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Décisions

TPICE, président, 21 décembre 1994, n° T-295/94 R

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Ordonnance de référé

PARTIES

Demandeur :

Buchmann (GmbH)

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Avocat :

Me Braun

TPICE n° T-295/94 R

21 décembre 1994

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,

Faits et procédure

1 Le 13 juillet 1994, la Commission a adopté la décision 94-601-CE, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (IV/C/33.833 - Carton, JO L 243, p. 1, ci-après "Décision"). Selon l'article 1er de la Décision, les 19 fournisseurs de carton qui y sont énumérés, dont la requérante, ont enfreint l'article 85, paragraphe 1, du traité en participant à un accord et à une pratique concertée en vertu desquels ils ont mené diverses activités contraires à la concurrence dans le Marché commun, résumées dans le même article 1er.

2 La Décision relève que ces pratiques ont été mises en œuvre dans le cadre du "groupe d'étude de produit Carton" (ci-après "GEP Carton"), réunissant un nombre important de fabricants européens de carton. Il ressort également de la Décision que, pendant la période de référence, c'est-à-dire de 1986 à 1991, le GEP Carton disposait de différents comités, dont, notamment, le "Presidents Working Group" (ci-après "PWG"), la "President Conference" et le "Joint Marketing Comittee" (ci-après "JMC"). Toujours selon la Décision, le PWG réunissait les représentants des huit principaux fabricants et prenait des décisions d'ordre général concernant le calendrier et le niveau des augmentations de prix à mettre en œuvre par les fabricants de carton. Il aurait également mis en place certains arrangements entre les participants concernant leur part respective de marché, l'objectif étant d'éviter que les initiatives concertées en matière de prix soient compromises par un excédent d'offre. Les résultats des travaux du PWG auraient été régulièrement transmis à la "President Conference", à laquelle, selon le considérant 42 de la Décision, tous les destinataires de celle-ci étaient représentées. Le JMC, au sein duquel tous les fabricants européens de carton auraient été représentés, aurait eu pour objet principal de mettre en œuvre les augmentations de prix convenues par le PWG.

3 L'article 3 de la Décision inflige à la requérante une amende s'élevant à 2,2 millions d'écus pour les infractions constatées à l'article 1er. L'article 4 prévoit que les amendes fixées à l'article 3 sont payables en écus, dans un délai de trois mois à compter de la date de notification de la Décision.

4 Par lettre du 1er août 1994, la Commission a notifié la Décision à la requérante. Dans cette lettre, elle précisait que, si la requérante introduisait un recours devant le Tribunal, elle ne procéderait à aucune mesure de recouvrement tant que l'affaire serait pendante devant cette juridiction, pour autant que la créance produise intérêts, à partir de la date d'expiration du délai de payement, et qu'une garantie bancaire, acceptable par elle et couvrant la dette tant au principal qu'en intérêts ou majorations, soit fournie au plus tard à cette date.

5 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 28 septembre 1994, la requérante a introduit, en vertu de l'article 173 du traité CE, un recours visant à l'annulation de la Décision.

6 Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 14 octobre 1994, la requérante a introduit, en vertu de l'article 185 du traité CE, la présente demande de sursis à l'exécution de la Décision, dans la mesure où celle-ci lui impose le payement d'une amende, et cela sans qu'elle soit tenue de constituer une garantie bancaire.

7 La Commission a présenté ses observations sur la présente demande en référé le 2 novembre 1994. Les parties ont été entendues en leurs explications orales le 25 novembre 1994.

En droit

8 En vertu des dispositions combinées des articles 185 et 186 du traité CE et de l'article 4 de la décision 88-591-CECA, CEE, Euratom du Conseil, du 24 octobre 1988, instituant un Tribunal de première instance des Communautés européennes (JO L 319, p. 1), telle que modifiée par la décision 93-350-Euratom, CECA, CEE du Conseil, du 8 juin 1993 (JO L 144, p. 21), le Tribunal peut, s'il estime que les circonstances l'exigent, ordonner le sursis à l'exécution de l'acte attaqué ou prescrire les mesures provisoires nécessaires.

