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Décisions

CA Metz, ch. civ., 18 février 1997, n° 718-96

METZ

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Petit (époux)

Défendeur :

Weigerding (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dory

Conseillers :

Mme Duroche, M. Gatty

Avocats :

Mes Rozenek, Monchamps, Viglino

TGI Metz, du 21 déc. 1995

21 décembre 1995

Le 31 mai 1991, Monsieur et Madame Petit ont passé commande auprès de la société Weigerding de diverses fournitures de menuiserie, parmi lesquelles un escalier au prix HT de 24 200 F pour un total TTC de 105 000 F.

Ils ont versé à la commande des arrhes à hauteur de 30 000 F.

Le versement du solde a été prévu pour septembre 1991, sous réserve d'acceptation du prêt.

Un devis a spécifié les caractéristiques de l'escalier.

Exposant que l'escalier ne leur avait été livré que le 28 avril 1992 et qu'il ne correspondait pas à celui décrit sur le bon de commande, les époux Petit ont, par acte délivré le 17 septembre 1992, assigné la société Weigerding devant le Tribunal de grande instance de Metz en résolution de la vente et en paiement de diverses sommes.

A la demande de la société Weigerding, une expertise a, par jugement du 11 août 1993, été ordonnée, aux fins de voir déterminer si l'escalier litigieux était conforme à la commande, si non, de décrire les différences, dire si elles constituaient des malfaçons ou non-façons et chiffrer la mise en conformité avec les prescriptions du bon de commande ainsi que la moins-value résultant de la non conformité.

L'expert a déposé son rapport définitif le 15 novembre 1993.

Les époux Petit ont demandé au tribunal :

- de faire droit à leur demande en résolution de la vente,

- en conséquence, de condamner, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, la société Weigerding à leur payer les sommes de :

. 26 000 F, majorée des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 13 mai 1992, correspondant au prix de l'escalier,

. 26 000 F x 2, soit 52 000 F, par application de l'article 1590 du Code civil,

. 5 000 F à titre de dommage et intérêts pour résistance abusive,

. 4 000 F HT par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ,

La société Weigerding a contesté le bien fondé de la demande et suivant acte en date du 25 mai 1994, elle a appelé en garantie la société Escarmor Tenand ; elle a exposé avoir sous-traité la commande des époux Petit à cette société et fait valoir que celle-ci était tenue d'une obligation de résultat relative à la conformité de la chose par rapport à la commande.

La société Escarmor Tenand a conclu au rejet de l'appel en garantie.

Suivant jugement en date du 21 décembre 1995, le Tribunal de grande instance de Metz a :

- Sur l'instance principale

Dit n'y avoir lieu à résolution de la vente,

Condamné la société Weigerding à payer à Monsieur et Madame Petit Michel la somme de sept mille francs (7 000 F) assortie des intérêts au taux légal à compter du jugement à titre de dommage et intérêts en réparation de l'inexécution partielle du contrat.

Condamné Monsieur et Madame Petit Michel à payer à la société Weigerding la somme de soixante quinze mille francs (75 000 F) assortie des intérêts au taux légal à compter du 17 mai 1994,

Ordonné l'exécution provisoire des décisions ci-dessus,

Débouté Monsieur et Madame Petit Michel du surplus au titre de leurs demandes en paiement,

Débouté les parties de leur demande respective au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

Condamné les parties aux dépens de l'instance principale, y inclus les frais d'expertise, chacune pour moitié.

- Sur l'appel en garantie, le tribunal de grande instance a :

Condamné la société Escarmor Tenand à garantir la société Weigerding de l'ensemble des condamnations prononcées à son encontre dans le cadre de l'instance principale,

Condamné la société Escarmor Tenand à payer à la société Weigerding la somme de trois mille francs (3 000 F) TTC au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

Condamné la société Escarmor Tenand aux dépens de l'appel en garantie.

