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Décisions

CA Paris, 5e ch. C, 19 mai 2000, n° 1998-12726

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

MD Microplus Distribution (SA)

Défendeur :

Métrobus Publicité (SA), de Thore (ès qual.), Boum & Bang (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Desgrange

Conseillers :

MM. Bouche, Savatier

Avoués :

SCP Bernabe-Ricard, SCP d'Auriac-Guizard, SCP Varin-Petit

Avocats :

Mes Cimadevilla, Sautelet, Garcia.

T. com. Paris, 4e ch., du 2 avr. 1998

2 avril 1998

Par contrat du 15 septembre 1993, la société Microplus, qui a pour objet social la vente et le service de matériels micro-informatiques, a donné mandat pour un an à la société Boum et Bang, agence de publicité, d'effectuer en son nom et pour son compte des opérations d'achat d'espaces publicitaires.

Le 21 juillet 1994 la société Boum et Bang a présenté à sa mandante un devis n° 2421 relatif à une campagne d'affichage dans le métro parisien du 14 au 28 septembre suivant, pour un prix total de 230 000 F HT.

La facture correspondante du 25 juillet 1994 a été entièrement acquittée par la société Microplus auprès d'une société d'affacturage Factorem subrogée dans les droits de l'agence de publicité.

Le 11 janvier 1995, après l'exécution de la campagne, la société Métrobus Publicité concessionnaire exclusif de la RATP sur l'ensemble de ses réseaux a sommé la société Boum et Bang, qui ne lui avait réglé que 30 000 F ainsi que la société Microplus, de lui payer la somme de 203 442,30 F; les trois traites ensuite acceptées par la société Boum et Bang et payables en mars, avril et mai 1995 sont revenues impayées.

Le 13 juin 1996 la société Boum et Bang a été mise en redressement judiciaire ; la société Métrobus a déclaré régulièrement une créance de 254 623,09 F TTC entre les mains de Maître de Thore, représentant des créanciers devenu mandataire liquidateur.

A défaut de paiement de la somme que son conseil a portée le 5 septembre 1995 à 265 939,76 F, intérêts de retard compris, la société Métrobus a assigné le 2 novembre 1995 les sociétés Boum et Bang et Microplus en paiement.

Par jugement du 2 avril 1998, le Tribunal de commerce de Paris a rejeté les moyens tirés par la société Microplus de la violation de la loi Sapin du 29 janvier 1993 et l'a condamnée à payer à la société Métrobus la somme de 233 000 F avec intérêts au taux conventionnel de 1,5 fois le taux légal à compter du 11 janvier 1995 sur la somme de 203 442,30 F, et une indemnité de 8 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; la créance de la régie au passif de la liquidation judiciaire de la société Boum et Bang a été fixée à 254 623,09 F en principal et à 26 443 F d'intérêts.

La société Microplus a interjeté appel de cette décision dont l'exécution provisoire a été exclue.

Après un rappel des dispositions d'ordre public de la loi Sapin destinée à moraliser la vie des affaires, la société appelante prétend s'exonérer de son obligation de payer le support publicitaire fondée sur les règles du mandat par la mauvaise foi de celui-ci, en concertation frauduleuse avec le mandataire.

Subsidiairement elle reproche à la société Métrobus des manquements à son devoir de conseil et d'information sur les incidents de paiement, qui l'ont empêchée de bloquer les paiements faits à la société Factorem; elle conclut en conséquence à la condamnation de la société Métrobus à lui payer 260 000 F de dommages-intérêts et 20 000 F pour procédure abusive.

Très subsidiairement, elle demande la suppression de la clause pénale.

En toute hypothèse, elle réclame 30 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Maître de Thore en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Boum et Bang, précise qu'à la suite de la clôture des opérations de liquidation pour insuffisance d'actif, sa mise hors de cause s'impose.

Il demande la condamnation de la société appelante à lui verser la somme de 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Métrobus-Publicité, qui conteste la concertation frauduleuse avec l'agence Boum et Bang, se prévaut en toute hypothèse de l'exécution de la campagne publicitaire dont a bénéficié la société Microplus et du mandat confié à son agence pour conclure à la confirmation du jugement déféré, sauf sur le quantum de la condamnation.