9 L'article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal prévoit que les demandes relatives à des mesures provisoires visées aux articles 185 et 186 du traité doivent spécifier les circonstances établissant l'urgence, ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l'octroi de la mesure à laquelle elles concluent. Les mesures demandées doivent présenter un caractère provisoire, en ce sens qu'elles ne doivent pas préjuger la décision sur le fond (voir l'ordonnance du président du Tribunal du 26 octobre 1994, Transacciones Maritimas e.a./Commission, T-231-94 R, T-232-94 R et T-234-94 R, Rec. p. II-0000, point 20).

Arguments des parties

10 Pour démontrer le bien-fondé prima facie de ses prétentions, la requérante invoque quatre des griefs soulevés dans son recours au principal et tirés, respectivement, d'une erreur sur la durée de sa participation à l'infraction retenue par la Commission, d'une erreur sur sa participation, d'une part, à un échange d'informations commerciales visant à soutenir l'application des restrictions de concurrence en cause et, d'autre part, aux "President Conferences" du GEP Carton, et, enfin, de ce que certaines preuves auraient été obtenues de manière illicite.

11 A l'appui de son premier grief, la requérante relève que, dans le considérant 2 ainsi que dans le dispositif de la Décision, la Commission l'accuse d'avoir participé à l'accord incriminé depuis le milieu de l'année 1986. Or, ainsi qu'il ressortirait du tableau 4 annexé à la Décision, faisant état des réunions du JMC ainsi que de l'échange de courrier qui a précédé la Décision et de la communication individuelle des griefs du 21 décembre 1992, il ne serait possible de situer le début de la participation de la requérante à l'infraction alléguée au plus tôt qu'en 1988.

12 Le deuxième grief est tiré de ce que, en affirmant, dans la Décision, que toutes les entreprises visées, y compris les petits producteurs, ont participé, par des échanges d'informations, à la surveillance du niveau des commandes en carnet, la Commission s'est fondée, en ce qui concerne la requérante, sur une appréciation inexacte des faits, ainsi que le feraient apparaître une lettre que la requérante a adressée à la Commission le 13 août 1991 et les statistiques dont celle-ci disposerait.

13 Par son troisième grief, la requérante fait valoir que, contrairement à ce qui ressort du considérant 42 de la Décision, elle n'a jamais participé à une "President Conference", ce que la Commission aurait, elle-même, reconnu dans les tableaux 3 et 7 annexés à la Décision ainsi que dans une lettre du 1er mars 1994, adressée à la requérante.

14 Dans le cadre de son quatrième grief, la requérante se réfère à une audition du 20 décembre 1993, organisée par la Commission et lors de laquelle elle ne s'était pas fait représenter. La requérante fait valoir que, aux termes du procès-verbal qui lui aurait été communiqué par un tiers, le représentant de la Commission, lors de cette audition, a affirmé ce qui suit: "Les producteurs qui ont plus ou moins admis pratiquement toutes les allégations (et d'ailleurs je reconnaîtrai volontiers avoir eu tort si tel est bien le cas), sont, je pense, Buchmann... Ils ont fondamentalement reconnu les allégations portées à leur encontre." Il s'agirait là, pour ce qui concerne la requérante, d'une affirmation erronée, qu'elle n'aurait pu démentir que par lettre du 2 février 1994. Il s'ensuit, selon la requérante, que toutes les preuves obtenues lors de l'audition et ultérieurement l'ont été de manière illicite, car la Commission aurait trompé délibérément les entreprises mises en cause.

15 En ce qui concerne l'urgence, la requérante fait valoir que la constitution d'une garantie bancaire, exigée par la Commission en l'absence de payement de l'amende, compromettrait sérieusement son existence et mettrait gravement en péril l'emploi de ses 450 salariés. Son capital propre étant d'ores et déjà insuffisant, eu égard aux pertes qu'elle a accumulées et à la provision nécessaire en vue du payement éventuel de l'amende, la constitution d'une garantie à concurrence du montant envisagé la priverait de la possibilité de se procurer de nouveaux capitaux. Or, pour les mois à venir, la requérante aurait besoin de crédits supplémentaires pour répondre à ses besoins d'exploitation. Après l'avoir annoncé par lettre du 11 août 1994, annexée à la demande en référé, sa banque habituelle lui aurait, entre-temps, notifié le retrait du crédit d'escompte jusqu'alors alloué. La requérante ajoute que même un remboursement ultérieur ou le versement de dommages et intérêts après une éventuelle annulation de la Décision ne pourraient réparer les conséquences extrêmement dures qui découleraient d'une constitution de la garantie.