Pour statuer ainsi les premiers juges ont estimé que :

- l'escalier commandé était différent de celui-ci qui avait été livré, son aspect esthétique étant modifié, même s'il était adapté à l'endroit où il devait être placé,

- le prononcé de la résolution de la vente n'était pas justifié et l'inexécution partielle pouvait être suffisamment réparée par l'allocation de dommages-intérêts,

- le retard de livraison ne provenait pas de façon certaine du vendeur,

- le débat sur le caractère abusif de certaines clauses du contrat était dénué d'intérêt,

- les époux Petit restaient redevables du paiement du prix à hauteur de 75 000 F,

- à défaut pour la société Escarmor Tenand de démontrer qu'elle avait informé la société Weigerding des modifications qu'elle avait envisagées d'opérer sur l'escalier pour ne pas effectuer la contrefaçon d'un modèle dessiné, la société sous-traitante devait être considérée comme ayant manqué à son obligation de délivrance d'une chose conforme par rapport à la commande.

Les époux Petit ont interjeté appel de cette décision suivant déclaration en date du 1er mars 1996.

A l'appui de leur recours, ils font valoir que ;

- l'escalier livré par la société Weigerding ne correspond pas à leur commande passée : elle doit assumer les conséquences de cette livraison non conforme par application des articles 1134, 1243, 1603, 1604, 1616 du Code civil,

- la clause de l'article 2 alinéa 2 du contrat est illégale en vertu des dispositions de la loi du 10 janvier 1978,

- ils sont fondés à demander la résolution du contrat,

- l'escalier n'a pas été livré dans les délais prévus ; le contrat prévoyait une délivrance en septembre 1991 et l'escalier n'a été livré qu'en avril 1992,

- la résolution du contrat s'impose par application des dispositions de l'article 1610 du Code civil.

- la clause 3.1 du contrat est abusive au regard de l'article 2 du décret du 24 mars 1978, en outre elle est en contradiction avec la clause 3.4,

- la société Weigerding n'est pas fondée à se prévaloir de la condition suspensive stipulée en faveur des acheteurs et relative à l'acceptation d'un prêt,

- la société Weigerding a perçu l'intégralité du montant de la commande soit 105 000 F ; aucune somme ne sui est due.

En définitive, les appelants demandent à la cour de :

Les recevoir en leur appel et le déclarer fondé,

Infirmer le jugement du Tribunal de grande instance de Metz du décembre 1995,

Statuant à nouveau,

Prononcer la résolution de la vente de l'escalier,

Condamner la société Weigerding à rembourser la valeur de cet escalier soit 24 200 F HT majorés des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure, soit du 13 mai 1992,

Condamner la société Weigerding à payer la somme de 24 200 F x 2 par application de l'article 1590 du Code civil,

Débouter la société Weigerding de toutes ses demandes,

Condamner la société Weigerding à payer une somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civil,

Condamner la société Weigerding aux entiers frais et dépens.

La société Weigerding objecte que :

- l'expert judiciaire est formel sur le fait que les " différences ne nuisent pas à la bonne stabilité de l'escalier mais modifient sensiblement son aspect esthétique ",

- il n'est pas démontré que les appelants aient considéré que cet aspect esthétique était une condition substantielle et déterminante de leur acquisition,

- les conditions générales de vente permettaient d'apporter des modifications aux produits commandés,

- les délais ont été respectés et d'ailleurs les appelants n'ont jamais adressé de mise en demeure, ni demandé l'application des dispositions de l'article 3.4 du contrat, permettant l'annulation de la commande lorsque l'entrepreneur ne peut mettre à la disposition du client les objets de la commande dans un délai de 3 mois à compter de la date de livraison retenue,

- elle n'a pas été informée du sort de la demande de prêt par les acheteurs ; de toute manière, le retard de livraison ne lui est pas imputable.

En définitive, l'intimée demande à la Cour de :

Confirmer le jugement entrepris,

Débouter les appelants de l'ensemble de leurs prétentions,

Leur donner acte de leur règlement de la somme de 105 000 F correspondant à l'ensemble de la commande

Condamner les époux Petit à lui payer la somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, outre les dépens d'appel.

