CCE, 8 septembre 1993, n° M.355
COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Décision
Rhône Poulenc/SNIA (II)
LA COMMISSION DES COMMUNAUTES EUROPEENNES,
1. Le 22 juillet 1993, Rhône-Poulenc SA (RP) et SNIA Fibre SpA (SNIA), ont notifié à la Commission un accord dont l'objet est de créer une entreprise commune (EC) dénommée Europa dans laquelle les parties regrouperont toutes leurs activités dans le domaine du fil polyamide à usage textile (FPT). Par lettre en date du 27 juillet 1993, la Commission a informé les entreprises de ce qu'elle considérait la notification comme incomplète. Le 6 août 1993, les parties ont transmis à la Commission les informations complétant la notification. Par courrier du 12 août 1993, la Commission a indiqué aux parties qu'elle considérait la notification comme complète et prenant effet à la date de réception de ces informations complémentaires.
2. Après examen de cette notification, la Commission a abouti à la conclusion que l'opération notifiée entre dans le champ d'application du règlement (CEE) du Conseil n° 4064-89 (règlement "concentrations") et ne soulève pas de doute sérieux quant à sa compatibilité avec le Marché commun.
I. LES PARTIES ET L'OPERATION
3. RP est une société holding contrôlée directement par l'Etat français qui détient 56,41 % des actions et 71,68 % des droits de vote. RP est actif dans les secteurs des produits intermédiaires organiques et minéraux, des spécialités chimiques, des fibres et polymères, de la santé et de l'agro-chimie.
4. SNIA SpA est contrôlée par SNIA BPD, elle-même contrôlée par la société Sicind SpA, filiale du groupe Fiat qui, bien que détenant moins de 50 % de son capital, a le pouvoir de nommer plus de la moitié des membres du conseil d'administration de SNIA Spa.
5. D'ici à la fin de l'année 1993, les parties établiront une filiale commune dénommée Europa, qui regroupera leurs activités dans le domaine des FPT en Europe occidentale ainsi que les sites et personnels y afférent.
6. RP et SNIA ont d'ores et déjà regroupé une partie de leurs activités dans le domaine du polyamide au sein d'une filiale commune concentrative dénommée Novalis. Novalis - dont la constitution a fait l'objet d'une décision de la Commission (en date du 10.08.1992) prise en application de l'article 6 (1) b du règlement "concentrations" regroupe les activités des deux mères dans les secteurs des fils et fibres pour tapis; des fibres pour filature à usage de renfort textile ainsi que des fibres utilisées pour la fabrication de produits non-tissés et de flock.
7. Postérieurement à la création de Novalis, RP a pris le contrôle, sans en être l'actionnaire majoritaire, d'une entreprise slovaque productrice de FPT dénommée Chemlon AS dont Chemes SP (détenue à 100 % par l'Etat slovaque) possède le reste du capital. Cette société est active tant dans le secteur des fils pour tapis que dans celui des fils textiles et exporte vers la Communauté. Pour des raisons techniques, économiques et juridiques, les activités de Chemlon concernant les FPT et les fils et fibres pour tapis ne peuvent être physiquement transférées respectivement à Europa et à Novalis. Aussi, au terme d'un "memorandum of understanding" établi entre RP et SNIA, RP cèdera, dès la fin de l'année 1993, sa participation dans Chemlon (qu'il aura entre temps portée à 57 %) à une société en participation nouvellement créée entre RP, Novalis et Europa [Secret d'affaires. Lire "Un pacte d'actionnaires permettra à Novalis et Europa de jouer le rôle d'actionnaire majoritaire de Chemlon a.s. dans leurs domaines respectifs. L'organisation de Chemlon sera adaptée de telle sorte que, du point de vue économique, les activités de Chemlon soient pleinement intégrées par Novalis et Europa."].