16 La Commission souligne, à titre liminaire, que ce n'est que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles que le juge des référés peut faire droit à une demande qui, comme celle de la requérante, vise à obtenir qu'il soit sursis à l'exécution d'une décision, dans la mesure où celle-ci oblige la partie requérante à constituer une garantie bancaire d'un montant égal à l'amende qui lui a été infligée. Or, de telles circonstances exceptionnelles ne seraient pas réunies en l'occurrence, la requérante n'ayant pas démontré l'urgence, ni spécifié les moyens de fait et de droit justifiant l'octroi de la mesure provisoire demandée.

17 En réponse au grief tiré d'une erreur sur la durée de la participation de la requérante à l'infraction retenue par la Commission, celle-ci renvoie au considérant 162 et à l'article 1er de la Décision, lequel précise que "dans le cas de Buchmann et Rena (l'infraction a duré) de mars 1988 environ jusqu'à fin 1990 au moins...". La Décision ne serait donc pas fondée sur une appréciation inexacte des faits quant à la durée de l'infraction.

18 Quant aux considérations de la requérante relatives aux échanges d'informations commerciales visant à soutenir l'application les restrictions de concurrence, la Commission estime qu'elles sont sans pertinence. Eu égard à la conception de l'infraction constatée, telle qu'elle ressortirait des motifs de la Décision, il n'aurait pas été nécessaire, en l'occurrence, d'exposer minutieusement la participation de chaque entreprise à chaque acte.

19 En ce qui concerne la participation de la requérante aux "President Conferences", la Commission relève, que ainsi qu'il ressort du tableau 3 annexé à la Décision, elle ne l'a a priori pas retenue. Les considérations développées par la Commission à l'encontre du deuxième grief s'appliqueraient d'ailleurs également au troisième. En toute hypothèse, la requérante aurait été informée par d'autres entreprises du secteur des résultats des réunions du PWG et aurait pu orienter en conséquence son comportement concurrentiel.

20 S'agissant du grief relatif à l'obtention illicite de certaines preuves, la Commission fait remarquer, à titre liminaire, qu'à son avis, il ne ressort pas du recours au principal que la requérante conteste sa participation à l'entente mais qu'elle soutient, tout simplement, que, n'ayant pas participé à certaines réunions, certaines de ses actions n'ont pas été correctement appréciées. Il ne serait donc pas dépourvu de tout fondement de dire que la requérante admet les faits qui lui sont reprochés. Par ailleurs, le rapporteur de la Commission se serait réservé la possibilité de corriger ses déclarations. De plus, la requérante n'expliquerait pas pourquoi le fait même de mentionner qu'elle aurait admis les faits qui lui étaient reprochés serait censé avoir influencé de manière si importante les autres entreprises, ce qui serait d'ailleurs contradictoire avec l'impression que la requérante veut susciter, à savoir qu'elle n'aurait joué dans cette entente qu'un rôle secondaire. Au demeurant, l'on ne verrait pas comment une influence éventuelle sur d'autres entreprises pourrait avoir des répercussions sur la légalité de la Décision à l'égard de la requérante.

21 En ce qui concerne l'urgence, la Commission estime que celle-ci n'est nullement établie. En effet, la lettre du 11 août 1994, précitée, ne permettrait pas de conclure que l'existence même de la requérante serait menacée et, avec elle, 450 emplois, car elle n'opposerait aucun refus à une demande éventuelle de constitution d'une garantie bancaire et ferait même des propositions quant à la poursuite de la collaboration entre la requérante et sa banque habituelle. La requérante n'aurait même pas fait valoir qu'elle a cherché à obtenir, sans succès, une garantie auprès d'un autre établissement bancaire. Mises à part les affirmations de la requérante quant au prétendu retrait du crédit d'escompte, qu'elle n'aurait d'ailleurs pas suffisamment étayées, la demande ne contiendrait aucune autre indication sur sa situation économique et financière réelle.

Appréciation du juge des référés

22 Il convient de constater, à titre liminaire, que, par la présente procédure en référé, la requérante demande à être déliée de l'obligation, imposée dans la lettre visée au point 4 de la présente ordonnance, de constituer une garantie bancaire d'un montant égal à l'amende qui lui a été infligée, comme condition lui permettant d'éviter le recouvrement immédiat de celle-ci.

