CA Toulouse, 3e ch., 6 juin 1995, n° 4919-93
TOULOUSE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Gabriel
Défendeur :
Royal Salons (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chauvin
Conseillers :
MM. Helip, Lamant
Avoués :
SCP Nidecker Prieu, SCP Boyer Lescat
Avocats :
SCP Dumaine Lacombe Quenioux, SCP Farne Simon Jolly.
Faits, procédure, prétentions des parties
M. Édouard Gabriel, après s'être substitué à son cousin qui avait contracté initialement avec la société Royal Salons, a commandé, la 16 novembre 1991, à celle-ci un mobilier de salon (canapé, fauteuils et table), pour le prix de 19 000 F dont 4 000 F payés immédiatement et le solde payable à la livraison qui devait intervenir en " février 1992 ",
Par lettre du 6 avril 1992, M. Gabriel écrivait à son vendeur pour l'informer que la date de livraison n'étant pas respectée, il annulait son achat et demandait restitution de la somme versée,
En réponse, la société Royal Salons par lettre du 14 avril 1992 indiquait que le délai de livraison figurant au contrat n'était qu'indicatif, qu'elle avait écrit par courrier simple dès le 29 novembre pour informer son client que la livraison ne pourrait intervenir avant la deuxième quinzaine d'avril et qu'enfin elle venait elle-même d'être livrée et qu'il y avait lieu de convenir de la date précise de livraison,
En l'absence d'accord entre les parties, M. Gabriel par assignation du 31 décembre 1992 a fait citer son adversaire devant le Tribunal d'instance de Toulouse aux fins de voir prononcer la résiliation de la vente et obtenir remboursement de l'acompte ainsi que le paiement de dommages et intérêts,
Par jugement du 4 octobre 1993, le tribunal l'a débouté de ses demandes et sur la demande reconventionnelle de la société Royal Salons l'a condamné à payer à cette dernière la somme de 15 000 F avec intérêts au taux de 12 %, à compter de la signification du jugement, outre la somme de 1 500 F pour frais de procès, et donné acte à la société Royal Salons de ce qu'elle s'est déclarée prête à livrer le mobilier dès l'exécution du jugement,
M. Édouard Gabriel est appelant de cette décision et devant la cour soutient que les clauses du contrat dont le tribunal a fait une application stricte étaient abusives et doivent être annulés au profit des règles de droit commun (article 1610 du Code civil) selon lesquelles la résolution du contrat intervenue du fait de l'acheteur est parfaitement régulière et exclusive de l'exécution du contrat réclamé par la société Royal Salons, sans avoir en pareil cas à procéder à une mise en demeure préalable,
Il conclut en conséquence à la réformation du jugement, à la condamnation de son adversaire à lui restituer la somme de 4 000 F, assortie des intérêts légaux depuis le 6 avril 1992 et à lui payer celle de 3 000 F, à titre de dommages et intérêts, outre 4 000 F pour frais de procès,
Répliquant à cette argumentation, la société Royal Salons conclut à la confirmation du jugement déféré, sauf à y ajouter condamnation au paiement de la somme de 5 000 F, pour frais de procès en sus des dépens.
