
Compagnie nationale de navigation/Sogelfa-CIM
LA COMMISSION DES COMMUNAUTES EUROPEENNES,
Le 17 octobre 1997, les entreprises françaises Sogelfa, filiale à 100 % du Groupe Elf Aquitaine, et Compagnie nationale de navigation, filiale à 56 % du Groupe Worms, ont notifié à la Commission la conclusion d'une opération par laquelle elles acquièrent le contrôle conjoint de la Compagnie industrielle maritime. Le 10 novembre 1997, la République française, en application de l'article 9 du règlement du Conseil sur les concentrations du 21 décembre 1989, notamment ses paragraphes 1, 2, 3, a demandé à la Commission le renvoi d'une partie de l'opération notifiée pour ce qui concerne l'analyse des effets de l'opération sur certains marchés du stockage du pétrole brut et de produits pétroliers finis.
La Commission a décidé de renvoyer l'opération en question à l'Etat membre concerné par décision adoptée le même jour que la présente décision, suivant l'article 9 du règlement du Conseil n° 4064-89. Sur les marchés identifiés, la Commission a considéré que la concentration notifiée menace de créer ou de renforcer une position dominante susceptible d'entraver significativement la concurrence effective sur des marchés distincts situés à l'intérieur du territoire français.
S'agissant des parties de la concentration qui n'ont pas donné lieu à un renvoi aux autorités compétentes de la République française, la Commission, après examen de la notification, est arrivée à la conclusion que l'opération notifiée entre dans le champ d'application du règlement (CEE) n° 4064-89 du Conseil et ne soulève pas de doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le Marché commun et avec l'accord EEE.
I. LES PARTIES
L'entreprise Compagnie nationale de navigation (CNN) est une société française qui s'occupe de transports maritimes et activités connexes. Le groupe est organisé principalement autour de deux pôles d'activités industrielles: le transport et les services pétroliers et les transports spécialisés en vrac. CNN s'occupe aussi de la location de matériels de transport terrestre et aérien. Elle est détenue majoritairement par le Groupe Worms & Cie, une société active dans les secteurs des assurances, du sucre, du papier et des services financiers.
La Sogelfa est une société active dans l'acquisition et la gestion de participations financières ainsi que dans le financement de sociétés principalement dans le domaine de l'énergie, en France comme à l'étranger. Le Groupe ELF, qui la contrôle, figure parmi les principaux groupes pétroliers mondiaux. Il dispose de raffineries et d'un réseau de distribution important et est actif sur le marché du négoce international de pétrole. Il exerce également des activités dans les secteurs de la chimie et de la santé.
La Compagnie industrielle maritime (la CIM) est une société spécialisée dans le service industriel dans le domaine du stockage pétrolier. Dans le cadre d'un contrat de concession passé avec le port autonome du Havre depuis 1978, elle réceptionne, stocke et assure la manutention de produits pétroliers bruts ou raffinés pour le compte d'opérateurs et de clients industriels dans les terminaux portuaires du Havre. La CIM exerce également une activité de stockiste au travers de quatre dépôts de produits pétroliers dont elle est propriétaire en France, en région parisienne et dans le Val-de-Loire. La totalité de son chiffre d'affaires est réalisée en France.
II. L'OPERATION
La notification concerne un accord pour l'acquisition du contrôle conjoint de la CIM via une participation (respectivement de 37 %) par CNN et Sogelfa à l'actionnariat de la Compagnie générale européenne de stockage (CGES), société holding détenant le capital de la CIM. L'acquisition est intervenue le 17 juillet 1997, par la cession de la participation de 41,5 % que la société Esys-Montenay (filiale de la Compagnie générale des eaux) détenait dans le capital de la CGES. [secret d'affaires]
Une filiale commune contrôlée conjointement CNN et Sogelfa détiennent ensemble et à parts égales [secret d'affaires] % de CGES dont le seul actif est une participation de plus de 99 % dans la CIM. Le protocole d'actionnaire prévoit que [secret d'affaires]. Le président de la CIM et celui de CGES sont nommés parmi [secret d'affaires], tandis que chacun des directeurs généraux de ces filiales est nommés sur proposition de [secret d'affaires]. Les décisions relatives notamment à [secret d'affaires], doivent être prises d'un commun accord. En conséquence, la CIM est une entreprise contrôlée conjointement au sens de l'article 3 du règlement du Conseil.