II. CONCENTRATION
i) Contrôle en commun
8. Europa sera contrôlée conjointement par RP et SNIA qui détiendront chacun 50 % du capital. Le "Joint Venture Agreement" prévoit notamment que les décisions des actionnaires devront résulter d'un accord unanime et que chacune des entreprises mères nommera 3 des 8 membres du conseil d'administration, les deux autres membres étant désignés conjointement. En conséquence, aucune des entreprises fondatrices ne sera à même de déterminer seule la politique de l'EC qui devra nécessairement être adoptée d'un commun accord.
ii) Autonomie
9. RP et SNIA transfèreront à Europa la totalité de leur activité FPT en Europe occidentale, y compris les activités de recherche et de développement ainsi que de texturation des fils. Seuls quelques sites [Secret d'affaires. Lire "jusqu'à la fin de leurs activités"] ne seront pas transférés. Ils fourniront à Europa l'intégralité de leur production de FPT [Secret d'affaires]. Seule l'unité de production de RP à Emmenbruecke, pourrait voir son activité prolongée au-delà de la date prévue de cessation d'activité, si une telle alternative apparaissait économiquement viable pour l'EC.
Pour l'ensemble des activités transférées, les personnels affectés à la production, à l'administration et aux ventes, ainsi que les installations industrielles, seront transférés à Europa. Il en ira de même de l'ensemble des brevets, marques et savoir-faire détenus par les parties pour ce qui concerne le FPT.
10. Europa, SNIA et RP concluront des contrats de fourniture de matière première d'une durée de [Secret d'affaires. Non supérieure à 5 ans] ans portant sur [Secret d'affaires]. De la même manière que le contrat comparable qui lie Novalis (la filiale commune prééxistante des parties) à ses mères, ces contrats auront pour objet de garantir l'approvisionnement de l'EC, compte tenu de ce que les sources d'approvisionnement [...] sont relativement rares sur le marché.
Europa remplira donc de manière durable toutes les fonctions d'une entité économique autonome.
iii) Absence de coordination du comportement concurrentiel
11. RP et SNIA se retireront totalement des marchés affectés par l'opération. L'intégralité de leur personnel et de leurs installations en matière de FPT sera transférée à l'EC, exception faite des seuls [Secret d'affaires. Lire "sites non transférés jusqu'à la fin de leurs activités"]. L'intégralité de la production de ces sites sera soit vendue à l'EC, soit produite à façon, dans le cadre de contrats de façonnage, pour le compte de l'EC. Compte tenu de l'ensemble des accords relatifs à Chemlon décrits ci-avant, l'EC se substituera donc intégralement aux parties s'agissant de leurs activités FPT.
Seule une filiale brésilienne de RP ne sera pas apportée à l'EC. Toutefois, l'activité de production et de vente de FPT de cette filiale se limite à l'Amérique du Sud. Du fait des différences de standard de qualité en vigueur, il n'existe pas de flux d'importation de FPT en provenance de l'Amérique du Sud, qui doit être considérée comme relevant d'un marché géographique distinct (voir ci-après). En conséquence, il n'existe pas de risque de coordination de comportement concurrentiel entre cette entreprise et l'EC.
Tant l'ensemble de ces transferts d'actifs que le déclin structurel des ventes de FPT et les importantes surcapacités de production caractérisant traditionnellement ce secteur, rendent improbable un retour indépendant de l'une ou l'autre des mères sur le marché sur lequel Europa sera active.
v) Conclusion
12. Il ressort de ce qui précède qu'Europa aura le caractère d'une entreprise contrôlée conjointement par RP et SNIA et qu'elle accomplira de manière durable toutes les fonctions d'une entité économique autonome sans donner lieu à coordination de comportement concurrentiel.
III. DIMENSION COMMUNAUTAIRE
13. Le chiffre d'affaires du groupe Rhône-Poulenc, comme celui du groupe Fiat, dépassent, pour le dernier exercice clos, tant le montant de 5 milliards d'Ecus au plan mondial que le montant de 250 millions d'Ecus au plan communautaire. Les entreprises concernées n'ont pas réalisé plus des deux-tiers de leur chiffre d'affaires dans un seul et même Etat membre. L'opération est donc de dimension communautaire.
