CCE, 26 novembre 1992, n° M.266
COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Décision
Rhône Poulenc Chimie/SITA
LA COMMISSION DES COMMUNAUTES EUROPEENNES,
1. La notification concerne la création d'une nouvelle entité (JVC) par les sociétés Rhône Poulenc Chimie (RPC) et SITA JVC sera active dans le secteur du traitement des déchets industriels spéciaux (DIS).
2. Après examen de cette notification, la Commission a abouti à la conclusion que l'opération notifiée entre dans le champ d'application du règlement du Conseil n° 4064-89 et ne soulève pas de doute sérieux quant à sa compatibilité avec le Marché commun.
I. LES PARTIES
3. Rhône Poulenc Chimie est une filiale de la société française Rhône Poulenc, active dans la chimie de base et de spécialité.
4. SITA est une filiale de la société française Lyonnaise des Eaux-Dumez. Elle est présente notamment dans les secteurs de la collecte des déchets, de la gestion et du traitement des déchets non-toxiques, ainsi que de l'enfouissement des DIS en l'état ou après traitement.
II. L'OPERATION
5. L'opération consiste en la création d'une société holding (JVC) qui aura pour objet social le développement d'activités dans le secteur du traitement des DIS par l'intermédiaire de filiales industrielles actives dans les filières de l'incinération et de la détoxication.
6. Dès sa création, JVC contrôlera une filiale industrielle qui sera active dans le traitement des DIS par incinération.
Dans cette activité, JVC et sa filiale bénéficieront du savoir-faire des parties. Ce savoir-faire est d'ordre technique pour ce qui concerne RPC qui dispose d'une expertise acquise dans le traitement de ses propres déchets; d'ordre commercial pour SITA qui est bien implantée dans différentes activités liées à la gestion des déchets.
Les actifs industriels constituant les capacités de traitement de cette filiale seront constitués de fours construits par RPC pour le traitement interne de ses propres déchets. Lors de la création de JVC, un four sera apporté en pleine propriété par RPC. Les extensions ultérieures de la capacité d'incinération de JVC envisagées par les parties seront réalisées, soit par apport d'actifs en pleine propriété, soit par des contrats de location exclusive conclus pour la durée de JVC entre celle-ci et RPC.
7. Le protocole d'accord signé par les parties prévoit qu'ultérieurement elles pourront se concerter en vue d'étendre l'activité de JVC à d'autres techniques concernant le traitement des DIS, telle que la réhabilitation de sols pollués.
8. Ces développements éventuels tant pour ce qui concerne la détoxication que les autres techniques seront effectués, soit par voie de création de centres de traitement, soit par voie d'acquisition d'entreprises, soit par voie d'apport des parties.
III. DIMENSION COMMUNAUTAIRE
9. Le chiffre d'affaires total réalisé au plan mondial par Rhône Poulenc et la Lyonnaise des Eaux au cours du dernier exercice (environ 24 milliards d'Ecus) est supérieur à 5 milliards d'Ecus. Le chiffre d'affaires réalisé dans la Communauté par chacune des parties excède 250 millions d'Ecus (plus de 6 milliards d'Ecus pour chacune des parties). La Lyonnaise des Eaux réalise plus des 2/3 de son chiffre d'affaires communautaire en France, ce qui n'est pas le cas de Rhône Poulenc.
En conséquence, l'opération revêt une dimension communautaire au sens de l'article 1er du règlement n° 4064-89.
IV. CONCENTRATION
Entreprise commune
10. Les parties disposent chacune de 50 % des actions de JVC leur permettant d'exercer 50 % des droits de vote. Elles disposent chacune du droit de proposer 50 % des candidats au conseil d'administration. Les décisions ordinaires au sein de JVC étant prises à la majorité et les décisions stratégiques devant être prises à l'unanimité, le fonctionnement de l'entreprise commune implique l'accord permanent des parties.
En outre, chacune des parties aura le pouvoir de proposer au conseil d'administration soit le président, soit le directeur général.
