CA Paris, 8e ch. A, 4 février 1997, n° 95-26369
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
HLM Carpi (SA), Association Force Ouvrière Consommateurs
Défendeur :
Avril (Époux), Lascaux (Époux), Manero (Époux), Neufcourt (Époux)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Présidents :
Mme Sauteraud, M. Remond
Conseiller :
M. Anquetil
Avoué :
SCP Valdelièvre Garnier
Avocats :
Mes Petitdemange Gaucher, Martino.
La société d'HLM Carpi a assigné M. et Mme Michel Lascaux, M. et Mme Guy Avril, M. et Mme Michel Manero ainsi que M. et Mme André Neufcourt devant le Tribunal d'instances d'Étampes (audience foraine de Dourdan) en paiement de la taxe foncière due pour 1992, 1993 et 1994 au titre des biens immobiliers ayant fait l'objet d'une vente à terme à leur profit ainsi qu'aux fins d'entérinement d'accords relatifs aux modalités de règlement des sommes dues outre application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par jugement du 22 août 1995 le Tribunal d'instance d'Étampes a :
- déclaré la société d'HLM Carpi mal fondée en son action en homologation d'accord et paiement,
- débouté la société d'HLM Carpi de toutes ses demandes à l'encontre des défendeurs,
- reçu l'AFOC (Association Force Ouvrière Consommateurs) en son intervention volontaire et déclaré qu'elle était mal fondée à prétendre à l'application de l'article L. 132-1 du Code de la consommation,
- rejeté les demandes indemnitaires de l'AFOC,
- condamné la société d'HLM Carpi à payer la somme de 1 000 F à chacun des quatre couples d'accédants défendeurs, ceci sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- condamné la société d'HLM Carpi aux dépens.
La société d'HLM Carpi a interjeté appel de ce jugement et l'Association Force Ouvrière Consommateurs (AFOC) en a interjeté appel à l'encontre de ladite société d'HLM Carpi.
La société d'HLM Carpi fait valoir que c'est par une clause dont les termes sont clairs et précis que les époux Avril, Lascaux, Manero et Neufcourt se sont respectivement engagés à lui rembourser les charges, contributions, taxes et prestations de toutes natures mises ou à mettre sur les logements et terrains qui sont l'objet des contrats de vente à terme qu'ils ont souscrits, ceci au moyen d'une provision s'ajoutant chaque mois à leurs mensualités de remboursements de prêts.
Elle soutient que cette clause s'inscrit d'ailleurs avec cohérence dans le mécanisme juridique de la vente à terme puisque les acquéreurs seront considérés comme propriétaires de l'immeuble qui en est l'objet depuis la date du contrat, ceci à raison du caractère rétroactif du transfert de propriété.
Elle conclut à la réformation du jugement en ce qu'il l'a déclarée mal fondée en son action en homologation d'accord et paiement, en ce qu'il l'a condamnée sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et en ce qu'il l'a condamnée aux dépens.
Elle sollicite la condamnation :
- des époux Avril à lui payer les sommes de 1 105,32 F, de 4 327,52 F, de 4 907 F et de 5 128 F respectivement à titre de solde des taxes foncières 1993 et 1994 ainsi que de taxes foncières 1995 et 1996, outre 2 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- des époux Lascaux à lui payer les sommes de 1 118,41 F, de 4 327,52 F, de 4 907 F et de 5 128 F respectivement à titre de solde des taxes foncières 1993 et 1994 ainsi que de taxes foncières 1995 et 1996, outre 2 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- des époux Manero à lui payer les sommes de 923,60 F, de 3 606,80 F, de 4 094 et de 4 278 F respectivement à titre de solde des taxes foncières 1993 et 1994 ainsi que de taxes foncières 1995 et 1996, outre 2 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- des époux Neufcourt à lui payer les sommes de 314,25 F, de 3 673 F, de 4 499 F et de 4 782 F respectivement à titre de solde des taxes foncières 1993 et 1994 ainsi que de taxes foncières 1995 et 1996, outre 2 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Elle sollicite également la condamnation desdits intimés à lui payer pour les années ultérieures, chaque mois de janvier à octobre, à titre de provision sur la taxe foncière de l'année en cours, un dixième de la taxe de l'année précédente avec régularisation avant le 30 novembre de l'année correspondante et de dire qu'à défaut, la taxe de l'année en cours sera immédiatement exigible dès qu'elle l'aura payée à l'administration fiscale.