IV. COMPATIBILITE AVEC LE MARCHE COMMUN
Présentation générale du secteur
14. La production de fil polyamide, plus communément désigné sous le nom de fil nylon, résulte de processus chimiques successifs que la Commission a décrits dans sa décision Du Pont/ICI (décision n° IV-M.214 du 30.09.1992, JO n° L7-13 du 13.01.1993).
Le fil nylon est un matériau synthétique principalement utilisé pour la fabrication de tapis et pour des applications textiles. Il peut être réalisé selon deux processus distincts aboutissant à la production de nylon 6 ou de nylon 6.6.
Le nylon 6 est produit à partir de caprolactam, tandis que le nylon 6.6 est produit à partir de sel de nylon. La production de chacune de ces matières premières implique des processus chimiques et des installations spécifiques. La matière première (qu'il s'agisse de nylon 6 ou 6.6) est ensuite polymérisée puis découpée en granulés. Ces granulés sont fondus et extrudés pour former soit un fil continu (c'est toujours le cas pour les applications textiles) soit une fibre discontinue.
Seuls les groupes Du Pont et Rhône-Poulenc intègrent la totalité de la filière, depuis la production de la matière première jusqu'à la vente de fils et fibres aux différents acheteurs. D'autres, dont SNIA, ne produisent pas de matière première mais assurent la polymérisation et la fabrication de fils et fibres. D'autres enfin font l'acquisition des granulés et fabriquent fils et fibres.
Marché de produit
15. Qu'il s'agisse de nylon 6 ou de nylon 6.6, le polyamide est principalement destiné aux grandes utilisations précitées que la Commission a considéré, dans ses décisions précédentes, comme ne relevant pas du même marché de référence (décision n° IV-M.206 - Rhône- Poulenc/SNIA du 10.08.1992 et décision Du Pont/ICI, précitée).
En effet, les fils présentent, selon leur destination, des caractéristiques physiques et font l'objet de traitements spécifiques de sorte que, sur un plan technique, ils ne sont pas interchangeables entre eux. Concrètement, la gamme de decitex (nombre de grammes par 10 000 mètres) correspondant aux usages textiles est extrêmement différente de celle qui correspond à la fabrication de tapis (moins de 500 decitex pour le textile, 700 à 2 000 pour les tapis).
16. Les FPT font l'objet d'une très grande variété d'emplois correspondant à leurs différentes applications dans le domaine de l'habillement et de l'ameublement, ce qui conduit les utilisateurs à rechercher des fils aux aspects variés obtenus par des opérations de transformation diverses. Pour certains de ces emplois, le FPT a été progressivement remplacé par le polyester qui présente des caractéristiques physiques relativement proches du polyamide et un prix inférieur de 20 % à 30 %. Toutefois, les professionnels du secteur estiment généralement que la substitution a d'ores et déjà eu lieu en très grande partie pour les usages pour lesquels elle était possible sans modification de la perception du produit final par le consommateur. Cependant, la question de l'appréciation du degré exact de substituabilité entre les FPT et les fils polyester peut être laissée ouverte dans la mesure où il ressort des éléments exposés aux points 22 et suivants ci-après que, même sur la base de la définition la plus restrictive, l'opération ne créerait ou ne renforcerait pas de position dominante.
17. Le FPT est utilisé dans 4 secteurs qui peuvent être regroupés deux à deux en fonction du type de fil utilisé:
- les fils destinés au tissage (production d'un tissu utilisé pour les vêtements, sacs de sport, etc., sur métier de tissage, le tissu pouvant être écru ou teinté, anobli ou non, selon l'usage prévu) et à l'indémaillable (production du tissu sur métier maille, utilisé pour la lingerie, maillots de bain, etc.) sont des fils étirés;
- les fils destinés aux bas et collants ainsi qu'aux chaussettes et à la bonneterie circulaire nécessitent d'être texturés avant usage industriel. Pour permettre cette transformation, on utilise du fil "POY" (Partially Oriented Yarn) qui est ensuite texturé, soit par le producteur, soit par le client, soit enfin par des entreprises spécialisées appelées texturateurs. Toutefois, dans ces deux secteurs, une part minoritaire (mais en croissance rapide) des livraisons se compose de fil étiré utilisé en association avec de l'élasthane.
