Livv
Décisions

CA Colmar, ch. soc. A, 4 octobre 2000, n° 199906126

COLMAR

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Galtier Expertises (SA)

Défendeur :

Georges

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Altenbach

Conseillers :

M. Poilane, Mme Lis-Schaal

Avocats :

Mes Bernard, Baum.

Cons. prud'h. Mulhouse, du 23 avr. 1997

23 avril 1997

Francis Georges a été embauché le 17 avril 1979 en qualité de collaborateur commercial par la société Expertises Galtier suivant un contrat écrit.

Par deux avenants du 21 mai 1986 et du 29 décembre 1988, ont été précisés les secteurs d'activité et les taux de commissions à appliquer sur les différents segments démarchés.

Constatant que la société Galtier avait engagé un autre collaborateur commercial sur son secteur, Francis Georges fait savoir à son employeur par courrier du 6 octobre 1994, qu'il s'interroge sur la finalité de cette embauche.

Le 26 octobre 1994, la direction lui répond en légitimant cette démarche par le fait qu'il ne se conforme pas au plan d'action commerciale de l'entreprise.

Suivant courrier du 5 mai 1994, Francis Georges prend l'initiative de constater la rupture de son contrat de travail du fait de l'employeur, à effet du 1er juin 1995.

Le 17 mars 1995, Francis Georges saisit la juridiction prud'homale de diverses demandes portant notamment sur les conséquences de la rupture imputable à l'employeur et sur la reconnaissance du statut de VRP.

Par jugement du 23 avril 1997, le conseil de prud'hommes de Mulhouse a :

- dit que M. Georges remplit les conditions prévues à l'article L. 751-1 du Code du travail pour bénéficier du statut de VRP,

- condamné la SA Galtier à payer 200 000 F de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- débouté la défenderesse de sa demande en dommages-intérêts pour non respect de la clause de non-concurrence et pour rupture abusive du contrat,

- avant dire droit :

* ordonné une expertise confiée à M. Pfleger pour évaluer le préjudice financier et obtenir des informations destinées à chiffrer les indemnités de préavis et de clientèle pour la période du 1er décembre 1989 au 1er juin 1995 limitée au secteur géographique défini par le contrat de travail et ses avenants.

Il est observé qu'en première instance, il a été procédé à l'audition de M. Georges et de M. Bissuel.

Le conseil de prud'hommes relève notamment que M. Georges prospectait les clients et se rendait chez eux; que son activité correspondait à un secteur défini avec une exclusivité et une rémunération préétablie ; que l'employeur ne conteste que l'exclusivité : qu'il y a eu une modification substantielle du contrat par l'employeur (appel à d'autres collaborateurs sur le secteur de M. Georges) ; que M. Bissuel confirme avoir commissionné d'autres collaborateurs sur les actions de M. Georges que n'a pas été mise en œuvre la procédure disciplinaire de l'article L. 122-41 du Code du travail.

Appel a été régulièrement formé le 26 mai 1997 par la SA Galtier de cette décision notifiée le 20 mai 1997.

Par conclusions d'appel des 26 mars 1998 et 8 décembre 1999 développées oralement à l'audience, la SA Galtier sollicite l'infirmation de la décision entreprise et demande à la cour de dire que M. Georges ne remplit pas les conditions légales et jurisprudentielles pour se voir reconnaître le statut de VRP et qu'il doit en conséquence être débouté de sa demande d'indemnité de clientèle et subsidiairement de voir chiffrer cette indemnité suivant les paramètres définis par l'employeur.