Enfin, aucun mécanisme ne donne de prédominance à l'une ou l'autre des parties en cas de désaccord persistant entre eux.
11. Il s'ensuit que JVC est une entreprise contrôlée conjointement par RPC et SITA.
Entreprise commune accomplissant de manière durable toutes les fonctions d'une entité économique autonome
12. L'entreprise commune sera dotée de moyens matériels et humains nécessaires à son activité technique, mais aussi à son activité commerciale.
a) Pour ce qui concerne les moyens matériels, le four détenu par RPC à Pont-de-Claix sera apporté en propriété à JVC (le terrain faisant l'objet d'un prêt à usage pour une durée de 50 ans renouvelable). D'une capacité de [ ] par an, il continuera d'être utilisé pour le traitement des déchets générés par les autres activités de RPC sur le site, à concurrence de [ ]. Cette disposition fait l'objet d'un contrat reconductible de 30 ans entre JVC et RPC. Cette réservation de capacité au profit de l'une des entreprises fondatrices, sans laquelle cette dernière n'aurait pu envisager de transférer ses capacités de traitement à JVC, n'apparaît pas de nature à rendre JVC dépendante de manière substantielle de ses entreprises mères. En effet, JVC sera en mesure dès sa constitution d'offrir aux tiers une capacité de traitement importante lui permettant d'agir de manière autonome sur le marché.
Les apports ultérieurs de toutes les installations de RPC qui, dans la Communauté, sont susceptibles de traiter des DIS pour le compte de tiers se réaliseront successivement au fur et à mesure que les autorisations administratives seront obtenues, soit par voie de contrats de mise à disposition exclusive, soit par apport en propriété. La solution retenue dépend au cas par cas des caractéristiques techniques des sites.
Si l'évolution du marché le permet, JVC poursuivra son développement par la construction de ses propres centres de traitement.
L'autonomie de JVC sera en outre consacrée, sur les sites apportés par RPC qui sont principalement dévolus à d'autres activités que l'incinération, par l'existence de contrats destinés à fixer les obligations réciproques de JVC et de RPC en matière de fourniture d'utilités et d'utilisation de services communs (entretien général, gardiennage, traitement des eaux polluées par l'activité du site, réception des déchets à l'entrée du site et analyse sur demande des déchets par le laboratoire du site).
b) Sur le plan des moyens humains, JVC sera dotée d'une direction commerciale permettant la mise en œuvre de la politique commerciale définie par son conseil d'administration.
Le personnel technique de RPC qui assure la gestion technique du four de Pont-de-Claix conservera en revanche son appartenance statutaire à Rhône- Poulenc. Cet état de fait, qui s'explique par des raisons techniques liées notamment à l'intégration des fours dans le site n'apparaît pas être de nature à remettre en cause l'autonomie de JVC. En effet, le personnel en cause sera détaché auprès de JVC pour la durée de l'existence de celle-ci et sera placé sous l'autorité hiérarchique du chef de centre, salarié de JVC assurant la direction du four.
13. RPC et SITA transféreront leur savoir-faire à JVC. Notamment, le savoir-faire lié à l'incinération des DIS est rassemblé dans une documentation technique intitulée "Process book" qui sera apportée au chef de centre de JVC.
14. JVC est créée sans limitation de durée; de plus, les différents contrats nécessaires à son fonctionnement sont conclus pour une durée qui varie selon les cas de 10 à 50 ans et sont renouvelables.
15. JVC bénéficiera d'une garantie d'approvisionnement en déchets de la part de ses mères pour une durée fixée contractuellement à 5 ans.
Cet apport des parties en DIS à JVC n'est pas susceptible dans un avenir prévisible d'excéder [ ]. Ce chiffre doit être rapporté à la capacité initiale de traitement offerte sur le marché par l'intermédiaire du four de Pont-de-Claix [ ]. De plus, le protocole d'accord signé par RPC et SITA prévoit la mise à disposition exclusive d'une capacité de traitement dans un second four [ ] d'ici à la fin de l'année 1992. La capacité de traitement accessible aux tiers sera ainsi portée à [ ] dès la phase de lancement de JVC.