Du point de vue des clients, le fil étiré et le fil texturé ne présentent qu'une substituabilité imparfaite. Toutefois, la quasi-totalité des producteurs, quelle que soit leur taille, produisent et offrent à la vente à la fois du fil POY (c'est-à-dire un fil qui n'est que partiellement étiré), du fil étiré et, lorsqu'ils ont intégré la texturation, du fil texturé. En effet, les technologies de fabrication sont similaires, le fil POY étant un produit intermédiaire susceptible d'être soit étiré, soit texturé.
18. Il existe de légères différences tenant aux caractéristiques techniques entre le nylon 6 et le nylon 6.6. Ces différences concernent notamment la résistance thermique, la douceur, l'élasticité et l'aptitude à la teinture. Toutefois, il n'existe pas, à l'exception du secteur des bas et collants ou pour quelques applications spécifiques, de préférence marquée de la part des clients pour le fil de nylon 6 ou pour le fil de nylon 6.6.
En effet, l'intégralité du fil texturé utilisé pour la production européenne de bas et collants est produite à partir de nylon 6.6. Les industriels spécialisés dans cette activité expliquent cette situation par la meilleure aptitude du nylon 6.6 à la thermo-fixation, qui constitue un facteur important dans le processus de production. Toutefois, ces fabricants substituent de plus en plus des mélanges élasthane/fil étiré (pour lesquels l'origine 6 ou 6.6 n'est pas discriminante) au fil texturé dans la fabrication de leurs produits. La proportion de mélanges élasthane/fil étiré dans l'utilisation totale de fils de ce secteur est de l'ordre de 20 %. Elle est en croissance rapide.
Cependant, la question de savoir si les fils de nylon 6.6 destinés à la production de bas et collants relèvent d'un marché distinct du marché général des FPT ne modifie en rien l'analyse concurrentielle telle qu'elle est menée ci-après.
Marché géographique de référence
19. Le marché géographique de référence doit être considéré comme étant l'Espace Economique Européen, constitué par la CEE et l'AELE.
Les prix pratiqués dans les deux régions, les standards de qualité proches, l'absence complète de barrières douanières et la proximité de ces deux zones géographiques rendent les échanges très aisés. Les stratégies d'achat des utilisateurs de FPT ne sont pas nationales, les coûts de transports à l'intérieur de la zone sont négligeables et les principaux fournisseurs de FPT vendent dans les différents pays d'Europe occidentale. Cette analyse est confirmée par le CIRFS (Comité International pour la Rayonne et la Fibre Synthétique) qui utilise l'ensemble CEE+AELE pour établir ses statistiques.
20. Les importations en Europe Occidentale (CEE+AELE) sont résumées dans le tableau qui suit : Régions Quantité en Kilo Tonnes 1992 Pourcentage de la consommation totale
Pays de l'Est 7,5 KT 3,3 %
Israël 3,8 KT 1,7 %
Pays du Maghreb 3,2 KT 1,4 %
Zone NAFTA 2,3 KT 0,9 %
Autres 2,5 KT 1,0 %
Total importations 19,3 KT 7,3 %
Bien qu'il existe une réelle augmentation des importations, notamment en provenance d'Europe centrale et orientale, ainsi que d'Israël (les importations vers la zone CEE+AELE ont doublé au cours de 5 dernières années), le niveau d'importation en provenance de ces deux zones reste relativement faible (5 % du marché total).
Les pays de l'Europe centrale et orientale sont les principaux exportateurs vers l'Europe occidentale. Les prix des fibres qui y sont produites sont substantiellement plus bas que les prix pratiqués en Europe occidentale et les droits de douanes sont faibles (actuellement 6,4 %, ils décroissent de près de 1 % annuellement). Pour autant, les entreprises utilisatrices y recourent peu, redoutant de rencontrer de graves problèmes de qualité, de sécurité et de régularité des approvisionnements. Les bénéfices générés par l'utilisation de fils très médiocres risqueraient d'être largement compensés par des arrêts de machines.