Elle fait valoir que :

- seules les conditions du contrat ont été modifiées ; la rupture est imputable à Francis Georges les commissions ont été payées et le salaire de juin 1995 a été versé,

- il y a lieu, reconventionnellement, de condamner Francis Georges à payer 330 000 F de dommages et intérêts pour violation de la clause de non-concurrence ainsi que 83 000 F pour le préavis non effectué outre 15 000 F au titre de l'article 700 du NCPC,

- M. Georges a refusé constamment de remplir ses obligations et s'est comporté comme un " indépendant " étant observé que ses compétences professionnelles n'ont pas été mises en cause,

- M. Georges ne remplit pas les conditions d'exclusivité exigées par le statut (gérant d'une SCI),

- subsidiairement, l'indemnité de clientèle sollicitée doit être réduite,

- il n'y a pas de modification du contrat de travail,

- il n'est pas dû de commissions à M. Georges (sauf 264 F) ; le salaire de juin 1995 a été réglé,

- M. Georges a violé la clause de non-concurrence (entrée au service du cabinet Roux) ; il y a non-respect du préavis (83 000 F).

Par conclusions en réplique du 14 octobre 1999 soutenues oralement à l'audience. Francis Georges sollicite à tire principal la confirmation de la décision entreprise sauf en ce qui concerne le quantum des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et l'article 700 du NCPC.

Il forme appel incident et sollicite la condamnation de la SA Galtier à lui payer la somme de 388 980 F à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse outre 20 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

Il fait valoir que :

- son statut correspond bien à celui de VRP dont il remplit l'ensemble des conditions (non-sédentarité-exclusivité-secteur-rémunération sur les ventes effectuées).

- il n'a jamais effectué d'acte de commerce parallèle (gérant non rémunéré d'une SCI à caractère privé),

- la rupture est bien imputable à l'employeur à qui il a adressé de multiples lettres de contestation (non-commissionnements, baisse arbitraire des taux, embauche d'autres collaborateurs sur son secteur),

- le salaire moyen mensuel servant de base aux demandes est de 32 415 F,

- l'indemnité de clientèle est souverainement fixée par le juge (sur cinq ans : 1 994 900 F).

Sur quoi LA COUR :

Vu la procédure, les pièces régulièrement versées aux débats et les écrits des parties auxquels il est référé pour plus ample exposé de leurs moyens et arguments :

I. Sur l'application du statut de VRP:

Il résulte des dispositions de l'article L. 751-1 du Code du travail que le statut professionnel de VRP doit être reconnu aux salariés dès lors qu'ils établissent qu'ils travaillent pour le compte d'ou ou plusieurs employeurs, qu'ils exercent en fait leur profession de représentant d'une façon exclusive et constante, qu'ils ne font effectivement aucune opération commerciale pour leur compte personnel et enfin qu'ils sont liées à leurs employeurs par des engagements déterminant la nature des prestations de service ou des marchandises offertes à la vente ou à l'achat, la région dans laquelle ils doivent exercer leur activité ou les catégories de clients qu'ils sont chargés de visiter, le taux des rémunérations. Il est relevé en l'espèce que Francis Georges, engagé par la SA Galtier suivant un contrat écrit en date du 17 avril 1979, accomplissait au sein de cette entreprise des activités d'inspecteur commercial. Au-delà de cette dénomination, il est établi par ce même contrat que Francis Georges a une fonction qui le met au contact d'une clientèle (article 2.2 du contrat du 17 avril 1979), celle-ci devant être développée à partir de l'existant, toute clientèle nouvelle procurant au salarié une rémunération supplémentaire définie contractuellement par un pourcentage spécifique. S'agissant de la clientèle et de son impact sur l'admission du statut au profit de Francis Georges, la cour note enfin qu'il était défini un secteur (Bas-Rhin et Haut-Rhin suivant avenants des 21 mai 1986 et 29 décembre 1988) et qu'il était prévu une clause de non-concurrence, sa fonction entrant pour l'ensemble de ces raisons dans le statut de VRP.

