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Décisions

CJCE, président, 29 septembre 1982, n° 229-82 R

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

Ford Werke AG, Ford of Europe Incorporated

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Avocats :

Mes Collins, Crossick

CJCE n° 229-82 R

29 septembre 1982

LA COUR,

1 Par circulaire du 27 avril 1982, Ford Werke AG a informé ses distributeurs Ford allemands, qu'elle n'accepterait plus, après le 1er mai 1982, des commandes de véhicules à conduite à droite (ci-après CAD) que ces distributeurs pourraient lui transmettre, et que le " visit Europe plan " n'était maintenu que pour des véhicules à conduite à gauche. La Commission a estimé que cette circonstance l'empêcherait de réserver une suite favorable à la demande de déclaration négative ou d'exemption au sens de l'article 80, paragraphe 3, du traité CEE, dont elle a été saisie en 1976 par Ford Werke AG à l'occasion de la notification que celle-ci a faite du Haupthandler-Vertrag qui la lie à des distributeurs allemands. Dans le cadre de l'examen de cette demande, elle a pris, le 18 août 1982, une décision intérimaire obligeant Ford Werke AG à reprendre les livraisons des voitures visées par la circulaire. Ford Werke AG et Ford of Europe Inc. ont introduit, l'une et l'autre, un recours en annulation de cette décision, et ont demandé par voie de référé que l'exécution en soit suspendue.

2 Les demandes dans les affaires 228-82-R, Ford of Europe Incorporated/Commission des communautés européennes, et 229-82-R, Ford Werke AG/Commission des communautés européennes, concernent les mêmes objets, et il y a, dès lors, lieu de les joindre et de statuer à leur égard par une même ordonnance.

3 Selon l'article 185 du traité, les recours formes devant la Cour de justice n'ont pas d'effet suspensif. La Cour peut toutefois, ainsi qu'il ressort de la même disposition combinée avec l'article 83, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, si elle estime que les circonstances l'exigent, ordonner le sursis à l'exécution des actes attaqués. Elle peut également, en vertu de l'article 186 du traité, prescrire les mesures provisoires nécessaires.

4 Il résulte de la jurisprudence constante de la Cour que des mesures de ce genre ne sauraient être prises en considération que si les circonstances de fait et de droit invoquées pour les obtenir justifient, à première vue, leur octroi. Il faut, en outre, qu'elles soient urgentes en ce sens qu'il est nécessaire qu'elles soient édictées et sortent leurs effets dès avant la décision du juge sur le fond pour éviter que la partie qui les sollicite ne subisse un préjudice grave et irréparable. Il faut enfin qu'elles soient provisoires en ce sens qu'elles ne préjugent pas de la décision au fond.

5 A l'appui de leurs demandes, les requérantes font en substance valoir que celles-ci seraient justifiées:

- parce que la décision attaquée manquerait de base légale;

- parce que son exécution, avant que la Cour ne se soit prononcée sur les recours au principal, serait de nature à leur causer un préjudice grave et irréparable.

A - En ce qui concerne la demande de sursis introduite par Ford Werke AG

6 La décision attaquée au principal a été édictée à titre de mesure provisoire dans le cadre de l'examen par la Commission de la suite à donner à la notification qui a été faite en 1976 du contrat de distribution qui lie Ford Werke AG à ses distributeurs en République fédérale, et de la demande concomitante visant à l'obtention soit d'une déclaration négative soit d'une exemption au sens de l'article 85, paragraphe 3.

7 Ce contrat porte sur la distribution des voitures Fiesta, Escort, Taunus, Capri et Granada de la gamme Ford. Bien que les parties soient en désaccord sur le point de savoir si le contrat concerne également les voitures de ces types à conduite à droite, il apparaît de leurs déclarations au cours de la procédure orale, avec un degré de vraisemblance suffisant aux fins de la présente ordonnance, que la distribution de voitures CAD produites par Ford Werke AG, se faisait, en tout cas pour partie, en exécution de commandes émanant de ses distributeurs en République fédérale, lorsqu'il s'agissait de voitures CAD avec spécifications allemandes. Par contre, il est également vraisemblable que la situation était différente en ce qui concerne les mêmes voitures mais avec spécifications britanniques.

