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Décisions

CJCE, 17 janvier 1980, n° 792-79 R

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

Camera Care Ltd

Défendeur :

Commission des communautés européennes

CJCE n° 792-79 R

17 janvier 1980

LA COUR,

1 La requérante, Camera Care Ltd, dont le siège est à Belfast (Irlande du Nord), exploite au Royaume-Uni une entreprise de réparation, de location et de vente de matériel photographique professionnel. Le 26 juin 1979, elle a introduit auprès de la Commission une plainte, en vertu de l'article 3 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962 (JO, p. 204 ), contre les sociétés Hasselbad (GB) Ltd, avec siège à Wembley, au Royaume-Uni, et Victor Hasselblad a/b avec siège à Goteborg en Suède (ci-dessous appelées 'hasselbad'), pour atteinte aux dispositions des articles 85 et 86 du traité CEE.

2 La requérante se plaint de la dénonciation, par Hasselblad, du contrat d'approvisionnement qui avait existé jusque-là entre parties et du refus de livraison d'appareils photographiques et de pièces de rechange à la suite de cette rupture. Elle allègue qu'en raison du système d'accords entre Hasselblad et ses distributeurs, elle se trouverait dans l'impossibilité de se procurer des appareils ou des pièces de rechange auprès d'autres intermédiaires et qu'ainsi, son activité de vente d'entretien serait mise en péril. En conclusion de sa plainte, la requérante a demandé à la Commission de prendre une décision provisoire ordonnant à Hasselblad de reprendre ses livraisons aux prix et conditions usuels.

3 Le 27 août 1979, les services de la direction générale de la concurrence ont donné une réponse d'attente à la requérante, dans laquelle ils déclarent qu'ils ont communiqué aussitôt la plainte à Hasselblad, en demandant ses observations, et qu'ils poursuivent leur enquête. Cette lettre se termine par les phrases suivantes : " je regrette de ne pouvoir donner suite à votre demande de prendre des mesures provisoires. Il n'existe pas de base juridique dans le droit communautaire pour une telle procédure ".

4 En présence du refus, par les services de la Commission, de prendre des mesures provisoires, la requérante a introduit, le 5 novembre 1979, un recours fonde simultanément sur l'article 173 et l'article 175 du traité, visant à obtenir soit l'annulation de la communication susvisée, soit la constatation, par la Cour, du fait que la Commission a violé le traité en s'abstenant de déférer à la demande visant à l'obtention des mesures demandées.

5 Par requête en référé introduite le même jour, en vertu de l'article 186 du traité, la requérante demande à la Cour d'adresser d'urgence une injonction à la Commission, ordonnant à celle-ci de prendre à l'égard de Hasselblad toute décision appropriée ou, alternativement, d'instituer elle-même des dispositions d'urgence.

6 Dans ses observations écrites, présentées au sujet de la requête en référé, la Commission a exprimé des doutes sur la recevabilité du recours principal. En même temps, elle fait cependant connaître que des mesures provisoires lui paraîtraient éventuellement justifiées à ce stade. Bien qu'elle croie disposer des pouvoirs nécessaires à cet effet, elle ne voudrait pas, en l'absence de prévisions explicites à ce sujet dans le règlement n° 17, prendre des dispositions de sa seule autorité et prie en conséquence la Cour de trancher au préalable cette question de principe.

7 Par ordonnance du 26 novembre 1979, le Président de la Cour a, en vertu de l'article 85, alinéa 1, du règlement de procédure, déféré à la Cour la décision sur la demande en référé.

8 Par requête du 10 décembre 1979, les sociétés Hasselblad ont demandé à être admises à intervenir tant à l'affaire principale qu'à la procédure en référé. Cette intervention a été acceptée par la Cour, par ordonnance du 12 décembre 1979.