Pour contester l'attribution du statut de VRP à Francis Georges, la société Galtier invoque le fait que Francis Georges effectuerait des opérations commerciales pour son propre compte, en violation des dispositions contractuelles exigeant l'exclusivité et qu'il ne peut dès lors prétendre au statut. Il n'est pas contesté que Francis Georges a constitué une société civile immobilière dénommée GAIA qui est certes, conformément à la loi applicable, inscrite au registre du commerce, mais à travers laquelle il n'a fait aucune opération commerciale pour son compte personnel susceptible de remettre en cause l'application du statut de VRP. Il résulte d'ailleurs d'un acte de cession de parts de cette SCI à Francis Georges en date des 29, 30 septembre 1994 et 5 et 6 octobre 1994 que cette entité régie par le droit civil n'a jamais " effectué d'opérations commerciales de nature à assujettir la société à 1'impôt sur les sociétés ". Il a été ainsi décidé à bon droit par les premiers juges que Francis Georges, satisfaisait bien aux conditions de fond énoncées par l'article L. 751-1 du Code du travail. Le jugement est confirmé sur ce premier point.

Il. Sur l'imputabilité de la rupture:

Il est établi que malgré les difficultés rencontrées dans l'exécution du contrat de travail l'employeur n'a pas pris l'initiative de mettre en œuvre une procédure disciplinaire conformément aux dispositions de l'article L. 122-41 du Code du travail ou encore une procédure de licenciement.

En revanche, la SA Galtier a pris au fil du temps différentes mesures de nature à porter atteinte à des éléments essentiels du contrat de travail de Francis Georges auxquelles ce dernier a réagi d'une manière circonstanciée. C'est ainsi que par courrier du 5 mai 1995, Francis Georges informait son employeur qu'il entendait "constater la rupture" de son contrat de travail, en précisant: " rupture qui vous est entièrement imputable ". En préambule, dans ce même courrier, Francis Georges informe ainsi la SA Galtier: " Suite à mes nombreux courriers restés sans réponse, vous n'avez pas cru devoir renoncer aux modifications substantielles apportées unilatéralement à mon contrat de travail. " Il fait état des indemnités qui lui restent dues et de l'impossibilité dans laquelle il se trouve de poursuivre plus avant la relation de travail en faisant référence à la procédure prud'homale en cours (échec de la conciliation du 24 avril 1995) et indique que la rupture sera effective au 1er juin 1995.

A la suite de cette démarche clairement posée par Francis Georges, la SA Galtier répond le 18 mai 1995 par un courrier contestant l'analyse du salarié quant à la rupture tout en admettant que l'initiative aurait pu lui revenir et que si cela n a pas eu lieu, c'est en raison de sa " compétence professionnelle qui compense de façon positive (votre) manque de discipline et (votre) comportement systématiquement contestataire ". La SA Galtier fixera deux entretiens pour les 29 mai et 7 juin 1995, lesquels seront sans résultats. Enfin, un courrier du 1er juin 1995 contenant des reproches sur des insuffisances commerciales sera adressé à Francis Georges contenant proposition d'un nouveau contrat. Francis Georges répond le 8 juin 1995 en considérant que le contenu du contrat est inadmissible. La SA Galtier répond le 21 juin et prend acte de la rupture en l'imputant au salarié se référant à une lettre précédente de Francis Georges en date du 15 juin 1995 et retenant cette dernière date pour marquer la fin des relations contractuelles.

La Cour ne peut que constater que la SA Galtier reconnaît avoir dû procéder à des modifications " substantielles " du contrat de travail de Francis Georges pour des raisons auxquelles elle donne un caractère strictement disciplinaire puisqu'elle reconnaît que celui-ci était particulièrement compétent dans l'exercice de ses fonctions. C'est donc à juste titre que les premiers juges ont considéré qu'en prenant acte de la rupture du fait de l'employeur dont le comportement ne lui permettait plus d'exercer son activité dans le cadre contractuel originaire, Francis Georges a pu soutenir que cette rupture était exclusivement imputable à l'employeur qui a manifestement manqué à ses obligations.