Une filiale commune de nature concentrative. La CIM est une entreprise qui existe depuis 1920 en tant que prestataire de service industriel dans le domaine du stockage pétrolier. Elle exploite des terminaux portuaires au Havre dans le cadre d'un contrat de concession conclue avec le port autonome du Havre depuis 1978. Elle est propriétaire et gère également des dépôts de stockage dans le centre de la France et en région parisienne. La CIM emploie 280 personnes. Elle entretient des relations commerciales avec des compagnies pétrolières, des organismes gestionnaires de stock de réserve, des opérateurs internationaux ou nationaux, ou des pays producteurs, pour lesquelles elle met à disposition ses installations de stockage. En conséquence, la CIM accomplit de manière durable toutes les fonctions d'une entité économique autonome.
Par ailleurs, le fait que la CIM devienne une entreprise commune contrôlée conjointement par Sogelfa et CNN n'a pas pour objet ou pour effet la coordination du comportement concurrentiel entre les sociétés mères. ELF, à laquelle appartient Sogelfa, et CNN sont présentes dans des entreprises françaises qui exploitent des dépôts de stockage de produits finis. Cependant, les activités de CNN sont limitées à des participations minoritaires dans deux sociétés, à Brest (entreprise Stockbrest) et à La Pallice-La Rochelle (entreprise SDLP). ELF est également actionnaire de l'entreprise SDLP et les parties ont affirmé ne pas détenir le contrôle conjoint ou exclusif sur celle-ci. Au demeurant les activités de SDLP portent au premier chef sur les régions de la façade atlantique, éloignées du port du Havre, de la Basse-Seine et de la région parisienne et les capacités de stockage exploitées représentent seulement une part limitée, voire marginale, des capacités totales en France ou des capacités installées à La Rochelle et dans les départements limitrophes. ELF et CNN sont également des actionnaires minoritaires de l'entreprise SFDM qui exploite l'oléoduc Donges-Melun-Metz (DMM). Bien que les parties détiennent chacune les participations les plus importantes dans le capital de SFDM, elles ont affirmé qu'elles n'exercent aucun contrôle sur cette entreprise et qu'aucune disposition ne lie des actionnaires entre eux pour la gestion de l'entreprise. Au demeurant, cet oléoduc n'est pas directement connecté au port du Havre où la CIM exerce ses principales activités de stockage et concerne le marché aval du transport terrestre de produits pétroliers. Pour l'ensemble de ces raisons, l'entreprise commune CIM constitue une entreprise commune de nature concentrative.
III. DIMENSION COMMUNAUTAIRE
Le chiffre d'affaires cumulé de l'ensemble des entreprises concernées est supérieur à 5 milliards d'écus (groupe Worms auquel appartient CNN, plus de 8 milliards d'écus; groupe ELF, près de 36 milliards d'écus; la CIM, 48,3 millions d'écus). Worms et ELF réalisent chacun un chiffre d'affaires communautaire supérieur à 250 millions d'écus (groupe Worms, plus de 6 milliards d'écus; groupe ELF, plus de 23 milliards d'écus) mais ces deux groupes ne réalisent pas plus des deux tiers de leur chiffre d'affaires communautaire dans un seul et même Etat membre. En conséquence, l'opération revêt une dimension communautaire au sens de l'article 1 du règlement du Conseil.
IV. APPRECIATION CONCURRENTIELLE
Le secteur économique concerné par la présente opération est celui des activités de stockage-manutention d'hydrocarbures liquides pour des tiers, qu'il s'agisse de pétrole brut ou de produits finis. Les parties notifiantes considèrent que l'opération concerne les catégories de marchés suivants : le marché du stockage du pétrole "brut spot" de dimension internationale; le marché du stockage de pétrole brut, sur le site du Havre, destiné aux raffineries de la Basse-Seine et de la région parisienne; le marché du stockage de produits pétroliers finis, sur le site du Havre, destinés aux exportations; le marché du stockage de produits pétroliers finis, sur le site du Havre, destinés aux importations; des marchés locaux de stockage pour la distribution de produits finis en région parisienne et dans la zone Centre de la France;
Dans leur demande de renvoi, les autorités françaises n'ont pas remis en cause une telle distinction et se sont fondées sur cette division pour solliciter le renvoi de l'affaire pour ce qui concerne les trois catégories de marchés suivantes: le marché du stockage du pétrole brut, sur le site du Havre, destiné aux raffineries de la Basse-Seine et de la région parisienne; le marché du stockage de produits pétroliers finis, sur le site du Havre, destinés aux importations; des marchés locaux de stockage pour la distribution de produits finis en région parisienne et dans la zone Centre de la France. La Commission a admis cette distinction et a renvoyé aux autorités françaises l'examen de l'affaire pour ce qui concerne ces trois marchés. En conséquence, la présente décision porte seulement sur les activités de stockage de pétrole "brut spot" et sur les activités de stockage de produits finis exportés, lesquelles sont exercées au port du Havre dans le cas de la CIM.