Le second fournisseur de l'Europe occidentale est Israël. Les prix pratiqués sont inférieurs aux prix européens et les importations ne sont grevées d'aucun droit de douane. Le producteur le plus connu dans cette région est [Secret d'affaires]. On lui reconnaît la qualité de ses produits et il se rapprocherait de ses consommateurs potentiels en installant un centre de distribution en France. La Commission ne dispose d'aucune information quant à l'interpénétration existante entre Israël et l'Europe occidentale, et la question de l'appartenance d'Israël au marché géographique de référence ne modifie pas l'appréciation concurrentielle.
Les importations des autres régions du monde sont généralement grevées de droits de douanes de 9 % et peuvent être handicapées par la perception négative des entreprises vis-à-vis de ces produits et/ou par la distance séparant les producteurs de FPT des utilisateurs, laquelle réduit d'autant les possibilités de collaboration et de soutien.
Appréciation de l'opération
i) Parts de marché
21. Les parts de marché pour l'Europe occidentale ont été évaluées en volume et en valeur, en excluant les consommations internes. Le tableau ci-dessous résume les parts de marché des différents concurrents pour l'année 1992 :
Producteur part de marché en volume, part de marché en valeur [Secret d'affaires. Globalement comparables aux parts de marché en volume]
Rhône Poulenc 23,5 % [...]
SNIA 18,5 % [...]
Du Pont/ICI 24,0 % [...]
Radici 8,1 % [...]
TWD/Kunert 5,5 % [...]
Nordfaser 4,7 % [...]
Bemberg 3,0 % [...]
Autres (y compris imports) 12,7 % [...]
Après la concentration, l'EC Europa détiendrait environ 42 % du marché en volume comme en valeur, suivie par Du Pont avec 23 % en valeur (24 % en volume). Trois autres producteurs disposeront chacun de plus de 5 % de part de marché.
ii) Position dominante individuelle
22. Bien que la part de marché en valeur détenue par la nouvelle entité à la suite de l'opération se monte à 42 %, les caractéristiques générales du marché telles qu'elles sont décrites ci-après (cf point 24) et notamment l'importance des surcapacités, la forte sensibilité des clients aux prix et l'absence de lien privilégié à long terme entre le fournisseur et son client rendent improbable que l'opération conduise à la création d'une position dominante individuelle au bénéfice d'Europa.
De plus, le principal concurrent d'Europa, Du Pont, détient une part de marché de 23 %. Il est le leader mondial en matière de FPT dont il réalise environ 11 % des ventes, suivi de Formosa Chemicals avec 7 % environ, contre 6,5 % à l'EC. Du Pont utilise exclusivement pour sa production la route 6.6 et dispose d'importantes surcapacités lui permettant d'accroître rapidement sa production. Du fait de sa renommée en matière de qualité et de fiabilité, de sa capacité d'innovation ainsi que de la détention de marques connues du consommateur, soit pour des produits FPT (Tactelle), soit pour des produits utilisés en association avec les FPT (Lycra), Du Pont est à même de concurrencer Europa sur tous les segments du marché des FPT.
En outre, d'autres offreurs ([Secret d'affaires.]) produisent une gamme complète de produits, détiennent une part de marché excédant 5 %, développent une politique commerciale agressive (notamment quant aux prix) et disposent de capacités de production largement sous- utilisées. Celles-ci sont aujourd'hui utilisées globalement à un peu plus de 60 %, excédant de 145 KiloTonnes (KT) (dont 59 KT pour les concurrents autres que RP, SNIA et Du Pont) la consommation (185 KT).
iii) Position dominante collective
23. L'opération entraînera également un accroissement important du taux de concentration du marché dont environ 66 % sera détenu par les deux premiers acteurs, alors qu'aucun autre concurrent ne dépassera 10 %. Il convient en conséquence d'examiner dans quelle mesure cette opération crée ou renforce une position dominante oligopolistique.