Elle forme appel incident pour obtenir la somme de 254 623,09 F avec intérêt au taux conventionnel prévu par l'article 3 du contrat qui la lie à la société Boum et Bang, à compter du 1er septembre 1994 sur la somme de 35 016 F et du 30 novembre 1994 sur la somme de 198 426,30F; elle réclame en outre 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société intimée conteste avoir omis de transmettre à l'annonceur la facture qu'elle a également adressée à l'agence, ou avoir pratiqué au profit de cette dernière une remise occulte.

Elle conclut qu'en toute hypothèse la sanction qui en découlerait pour elle ne peut être la perte du bénéfice du droit direct à l'égard de l'annonceur; elle souligne au contraire l'imprudence dont la société Microplus a fait preuve en payant une société d'affacturage qui n'aurait jamais dû acheter une créance incessible.

MOTIFS DE LA COUR

Considérant que l'article 20 de la loi du 29 janvier 1993 destiné à assurer la transparence dans les relations commerciales prévoit en matière de prestations de publicité que tout achat d'espace qui se réalise par une agence intermédiaire ne peut se faire que pour le compte de l'annonceur et dans le cadre d'un contrat écrit de mandat.

Que ce mandat fixe les conditions de rémunération du mandataire intermédiaire qui, selon l'article 21 de la même loi, ne peut recevoir aucune rémunération ou avantage quelconque de la part du vendeur des espaces.

Considérant qu'en application de cet article 20, la société Boum et Bang a reçu le 15 septembre 1993 pour un an mandat général de la société Microplus, afin de:

- négocier avec les supports-presse après approbation de Microplus,

- réserver les devis et les calendriers en accord avec le mandat,

- être destinataire de la facturation correspondante établie au nom de l'agence pour le compte du mandant dont un double (est) adressé directement par le support à l'annonceur,

- régler les supports et les fournisseurs pour le compte du mandant;

Qu'au terme de ce mandat, l'agence mandataire a été qualifiée de mandataire-ducroire, ce qui permet au support-vendeur d'espaces de bénéficier de deux débiteurs: le mandataire et le mandant;

Qu'enfin, ce même mandat a stipulé qu'"en rémunération des tâches d'achat d'espaces qu'il effectuera..., le mandataire conservera le tiers (soit 5 %) des remises professionnelles (15 % en général) accordées aux achats qui passent par un intermédiaire, sous la double condition qu'elles soient prévues dans le barème du support, et qu'elles figurent dans la facturation adressée au mandant par le support".

Considérant que, dans le cadre de ce mandat, la société Boum et Bang a soumis le 21 juillet 1994 à l'approbation de sa cliente mandante la société Microplus un devis de 230 000 F HT relatif à une campagne d'affichage prévue dans le métro du 14 au 27 septembre 1994; que ce devis qui a été accepté valait bon de commande;

Que la société Métrobus, vendeur des espaces de cette campagne, qui a reconnu avoir eu connaissance des termes du mandat-cadre du 15 septembre 1993 habilitant la société Boum et Bang à s'adresser à elle, a toujours affirmé n'avoir pas eu en sa possession le devis du 21 juillet 1994 dont elle aurait ignoré les termes;

Que par contrat du 22 juillet signé avec la société Boum et Bang où figurent ses conditions générales, elle a réservé pour le compte de la société Microplus divers emplacements publicitaires au prix net de 230 908 F HT, suivant détails qu'elle a très exactement repris le 25 juillet dans une facture qu'elle destinait à la fois à la société Microplus et à la société Boum et Bang, en conformité à l'article 20 de la loi de 1993 dont le dernier alinéa impose au vendeur d'espaces (ou support) de communiquer directement la facture à l'annonceur;

Que cette facture partait d'un tarif de 264 500 F, dont à déduire des abattements saisonniers et une remise de volume qui permettent d'adopter un prix HT de 230 908 F;

Qu'elle pratiquait sur ce prix une "remise de 15 %" (qui correspond à la remise professionnelle figurant dans les conditions du contrat de vente du 22 juillet), soit 34 636,20 F, ce qui laisse apparaître un prix à payer de 196 831,62 F HT, ou 233 442,30 F TTC;

Que, toujours selon cette facture, le prix était payable en deux fois: 35 016 F le 1er septembre 1994 ; 198 426,30 F le 30 novembre 1994.