En outre, cette disposition, d'une durée limitée dans le temps, renforcera l'autonomie de l'entreprise commune et sa viabilité, en lui permettant une meilleure couverture des coûts fixes importants engendrés par l'activité d'incinération.
Risque de coordination
16. Au regard du risque de coopération horizontale, ni RPC ni SITA n'étaient actives dans le marché concerné préalablement à la concentration. En outre, RPC qui se borne à apporter un savoir-faire technique développé pour ses besoins internes n'est présent sur aucun marché du secteur du traitement des déchets et ne dispose pas des connaissances nécessaires lui permettant de développer une
activité commerciale sur ce marché de manière autonome. Pour ce qui concerne SITA, bien qu'active dans le secteur, elle ne dispose pas de la capacité industrielle d'effectuer une entrée sur le marché de l'incinération des DIS.
Pour ces raisons, une entrée individuelle sur le même marché que le marché de JVC ne représente pas pour les parties une alternative économiquement réaliste.
17. De plus, l'accord comporte une clause de non concurrence qui prévoit que les parties n'entreront pas autrement qu'à travers l'entreprise commune sur le marché sur lequel JVC sera active. Aux termes du protocole d'accord conclu entre les parties, il en sera de même pour toute activité développée par JVC dans le futur dans le domaine du traitement des DIS. Dans ce dernier cas, les activités détenues par les parties seront automatiquement transférées à JVC.
18. Au regard de la coordination verticale, il apparaît que compte tenu du caractère nouveau de l'activité de JVC et de la nature des déchets dont elle assurera le traitement, il n'existe pas de risque significatif de coordination, malgré la présence des maisons mères sur des marchés voisins.
19. Il en ressort que JVC sera une entreprise commune de nature concentrative.
V. COMPATIBILITE AVEC LE MARCHE COMMUN
Marché de produits
20. La gestion des déchets regroupe une gamme d'activités différentes, telles que la collecte, le regroupement, le traitement et l'enfouissement des déchets. JVC débutera dans ce secteur par le traitement des DIS par incinération pour le compte de tiers et envisage de développer une capacité de traitement par détoxication. En raison de leur toxicité, les DIS font appel à l'utilisation d'équipements spécifiques pour leur traitement ainsi qu'à des techniques d'enfouissement et des procédures de contrôle particulières. Beaucoup de grandes entreprises productrices de DIS les traitent elles-mêmes comme une partie intégrante de leurs activités, surtout pour ce qui concerne les DIS les plus ordinaires. D'autres entreprises, en revanche, n'ont pas cette capacité ou produisent des DIS d'une haute toxicité qui exigent un traitement plus complexe comme celui qu'offre le four de Pont-de-Claix de RPC pour les déchets fortement chlorés.
21. Il existe d'autres filières de traitement des DIS que l'incinération : la détoxication (ou traitement physico-chimique), la stabilisation et l'enfouissement direct. La substituabilité de ces filières entre elles est très faible en raison des propriétés physiques et chimiques spécifiques des différents types de DIS. Les écarts de coût de traitement propres à chaque filière et à chaque type de déchets contribuent également à différencier plusieurs marchés du traitement des DIS. Il en résulte que les marchés à prendre en compte sont ceux du traitement des DIS par incinération d'une part et par détoxication d'autre part.
22. Le marché en amont est celui de la collecte et du regroupement des DIS. Après le traitement des DIS, il reste des déchets ultimes et inertes qui doivent être enfouis; ce service constitue en lui-même un marché situé en aval.
Marché géographique
23. La politique communautaire en matière de déchets a pour objectifs d'assurer le traitement des déchets à proximité du lieu de production et, par conséquent, de restreindre les mouvements des déchets dans la Communauté et d'atteindre l'auto-suffisance aux niveaux communautaire et national.