Les consorts Lascaux, Avril, Manero et Neufcourt ainsi que l'AFOC soutiennent que les signataire des contrats de vente à terme ne pouvaient avoir consenti au remboursement de la taxe foncière réglée par la société d'HLM Carpi dès lors qu'à la date de conclusion desdits contrats en 1975, la loi fiscale énonçait un exonération du paiement de cette taxe pour une durée de quinze ans en leur faveur et qu'il convient de rechercher la commune intention des parties telle qu'elle était à ladite date.
Ils soutiennent également que la clause qui leur est opposée est d'une portée trop générale pour permettre de considérer qu'elle pouvait inclure la taxe foncière et se prévalent des dispositions des articles 1162 et 1602 alinéa 2 du Code civil.
Ils invoquent en outre les dispositions de l'article L. 132-1 du Code de la consommation en faisant état de l'avantage excessif de la clause litigieuse conféré à la société d'HLM Carpi, l'accédant n'étant pas propriétaire pendant la durée du contrat, et se prévalant de l'illicéité de cette clause au regard de la loi fiscale en ce qu'elle aurait pour conséquence de priver certains accédants de l'exonération ou du dégrèvement de taxes foncières dont ils peuvent bénéficier.
Ils sollicitent la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté la société d'HLM Carpi de ses demandes et concluent à ce que soit déclarée abusive la clause de contrat de vente prévoyant que l'acquéreur remboursera à l'organisme vendeur les charges, contribution, taxes et prestations de toutes natures mises ou à mettre sur le logement ou le terrain.
Ils concluent en outre à la condamnation de la société d'HLM Carpi à payer à l'AFOC les sommes de 10 000 F à titre de dommages-intérêts et de 5 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'à chacun des intimés accédants celle de 2 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 26 novembre 1996.
Sur ce, LA COUR,
Considérant qu'aux termes des contrats conclus entre la société d'HLM Carpi et les époux Lascaux le 9 septembre 1975, les époux Avril le 18 novembre 1975, les époux Manero le 3 décembre 1975 et les époux Neufcourt le 3 décembre 1975, portant vente à terme de biens immobiliers situés à Boissy Sous Saint Yon (Essonne), les acquéreurs se sont obligés à rembourser au vendeur les charges, contributions, taxes et prestations de toutes natures mises ou à mettre sur leur logement et le terrain par une provision qui s'ajoutera chaque mois à leurs mensualités de remboursement des prêts ;
Considérant que cette clause, qui figure dans les actes notariés reçus par Me Jubault à Arpajon et dont les époux Lascaux, Avril, Manero et Neufcourt ont eu lecture, est dépourvue de toute ambiguïté ou obscurité mais exprime clairement la volonté commune des cocontractants selon laquelle, toutes contributions et taxes mises ou à mettre sur le bien acquis ;
Or, considérant que tel est bien le cas de la taxe foncière qui s'attache aux biens immobiliers acquis par les époux Lascaux, Avril, Manero et Neufcourt à l'issue du délai d'exonération de quinze ans applicable, comme en l'espèce, aux logements neufs relevant de la réglementation des HLM et dont la réalisation est financée à titre principal à l'aide de prêts consentis par la Caisse de Prêts des HLM ou par une Caisse d'Épargne conformément à la loi n° 71-538 du 16 juillet 1971, taxe dont le montant est recouvré par l'administration fiscale auprès du vendeur, dans le cas des ventes à terme, conformément à l'instruction du 4 octobre 1991 publiée au Bulletin Officiel des Impôts, étant observé que la clause litigieuse ne limite pas son domaine d'application aux seuls impôts qui étaient à la charge du propriétaire lors de la conclusion de chacun des contrats ;