9 Les parties ont été entendues en leurs explications orales le 9 janvier 1980 sur la qualification du recours.

10 En raison du doute qui existe au sujet de la nature juridique de la communication des services de la Commission, qui est à l'origine du litige, la requérante a introduit son recours simultanément sur base de l'article 173 et de l'article 175 du traité CEE. Bien que cette double qualification du recours ne puisse pas être maintenue en vue de l'arrêt au fond, il n'apparaît pas nécessaire de résoudre cette question au stade actuel.

11 En effet, quelle que soit la qualification du recours, en cas de succès de celui-ci, la Commission serait invariablement tenue, en vertu de l'article 176 du traité, de " prendre les mesures que comporte l'exécution de l'arrêt de la Cour de justice ". Or, les deux recours visent le même objet en ce sens qu'il importe à la requérante d'obtenir que la Commission soit amenée à prendre les mesures provisoires qu'elle réclame.

Sur la compétence de la Commission de prendre des mesures provisoires

12 Les hésitations manifestées par la Commission résultent du fait que le règlement n° 17 ne confère pas expressément à la Commission, lorsqu'elle est saisie de plaintes en vertu de l'article 3 du règlement, ou lorsqu'elle procède d'office en vertu de la même disposition, le pouvoir de prendre des mesures provisoires en attendant qu'elle soit en état de statuer sur le fond.

13 Il est rappelé que l'article 3, paragraphe 1, du règlement dispose que " si la Commission constate, sur demande ou d'office, une infraction aux dispositions de l'article 85 ou de l'article 86 du traité, elle peut obliger par voie de décision les entreprises intéressées à mettre fin à l'infraction constatée ". Aux termes du paragraphe 2, " sont habilités à présenter une demande à cet effet :

a) les Etat membres,

b) les personnes physiques ou morales qui font valoir un intérêt légitime ". Le paragraphe 3 du même article ajoute que la Commission peut, avant de prendre la décision visée au paragraphe 1, " adresser aux entreprises intéressées des recommandations visant à faire cesser l'infraction ".

14 On ne saurait méconnaître le besoin qu'il peut avoir, dans certaines circonstances, à voir instituer des mesures conservatoires, lorsque les pratiques de certaines entreprises en matière de concurrence ont pour effet de léser les intérêts de certains Etats membres, de porter préjudice à d'autres entreprises, ou de mettre en cause de manière inacceptable l'ordre concurrentiel de la Communauté. Il s'agit, dans des circonstances de ce genre, d'éviter qu'au cours de l'instruction, des dommages irréparables soient causés auxquels il ne pourrait plus être remédié par la décision que la Commission sera amenée à prendre au terme de la procédure administrative.

15 S'il est vrai que, dans la perspective tant de l'efficacité du droit de la concurrence que de la protection des intérêts légitimes des Etats membres ou des entreprises concernées, l'instauration de mesures conservatoires parait nécessaire dans certaines circonstances, il s'agit encore d'examiner si les dispositions du règlement n° 17 permettent de faire droit à ce besoin juridique.

16 Il y a lieu de faire remarquer à ce sujet que l'article 3 du règlement confié à la Commission, en vue d'obtenir la cessation des infractions qu'elle constate, l'usage de deux moyens d'action : d'une part, la Commission peut prendre des " décisions " qui, selon l'article 189 du traité, sont obligatoires pour les destinataires et qui, aux termes des articles 15 et 16 du règlement n° 17, peuvent être assorties d'amendes et d'astreintes ; d'autre part, avant de prendre une décision obligatoire, la Commission a toujours, aux termes de l'article 3, paragraphe 3, la faculté d'adresser aux entreprises intéressées " des recommandations visant à faire cesser l'infraction ". Cette dernière disposition a pour objet de permettre à la Commission d'indiquer aux entreprises intéressées son appréciation de la situation au regard du droit communautaire en vue de les amener à se conformer à ce point de vue sans contrainte juridique immédiate. Elle ne saurait cependant être interprétée comme limitant les modalités d'exercice du pouvoir de décision qui constitue l'élément central de l'article 3.