8 On ne saurait contester que la procédure mise en œuvre par la Commission soulève des questions délicates relatives à la portée exacte de ses pouvoirs dans le cadre des différentes dispositions du règlement n° 17. La Commission est sans aucun doute compétente lorsqu'elle est appelée à statuer sur une demande d'exemption au sens de l'article 85, paragraphe 3, pour en subordonner le bénéfice à certaines conditions et pour imposer des modifications de l'accord notifié. Ces modifications peuvent viser non seulement la suppression de certaines clauses mais également viser à compléter ou étendre la portée de l'accord concerné. S'il n'est pas exclu, a priori, qu'à l'occasion de l'examen d'une demande d'exemption visant un réseau de distribution la Commission puisse subordonner l'octroi de l'exemption à une extension de la gamme de produits distribués, il n'en reste pas moins que certaines questions qui se posent dans le présent litige sont susceptibles de controverses sérieuses. En outre, on ne saurait écarter sans plus les objections qu'il est possible de faire en ce qui concerne la voie procédurale choisie par la Commission.

9 Ces considérations ne suffisent toutefois pas, à elles seules, pour justifier la suspension de la décision attaquée, et il y a lieu d'examiner, en outre, si, comme le soutient la requérante, le maintien de cette décision, en attendant l'arrêt à rendre par la Cour, est de nature à lui causer un dommage grave et irréparable.

10 A cet égard, la requérante fait observer, à titre préliminaire, qu'elle fait partie du groupe Ford, dont fait également partie Ford Britain, et que l'appréciation du dommage qu'elle allègue doit être faite en tenant compte de l'intérêt du groupe dans son ensemble et, en particulier, des intérêts communs à Ford Werke AG et à Ford Britain, qui dérivent notamment de la circonstance que Ford Britain est de loin le plus important client de Ford Werke AG. Sans préjuger de l'arrêt à rendre au principal, ce point de vue peut être admis au stade du référé, s'agissant d'une appréciation nécessairement provisoire, mais raisonnable des intérêts en cause.

11 D'autre part, dans l'évaluation des éléments susceptibles de justifier la suspension de la mesure attaquée, en raison des dommages qu'elle est de nature à provoquer, il y a lieu de tenir compte de la circonstance que cette mesure constitue elle-même une mesure provisoire édictée par la Commission au cours d'une instruction qui n'est pas encore arrivée à son terme.

12 La Commission est d'accord pour constater que la décision intérimaire attaquée, en obligeant la requérante à approvisionner en partie le marché automobile au Royaume-Uni en voitures Ford CAD par le canal des distributeurs allemands et au prix du marche allemand, est de nature à amener Ford Britain à baisser les prix des voitures du même type ou de type approchant que cette société produit elle-même ou achète directement à Ford Werke AG. La Commission reconnaît que tel est l'objectif de son action, et souligne que celui-ci est inspiré par l'intérêt des consommateurs. Elle ajoute que la baisse attendue ne serait que la conséquence d'une concurrence normale et qu'elle correspondrait, dès lors, aux objectifs du traité dont la Commission doit assurer la réalisation, notamment à travers la mise en œuvre de l'article 85.

13 Ainsi que la Cour l'a constaté dans son ordonnance du 17 janvier 1980 (affaire 792-79 R, Camera Care Ltd), la Commission doit pouvoir prendre dans le cadre du contrôle que lui confient, en matière de concurrence, le traité et le règlement n° 17, des dispositions conservatoires, dans la mesure où celles-ci paraissent indispensables en vue d'éviter que sa décision ultérieure ne finisse par devenir inefficace. Il est néanmoins nécessaire que ces mesures provisoires ne soient prises qu'en cas d'urgence établie, en vue de parer à une situation de nature à causer un préjudice grave et irréparable à la partie qui en demande l'institution, ou intolérable pour l'intérêt général. Ces mesures doivent être d'un caractère intérimaire et conservatoire, et elles doivent être limitées à ce qui est nécessaire dans la situation donnée.

