CA Paris, 1re ch. B, 20 septembre 1990, n° 89-6005
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Office d'Annonces (SA)
Défendeur :
Auto Garage de l'Ouest (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guerder
Conseillers :
Mme Ferrand-Amor, M. Tailhan
Avoués :
SCP Regnier, Sevestre Regnier, Me Bodin-Casalis
Avocats :
Mes Jaudon, Cornet.
LA COUR statue sur l'arrêt de renvoi, auquel il est référé pour l'exposé des faits et de la procédure, rendu le 22 mars 1989 par la Cour d'appel de Rennes, qui s'est déclarée territorialement incompétente pour connaître de l'appel principal, formé par la société Office d'Annonces, dont le siège est à Neuilly-sur-Seine, ainsi que sur l'appel incident formé par la société Auto Garage de l'Ouest, dont le siège est à Nantes, d'un jugement du Tribunal de commerce de Nantes en date du 25 avril 1988, en ce qu'il a condamné la société Office d'Annonces à payer à la société Auto Garage de l'Ouest la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts ainsi que celle de 5 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, et en ce qu'il a débouté la société Auto Garage de l'Ouest du surplus de ses demandes.
Le 21 octobre 1986 la société Auto Garage de l'Ouest, concessionnaire des marques Volkswagen et Audi à Nantes, a renouvelé â la société Office d'Annonces son ordre pour des insertions publicitaires au prix de 30 515,78 F dans l'édition 1987 de l'annuaire de téléphone de la Loire Atlantique, d'une part au classement alphabétique Audi-Volkswagen et Volkswagen-Audi à Nantes, d'autre part au classement alphabétique Auto Garage de l'Ouest avec la mention qu'il s'agissait d'un concessionnaire Audi Volkswagen.
Seule a paru l'annonce de l'Administration au nom de la société Auto Garage de l'Ouest, à l'exclusion des annonces de la société Office d'Annonces concernant tant la mention qu'il s'agissait d'un concessionnaire Audi Volkswagen que les deux insertions au classement Audi-Volkswagen et Volkswagen-Audi.
La société Office d'Annonces invoque la clause limitative de responsabilité de son contrat, selon laquelle le défaut de parution peut conduire à une réparation au plus égale au montant des annonces qui n'ont pas été publiées, soit la somme de 30 515,78 F.
Elle invoque la validité de cette clause ; elle fait également valoir que le défaut de publication, qui est dû à une erreur du système informatique, n'est pas constitutif de faute lourde.
Elle fait valoir d'autre part que l'ordonnance du 1er décembre 1986, que la société Auto Garage de l'Ouest lui oppose, et qui prohibe l'abus de position dominante, est postérieure à l'ordre d'insertion du 21 octobre 1986 qu'elle a reçu, et qu'en toute hypothèse elle ne s'applique pas en l'espèce.
Enfin elle fait valoir que, si la limite de la réparation est égale au montant des annonces, il appartient à la société Auto Garage de l'Ouest de justifier du préjudice subi, et elle invoqué le rapport d'expertise judiciaire de Monsieur Hemon pour soutenir que la société Auto Garage de l'Ouest n'a subi aucune perte de chiffre d'affaires.
En conséquence elle demande que le jugement soit infirmé, que la société Auto Garage de l'Ouest soit condamnée à lui restituer la somme de 100 000 F dont elle s'est acquittée en exécution provisoire de la décision entreprise, avec intérêts au taux légal à compter du paiement, et qu'elle soit condamnée à lui payer la somme de 20 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société Auto Garage de l'Ouest soulève tout d' abord la nullité de la clause limitative qui dispenserait la société Office d'Annonces de l'exécution de son obligation et qui priverait le contrat de son objet ; elle fait également valoir qu'en omettant d'exécuter son obligation la société Office d'Annonces a commis une faute lourde qui ne lui permet pas de se prévaloir de la clause de son contrat.
Elle fait valoir d'autre part que la société Office d'Annonces bénéficie du monopole de la diffusion de la régie publicitaire de France Télécom, et elle invoque les articles 8 et 9 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, qui prévoient, conformément aux dispositions des articles 85 et 86 du Traité de Rome du 25 mars 1957 instituant la Communauté économique européenne, qu'est prohibée l'exploitation abusive d'une position dominante et que la nullité d'une clause prohibée peut être prononcée par une juridiction civile ou commerciale.