24. L'investigation à laquelle la Commission a procédé fait ressortir que les caractéristiques structurelles du marché ne sont pas propres à engendrer des parallélismes de comportement résultant d'une interdépendance oligopolistique.
- Depuis 1975, le marché des FPT est caractérisé par une baisse structurelle des tonnages vendus émaillée de reprises conjoncturelles d'activité (notamment de 1988 à 1990). Au total, les ventes sont passées de 309 KT en 1975 à 214 KT en 1992. Cette situation est due à une variété de facteurs et notamment à l'amélioration des caractéristiques techniques du polyester (produit 30 % moins cher que le nylon) et à sa substitution progressive au polyamide. Cette baisse sur longue période des ventes de nylon a entraîné une sous-utilisation structurelle des capacités de production installées en Europe occidentale (cf. ci-avant point 22).
- Les fils textiles constituent de par leur variété un marché de produits différenciés :
. 30 % environ des volumes vendus sont des produits extrêmement différenciés. Ces produits sont chers, représentent de faibles volumes, sont peu soumis à une concurrence par les prix et présentent chacun des propriétés particulières d'aspect, de toucher, de facilité d'utilisation qui sont recherchées par les industriels du textile en fonction du type de produit d'habillement qu'ils souhaitent lancer.
. 70 % environ des volumes vendus sont des produits standard, pour lesquels la concurrence par les prix joue un rôle plus déterminant. Toutefois, l'offre de ces produits est assez fortement différenciée en fonction de différents éléments:
* les prix de ces produits standards peuvent varier dans de grandes proportions en fonction de la qualité, du suivi de fabrication ou encore de l'existence de services associés. Ces variations sont significatives, notamment entre les producteurs rendant des services associés et ceux qui ne le font pas. Elles existent également entre producteurs du même type (notamment entre Du Pont et RP) où elles peuvent être de l'ordre de 10 %;
* les fils peuvent être vendus soit directement par le producteur, soit sur le marché "spot" par des négociants spécialisés qui rachètent à bas prix aux producteurs des lots de produits de base correspondant soit à un excédent conjoncturel de production, soit à une fin de fabrication;
* ces produits peuvent également être vendus par des intermédiaires spécialisés qui, soit font subir aux fils des transformations telle que la texturation, soit proposent aux industriels du textile des assortiments de fils différents, tissés entre eux de façon à leur conférer des propriétés spécifiques. Ces opérations réalisent une valeur ajoutée importante par rapport au produit de base qui contribue à en diversifier l'offre.
L'ensemble de ces facteurs de différenciation tend à conférer à ces produits standards un caractère relativement peu homogène.
- L'innovation et le développement de nouveaux produits et de nouveaux services joue un rôle important, sans être essentiel, dans le développement du marché. Cette innovation est essentiellement le fait de Du Pont, de RP et de SNIA, elle leur permet de rester concurrentiels sur un marché très sensible aux prix, alors que leur structure de coût peut être pénalisante par rapport à leurs concurrents de taille plus modeste. Pour autant, ces innovations ne sont généralement pas brevetées et sont imitées par les concurrents une à deux saisons après leur lancement, lorsque les volumes en cause le justifient.
- Les prix de ces produits ne font pas l'objet d'une tarification barêmée. L'ensemble des clients et des concurrents interrogés a indiqué à la Commission que les prix faisaient l'objet d'une proposition individualisée, client par client, donnant lieu à négociation au cas par cas. Cette absence de tarification n'est pas de nature à promouvoir une transparence des prix pratiqués sur le marché.
- Il n'existe pas de lien privilégié et durable entre le producteur de fils et son client, contrairement à la situation qui prévaut dans le marché des fils pour tapis par exemple. Les collections sont courtes (6 mois contre plusieurs années dans le tapis) et les clients peuvent, à faible coût, changer de fournisseur à l'issue de chaque collection. Les rigidités au changement de fournisseur sont donc faibles.