A. Le marché de produits en cause
Le stockage de pétrole "brut spot"
A côté des activités spécifiques de stockage manutention du pétrole brut à destination exclusive des raffineries connectées aux installations, il existe des activités de stockage manutention du pétrole brut qui s'inscrivent dans un cadre international; les capacités sont mises à la dispositions de clients diversifiés, des négociants internationaux, des pays producteurs, des organismes gestionnaires de stocks de réserve ou des opérateurs français. Il s'agit d'une activité spot, et si les tarifs ne peuvent dépasser, dans le cas de la CIM, des tarifs maximaux fixés dans le cadre du traité de concession, ils sont toujours en rapport avec les prix du marché européen de Rotterdam et Anvers. Les opérations de stockage se font à la demande en fonction des disponibilités, dans le cadre de contrats conclus à court terme (trois mois ou moins). Les prestations constituent un marché de services spécifique qui se distingue du marché des prestations de stockage offertes exclusivement aux raffineries connectées aux installations pour leurs besoins en matière de production de produits finis.
Les activités de stockage de produits finis exportés.
Les installations de stockage pour les produits finis, situées en milieu portuaire et fluvial, ne se distinguent pas selon que les prestations concernées sont destinées aux entrées ou aux sorties de produits. D'une manière générale en France, les activités de stockage de produits raffinés importés sont plus importantes que celles relatives aux produits exportés compte tenu de l'insuffisance des produits disponibles sur le marché national. En outre, de nombreux ports sont davantage spécialisés dans les entrées et le stockage correspondant de produits raffinés. Les opérations de stockage de produits finis destinées à exportation s'adressent soit à des raffineurs qui ont une production excédentaire ou des produits ne répondant aux spécifications nationales, soit à des traders qui revendent sur le marché international des produits achetés en France ou transités par ce pays. Généralement, ces clients ont le choix pour stocker et sortir leurs produits de diverses alternatives susceptibles de varier en fonction des infrastructures de transport utilisé et de la destination. En se limitant seulement aux installations portuaires, divers ports peuvent être utilisés, comme Le Havre, Rouen, Dunkerque; il existe également des stockages frontaliers dans le nord de la France.
B. Le marché géographique de référence
Le stockage de pétrole "brut spot"
Les parties considèrent que la dimension géographique du marché dépend de la destination pour laquelle le pétrole brut ou les produits raffinés sont au préalable stockés. Ainsi le stockage de pétrole brut dit "brut spot" s'exerce dans un environnement international: les clients constitués en particulier par les opérateurs internationaux et les pays producteurs disposent de nombreuses alternatives en matière de capacités de stockage au moins sur les façades maritimes nord-européennes incluant le port du Havre où la CIM exerce une telle activité et d'autres ports tels Anvers, Rotterdam, ou Amsterdam.
Les activités de stockage de produits finis exportés.
S'agissant du stockage de produits raffinés destinées aux exportations, le marché aurait une dimension au moins régionale, selon la notification, sinon internationale (mondiale ou au minimum européenne) d'après les observations faites par les parties sur la demande de renvoi de la France.
En tout état de cause, concernant la présente opération, la question de la définition précise des marchés à prendre en considération peut rester ouverte dans la mesure où, quelle que soit la délimitation retenue, l'opération ne soulève pas de doutes sérieux quant à un risque de création ou de renforcement d'une position dominante susceptible d'entraver de manière significative une concurrence effective dans le Marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci.
C. Compatibilité avec le Marché commun
Dans le cadre d'un contrat de concession passé avec le port autonome du Havre depuis 1978, la CIM exploite des installations d'une capacité totale de stockage de 5 100 000 m3. Une capacité de 3 900 000 m3 est affectée au stockage de pétrole brut et une capacité de 1 200 000 m3 est affectée au stockage de produits raffinés.