17 Quant au droit de décision conféré à la Commission par l'alinéa 1 de cet article, il importe qu'il puisse être exercé de la manière la plus efficace et la mieux appropriée aux circonstances de chaque situation donnée. A cet effet, on ne saurait exclure la possibilité que l'exercice du droit de décision conféré à la Commission soit articulé en des phases successives, de manière qu'une décision constatant une infraction puisse être précédée de toutes dispositions préliminaires qui peuvent paraître nécessaires à un moment donné.

18 Dans une telle perspective, la Commission doit pouvoir prendre aussi, dans le cadre du contrôle que lui confient, en matière de concurrence, le traite et le règlement n° 17, des dispositions conservatoires, dans la mesure ou celles-ci pourraient paraître indispensables en vue d'éviter que l'exercice du droit de décision prévu par l'article 3 ne finisse par devenir inefficace, ou même illusoire, en raison de l'action de certaines entreprises. Les compétences que la Commission tient de l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 17, comprennent, dès lors, celle de prendre les dispositions provisoires indispensables pour lui permettre d'exercer de manière efficace ses fonctions et, en particulier, pour garantir l'effet utile des décisions éventuelles visant à obliger les entreprises à mettre fin aux infractions constatées.

19 Toutefois, la Commission ne pourrait prendre de telles mesures sans avoir égard aux intérêts légitimes de l'entreprise concernée par celles-ci. Il importe, pour cette raison, que des mesures provisoires ne soient prises qu'en cas d'urgence établie, en vue de parer à une situation de nature à causer un préjudice grave et irréparable à la partie qui en demande l'institution, ou intolérable pour l'intérêt général. Il convient encore que ces mesures soient de caractère intérimaire et conservatoire, et qu'elles restent limitées à ce qui est nécessaire dans la situation donnée. En les instaurant, la Commission est tenue de respecter les garanties essentielles assurées aux parties concernées par le règlement n° 17, notamment par l'article 19 de celui-ci. Il faut, enfin, que les décisions soient prises dans une forme telle qu'elles soient susceptibles de recours devant la Cour de justice par toute partie qui se considérerait comme lésée.

20 Ainsi que la Président de la Cour l'a affirme, dans le cadre du traité CECA, par son ordonnance en référé du 22 octobre 1975 dans l'affaire 109-75 R (National Carbonising Company, recueil p. 1193), il est conforme aux principes de structure de la Communauté que les dispositions provisoires éventuellement nécessaires soient prises par l'institution communautaire chargée de recevoir les plaintes des gouvernements ou des particuliers, de procéder aux enquêtes et de prendre les décisions au regard des infractions constatées, le rôle de la Cour de justice consistant à exercer le contrôle judiciaire des actions de la Commission en la matière. A cet égard, les droits des justiciables sont protégés par le fait qu'au cas ou des mesures provisoires décidées par la Commission porteraient atteinte aux intérêts légitimes de toute partie concernée, celle-ci aurait toujours la possibilité, par les moyens judiciaires appropriés, d'obtenir la révision de la décision prise, en ayant recours, le cas échéant, à des mesures d'urgence en vertu de l'article 185 ou de l'article 186 du traité CEE.

21 Il résulte de ces considérations que la Commission dispose des pouvoirs nécessaires en vue de faire droit à la demande de la requérante, si elle estime qu'en l'occurrence cette demande est justifiée. Il y a donc lieu de renvoyer la requérante à la Commission pour que celle-ci, sans préjudice des droits et intérêts de la partie concernée par la plainte, statue sur la demande visant à l'obtention de mesures provisoires dans les conditions ci-dessus précisées.

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant en référé, ordonne :

1) il appartient à la Commission de décider, en vertu de l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 17, s'il y a lieu de prendre des mesures provisoires à la suite de la demande introduite par la requérante. Pour le surplus, les demandes de la requérante sont rejetées.

2) les dépens sont réservés.