- Les industriels du secteur textile sont soumis à une forte pression concurrentielle sur leur marché. Cette pression est due tant à la puissance économique de leurs clients (grande distribution, enseignes spécialisées dans l'habillement) qu'à l'existence de flux importants de textiles et de vêtements importés de pays à faible coût de production (Maghreb, Turquie, Sud-Est asiatique). Il en résulte une extrême sensibilité de la demande de FPT au prix.
25. Ces facteurs indiquent que, préalablement à l'opération, le marché n'était pas soumis à une position dominante collective, bien que les trois premiers acteurs représentassent 66 % du marché. L'ensemble des clients et des concurrents interrogés par la Commission a défini le marché comme étant hautement concurrentiel et extrêmement sensible au prix. Les prix ont d'ailleurs baissé ces dernières années et singulièrement en 1992, le bas niveau d'utilisation des capacités de production ayant généré une concurrence encore accrue. Ainsi, pour le premier semestre 1993, certains grands acheteurs ont obtenu des baisses de prix significatives [Secret d'affaires].
26. Pour les mêmes raisons, il n'est pas probable que l'opération notifiée donne naissance à une interdépendance oligopolistique entre les deux principaux concurrents du marché. En effet, d'une part les positions de marché des deux principaux acteurs ne seront pas équilibrées, d'autre part les facteurs structurels mentionnés ci-avant resteront inchangés après l'opération notamment:
- les offreurs autres qu'Europa et Du Pont, dont la plupart sont des industriels du textile ayant intégré l'activité amont, détiennent à eux seuls une capacité de production excédentaire de 60 KT environ, soit 30 % de la consommation;
- certains producteurs situés en dehors du marché géographique de référence comme la firme [ Secret d'affaires] offrent à faible prix des produits de qualité et développent une politique de service accru au client ([ Secret d'affaires] a créé un centre de stockage en France);
- en l'absence d'une réelle transparence des prix et compte tenu de la grande différenciation des produits, de leur mode de commercialisation (avec ou sans service associé) et de leur qualité, un parallélisme de comportement serait difficile à mettre en œuvre.
En outre, les clients interrogés par la Commission ont tous indiqué qu'ils disposaient de sources d'approvisionnement alternatives et que dans l'hypothèse d'une hausse des prix de 10 % des FPT, ils devraient, compte tenu de la très forte concurrence (cf ci-avant) à laquelle ils sont soumis sur leur propre marché, changer de fournisseurs quasi-instantanément (pour la collection suivante). Si une telle hausse devait affecter l'ensemble des fournisseurs, la plupart des clients devraient - pour rester concurrentiels face aux importations de produits finis - soit délocaliser leur production, soit intégrer en amont la fabrication des fils. En effet, si le capital requis est assez élevé, les technologies mises en œuvre sont relativement simples et bien maîtrisées et il est possible d'acquérir "clef en main" des chaînes de texturation voire une usine de capacité moyenne (5 KT) permettant de fabriquer du fil polyamide. Certains clients en Italie auraient d'ores et déjà utilisé cette possibilité pour intègrer soit partiellement (texturation uniquement) soit totalement les stades amonts de production.
V. RESTRICTIONS ACCESSOIRES
27. Les accords mentionnés ci-dessus tels que décrits au point 10, qui visent à garantir l'autonomie d'Europa en lui garantissant un approvisionnement en matière première doivent être considérés comme des restrictions accessoires à l'opération notifiée. Il en va de même des accords mentionnés au point 9, qui visent à ce qu'Europa absorbe la totalité des productions de FPT des sites non transférés devant être fermés d'ici à 1996.
28. Les contrats de transfert d'actifs à l'EC peuvent être considérés comme faisant partie intégrante de la concentration.
VI. CONCLUSION
29. Pour les raisons exposées ci-dessus, la Commission a décidé de ne pas s'opposer à l'opération notifiée et de la déclarer compatible avec le Marché commun. Cette décision est prise sur la base de l'article 6 paragraphe 1 point b) du règlement du Conseil n° 4064-89.