CCE, 28 juin 1996, n° M.756
COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Décision
Crédit Agricole/Banque Indosuez
LA COMMISSION DES COMMUNAUTES EUROPEENNES,
1. La notification mentionnée en objet a été reçue par la Commission le 24 mai 1996. Elle concerne l'entrée de la Caisse Nationale de Crédit Agricole dans le capital de la Banque Indosuez à hauteur de 51 %.
2. Après examen de cette notification, la Commission a abouti à la conclusion que l'opération notifiée entre dans le champ d'application du règlement du Conseil n° 4064-89 et ne soulève pas de doute sérieux quant à sa compatibilité avec le Marché commun.
I. LES PARTIES
3. La Caisse Nationale de Crédit Agricole (CNCA) est un établissement de crédit français actif dans les domaines bancaire, du placement et de la bourse, de l'assurance, des prises de participation et des prestations de services financiers. Elle est également l'organe central du réseau Crédit Agricole, dont les 60 Caisses Régionales sont ses actionnaires.
4. La Compagnie de Suez (Suez) est une société holding française dont les activités se répartissent entre la banque, l'assurance, l'industrie, les services et l'immobilier. Sa filiale à 100 %, la Banque Indosuez (Indosuez), est un établissement de crédit qui se concentre sur trois secteurs : les marchés financiers, l'investissement et le crédit notamment en vue de financements complexes.
II. L'OPERATION
5. Elle consiste en l'acquisition par la CNCA de 51 % du capital d'Indosuez, au moyen d'une cession d'actions détenues par Suez qui conserve 45 % du capital d'Indosuez. De plus, dans le cadre des dispositions des accords conclus, Suez a consenti irrévocablement à la CNCA une promesse de vente et la CNCA une promesse d'achat portant sur environ 29 % du capital. Ces promesses pourront être mises en œuvre dès le 1er juillet 1997 et jusqu'au 30 septembre 1999. De manière similaire, le solde du capital que détiendrait alors Suez (environ 16 %) pourra être cédé au cours d'une deuxième période allant du 1er janvier 2000 au 31 décembre 2012.
III. CONCENTRATION
Contrôle conjoint :
6. Suite à l'opération notifiée, Indosuez sera contrôlée conjointement par la CNCA et par Suez. En effet, la convention d'actionnaires conclue entre les parties prévoit une répartition des sièges au sein du conseil d'administration au prorata des participations respectives de la CNCA et de Suez. De plus, les décisions importantes devront être prises avec l'accord des deux parties. [Supprimé pour secret d'affaires, éléments concernant la description du contrôle conjoint].
Absence de coordination du comportement concurrentiel :
7. Bien que le groupe Suez reste marginalement actif sur certains marchés de la Banque Indosuez dont le CNCA acquiert le contrôle conjoint, l'opération n'aura pas pour objet ou pour effet une coordination du comportement concurrentiel des entreprises mères de nature à entraîner une restriction sensible de concurrence.
8. Sur le marché des services bancaires et financiers aux entreprises, en France, Suez est présent à travers ses filiales la Banque Monod, et la Générale de Banque (plus précisément à travers les filiales françaises de cette dernière : Banque Parisienne de Crédit et Banque Régionale du Nord). Le CNCA, à travers sa filiale Unicrédit et les Caisses Régionales du Crédit Agricole, est également actif sur ce marché.
9. Sur le marché de la gestion d'actifs pour compte de tiers en France, Suez est présent à travers Fimagest, filiale française de la Générale de Banque; le CNCA par l'intermédiaire des Caisses Régionales du Crédit Agricole, exerce le même type d'activité.
10. La Générale de Banque et le CNCA sont aussi présents sur les activités d'opération de change, d'opérations sur les marchés monétaires et d'opérations sur produits dérivés qui sont des marchés de dimension mondiale.
11. Toutefois, dans ces différents domaines, les activités exercées par les entreprises mères ne revêtent pas un caractère suffisamment significatif pour qu'il y ait lieu de conclure à un risque de coordination susceptible d'entraîner une restriction sensible de concurrence. Dès lors, l'opération doit être considérée comme étant de nature concentrative.