24. A l'égard de l'incinération des DIS, la réalisation de ces objectifs suppose l'existence de capacités nationales de traitement. Or, la taille des investissements et la complexité des procédures de classement d'une part, la croissance des besoins en incinération résultant du renforcement des réglementations d'autre part, conduisent à un déficit de capacité d'incinération plus ou moins fort selon les pays. Cet état de fait explique l'existence de mouvements transfrontaliers et le maintien d'une certaine fluidité de ces mouvements vers les capacités de traitement disponibles en Europe.
25. L'impact de la réglementation sur la définition du marché géographique est moins décisif pour ce qui concerne la détoxication. En effet, pour des raisons économiques, ce marché est géographiquement plus limité que celui de l'incinération. La détoxication coûte beaucoup moins cher que l'incinération, ce qui implique un poids proportionnellement plus important des coûts de transport et laisse supposer que le marché est plutôt national (ou même régional) que communautaire.
26. Il n'est toutefois pas nécessaire de définir les marchés géographiques d'une façon plus précise, puisque JVC ne se trouvera en position dominante sur aucun de ces marchés, même si ceux-ci étaient définis de la façon la plus restrictive.
Appréciation de l'impact de l'opération de concentration sur la concurrence
27. Ni RPC ni SITA ne sont présents aujourd'hui sur le marché de l'incinération des DIS pour le compte de tiers bien que RPC réalise cette opération pour son propre compte. SITA détient une filiale [ ] qui a une capacité de détoxication de [ ] et qui sera apportée à JVC si celle-ci pénètre ce marché. RPC ne possède aucune installation de détoxication pour le compte de tiers. L'opération n'entraînera donc pas d'augmentation des parts de marché. En France, pays où l'entreprise commune sera principalement active, les parts de marché de JVC seront inférieures à 10 %.
28. Il existe néanmoins des liens verticaux entre les sociétés mères et JVC sur les marchés situés en amont et en aval. SITA collecte et regroupe des petites quantités de DIS, et RPC produit des DIS. Toutefois, le four de JVC n'étant pas sur le marché auparavant, le but exprès de la création de JVC est d'offrir les services d'incinération aux tiers.
Quant au lien entre JVC et les filiales d'une de ses sociétés-mères, SITA, qui gèrent [ ] des décharges pour les DIS en France, son influence sur le marché de l'enfouissement des DIS sera faible. En effet, le four de Pont-de-Claix est destiné à ne traiter que des DIS liquides et par conséquent génèrera une faible quantité de cendres destinées à l'enfouissement.
VI. RESTRICTIONS ACCESSOIRES
29. Comme il a été exposé ci-dessus, les déchets générés par l'unité de production de RPC à Pont-de-Claix continueront d'être traités dans le four apporté à JVC pour une durée reconductible de 30 ans. Cet engagement a pour objet de garantir la continuité des débouchés de RPC qui ne dispose pas de possibilités de traitement équivalentes. En outre, RPC et SITA se sont engagés, pour une durée de 5 ans, à apporter prioritairement à JVC leurs DIS susceptibles d'être traités à Pont-de-Claix. Cet engagement mettra progressivement JVC en mesure d'assurer son autonomie et sa viabilité.
30. La clause de non concurrence prévue par le protocole d'accord entre les parties vise à garantir de manière durable que les fondateurs n'exerceront pas pour leur propre compte l'activité mise en commun dans JVC.
31. Les restrictions de concurrence mentionnées ci-dessus peuvent être considérées comme directement liées et nécessaires à la réalisation de l'opération de concentration.
32. Les accords établis en faveur de JVC et ayant pour objet l'occupation de certains sites pour une durée de 50 ans et la fourniture d'utilités par RPC peuvent être considérés comme faisant partie intégrante de la concentration.
33. Les contrats relatifs à l'utilisation de services communs ne sont pas de nature restrictive.
VII.CONCLUSION
34. Pour les raisons exposées ci-dessus, la Commission a décidé de ne pas s'opposer à l'opération notifiée et de la déclarer compatible avec le Marché commun. Cette décision est adoptée en application de l'article 6, paragraphe 1, sous b, du règlement (CEE) du Conseil n° 4064-89.