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Décisions

CA Aix-en-Provence, 8e ch. B, 10 mai 1996, n° 92-15104

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

UFB Locabail

Défendeur :

Brun

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bihl

Conseillers :

MM. Astier, Stern

Avoués :

SCP Cohen, SCP Jourdan & Wattecamps

CA Aix-en-Provence n° 92-15104

10 mai 1996

LA COUR,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Statuant sur l'appel interjeté par la Cie UFB Locabail à l'encontre d'un jugement sur le fond rendu le 29 juin 1992 par le Tribunal de commerce d'Aix-en-Provence qui a rejeté toutes ses demandes à l'encontre de M. Guy Brun et qui l'a condamné aux dépens.

Se référant expressément pour la relation détaillée des faits et de la procédure antérieure à la décision entreprise et pour l'énoncé complet des demandes et moyens des parties aux écritures qu'elles ont échangées en cause d'appel ;

Attendu qu'il convient cependant, pour résumer le litige, de rappeler ce qui suit :

Par contrat du 15 juin 1987, M. Brun a pris en location auprès de l'UFB Locabail un tracto-pelle pour un loyer mensuel de 7 364, 65 F TTC.

Le 25 octobre 1988 M. Brun a avisé son propriétaire que le matériel avait été volé.

L'UFB Locabail a reçu la somme de 200 000 F de la compagnie d'assurances, mais a réclamé à M. Brun une somme de 136 577, 31 F, que celui-ci, selon elle, reste lui devoir par application des dispositions contractuelles au titre des loyers du 20 octobre 1988 au 20 mai 1992 et de la valeur résiduelle de l'engin, et ce, après déduction de l'indemnité d'assurance.

Le Tribunal de commerce d'Aix-en-Provence l'a déboutée de ses demandes au motif que la somme réclamée par elle était une clause pénale manifestement excessive et léonine vis-à-vis de M. Brun qui a exécuté le contrat de location en toute bonne foi.

A l'appui de son appel, la Cie UFB Locabail soutien que :

- la somme due par M. Brun n'est pas une clause pénale le sanctionnant mais une indemnité préétablie constituant une évaluation forfaitaire du préjudice subi par le bailleur en cas de sinistre du bien loué,

- cette indemnité ne présente aucun caractère excessif ou abusif, elle indemnise strictement le manque à gagner du bailleur,

- M. Brun doit en conséquence être condamné à lui payer 136 577,31 F outre intérêts au taux légal à compter du 30 novembre 1990 ou du 17 mai 1992, 30 000 F pour résistance abusive et 5 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

M. Brun demande la confirmation du jugement entrepris et la condamnation de l'appelante à lui payer 3 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile après avoir exposé que :

- le juge peut modérer d'office une clause pénale dans un contrat de crédit-bail découle nécessairement du débat et, la procédure étant orale devant le tribunal de commerce, ce moyen de droit est présumé avoir été contradictoirement débattu,

- la clause du contrat obligeant M. Brun au paiement de loyers restant à courir en cas de perte ou de vol du matériel peut s'analyser comme étant une clause pénale,

- le juge peut modérer cette clause pénale conformément à l'article 1152 du Code civil, si celle-ci est manifestement excessive, comme c'est le cas en l'espèce,

- en effet, M. Brun n'a commis aucune faute et il a été privé par un élément extérieur de l'engin lui permettant d'exercer sa profession et de payer les loyers,

- l'UFB Locabail a été remplie de ses droits par les loyers payés et l'indemnité d'assurance,

- la clause prévoyant une indemnité supplémentaire est excessive et a un caractère léonin.

Sur ce ;

Attendu que la régularité formelle de l'appel n'est pas discutée et que rien au dossier ne permet à la Cour de le déclarer irrecevable d'office ;

Attendu que la procédure étant orale devant le tribunal de commerce et un litige portant sur un contrat de crédit-bail impliquant la discussion de la clause pénale, rien n'indique que ce moyen n'ait pas été contradictoirement débattu devant le Tribunal de commerce d'Aix-en-Provence ; qu'au surplus l'appelante ne formule aucune demande en nullité pour violation du principe du contradictoire ; que ses digressions sur une éventuelle violation de ce principe sont donc dénuées d'intérêt ;

Attendu que la clause de l'article 5 du contrat de crédit-bail signé le 15 juin 1987 par M. Guy Brun prévoit qu'en cas de destruction totale du matériel, même par cas forfuits (ce qui est le cas du vol), le locataire doit verser au bailleur " à titre forfaitaire une indemnité égale aux dits loyers, augmentée de la valeur résiduelle prévue au contrat sous déduction de l'indemnité de la compagnie d'assurance " ;

Attendu qu'une telle indemnité qui a pour objet d'évaluer forfaitairement le préjudice subi par le bailleur en cas de sinistre total du matériel dû à un fait étranger au locataire ne constitue pas une clause pénale susceptible d'être modérée par application de l'article 1152 du Code civil ;

Attendu que cette clause n'en est pas moins une clause abusive, comme le soutient d'ailleurs M. Brun qui la qualifie de " léonine ", en ce qu'elle procure un avantage excessif à l'UFB Locabail qui, du fait de sa position économique, se trouve en mesure d'imposer à ses locataires de continuer à lui payer des loyers, alors que lesdits locataires se sont vus retirer, par un fait qui leur est étranger, la jouissance du matériel loué et qu'elle-même, propriétaire de ce matériel a été indemnisée de la perte de celui-ci sans qu'elle soit tenue d'offrir un matériel de remplacement ;

Attendu qu'une telle clause supprime donc abusivement l'obligation de l'UFB Locabail de mettre à disposition de son locataire le matériel loué, alors qu'elle a été indemnisée de sa perte totale et que rien ne s'oppose à ce qu'elle le remplace ; que cette clause est donc contraire à l'article 1134 du Code civil ;

Attendu que l'UFB Locabail profite également de sa position dominante pour faire assurer par ses locataires un risque financier qui lui est propre et contre lequel elle doit s'assurer ;

Attendu que la clause qui fait supporter au locataire la totalité des risques de perte du matériel, même lorsque ceux-ci sont dus à un cas de force majeure, et qui confère donc au bailleur un avantage excessif, doit être réputée non écrite ;

Qu'il convient dès lors de confirmer le jugement déféré ;

Attendu qu'aucune considération d'équité ou tirée de la situation économique des parties ne permet en l'espèce, vu que M. Brun bénéfice de l'Aide Juridictionnelle totale, de faire application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu que la Cie UFB Locabail, qui succombe, doit être condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel, ces derniers étant distraits au profit de la SCP Jourdan & Wattecamps, qui devra justifier en avoir fait l'avance sans avoir reçu provision selon les règles prévues en matière d'Aide Juridictionnelle ;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort. Reçoit en la forme l'appel de la société UFB Locabail, au fond l'en déboute ; Confirme le jugement déféré ; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Vu les articles 696 et 699 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société UFB Locabail aux dépens, ceux d'appel recouvrés par la SCP Jourdan & Wattecamps selon les règles prévues en matière d'Aide Juridictionnelle ; Rejette toute demande des parties contraire à la présente décision.