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Décisions

CA Versailles, 3e ch., 2 juin 1994, n° 4925-93

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Hertz France (SA)

Défendeur :

Union Fédérale des Consommateurs

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pozwolski

Conseillers :

Mmes Jaubert-Chagny, Laporte

Avoués :

SCP Keime Guttin, SCP Merle Doron Carena

Avocats :

Mes Bihl, Pariset.

TGI Versailles, du 10 févr. 1993

10 février 1993

Faits et procédure

La SA Hertz France a régulièrement interjeté appel d'un jugement rendu le 10 février 1993 par le Tribunal de grande instance de Versailles qui a ordonné la suppression de tous ses contrats proposés à la clientèle, des clauses d'exonération de responsabilité du loueur de véhicule (article 4) et d'attribution de compétence au Tribunal de commerce de Versailles (article 8) sous astreinte de 1 000 F par infraction constatée après l'expiration du délai d'un mois à compter de la signification de la décision, et l'a condamnée à payer à l'Union Fédérale des Consommateurs - UFC -, la somme de 50 000 F en réparation du préjudice collectif subi par les consommateurs et celle de 5 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Concluant à l'infirmation de cette décision, la société Hertz France demande à être déchargée de toutes condamnations et sollicite la somme de 20 000 F pour frais irrépétibles.

L'appelante soutient que les clauses critiquées de son contrat sont régulières et que l'UFC ne saurait réclamer réparation du préjudice collectif causé aux consommateurs dans le cadre d'une action civile.

Elle fait valoir, à cet effet, que la clause de l'article 4 ne prévoit pas une exonération de responsabilité de la société Hertz France en cas de non-respect de ses obligations mais informe le locataire de ce que sa responsabilité n'est pas engagée de manière automatique et que seul le préjudice direct est réparable.

Elle l'estime donc non contraire aux règles de la responsabilité contractuelle et quasi délictuelle.

Elle souligne que la clause de l'article 8 qui n'a vocation à s'appliquer qu'aux litiges l'opposant à des commerçants constitue une clause attributive de compétence ratione loci au profit de la juridiction de Versailles, parfaitement valable.

Elle considère que les associations agréées de consommateurs ne peuvent agir en réparation du préjudice porté à l'intérêt collectif des consommateurs que par voie de la constitution de partie civile.

L'UFC conclut à la confirmation du jugement entrepris sauf à y ajouter la somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

L'intimée oppose que la clause de l'article 8 est non seulement abusive mais illégale, en attribuant compétence à un tribunal de commerce pour les litiges entre une société commerciale et un consommateur non commerçant et à une juridiction du lieu du siège social du professionnel et que celle de l'article 4 constitue une véritable exonération de la responsabilité contractuelle du loueur en cas de manquement de sa part à l'une de ses principales obligations.

Elle estime son action indemnitaire recevable sur le fondement de l'article 6 de la loi de 1988 lequel ne constituerait qu'une application du droit d'action collective prévu par l'article 1 du même texte.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 10 mars 1994.

Motifs de l'arrêt

Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la loi n° 88-14 du 5 janvier 1988, les associations agréées de consommateurs peuvent demander à la juridiction civile d'ordonner, le cas échéant sous astreinte, la suppression des clauses abusives dans les modèles de conventions habituellement proposés par les professionnels aux consommateurs,

Que l'article 35 de la loi n° 78-23 du 10 janvier 1978 définit les clauses abusives comme étant celles relatives au caractère déterminé ou déterminable du prix ainsi qu'à son versement, à la consistance de la chose ou à sa livraison, à la charge des risques, à l'étendue des responsabilités et garanties, aux conditions d'exécution, de résiliation, résolution ou reconduction des conventions, lorsque de telles clauses apparaissent imposées aux non-professionnels ou consommateurs par un abus de puissance économique de l'autre partie et confère à cette dernière un avantage excessif .

Considérant que l'UFC, dont la qualité d'association de défense des intérêts de consommateurs agréée au sens de la loi du 5 janvier 1988 et du décret n° 88-586 du 6 mai 1988 n'est pas discutée, poursuit la suppression de deux clauses figurant dans les contrats de location de véhicules sans chauffeur, fournis à sa clientèle par la société Hertz France, qui est l'une des principales entreprises de ce secteur économique,

Que ces contrats fixant les droits et obligations des parties sont préétablis par la société Hertz France qui en impose les clauses au consommateur individuel lequel n'a pas la possibilité de les négocier mais seulement d'adhérer ou non aux conditions élaborées par ce professionnel, société multinationale dont l'activité est mondiale.

Considérant que l'article 4 du contrat en cause stipule : " Dans le cadre des limites légales, Hertz France dégage toute responsabilité pour les dommages atteignant le locataire ou toute tierce personne utilisant le véhicule à quelque titre que ce soit. En aucun cas la société Hertz France ne peut être tenue pour responsable de la perte ou des dommages atteignant les objets laissés à bord du véhicule et il en est de même pour tout préjudice indirect consécutif à des retards de livraisons, à des défauts mécaniques ou à " toute autre cause ".