14 Il existe un risque sérieux que les effets préjudiciables de la décision attaquée pourraient, si elle doit être immédiatement exécutée, dépasser ceux d'une mesure conservatoire et provoquer dans l'entre-temps des dommages dépassant sensiblement les inconvénients inévitables mais passagers découlant d'une telle mesure. Il y a dès lors lieu de suspendre les effets de la décision attaquée de manière à ce qu'elle soit ramenée aux proportions d'une mesure conservatoire de la situation telle qu'elle s'était concrétisée immédiatement avant le 27 avril 1982, en maintenant les courants d'échanges concernes approximativement au niveau qu'ils avaient atteint à cette date. Ce niveau n'était en effet, ainsi que la requérante l'a admis, pas encore de nature à provoquer les effets économiques qu'elle déclare redouter et qu'elle s'estime en droit de prévenir.

15 Ce résultat peut être obtenu en obligeant Ford Werke AG. à continuer à donner suite à des commandes des distributeurs allemands de voitures CAD, mais seulement pour un volume global de véhicules limité, à titre provisoire, au niveau ci-dessus indiqué.

16 Il apparaît toutefois indiqué de faire à cet égard une distinction entre les différentes sortes de véhicules CAD qui ont fait l'objet de la circulaire du 27 avril 1982. Il résulte des déclarations faites au cours de la procédure orale que Ford Britain ne produit pas les voitures de type Capri et Granada, ni les modèles Escort Ghia et Escort Xr3 qu'elle se borne à acheter à Ford Werke AG. On peut raisonnablement estimer que l'effet de l'importation parallèle de ces voitures ou types de voitures sera moins préoccupant que lorsqu'il s'agit de voitures produites à la fois par Ford Britain et Ford Werke AG. Ceci doit en toute hypothèse être admis pour les voitures Capri et Granada.

17 Par ailleurs, la Commission a admis, au cours de la procédure orale, qu'il est à tout le moins douteux que la livraison de voitures CAD avec spécifications britanniques était comprise dans le programme de vente auquel se réfère le Haupthandler-Vertrag. Il y a dès lors lieu de suspendre en entier l'exécution de la décision attaquée concernant cette catégorie de véhicules, étant entendu toutefois que si Ford Werke AG. décidait de poursuivre la fabrication de voitures CAD avec spécifications britanniques, mais décidait de mettre fin à la production ou à la livraison de ces mêmes voitures ou modèles avec spécifications allemandes, dans le but d'échapper aux effets de la présente ordonnance, elle s'exposerait au reproche de violer celle- ci.

18 Il y a dès lors lieu :

a) de suspendre l'exécution de l'article 1 de la décision de la Commission du 18 août 1982 (IV/30.696 - Système de distribution Ford Werke AG. - mesures provisoires) pour autant qu'elle oblige Ford Werke AG. à livrer des voitures CAD à spécifications britanniques en République fédérale d'Allemagne, soit directement, soit par l'intermédiaire de ses distributeurs allemands, ou pour donner suite à des commandes passées par ceux-ci,

b) de maintenir l'exécution de la même disposition en ce qui concerne l'obligation pour Ford Werke AG. de donner suite aux commandes par ses distributeurs allemands, dans les mêmes conditions qu'avant le 1er mai 1982, de voitures CAD à spécifications allemandes des modèles Fiesta, Escort, Taunus, Capri et Granada, ou d'autres modèles qui seraient incorporés dans le programme de vente auquel se réfère le Haupthandler-Vertrag, mais en restreignant la portée de cette obligation en ce sens qu'elle est limitée à une livraison annuelle globale de 4 800 véhicules, et en stipulant que la livraison de ces 4 800 véhicules sera aménagée de façon à être répartie entre les différents modèles dans des proportions substantiellement les mêmes qu'antérieurement au 27 avril 1982, et raisonnablement échelonnée dans le temps,