Considérant d'autre part que les intimés soutiennent à tort que la clause litigieuse serait abusive au sens de l'article L. 132-1 du Code de la consommation alors que l'obligation contractuelle pesant sur l'acquéreur d'un bien immobilier dans le cadre d'une vente à terme de rembourser le vendeur du coût des taxes et contributions afférents audit bien et ainsi d'en supporter la charge ne cause aucun déséquilibre significatif entre les droits et obligations des cocontractants et ne confère aucun avantage excessif au vendeur compte tenu du caractère rétroactif du transfert de propriété prévu par l'article 1601-2 du Code civil ;
Considérant en outre que la clause litigieuse ne saurait être tenue pour illicite au motif qu'elle ferait obstacle au bénéfice par certains acquéreurs de dégrèvements prévus par le Code général des impôts alors que la réglementation fiscale résultant de l'instruction du 4 octobre 1991 dispose qu'il convient de se référer à la situation du vendeur et non à celle de l'acheteur pour apprécier si les conditions d'une éventuelle exonération sont remplies dans le cas de contrats de vente à terme ;
Considérant ainsi qu'il sera fait droit à l'appel de la société d'HLM Carpi dès lors que les époux Lascaux, Avril Manero et Neufcourt doivent être tenus de lui rembourser le montant des taxes foncières afférentes aux biens immobiliers ayant été l'objet d'une vente à terme à leur profit, que ladite société d'HLM a réglées à l'administration fiscale, conformément aux stipulations contractuelles obligeant les parties ;
Considérant par contre que l'équité ne justifie pas l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile à l'encontre des époux Lascaux, Avril, Manero et Neufcourt ;
Par ces motifs, Statuant contradictoirement. Réforme le jugement entrepris. Et statuant à nouveau : Condamne M. et Mme Michel Lascaux à payer à la société d'HLM Carpi les sommes de : - 1 118,41 F à titre de solde de taxe foncière 1993, - 4 327,52 F à titre de solde de taxe foncière 1994, - 4 907 F à titre de taxe foncière 1995, - 4 128 F à titre de taxe foncière 1996. Condamne M. et Mme Guy Avril à payer à la société d'HLM Carpi les sommes de : - 1 105,32 F à titre de solde de taxe foncière 1993, - 4 327,52 F à titre de solde de taxe foncière 1994, - 4 907 F à titre de taxe foncière 1995, - 5 128 F à titre de taxe foncière 1996. Condamne M. et Mme Michel Manero à payer à la société d'HLM Carpi les sommes de : - 923,60 F à titre de solde de taxe foncière 1993, - 3 606,80 F à titre de solde de taxe foncière 1994, - 4 094 F à titre de taxe foncière 1995, - 4 278 F à titre de taxe foncière 1996. Condamne M. et Mme André Neufcourt à payer à la société d'HLM Carpi les sommes de : - 314,25 F à titre de solde de taxe foncière 1993, - 3 673 F à titre de solde de taxe foncière 1994, - 4 499 F à titre de taxe foncière 1995, - 4 782 F à titre de taxe foncière 1996. Condamne M. et Mme Michel Lascaux, M. et Mme Guy Avril, M. et Mme Michel Manero ainsi que M. et Mme André Neufcourt à payer, pour les années ultérieures, chaque mois à la société d'HLM Carpi, de janvier à octobre, à titre de provision sur la taxe foncière de l'année en cours, un dixième de la taxe de l'année précédente avec régularisation avant le 30 novembre de l'année correspondante. Dit qu'à défaut, la taxe de l'année en cours sera immédiatement exigible dès que la société d'HLM l'aura payée à l'administration fiscale. Déboute la société d'HLM Carpi de ses demandes fondées sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Déboute M. et Mme Michel Lascaux, M. et Mme Guy Avril, M. et Mme Michel Manero, M. et Mme André Neufcourt ainsi que l'Association Force Ouvrière Consommateur de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions. Condamne M. et Mme Michel Lascaux, M. et Mme Guy Avril, M. et Mme Michel Manero, M. et Mme André Neufcourt ainsi que l'Association Force Ouvrière Consommateur aux dépens de première instance et d'appel. admet la SCP Valdelièvre Garnier, avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.