IV. DIMENSION COMMUNAUTAIRE
12. Le chiffre d'affaires [calculé conformément à l'article 5 paragraphe 3 du règlement] total réalisé sur le plan mondial par l'ensemble des entreprises concernées représente un montant supérieur à 5 milliards d'Ecus (CNCA : 25 110 milliards d'Ecus; SUEZ : 14,735 milliard d'Ecus). Le chiffre d'affaires réalisé individuellement dans la Communauté par au moins deux des entreprises concernées représente un montant supérieur à 250 millions d'Ecus (CNCA : 22 913 millions d'Ecus; SUEZ : 12 798 millions d'Ecus). La CNCA réalise plus des deux tiers de son chiffre d'affaires total dans la Communauté à l'intérieur d'un seul Etat membre (85,6 % en France), toutefois Suez ne réalise pas plus des deux tiers de son chiffre d'affaires total dans la Communauté à l'intérieur de cet Etat membre. La concentration est donc de dimension communautaire au sens de l'article premier du règlement.
V. COMPATIBILITE AVEC LE MARCHE COMMUN
Marchés de produits en cause
13. Les parties notifiantes définissent diverses activités bancaires sur lesquelles le Crédit Agricole et Indosuez sont présents : services financiers aux particuliers "haut de gamme", conseils en matière d'investissements, services bancaires et financiers aux entreprises, financements complexes d'actifs (projets), opérations de change, gestion d'actifs pour le compte de tiers, opérations sur les marchés monétaires, opérations sur produits dérivés, opérations sur titres de fonds propres, opérations sur titres de dette hors marchés monétaires.
14. La Commission a déjà défini dans des décisions antérieures certaines des activités suivantes : banque d'affaires et activités de conseil [IV-M.597 Swiss Bank Corporation/S.G. Warburg], services bancaires et financiers aux entreprises, opérations de change [IV-M.319 BHF/CCF/Charterhouse], gestion d'actifs pour le compte de tiers [IV-M.357 Commerzbank/CCR], opérations sur les marchés monétaires [IV-M.597 Swiss Bank Corporation/SG Warburg](3), opérations sur produits dérivés [IV-M.597 Swiss Bank Corporation/SG Waburg], opérations sur titres de fonds propres [IV-M.319 BHF/CCF/Charterhouse](4), opérations sur titres de dette hors marchés monétaires [IV-M.319 BHF/CCF/Charterhouse](4). Pour les besoins de l'appréciation de l'impact concurrentiel de l'opération, il n'y a pas lieu de modifier ces précédentes définitions.
15. S'agissant des services financiers "hauts de gamme" (gestion de fortunes), ils s'adressent à une clientèle de particuliers fortunés qui désirent des conseils financiers et fiscaux ainsi qu'une gestion personnalisée de portefeuille. Cette clientèle est composée principalement de résidents mais également de non résidents qui souhaitent une diversification internationale de leur portefeuille.
16. Les financements complexes d'actifs consistent à assurer le montage du financement d'actifs importants (supérieurs à 100 millions de dollars) tels que les aéronefs, les navires et les grands projets en particulier dans les secteurs de la pétrochimie, l'électricité, le traitement des eaux, les télécommunications et les infrastructures. Ces projets conduisent les banques à monter des syndicats bancaires internationaux afin de diluer les risques encourus.
17. Il n'est toutefois pas nécessaire de définir de manière plus précise ces activités car l'opération ne conduira ni à la création ni au renforcement d'une position dominante sur la base du marché le plus étroit retenu.
Marché géographique
18. La question du marché géographique pertinent peut rester ouverte en ce qui concerne les divers services aux particuliers et aux entreprises c'est-à-dire au cas présent : les services financiers aux particuliers "haut de gamme", la banque d'affaires et les activités de conseil, les services bancaires et financiers aux entreprises, la gestion d'actifs pour le compte de tiers, les opérations sur titres de fonds propres et les opérations sur titres de dette hors marchés monétaires. En effet, quelle que soit la dimension géographique de ces marchés, l'opération ne saurait conduire à la création ou au renforcement d'une position dominante.