Considérant que ce même jour 25 juillet 1994 la société Boum et Bang a envoyé à la société Microplus sa mandante une facture non-détaillée de 230 000 F HT, soit 272 780F, à régler directement entre les mains de Factorem, acquéreur de la créance par affacturage:

Que la société Microplus a honoré trois traites correspondant à cette facture entre novembre 1994 et janvier 1995;

Qu'elle n'affirme avoir jamais reçu la facture de la société Métrobus, et n'avoir appris que par sa lettre du 11 janvier 1995 les retards de paiement incombant à l'agence intermédiaire Boum et Bang;

Qu'elle soutient même que le détournement d'argent par la société Boum et Bang, dont elle a appris la défaillance définitive par une mise en demeure de la société Métrobus le 17 mai, puis le 6 juillet 1995, a été facilité par une collusion avec cette société pour transgresser les exigences de transparence stipulées par la loi Sapin.

Considérant que la société Microplus reproche à la société venderesse d'espaces de s'être entendue avec l'agence sur les conditions de la campagne et sur son paiement en l'excluant des pourparlers;

Que ce reproche est inopérant;

Qu'en vertu du mandat-cadre, et des conditions générales du contrat de vente d'agréer (article 2), la société Boum et Bang était en effet mandataire-ducroire, et avait reçu mission de régler le support pour le compte du mandant.

Considérant que la société Microplus soutient en second lieu que la société Métrobus, professionnel de la publicité, avait nécessairement connaissance du devis du 21 juillet, irrégulier à défaut de mention de la rémunération convenue;

Qu'en établissant alors une facture détaillée de 233 442,30 F TTC datée du 25 juillet 1994, en termes différents de celle émise le même jour par la société Boum et Bang de 272 780 F TTC sans détail, ceci sans en aviser l'annonceur, la société Métrobus aurait couvert illégalement la fraude de l'agence; qu'elle lui aurait fait même bénéficier d'une commission non-répercutée sur l'annonceur et supérieure au 1/3 convenu dans le mandat.

Considérant que la société Métrobus, tout en niant avoir eu connaissance du devis illégal du 21 juillet 1994, omet de produire aux débats les ordres reçus de la société Boum et Bang, et n'explique pas alors comment elle a pu établir le détail de la campagne tel qu'il est spécifié dans ce devis: durée d'affichage (14 jours), quantité des panneaux (365), format des affiches, etc.;

Que de surcroît la société Métrobus n'apporte pas la preuve qui lui incombe de l'envoi à l'annonceur la société Microplus exigé par la loi de sa facture du 25 juillet 1994, envoi auquel cette dernière n'aurait pas manqué de réagir en comparant cette facture avec celle de la société Boum et Bang;

Que le seul témoignage, rédigé en termes très généraux de son directeur général Monsieur Olivier Kaplan, ne saurait suffire à apporter cette preuve;

Que la société Microplus dont les attestations émanent certes de personnes tout aussi suspectes de partialité en raison des liens de subordination qu'elles entretiennent avec elle, fournit des éléments de procédure d'enregistrement de ses courriers qui accréditent davantage ses dénégations sur la réception de la facture litigieuse.

Considérant que la société Métrobus, à défaut de preuve du respect par ses soins des exigences de l'article 20 de la loi Sapin, doit être sanctionnée par une compensation du montant de sa facture impayée avec la remise de 34 636,20 F HT correspondant à 15 % qu'elle a illégalement consentie à la société Boum et Bang sans répercussion possible à hauteur des 2/3 du bénéfice de la société Microplus;que c'est ainsi à bon droit que le tribunal a soustrait de la créance du support la part de remise correspondante de 21 622,98 F portée, TVA incluse, à 25 242,86 F;

Qu'en revanche la société Microplus ne saurait déduire du seul défaut de réception de ladite facture une concertation frauduleuse entre les deux professionnels de la publicité.

Considérant que la société Microplus est fondée au demeurant à reprocher à la régie de publicité,sous couvert du large mandat dont était investie la société Boum et Bang par ailleurs ducroire, d'avoir omis de la tenir informée des difficultés de paiement rencontrées avec cette société;

Qu'à défaut de connaissance des délais de paiement initialement négociés et figurant sur la facture de la société Métrobus, (solde à payer le 30 novembre 1994 de 198 426,30 F) la société Microplus n'a pu en effet en contrôler le respect par la société Boum et Bang;que la société Métrobus, dans ses courriers de demande de paiement adressés à la société Microplus les 11 janvier et 17 mai 1995, ne l'a jamais informée qu'elle avait déjà consenti à l'agence un rééchelonnement de sa dette;

