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Décisions

Conseil Conc., 6 avril 1993, n° 93-A-04

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Avis

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Adopté, sur le rapport de M. Coudy, par MM, Barbeau, président, Biaise, Robin, Thiolon, Urbain, membres.

Conseil Conc. n° 93-A-04

6 avril 1993

Le Conseil de la concurrence (section III),

Vu la lettre enregistrée le 19 mars 1992 sous le numéro A. 98 par laquelle le ministre d'Etat, ministre de l'Economie, des Finances et du Budget, a saisi le Conseil de la concurrence sur le fondement de l'article 38 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 d'une demande d'avis relative à l'acquisition de la société belge Chicobel par la société française Leroux ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, modifiée, ensemble le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986, modifié, pris pour son application ; Vu les observations présentées par la société Leroux et le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ;

Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et le représentant de la société Leroux entendus ;

Adopte l'avis fondé sur les constatations (I) et les motifs (Il) ci-après exposés :

I. CONSTATATIONS

L'opération dont le Conseil de la concurrence doit apprécier les effets sur le marché national résulte de l'acquisition en janvier 1992 de la totalité du capital de la société belge Chicobel par Leroux Belgique SA, détenue à 98 p. 100 par la société française Leroux, ces sociétés ayant principalement pour activité le raffinage et la commercialisation de la chicorée sous ses différentes formes.

A. Les entreprises parties à l'opération

La SARL Leroux, entreprise familiale, a un capital de 1 278 000 F. Elle emploie 188 salariés (effectif moyen de 1991). Son chiffre d'affaires en 1991 s'élève à 213,915 millions de francs, dont 34,217 millions de francs à l'exportation. Son résultat net avant impôt pour la même année est de 7,924 millions de francs. Elle détient deux filiales : l'une située au Canada (Chicorée Leroux LTEE): l'autre en Belgique (Leroux Belgique SA) dont le capital est détenu par la SARL Leroux respectivement à 100 p. 100 et à 98 p. 100.

La société Chicobel a un capital de 35 millions de francs belges, soit environ 5,7 millions de francs. Son chiffre d'affaires en 1991 s'élève à 413,943 millions de francs belges, soit environ 68,3 millions de francs. Son bénéfice courant avant impôt pour la même année est de 8 035 millions de francs belges, soit environ 1,3 million de francs.

B. Le secteur de la chicorée

Avec un peu plus de 35 000 tonnes de grains torréfiés chaque année, la France est le premier producteur et raffineur de chicorée, avec 40 p. 100 de la production mondiale. Les plantations sont situées dans les régions Nord-Pas-de-Calais et Picardie. Dans le reste de l'Europe, les principaux producteurs de chicorée sont respectivement la Pologne (15 000 tonnes), la Hongrie (8 000 tonnes) et la Roumanie (7 000 tonnes). La chicorée peut être utilisée directement par le consommateur final dans ses différentes formes : en grains, soluble ou liquide elle peut également être utilisée dans l'élaboration d'autres produits industriels.

Ce secteur se caractérise, depuis plusieurs décennies, par une diminution ininterrompue du nombre d'entreprises françaises productrices et vendeuses de chicorée puisqu'on est passé de 53 entreprises en 1947 à 2 entreprises seulement aujourd'hui. Dans le même temps, le nombre des entreprises spécialisées dans la phase intermédiaire de déshydratation de la chicorée est passé, en France, de 365 à 10. On constate en outre depuis le milieu des années 1920 une contraction continue de la production et de la vente de chicorée en France.

Avant l'opération soumise au Conseil de la concurrence, la société Leroux produisait et commercialisait de 95 à 96 p. 100 de la chicorée sur le marché français. A la suite de l'acquisition de la société Chicobel par la société Leroux, ce pourcentage s'est accru d'un point, le reste de la production étant assuré par la société Chicorée du Nord, qui ne transforme la chicorée que sous forme de grains.

II. À LA LUMIÈRE DES CONSTATATIONS QUI PRÉCÈDENT, LE CONSEIL

Sur la nature de l'opération:

Considérant qu'aux termes de l'article 39 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 susvisée: " La concentration résulte de tout acte, quelle qu'en soit la forme, qui comporte transfert de propriété ou de jouissance sur tout ou partie des biens, droits et obligations d'une entreprise ou qui a pour objet ou pour effet de permettre à une entreprise ou à un groupe d'entreprises d'exercer, directement ou indirectement, sur une ou plusieurs autres entreprises, une influence déterminante " ;

Considérant qu'en acquérant la totalité du capital de la société Chicobel la société Leroux a réalisé, par l'intermédiaire de sa filiale en Belgique, une opération de concentration au sens de l'article 39 de l'ordonnance précitée ;

Sur le marché de référence et la situation de la société Leroux sur ce marché:

Considérant qu'aux termes de l'article 38 de l'ordonnance du 1er décembre 1986: " Tout projet de concentration ou toute concentration de nature à porter atteinte à la concurrence, notamment par création ou renforcement d'une position dominante, peut être soumis, par le ministre chargé de l'Economie, à l'avis du Conseil de la concurrence.

" Ces dispositions ne s'appliquent que lorsque les entreprises qui sont parties à l'acte ou qui en sont l'objet ou qui leur sont économiquement liées ont soit réalisé ensemble plus de 25 p. 100 des ventes, achats ou autres transactions sur un marché national de biens, produits ou services substituables ou sur une partie substantielle d'un tel marché, soit totalisé un chiffre d'affaires hors taxes de plus de sept milliards de francs, à condition que deux au moins des entreprises parties à la concentration aient réalisé un chiffre d'affaires d'au moins deux milliards de francs. "

Considérant que, si la chicorée a pu être regardée, dans le passé, comme un produit de substitution de certaines boissons, notamment dans les périodes de pénurie, les consommateurs, particulièrement dans le nord et l'ouest de la France, la considèrent en temps normal comme un produit spécifique en raison de sa saveur et des vertus qu'on lui prête habituellement, comme le confirment les études de consommation dont les résultats figurent au dossier qu'il résulte de ce qui précède que la chicorée appartient à un marché distinct de ceux des autres boissons chaudes;

Considérant que la part de la société Leroux sur ce marché atteint plus de 96 p. 100 à la suite de l'opération de concentration soumise au Conseil de la concurrence; que cette opération de concentration entre dans le champ d'application de l'article 38 de l'ordonnance précitée ;

Sur les conséquences de l'opération en matière de concurrence:

Considérant que l'opération dont le conseil est saisi ne modifie que de façon peu significative la situation de la société Leroux sur le marché de la chicorée; que cette société pourrait difficilement abuser, vis-à-vis de sa clientèle, de sa situation de quasi-monopole, d'une part en raison de la puissance de négociation de ses acheteurs industriels placés en situation d'oligopsone et de ses distributeurs, d'autre part en raison des possibilités d'importation offertes à ses clients industriels et distributeurs; qu'il s'ensuit que l'opération de concentration soumise à l'examen du Conseil de la concurrence n'est pas de nature à modifier le fonctionnement du marché de la chicorée ; qu'ainsi il n'y a pas lieu pour le conseil de se prononcer sur la question de la contribution au progrès économique que l'opération peut entraîner,

Est d'avis :

Qu'il n'y a lieu, sur le fondement des dispositions de l'article 38 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, ni de faire opposition à l'opération d'acquisition de la société Chicobel par Leroux Belgique SA, filiale de la société française Leroux, ni de subordonner cette opération à des conditions particulières.