Sur ce,

Attendu que suivant les dispositions de l'article 1604 du Code civil, la délivrance est le transport de la chose vendue en la puissance et possession de l'acheteur ;

Que le vendeur doit livrer une chose dont les caractéristiques correspondent à la commande et que l'acquéreur ne peut être tenu d'accepter une chose différente de celle qu'il a commandée ;

Attendu en l'espèce qu'il est constant, ainsi que peut en attester le devis de l'entreprise Weigerding que les époux Petit ont passé commande d'un escalier hélicoïdal en hêtre de France d'une hauteur de 2,70 cm, le limon extérieur étant composé d'un poteau central massif 90 x 90, alors que les limons contre les murs devaient être galbés et chanfreinés ;

Qu'il est tout aussi constant que l'entreprise Weigerding a livré un escalier dont

- les limons contre murs sont droits et sans chanfrein,

- le poteau central mesure 120 x 120 ;

Que ces modifications par rapport à la commande ont été opérées sans consultation ni accord préalables des époux Petit ; qu'il résulte du rapport d'expertise judiciaire que l'ensemble du temps à consacrer au démontage et au remontage, l'utilisation des machines et la fourniture du matériel pour la mise ne concordance avec la commande représenterait un montant égal sinon plus important que la valeur de l'escalier neuf, soit 24 200 F ;

Attendu que l'aspect esthétique d'un escalier devant être installé dans un immeuble privé d'habitation et y occuper comme en l'espèce, une place particulièrement visible, constitue une qualité substantielle d'un tel ouvrage ; que dans de telles conditions, la gravité du manquement de l'entreprise Weigerding à son obligation de délivrance justifie la résolution de la vente ;

Attendu certes que l'article 2 des conditions générales de vente figurant sur les documents contractuels de l'entreprise Weigerding stipule que l'entrepreneur se réserve la faculté d'apporter au produit commandé toutes modifications, suppressions ou améliorations jugées nécessaires ".

Mais attendu que cette clause a pour effet de soustraire le vendeur à toute obligation de délivrance d'une chose conforme à la commande et, par voie de conséquence, à toute responsabilité en cas d'inexécution d'une telle obligation, que c'est d'ailleurs en ce sens que l'entreprise Weigerding s'en prévaut ; que lors, opposée à un acheteur non professionnel, cette clause présente un caractère abusif et doit être déclarée nulle et de nul effet ;

Attendu d'autre part qu'il est avéré que les appelants ont payé l'intégralité de la somme de 105 000 F ;

Attendu en conséquence qu'il y a lieu d'infirmer le jugement entrepris ; de prononcer la résolution de la vente de l'escalier litigieux, de condamner la société Weigerding à restituer aux appelants les prix reçu soit 24 200 F outre les intérêts au taux légal à compter de l'assignation en date du 29 septembre 1992 ;

Attendu qu'il ne peut être fait application des dispositions de l'article 1590 du Code civil, relatif à la promesse de vendre et sans rapport avec les termes du présent litige ;

Attendu que la société Weigerding qui succombe sera condamnée aux entiers dépens, tant de première instance que d'appel, outre le paiement aux appelants de la somme de 6 000 F (six mille francs) sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Qu'il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile au profit de la société Weigerding ;

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, en la forme, Déclare recevoir l'appel régulièrement formé ; Au fond : - Infirme le jugement entrepris en ce qui concerne la demande des époux Petit ; Et statuant à nouveau - Prononce la résolution de la vente de l'escalier litigieux ; - Condamne l'entreprise SA Weigerding à restituer aux époux Petit Michel et Fabienne Blum la somme de 24 200 F outre les intérêts au taux légal à compter du 29 septembre 1992 ; - Dit que les époux Petit Michel devront simultanément à la restitution du prix par l'entreprise Weigerding, restituer à celle-ci l'escalier litigieux ; - Condamne la SA Weigerding à payer aux époux Petit Michel la somme de 6 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; - Rejette toutes autres demandes plus amples ou contraires.