Motifs de la décision
En droit, selon l'article 1134 du Code civil, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou pour les causes que la loi autorise,
Spécialement l'article 35 de la loi du 10 janvier 1978 (actuellement L. 132-1 du Code de la consommation) stipule non écrites les clauses relatives notamment à la livraison lorsque ces clauses apparaissent imposées par le professionnel aux consommateurs, par un abus de la puissance économique et confèrent au professionnel un avantage excessif,
En droit également selon les articles 1610 et 1611 du Code civil, si le vendeur manque à faire la délivrance dans le délai convenu entre les parties, l'acquéreur pourra à son choix demander la résolution de la vente ou sa mise en possession, si le retard ne vient que du vendeur, lequel dans tous les cas doit être condamné aux dommages et intérêts, s'il résulte un préjudice pour l'acquéreur du défaut de délivrance dans le terme convenu,
En l'espèce, il est constant que la date de livraison a, d'un commun accord entre les parties, été convenue pour le mois de février 1992, sans autre précision, ce délai s'expliquant par le fait que l'acheteur devait dans les jours suivants s'absenter hors de France pour ne revenir qu'à cette époque,
Il est également constant que sous la date de livraison figure au recto la mention : " prévue à titre indicatif. Conditions de vente au verso ",
Au verso, figure sous la rubrique " Délai de livraison ", le paragraphe " délai prévu ou donné à titre indicatif " ainsi rédigé :
" Les dates de livraison que nous nous efforçons toujours de respecter, ne sont données, toutefois qu'à titre indicatif, et il est bien évident qu'un retard dans la livraison ne peut constituer une cause de résiliation de la présente commande, ni ouvrir droit à des dommages et intérêts,
" Toutefois, l'acheteur pourra demander l'annulation de sa commande et la restitution, sans intérêts autres que ceux prévus par la loi, des sommes versées, si la marchandise n'est pas livrée dans les quatre vingt dix jours d'une mise en demeure restée sans effet, étant entendu que cette mise en demeure ne pourra être faite qu'après la date de livraison prévue à titre indicatif.
" Royal Salons s'engage à donner un délai ferme dès l'expiration du temps nécessaire pour s'informer, une quinzaine de jours environ sauf causes fortuites ou cas de force majeure. Cette confirmation est donnée à l'acheteur sur demande expresse de sa part. "
La société Royal Salons invoque sur ce dernier point un courrier qu'elle aurait adressé à M. Gabriel le 29 novembre 1991 aux termes duquel elle le prévenait que la livraison interviendrait au plus tard le 30 avril,
Mais quelle que soit la teneur de ce courrier et la certitude qu'il ait bien été envoyé, il ressort du libellé des clauses contractuelles que celles-ci conféraient au professionnel, par un abus de puissance économique un avantage excessif,
En effet, telle qu'elle est rédigée par avance et imposée à l'acquéreur, elle laisse au vendeur en fait l'appréciation du délai de livraison et réduit les droits à réparation que l'acquéreur tient des articles 1610 et suivants en cas de manquement par le vendeur à son obligation essentielle de délivrance dans le temps convenu,
Il s'ensuit que la clause doit être réputée non écrite,
Il s'ensuit également par application des articles précités du Code civil, à l'exclusion des dispositions actuelles de la loi du 18 janvier 1992, (L. 114-1 du Code de la consommation) qui n'ont pas à s'appliquer à un contrat conclu antérieurement, que le vendeur ayant manqué à son obligation de délivrance dans le délai convenu, l'acquéreur est en droit de demander la résolution de la vente et la restitution de l'acompte versé avec intérêts à compter de la demande de restitution, soit en l'espèce le 6 avril 1992, sans autre mise en demeure préalable, comme prévu à l'article 1146 du Code civil, qui prévoit lui-même une exception, réalisée en l'espèce, puisque le temps pour livrer, convenu par avance était déjà expiré,
En revanche la preuve d'un préjudice né du retard à livrer n'étant pas rapportée, M. Gabriel sera débouté de sa demande de dommages et intérêts,
La société Royal Salons qui succombe en ses prétentions supportera les dépens, mais il n'y a pas lieu d'allouer à l'appelant qui obtient satisfaction, d'autres frais de procès, compte tenu de ce que l'argumentation pertinente qui lui permet d'obtenir l'assignation introductive d'instance, qu'elle n'apparaît pas avoir été développée devant le premier juge et qu'elle n'a été formulée que devant la cour,
Par ces motifs, LA COUR, Réformant le jugement déféré et statuant à nouveau, Dit que le contrat est résolu entre les parties aux torts de la société Royal Salons, Condamne la société Royal Salons à payer à M. Gabriel la somme de 4 000 F (quatre mille francs) avec intérêts à compter du 6 avril 1992, Déboute les parties du surplus de leurs demandes, Condamne la société Royal Salons aux entiers dépens et autorise la SCP Nidecker & Prieu Philippot, avoué, à recouvrer directement ceux d'appel dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision.