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Décisions

CCE, 6 avril 1995, n° M.564

COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

Havas Voyages/American Express

CCE n° M.564

6 avril 1995

1. Le 03 mars 1995, la Commission a reçu la notification de l'opération par laquelle la société Havas Tourisme SA et la Société American Express DVF SA regroupent au sein d'une filiale commune leurs activités respectives de voyages d'affaires vendus en France.

2. Après examen de cette notification, la Commission a abouti à la conclusion que l'opération notifiée entre dans le champ d'application du règlement du Conseil n° 4064-89 et ne soulève pas de doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le Marché commun.

I. LES PARTIES ET L'OPERATION

3. Havas Tourisme SA est une société de droit français filiale du groupe français Havas dont le parent ultime est la société Havas SA. Le groupe Havas est actif dans de nombreux secteurs d'activité tels que la publicité, l'édition, le tourisme et les média. Havas Tourisme est, pour sa part, active dans les secteurs du voyage d'affaires et du voyage loisir, directement ou à travers ses filiales.

4. American Express DVF SA est une filiale du groupe américain American Express lequel est actif dans le monde entier dans les secteurs du voyage d'affaires et de loisir ainsi que la fourniture de services bancaires, financiers et de change. American Express DVF SA est active en France dans les secteurs du voyage d'affaires et du voyage loisir.

5. L'opération consiste dans le regroupement des activités de voyage d'affaires actuellement exercées dans le cadre d'Havas Tourisme et d'American Express DVF, au sein d'une filiale commune dénommée Havas Voyage American Express (HVAE).

II. CONCENTRATION

Contrôle joint

6. HVAE sera constituée sous la forme d'une société par actions simplifiée de droit français. Son actionnariat sera détenu à 80 % par Havas et à 20 % par American Express. Cette répartition reflète l'importance respective des apports à la filiale commune.

7. Le pacte d'Associés liant les sociétés mères prévoit que l'entreprise commune sera dirigée par un conseil d'administration composé de huit membres dont six seront nommés par Havas et 2 par American Express. Les articles 1.02 d) et 1.04 dudit pacte prévoient que certaines décisions devront être prises à une majorité qualifiée des trois quarts des membres du conseil dont un représentant au moins de chacune des mères.

8. Les décisions qui requièrent la majorité qualifiée comprennent notamment l'adoption du budget triennal stratégique et financier de la filiale commune et sa révision annuelle si nécessaire. Le budget triennal contiendra la définition de la stratégie de la filiale commune et des objectifs qui lui seront assignés, tant en ce qui concerne les objectifs quantitatifs (ratios de rentabilité et de gestion, évolution des parts de marché) que les objectifs qualitatifs (services à la clientèle, normes de qualité, stratégie de croissance (externe/interne, accords de partenariat)....). Le budget triennal contiendra également la définition des mesures à prendre pour la réalisation de ces objectifs tant en ce qui concerne la gestion du personnel que la politique commerciale. Enfin, le budget triennal procèdera à la fixation des moyens financiers à engager pour ce qui concerne les investissements comme le fonctionnement.

9. Il ressort de ce qui précède qu'American Express disposera d'un pouvoir de codécision et le cas échéant d'un droit de veto sur l'ensemble des décisions stratégiques de l'entreprise commune, laquelle sera par conséquent soumise au contrôle conjoint d'American Express et d'Havas, entreprise commune de plein exercice

10. Le protocole d'accord signé entre les parties prévoit qu'HVAE se verra apporter par les entreprises mères l'ensemble des éléments corporels et incorporels ainsi que les personnels et les ressources financières nécessaires pour opérer sur le marché de manière autonome en y accomplissant toutes les fonctions normalement exercées par les autres entreprises sur le marché.

11. La filiale commune se verra transférer en particulier: l'ensemble des contrats relatifs aux voyages d'affaires en cours avec des clients ou des fournisseurs, les conventions d'occupation et baux des locaux, les noms commerciaux, logiciels et droits de propriété industrielle (notamment les licences de marque); l'ensemble des éléments corporels attachés à l'activité voyage d'affaires (plateaux techniques de gestion et agences "affaires" d'Havas) ; l'ensemble des personnels (1 000 personnes environ) attachés à l'activité voyage d'affaires.

12. Le fait que l'entreprise commune conclura des accords de représentation, sous forme de contrats de mandat avec chacune des entreprises mères tant pour représenter American Express en France que pour être représentée par American Express à l'étranger et par Havas Tourisme en province lorsque les volumes d'affaires ne justifient pas l'ouverture d'un plateau technique régional, n'est pas de nature à remettre en cause la conclusion que l'entreprise commune exercera sur une base durable toutes les fonctions d'une entité économique de plein exercice. Il en va de même de la possibilité offerte à l'entreprise commune d'être associée pour une durée de trois ans à l'une ou l'autre de ses mères dans la négociation vis à vis de ses fournisseurs. En effet, cette possibilité vise à permettre à l'entreprise commune de conserver pour une période de démarrage les conditions commerciales dont bénéficiaient précédemment les mêmes activités au sein de chacune des entreprises mères.

Aspects de coopération

13. Postérieurement à la réalisation de l'opération Américan Express n'exercera plus d'activité en ce qui concerne le voyage d'affaires en France. Seul Havas conservera une présence marginale (moins de 5 % du volume d'affaires apporté à l'entreprise commune) dans le cadre d'activités qui ne peuvent être transférées à l'entreprise commune pour des raisons techniques à savoir : d'une part, les comptes pour lesquels la facturation annuelle en voyages d'affaires n'excède pas 200 000 Francs français ; d'autre part, les activités voyages d'affaires de deux filiales cocontrôlées par Havas Tourisme. Havas négocie l'achat de 100 % des actions de ces deux sociétés qui seront ensuite apportées à l'entreprise commune (article 1.1 sous c) du Protocole entre les parties). En revanche, en ce qui concerne le voyage dit de loisir, Havas Tourisme et American Express continueront d'exercer une activité (toutefois, la présence d'American Express est très faible, son chiffre d'affaires "loisir" étant de l'ordre de [Supprimé pour secrets d'affaires.] de Francs français).

14. Les éléments rassemblés par la Commission tendent à démontrer que le marché des services prestés par les agences de voyages pour les voyages d'affaires est distinct de celui des services prestés pour le voyage de loisir, tous deux présentant une dimension essentiellement nationale. [Cette analyse rejoint celle qu'avait mené la Commission dans l'affaire IV-M350 West LB/Thomas Cook/LTU]

15. S'agissant du marché de produit plusieurs éléments conduisent à considérer que les deux activités appartiennent à des marchés distincts : la prestation rendue est différente. Il s'agit d'une prestation complexe portant sur l'organisation globale d'un séjour en ce qui concerne l'activité loisir et essentiellement de billetterie en ce qui concerne l'activité voyage d'affaires; la structure de l'offre est différente. Certains acteurs importants ne sont présents que dans l'une de ces activités (pour le voyage loisir, Thomas Cook mais aussi en France Nouvelle Frontière par exemple). Les acteurs qui exercent les deux activités les exercent dans le cadre de structures différentes. Les clients sont différents, il s'agit d'entreprises dans un cas, de particuliers dans l'autre; les conditions de paiement des clients sont également différentes ainsi que le taux de rémunération de l'agence de voyage (paiement différé et rémunération des agences inférieure de l'ordre de [Supprimé pour secrets d'affaires.] pour le voyage d'affaires par rapport au voyage de tourisme);

16. S'agissant du marché géographique, la Commission a déjà considéré [voir décision Thomas Cook précitée.] que ces activités s'exercent dans le cadre de marchés nationaux. S'agissant du voyage d'affaires, cette conclusion est confirmée par différents éléments: la clientèle est dans son écrasante majorité nationale et acquiert, notamment en billetterie (plus de 80 % du chiffre d'affaires) des "produits" nationaux (c'est à dire France ou départ France); Il existe une frange marginale de clients internationaux négociant des accords globaux portant sur plusieurs pays. En outre, la prestation rendue revêt bien souvent par sa nature même une dimension internationale. Toutefois, le jeu de la concurrence s'exerce en réalité à l'échelle nationale. Il n'existe pas, à une échelle significative de réelles prestations transfrontalières. Celles-ci sont en réalité remplacées par des accords de représentation avec des agences étrangères. Cette segmentation s'explique notamment par le fait que la nature même des prestations rendues exige fréquemment une implantation dense dans les différents pays du monde. En outre, la profession d'agent de voyage comme le régime juridique des contrats sont régis par des droits nationaux qui peuvent varier d'un pays à l'autre et exigent la disposition d'une infrastructure dans chaque pays.

17. Il ressort de ce qui précède que ni le fait que les parties restent toutes les deux présentes sur le marché du voyage de loisir en France (de manière marginale pour ce qui concerne American Express), ni le fait qu'American Express reste actif hors de France, tant pour ce qui concerne le voyage d'affaires que le voyage de loisir, ne sont de nature à induire une coordination de comportement concurrentiel entre les entreprises fondatrices ni en ce qui concerne leurs politiques commerciales, ni en ce qui concerne leurs politiques d'achat. Sur ce dernier point, les fournisseurs des parties interrogés par la Commission ont confirmé que les négociations s'opèrent sur une base nationale et que la spécificité de chacun des marchés de produit est telle que l'économie des négociations avec les fournisseurs est entièrement différente selon qu'il s'agit de voyage d'affaires ou de voyage de loisir.

III. DIMENSION COMMUNAUTAIRE

18. Le chiffre d'affaires total réalisé sur le plan mondial par les groupes Havas et American Express (respectivement [Supprimé pour secrets d'affaires.] d'Ecus), est supérieur à 5 milliards d'écus. Le chiffre d'affaires total réalisé individuellement dans la Communauté par chacun des deux groupes (respectivement [Supprimé pour secrets d'affaires.] d'Ecus) excède 250 millions d'écus sans que les deux entreprises n'en réalisent plus des deux tiers à l'intérieur d'un seul et même Etat membre. En conséquence, l'opération revêt une dimension communautaire au sens de l'article premier du règlement "concentrations".

IV. COMPATIBILITE AVEC LE MARCHE COMMUN

19. L'opération conduira à la création du premier acteur sur le marché français du voyage d'affaires avec une part de marché de 22 à 23 %. En outre, sur le plan qualitatif, l'entreprise commune bénéficiera d'accords de représentation avec le réseau mondial d'American Express ainsi que d'un accord d'affiliation à la carte de paiement (notamment "corporate card" d'American Express). Toutefois, HVAE devra faire face à des concurrents puissants. Le premier d'entre eux, Wagons LitsCarlson, détient une part de marché de l'ordre de 16 % en France Selectour (9 %), Manor/Protravel (8 à 9 %) et Via (7 à 8 %) sont également des concurrents importants et dynamique sur un marché du voyage d'affaires en expansion. Certains de ces concurrents (Wagons LitsCarlson et Via) disposent également d'un réseau international. Les autres sont le plus souvent adhérents d'alliances internationales prévoyant des accords de représentation dans de nombreux pays. Les concurrents de l'entreprise commune disposent également d'affiliations aux différents systèmes de cartes de paiement, y compris la carte "Amex". L'exploitation de synergies éventuelles entre l'entreprise commune et le système de cartes de paiement "affaires" d'American Express n'est donc pas susceptible, compte tenu de l'ensemble de ce qui précède, de conduire à la création ou au renforcement d'une position dominante sur le marché français du voyage d'affaires.

20. Pour ce qui concerne un éventuel effet congloméral dans le domaine des cartes de paiement (et notamment les cartes "affaires"), l'opération n'est susceptible d'avoir qu'un impact limité, compte tenu, d'une part de ce qu'Havas est d'ores et déjà affilié au système "Amex" et, d'autre part de ce que l'entreprise commune sera dans l'obligation commerciale d'être affiliée à l'ensemble des cartes de paiement existant.

V. RESTRICTIONS ACCESSOIRES

21. Conformément à l'article 9.5 (a) du formulaire CO, les parties ont demandé à la Commission d'apprécier un certain nombre de restrictions de concurrence qu'ils considèrent comme accessoires à l'opération de concentration, en même temps que cette dernière.

22. Les articles 4 et 5 du protocole liant les parties prévoient: d'une part, une clause de non concurrence par laquelle les entreprises fondatrices s'interdisent, pour la durée de l'accord, d'être actifs sur le marché de l'entreprise commune. D'autre part, la fourniture à la filiale commune sur une base exclusive, pour la durée de l'accord et pour le territoire français, de l'ensemble des licences de marque nécessaires à son fonctionnement. Ces deux clauses expriment la réalité du retrait des sociétés mères du marché de l'entreprise commune. En outre, la seconde d'entre elles est indispensable à l'exploitation du fonds de commerce transférée à la filiale.

23. Le protocole prévoit également que la filiale commune aura recours à certains services administratifs d'Havas et qu'elle se verra offrir la possibilité d'être associée à l'une ou l'autre de ses mères dans la négociation vis à vis de ses fournisseurs. Ces deux clauses, valables pour une durée de trois ans ont pour objet de permettre à la filiale commune d'acquérir progressivement sa pleine autonomie fonctionnelle.

24. Enfin, le Protocole prévoit la signature de contrats de représentation exclusive décrits au point 12 ci-avant. Ces accords sont conclus pour une durée de cinq ans pour ce qui concerne Havas et sans limitation de durée pour ce qui concerne American Express. Dans ce dernier cas, l'absence de limitation de durée exprime la réalité du retrait durable d'American Express du marché de l'entreprise commune pour ce qui concerne la représentation d'American Express par HVAE en France et vise à doter HVAE d'un réseau de correspondants au plan mondial nécessaire à son activité pour ce qui concerne la représentation d'HVAE par American Express à l'international.

25. Pour les raisons qui viennent d'être exposées, l'ensemble des clauses décrites et analysées aux paragraphes 22 à 24 constituent des restrictions de concurrence accessoires à l'opération de concentration.

VI. CONCLUSION

26. Il ressort de ce qui précède que l'opération notifiée relève du règlement (CEE) n° 4064-89 et ne soulève pas de doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le Marché commun. Cette décision est prise en application de l'article 6 (1) (b) du règlement (CEE) n° 4064-89.