c) d'augmenter de 20 % l'obligation de livraison telle qu'elle a été déterminée sous b) pour les voitures Granada et Capri. Ce contingent supplémentaire vient en surplus du chiffre de 4 800 voitures ci-dessus indiqué,

d) de stipuler que l'obligation ainsi limitée vaut jusqu'à ce qu'une décision soit prise par la Commission mettant fin à la procédure administrative en cours ou jusqu'au prononcé de l'arrêt du principal,

e) d'ordonner à la Commission de contrôler l'exécution de la présente ordonnance, et aux requérantes de fournir à la Commission, à la première demande, toute justification à cet égard, et d'ordonner en outre aux requérantes de transmettre mensuellement, et pour la première fois au 1er novembre 1982, tant à la Commission qu'au Président de la Cour, les chiffres des commandes reçues et des livraisons effectuées par type de voiture,

f) de rejeter les demandes en référé pour le surplus.

B - En ce qui concerne la demande de Ford of Europe Incorporated

19 En l'état actuel de la procédure, il n'apparaît pas nécessaire pour éviter le préjudice dont Ford AG a fait état, de faire droit à la demande pour autant qu'elle émane de Ford of Europe Inc.

C - Sur les dépens

20 Il convient, en l'état, de réserver les dépens.

Par ces motifs,

LE PRESIDENT,

statuant au provisoire,

Ordonne :

1) L'exécution de l'article 1 de la décision de la Commission du 18 août 1982 (IV/30.696 - Système de distribution Ford Werke AG - mesures provisoires) est suspendue pour autant qu'elle oblige Ford Werke AG à livrer des voitures à conduite à droite à spécifications britanniques en République fédérale d'Allemagne, soit directement, soit par l'intermédiaire de ses distributeurs allemands, ou pour donner suite à des commandes passées par ceux-ci.

2) L'exécution de la même disposition est maintenue en ce qui concerne l'obligation pour Ford Werke AG de donner suite aux commandes par ses distributeurs allemands, dans les mêmes conditions qu'avant le 1er mai 1982, de voitures à conduite à droite à spécifications allemandes des modèles Fiesta, Escort, Taunus, Capri et Granada, ou d'autres modèles qui seraient incorporés dans le programme de vente auquel se réfère le Haupthandler-Vertrag, mais en restreignant la portée de cette obligation en ce sens qu'elle est limitée à une livraison annuelle globale de 4 800 véhicules. La livraison de ces 4 800 véhicules sera aménagée de façon à être repartie entre les différents modèles dans des proportions substantiellement les mêmes qu'antérieurement au 27 avril 1982, et raisonnablement échelonnée dans le temps.

3) Pour les voitures Granada et Capri, l'obligation de livraison telle qu'elle a été déterminée sous 2) est augmentée de 20 %. Ce contingent supplémentaire vient en surplus du chiffre de 4 800 voitures ci-dessus indiqué.

4) L'obligation ainsi limitée vaut jusqu'à ce qu'une décision soit prise par la Commission mettant fin à la procédure administrative en cours ou jusqu'au prononcé de l'arrêt au principal.

5) La Commission contrôlera l'exécution de la présente ordonnance, et les requérantes devront lui fournir à la première demande toute justification à cet égard. En outre, les requérantes transmettront mensuellement, et pour la première fois au 1er novembre 1982, tant à la Commission qu'au Président de la Cour, les chiffres des commandes reçues et des livraisons effectuées par type de voiture.

6) Les demandes en référé sont rejetées pour le surplus.

7) Les dépens sont réservés.