Il est constant que la SA Galtier avait à sa disposition une procédure légale de type disciplinaire qui l'aurait amenée à expliciter ses griefs et à permettre un débat contradictoire sur ceux-ci ce qu'elle n'a pas choisi de faire. En conséquence, et sans qu'il soit nécessaire d'examiner chacun des manquements invoqués par Francis Georges, la rupture est exclusivement imputable à la SA Galtier et s'analyse en un licenciement illégitime dont les premiers juges ont à bon droit estimé qu'il devait être indemnisé par la somme de 200 000 F (soit arrondis 6 mois de salaire 32 x 415 x 6) à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article L. 122-14-4 du Code du travailoutre les intérêts au taux légal à compter de la décision entreprise qui est confirmée sur ce point.

L'appel incident de Francis Georges sur le quantum des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse afin que cette indemnisation soit portée à la somme de 388 980 F, soit la contre-valeur de douze mois de salaire sera rejeté ;

III. Sur les demandes de Francis Georges relatives à l'indemnisation de son préjudice financier (rappel de divers commissionnements), à l'indemnité compensatrice de préavis et à l'indemnité de clientèle :

Les réclamations de Francis Georges sur ces différents points s'appuient sur des éléments du chiffre d'affaires de la SA Galtier pour la période allant du 1er décembre 1989 au 1er juin 1995. En conséquence, il apparaît nécessaire que la mesure d'expertise ordonnée en première instance soit confirmée, la cour confirmant également les termes de la mission telle que définie par les premiers juges ainsi que les modalités d'exécution de la mesure.

IV. Sur les demandes reconventionnelles de la SA Galtier (clause de non-concurrence et indemnité compensatrice de préavis) :

La SA Galtier sollicite la condamnation de Francis Georges au paiement de la somme de 330 000 F à titre de dommages et intérêts pour violation de la clause de non-concurrence.

Sur ce point, les premiers juges ont à juste titre relevé que l'employeur ne rapportait pas la preuve de faits constitutifs d'une violation par Francis Georges de la clause de non-concurrence figurant dans son contrat de travail. En effet, c'est à tort que la SA Galtier invoque uniquement la " brusque rupture " de son contrat par Francis Georges et le fait qu'il ait été embauché par une société concurrente (cabinet Roux) pour faire jouer la clause de non-concurrence.

Il lui appartenait de démontrer en les matérialisant des infractions commises par le VRP dans le secteur défini par le contrat de travail rompu, ce que la société Galtier ne fait pas. Le jugement est confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de Francis Georges de ce chef.

La SA Galtier forme une demande en paiement d'une indemnité compensatrice de préavis à l'encontre de Francis Georges qu'elle fixe à 83 000 F (trois mois de salaire). Cette demande ne peut qu'être rejetée, comme elle l'a été en première instance, en l'état d'une rupture du contrat de travail dont l'imputabilité repose sur l'employeur. Le jugement est confirmé sur ce point.

V. Sur l'article 700 du NCPC et les dépens :

L'équité commande qu'il soit alloué à Francis Georges la somme de 4 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

La SA Galtier qui succombe est condamnée aux éventuels dépens d'appel.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, en dernier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi, Au fond : Sur l'appel principal, Confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions, Y ajoutant, Renvoie la procédure devant le premier juge pour qu'il soit statué, après exécution de la mesure d'expertise, sur le bien fondé de la demande de Francis Georges tendant à l'indemnisation de son préjudice financier (commissionnements, indemnité compensatrice de préavis, indemnité de clientèle), Déboute la société Galtier de ses demandes reconventionnelles en ce qui concerne l'indemnité compensatrice de préavis et les dommages et intérêts pour non respect de la clause de non-concurrence, Condamne la société Galtier à payer à Francis Georges la somme de 4 000 F (quatre mille francs) sur le fondement de l'article 700 du NCPC ; Sur l'appel incident Déboute Francis Georges de sa demande en majoration des dommages et intérêts pour licenciement illégitime, Condamne la SA Galtier aux éventuels dépens d'appel. et le présent arrêt a été signé par le président et le greffier présent au prononcé.