Enfin, se référant au rapport d'expertise judiciaire de Monsieur Hemon, elle évalue à la somme de 500 000 F le montant du préjudice résultant pour elle d'un supplément de dépenses de publicité qu'elle a été contrainte d'engager.
En conséquence elle demande que le jugement soit confirmé en ce que le tribunal a dit que la société Office d'Annonces devait répondre sans limitation du dommage résultant de l'inexécution de son obligation, mais qu'il soit infirmé en ce que son préjudice a été évalué à 100 000 F seulement et elle demande que le montant de la condamnation soit élevé à 500 000 F, avec intérêts à compter de son assignation du 18 juin 1987 ; elle demande également la somme de 20 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Il est référé pour le surplus de l'exposé des faits aux motifs du jugement déféré et de l'arrêt de la Cour d'appel de Rennes, et pour plus ample développement des prétentions et moyens des parties aux écritures d'appel ainsi qu'aux pièces régulièrement versées aux débats.
Sur quoi, LA COUR,
Considérant que selon les conditions générales de l'ordre d'insertion du 21 octobre 1986, les insertions sont subordonnées à l'acceptation de l'Administration dont le refus peut être notifié jusqu'à la date de parution de l'annuaire ; que l'annuaire a paru seulement au début de l'année 1987 que dès lors l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence est applicable au contrat litigieux qui n'avait fait l'objet d'aucune acceptation définitive ;
Considérant que l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 prohibe l'exploitation abusive d'une position dominante ; que la société Auto Garage de l'Ouest fait valoir qu'elle était obligée d'adhérer au contrat qui lui était proposé seulement par la société Office d'Annonces pour des insertions dans l'annuaire des téléphones ;
Mais considérant que la société Office d'Annonces fait justement valoir qu'il existe de nombreux autres supports publicitaires que l'annuaire des téléphones, tels les panneaux de longue conservation, la presse écrite ou les radios libres, ainsi qu'il résulte du rapport de l'expert Hemon ;
Considérant en conséquence que la clause n'est nulle ni par application de l'article 9 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, ni par application des articles 85 et 86 du Traité de Rome dont les dispositions peuvent être invoquées par un concessionnaire de voitures fabriquées dans un autre pays de la Communauté économique européenne ;
Mais considérant qu'aucune des trois annonces commandées par la société Auto Garage de l'Ouest n'a été publiée ;
Considérant que, même si les trois annonces ont fait l'objet d'un seul ordre d'insertion, et même si l'omission résulte d'une erreur du système informatique, cette omission constitue à la charge de la société Office d'Annonces, régisseur exclusif de la publicité de l'annuaire des téléphones, une faute lourde équipollente au dol au sens de l'article 1150 du Code civil, en raison du caractère essentiel de l'obligation qui n'a pas été exécutée ;
Considérant dès lorsque cette faute lourde rend inopposable à la société Auto Garage de l'Ouest la clause limitative de responsabilité insérée dans le contratet que la société Office d'Annonces est tenue de réparer l'intégralité du préjudice que son omission a causé ;
Considérant que dans son rapport du 11 décembre 1987 l'expert Hemon, commis par ordonnance de référé du 17 mai précédent, a conclu que la société Auto Garage de l'Ouest n'avait subi aucune perte de chiffre d'affaires, mais que se fondant sur un budget prévisionnel établi par la société DDB, il a conclu que le supplément des dépenses de publicité, que l'omission des annonces dans l'annuaire ces téléphones avait rendu nécessaire, s'était élève à 500 000 F ;
Considérant cependant que la société Auto Garage de l'Ouest ne justifie pas qu'elle aurait eu recours à l'ensemble des moyens publicitaires envisagés par la société DDB, et que la cour dispose d'éléments suffisants pour confirmer l'évaluation du préjudice que les premiers juges ont faite à la somme de 100 000 F ;
Considérant que la société Auto Garage de l'Ouest ne justifie d'aucun autre préjudice qui justifierait un complément de réparation sous forme d'intérêts compensatoires, et qu'en conséquence le jugement doit être confirmé dans toutes ses dispositions ;
Considérant que l'équité commande d'allouer à la société Auto Garage de l'Ouest une somme supplémentaire de 10 000 F au titre des frais irrépétibles en cause d'appel ;
Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ; Condamne la société Office d'Annonces à payer à la société Auto Garage de l'Ouest la somme de 10 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile en cause d'appel ; Condamne la société Office d'Annonces aux dépens d'appel ; Admet Me Bodin Casalis au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.