Le stockage du pétrole "brut spot"
Sur la capacité de 3 900 000 m3 exploitée par la CIM au Havre, près de [secret d'affaires : entre 70 et 80 %]% sont exclusivement destinés à la demande émanant des raffineries situées en Basse-Seine et exploitées par les compagnies pétrolières Total, Esso, Mobil France, Shell, ainsi que de la raffinerie exploitée par ELF à Grandpuits en Ile de France.
Les capacités de pétrole "brut spot" exploitées par la CIM sont d'environ 1 000 000 m3. Le volume des capacités disponibles dépend en fait de l'activité de stockage du pétrole brut à l'intention des raffineries et des besoins des clients raffineurs. A supposer que ces derniers n'utilisent ensemble que la quantité minimum prévue dans le dernier accord triennal, environ 2 200 000 m3, la CIM disposerait alors d'une capacité maximum de 1 700 000 m3 pour exercer une activité "spot." A l'inverse, la CIM aurait à réduire son activité "spot" en cas de besoins importants des raffineurs. Comme indiqué plus haut, la clientèle est diversifiée et est constituée notamment d'opérateurs internationaux et français et de pays producteurs. En l'espèce, le port du Havre, et de ce fait les installations exploitées par la CIM, sont en concurrence avec d'autres ports pétroliers situés sur la Manche et la Mer du Nord ou proches de ces mers, notamment Anvers, Rotterdam, Amsterdam ou certains ports britanniques. Compte tenu des importantes capacités de stockage hors raffineries installées dans ces ports et qui dépassent plusieurs millions de m3, l'opération ne soulève pas de doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le Marché commun.
Le stockage de produits finis exportés
Les installations portuaires de la CIM affectées au stockage des produits finis exportés ou importés, représenteraient en France [secret d'affaires : moins de 20 %] des capacités de stockage hors raffinerie situées en installations portuaires et fluviales. En pratique, [secret d'affaires : entre 40 et 50 %] des installations de la CIM, en termes de capacités, sont mises à la disposition de deux compagnies pétrolières pour leurs activités imports ou exports (ELF ne figure pas parmi ces clients) et de la Sagess qui est un organisme gestionnaire de stocks de réserve sur le marché français, dans le cadre de contrats de location. Les capacités restantes, soit [secret d'affaires : entre 50 et 60 %], sont mises ponctuellement à la disposition des raffineurs ou d'autres opérateurs français ou internationaux en vue de l'importation ou de l'exportation des produits raffinés dans le cadre de contrats à court terme. Environ 2 millions de tonnes de produits finis ont passé en 1996 par les installations de la CIM pour sortir du port du Havre. Si on prend en considération seulement les installations de stockage portuaires, à l'exception d'autres infrastructures de stockage susceptibles de recevoir des produits finis pour l'exportation, ces volumes ont représenté moins de 15 % des volumes sortis de tous les ports français, au niveau national, ou environ 25 % des volumes sortis des ports français de la façade de la Manche au niveau régional.
En définitive, les activités de stockage de produits finis en vue de l'embarquement sur des navires et de l'exportation, exercées par la CIM au Havre, apparaissent relativement limitées et l'opération notifiée ne soulève pas de doutes sérieux quant à un risque de domination dans le Marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci. Un opérateur a indiqué à la Commission que pour la sortie de ses produits finis, il ne disposerait pas de solutions alternatives aux installations de stockage de la CIM au port du Havre et que le contrôle de cette entreprise par un concurrent (ELF) serait susceptible de nuire à ses activités. Cependant la Commission considère que dans l'hypothèse où le port du Havre constituerait un marché distinct en termes de services et sur le plan géographique, pour l'activité ici concernée, ce marché ne pourrait être assimilé à une partie substantielle du Marché commun. Par ailleurs la Commission constate que les autorités françaises n'ont pas demandé le renvoi de l'opération pour le marché en cause.
V. CONCLUSION
Pour l'ensemble des motifs exposés ci-avant, la Commission a décidé, pour ce qui concerne les marchés examinés, de ne pas s'opposer à l'opération notifiée et la déclare compatible avec le Marché commun et avec l'accord EEE. La présente décision est adoptée en application de l'article 6 paragraphe 1 point b du règlement (CEE) n° 4064-89 du Conseil.