Que la première lettre d'avertissement du 11 janvier 1995 se réfère certes à un précédent courrier; que la société Métrobus est toutefois dans l'incapacité de justifier d'une précédente information de l'annonceur;

Qu'ainsi à la date du 30 novembre 1994, la société Microplus n'avait encore payé à la société Factorem que la somme de 72 780 F;qu'informée rapidement du retard de la société Boum et Bang, elle aurait pu s'opposer au paiement des deux traites de 100 000 F dont les échéances du 10 décembre 1994 et 10 janvier 1995 étaient elles-mêmes antérieures à la première lettre d'avertissement de la société Métrobus du 11 janvier 1995.

Considérant que la société Métrobus, qui ne justifie pas davantage avoir rendu compte directement à l'annonceur dans le mois suivant la campagne publicitaire des conditions de son déroulement, comme le lui prescrit l'article 23 de la loi Sapin, peut cependant utilement soutenir qu'elle a normalement exécuté sa prestation de publicité, et que l'annonceur n'émet aucune critique sérieuse sur la qualité de celle-ci;

Que la seule attestation du directeur technique de la société Métrobus ne saurait au surplus suffire à prouver que la lettre du 19 septembre 1994 à l'attention de la société Boum et Bang a été portée à la connaissance de l'annonceur; qu'au demeurant cette lettre ne rend pas compte de modifications sensibles dans le déroulement de la campagne en cours;

Que la régie publicitaire reproche en revanche à l'annonceur d'avoir payé la société d'affacturage, et d'avoir pris des risques de détournement de fonds en consentant à l'agence les pouvoirs les plus larges, notamment celui de payer le support, perdant ainsi le contrôle des paiements de la campagne.

Mais considérant que la société Microplus, qui n'est pas professionnelle de la publicité, pouvait légitimement ignorer que les sommes qu'elle aurait du verser à la société Boum et Bang devaient être déposées sur un compte tiers, et que la créance de cette agence n'était donc pas cessible à un facteur;

Qu'au demeurant, rien ne permet d'affirmer que la qualité de mandataire-ducroire de la société Boum et Bang n'exonérait pas cette dernière de son obligation de dépôt en compte de tiers, et que sa facture restait incessible;

Qu'enfin la société venderesse d'espaces ne pouvaient trouver qu'avantage dans la formule du mandat suggérée par la société Boum et Bang à sa cliente, et intégrait même ce bénéfice de deux débiteurs dans ses conditions générales de vente (article 2).

Considérant en conséquence que l'opacité entretenue par la société Métrobus dans les conditions de paiement consenties à l'agence a généré pour l'annonceur la perte du montant des deux traites non encore échues au 30 novembre 1994;

Que la société Métrobus en sera sanctionnée par la compensation de sa créance avec des dommages-intérêts d'un montant de 200 000 F égal à celui des traites qu'elle a payées à la société Factorem dans l'ignorance des difficultés rencontrées par le support avec l'agence intermédiaire.

Considérant que le comportement irrégulier de la société Métrobus lui interdit de réclamer pour le solde minime restant dû de sa créance un intérêt conventionnel manifestement excessif de 1,5 fois le taux légal;

Que l'intérêt au taux légal qui assortira la condamnation de la société Microplus commencera à courir à compter du présent arrêt;

Que l'équité commande que chaque partie conserve la charge de ses frais irrépétibles de défense.

Par ces motifs, LA COUR, Infirmant le jugement du 2 avril 1998 et statuant à nouveau ; Fixe la créance de la société Métrobus Publicité sur la société Microplus à 233 442,30 F, montant de sa facture du 25 juillet 1994; Fixe la créance de la société Microplus sur la société Métrobus Publicité, à titre de dommages-intérêts, à la somme de 225 242,86 F; Ordonnance la compensation ; Condamne la société Microplus à payer à la société Métrobus Publicité la somme de 8 199,44 F avec intérêts au taux légal à compter de la signification du présent arrêt; Déboute les parties de toutes leurs autres demandes complémentaires ou contraires; Confirme le jugement du 2 avril 1998 sur le montant de la créance de la société Métrobus Publicité produite au passif de la société Boum et Bang; Condamne la société Métrobus Publicité aux dépens de première instance et d'appel ; Admet la SCP Bernabé Chardin, avoué, au droit de recouvrement direct dans les conditions prévues par l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.