19. S'agissant des activités liées aux marchés financiers et monétaires (au cas présent les opérations de change, les opérations sur marchés monétaires et les opérations sur produits dérivés), la Commission a déjà conclu qu'elles avaient une dimension internationale bien que ces services soient le plus souvent rendus à des clients locaux. La définition géographique peut rester ouverte puisque l'opération ne saurait conduire à la création ou au renforcement d'une position dominante même si une dimension nationale est retenue.
Appréciation
20. Après l'opération, les parts de marché additionnées du Crédit Agricole (CNCA et Caisses Régionales du Crédit Agricole), de Suez et d'Indosuez ne dépasseront pas 15% pour chacune des activités. Ainsi, pour les services qui s'exercent principalement au niveau national, les positions cumulées des parties seront en France de :
- services aux particuliers "haut de gamme" : [Secret d'affaires, entre 2 et 7 %],
- banque d'affaires et activités de conseil : [ Secret d'affaires, entre 5 et 15 %],
- services bancaires et financiers aux entreprises : [Secret d'affaires, entre 5 et 15 %],
- financements complexes d'actifs : 10 % au maximum selon la nature des projets,
- gestion d'actifs pour le compte de tiers : [Secret d'affaires, entre 5 et 15 %],
- opérations sur titres de fonds propres : [Secret d'affaires, entre 5 et 15 %],
- opérations sur titres de dette hors marchés monétaires :[Secret d'affaires, entre 5 et 15 %]). Pour les services de dimension internationale les positions cumulées s'élèveront à :
- opérations de change : 1 % du marché mondial,
- opérations sur les marchés monétaires : 1 % du marché mondial,
- opérations sur produits dérivés : parts de marché variant selon les produits, maximum 3,4 % du marché mondial.
21. Les parts de marché ci-dessus ne sauraient être constitutives d'une position dominante compte tenu du nombre et de l'importance des intervenants dans chacune de ces activités :
- services aux particuliers "haut de gamme" : Société Générale, BNP, Crédit Lyonnais, Paribas ;
- banque d'affaires et activités de conseil : Lazard Frères et Cie, Rothschild et Cie, Société Générale, BNP ;
- services bancaires et financiers aux entreprises : filiales grandes banques de réseaux et Cie Bancaire ;
- financements complexes d'actifs : Barclays, Deutsche Bank, Nat West et principales banques françaises ;
- opérations de change : Citibank, Chase Manhattan, UBS, Deutsche Bank et SBC Warburg ;
- gestion d'actifs pour le compte de tiers : Caisse des Dépôts et Consignations, Société Générale, BNP, Crédit Lyonnais, Paribas et CCF ;
- opérations sur les marchés monétaires : Caisse des Dépôts et Cosignations, Société Générale, BNP, Crédit Lyonnais, Paribas et CCF ;
- opérations sur produits dérivés : JP Morgan, Citibank, Chase Manhattan, Deutsche Bank et Bankers trust ;
- opérations sur titres de fonds propres : Société Générale, BNP, Crédit Lyonnais, Paribas et CCF ;
- opérations sur titres de dette hors marchés monétaires : BNP, Caisse des Dépôts et Consignations, Société Générale et Crédit Lyonnais.
22. Du fait des parts de marché et de la présence de concurrents puissants, aucune création ou aucun renforcement de position dominante n'est donc à craindre.
VI. CONCLUSION
23. Compte tenu de ce qui précède, la Commission a décidé de ne pas s'opposer au projet de concentration et de la déclarer compatible avec le Marché commun et l'Espace économique européen.
24. La présente décision est adoptée au titre de l'article 6 paragraphe 1 lettre b) du règlement n° 4064-89 ainsi qu'au titre de l'article 17 de l'accord sur l'Espace économique européen.