23 Aux termes d'une jurisprudence constante, une telle demande ne peut être accueillie qu'en présence de circonstances exceptionnelles(voir, en particulier, les ordonnances du président de la Cour du 6 mai 1982, AEG/Commission, 107-82 R, Rec. p. 1549, point 6, et du 15 mars 1983, Ferriere di Roè Volciano/Commission, 234-82 R, Rec. p. 725, points 2 et 8). Or, la requérante n'a pas fourni d'éléments permettant de constater, à première vue, que cette condition est remplie en l'espèce. Cela vaut tant pour son affirmation, tendant à établir l'urgence du sursis demandé, selon laquelle la constitution de la garantie bancaire mettrait en péril son existence, qu'en ce qui concerne le fumus boni juris de son recours au principal.

24 S'agissant de la prétendue impossibilité de fournir la garantie bancaire, sous peine de mettre en péril son existence, il convient de relever que le seul document que la requérante a produit à l'appui de son argumentation est la lettre de sa banque habituelle du 11 août 1994, précitée. Or, si cette lettre fait état d'une situation difficile de la requérante, elle ne permet pourtant pas de conclure, à première vue, que l'obligation de constituer une garantie bancaire pour échapper au recouvrement immédiat de l'amende, en attendant le prononcé de l'arrêt au principal, risquerait d'entraîner sa disparition. A cet égard, il convient de constater, d'une part, que l'analyse de la situation financière de la requérante, sur laquelle se fonde la lettre en question, tient déjà compte des inconvénients liés à la constitution d'une provision à concurrence du montant de l'amende infligée et, d'autre part, que ladite lettre n'oppose aucun refus à une éventuelle demande visant à obtenir la constitution de la garantie en question. Or, ni la lettre de la banque ni les explications données par la requérante elle-même ne permettent d'examiner, de manière précise, si et dans quelle mesure la situation de la requérante pourrait s'aggraver au cas où, au lieu de simplement constituer ou maintenir la provision mentionnée, elle devrait constituer une garantie bancaire pour le montant correspondant. De manière plus générale, il ressort de la lettre de la banque que celle-ci se considère toujours comme "le partenaire fiable" de la requérante, qu'elle est prête à l'"accompagner tout au long d'une période difficile" et à l'aider à "retrouver sa puissance passée", sous certaines conditions, notamment que ses associés la soutiennent sans réserve. Aucun élément du dossier ne permet de conclure, à première vue, que ces conditions sont impossibles à remplir.

25 S'agissant, plus particulièrement, de l'argument de la requérante selon lequel elle aurait besoin, pour les mois à venir, de crédits supplémentaires pour ses besoins d'exploitation, que la constitution de la garantie l'empêcherait d'obtenir, aucun élément du dossier ne permet au juge des référés d'en vérifier la consistance. Il convient d'ajouter que la requérante a admis, lors de l'audition, qu'une autre institution financière locale s'est déclarée prête à lui accorder une garantie bancaire, à condition que ses associés engagent leur patrimoine personnel.

26 A cet égard, il y a lieu de relever que, compte tenu, d'une part, de l'intérêt public qui s'attache à l'exécution des décisions de la Commission et à la sauvegarde des intérêts financiers de la Communauté, et, d'autre part, des avantages qui peuvent découler, pour ses associés, des éventuels comportements anticoncurrentiels d'une société, il apparaît approprié, comme le reconnaît la jurisprudence, de tenir compte des possibilités que peuvent avoir les associés d'assister la société aux fins de la constitution d'une garantie bancaire, telle que celle qui est demandée par la Commission dans la présente espèce (voir l'ordonnance du président de la Cour du 7 mai 1982, Hasselblad/Commission, 86-82 R, Rec. p. 1555, point 4, ainsi que les ordonnances du président du Tribunal du 25 août 1994, Aristrain/Commission, T-156-94 R, Rec. p. II-0000, point 33, et Transacciones Maritimas e.a., précitée).

27 Enfin et en tout état de cause, il y a lieu de relever, au regard de l'appréciation de l'éventuelle existence de circonstances exceptionnelles permettant de justifier l'octroi de la mesure sollicitée, qu'aucun des griefs avancés par la requérante pour démontrer le bien-fondé de son recours au principal n'a fait apparaître des éléments de nature à susciter, à première vue, des doutes particulièrement sérieux quant à la légalité de la Décision.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL,

ordonne:

1) La demande est rejetée.

2) Les dépens sont réservés.