Considérant que la société Hertz France soutient qu'aux termes de la première phrase, et en raison de la mention " dans le cadre des limites légales ", elle n'entend pas se dégager de sa responsabilité qui pourrait résulter de l'application des règles régissant la responsabilité contractuelle ou quasi-délicutelle, le locataire sachant parfaitement pouvoir obtenir réparation en cas de faute, et que ces dispositions ont pour objet de signaler à ses clients que le simple fait de fournir un véhicule, en dehors de toute faute, ne saurait la rendre responsable en toutes circonstances des dommages que pourrait subir le locataire ou un tiers utilisant le véhicule,

Que, toutefois, il est contradictoire d'invoquer à la fois la connaissance certaine par le locataire de son droit indemnitaire en cas de faute contractuelle ou délictuelle du professionnel et la nécessité de lui préciser que la responsabilité de ce dernier ne peut être engagée sans faute de la part de la société Hertz France,

Qu'il n'est, en outre, nullement fait référence à la notion de faute dans cette clause qui n'est pas de nature à contribuer à l'information du consommateur ordinaire sur l'étendue de la responsabilité de la société Hertz France puisqu'aucun élément ne lui est fourni sur les conditions de mise en œuvre et que l'absence de rappel sommaire des limites légales comme la généralité des termes du second membre de la phrase tend à lui laisser croire que cette responsabilité ne peut, en principe, être engagée,

Que la société Hertz France l'a d'ailleurs admis puisqu'elle a remplacé dans ses nouveaux contrats cette clause par une autre ainsi libellée : " la responsabilité de Hertz ne pourra être mise en cause concernant les dommages atteignant le locataire ou toute autre personne utilisant le véhicule à quelque titre que ce soit, sauf preuve rapportée d'une faute de hertz " qui correspond à l'objectif qu'elle dit avoir recherché initialement.

Considérant que la dernière proposition de la seconde phrase de l'article 4 exonère la société Hertz France non seulement de sa responsabilité contractuelle en cas de manquement à ses principales obligations telles que la délivrance de la chose louée en bon état mais aussi de sa responsabilité quasi-délictuelle dans la mesure où elle vise le préjudice résultant de " toute autre cause " ;

Que l'emploi du qualificatif " indirect " qui s'avère ambigu pour le consommateur profane et non juriste auquel est destiné le contrat, ne saurait suffire à lever toute équivoque sur la responsabilité encourue par le professionnel et la nature du préjudice indemnisable dont l'appréciation du caractère direct relève de la seule compétence des juridictions, ni à rendre cette clause conforme aux règles de la responsabilité en matière civile,

Que la stipulation d'une exonération de toute responsabilité qui a pour effet de dissuader les consommateurs de faire valoir leurs droits, confère un avantage excessif au professionnel et constitue une clause abusive ainsi que l'a estimé, à bon droit, le tribunal, et reconnu la société Hertz France qui l'a supprimée dans ses nouveaux modèles de contrats.

Considérant que l'article 8 du contrat litigieux dispose : " En cas de contestation relative à l'exécution du présent contrat, le Tribunal de commerce de Versailles est seul compétent ",

Que cette clause d'attribution exclusive de compétence à la juridiction consulaire de Versailles même pour les litiges opposant la société Hertz France à ses clients non-commerçants est contraire aux règles de la compétence territoriale prévues par le Code de l'organisation judiciaire et les dispositions particulières du nouveau Code de procédure civile et du Code de commerce,

Que la société Hertz France ne saurait sérieusement soutenir qu'elle ne serait pas applicable dans ses rapports avec les particuliers alors que sa rédaction est générale et ne fait aucune distinction entre les cocontractants et qu'il lui appartenait si tel avait été réellement le cas, d'en restreindre la portée aux seuls locataires ayant la qualité de commerçant comme elle y a désormais procédé postérieurement au jugement déféré,

Que cette clause insérée dans le contrat soumis à l'adhésion des consommateurs non-commerçants dont l'immense majorité ignore la nullité à leur égard, confère aussi un avantage excessif à la société Hertz France en ce qu'elle tend à les faire renoncer à exercer une action en justice devant la juridiction civile dont ils relèvent et à les inciter à saisir une juridiction commerciale incompétente et bien souvent lointaine de leur domicile,

Qu'elle s'avère également abusive,

Que le tribunal a donc ordonné, à juste titre, la suppression sous astreinte de ces deux clauses de tous les contrats proposés par la société Hertz France à sa clientèle.

Considérant que les associations de consommateurs agréées peuvent exercer les actions prévues par la loi du 5 janvier 1988 qui les distingue selon que l'association peut ou non faire état d'une infraction pénale commise par le défendeur,

Que si l'article 1 de la loi susvisée, qui reconnaît aux associations agréées la faculté d'exercer les droits reconnus à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif des consommateurs, admet pleinement leur droit d'agir si un tel intérêt a été lésé par une infraction pénale, ce texte n'autorise, en revanche, leur action en l'absence d'infraction pénale, que pour demander la suppression des clauses abusives (article 6) et intervenir devant les juridictions civiles dans les litiges individuels lorsque la demande initiale a pour objet la réparation du préjudice subi par un ou plusieurs consommateurs, afin de soutenir leurs prétentions indemnitaires et de solliciter du juge des mesures d'interdiction d'agissements illicites ou la suppression de clauses illicites du contrat proposé aux consommateurs,

Que l'UFC prétend donc à tort que l'article 6 de la loi de 1988 ne constitue qu'une application particulière du droit d'action collective, posé par l'article 1 du même texte, en faisant valoir que pour être recevables à agir sur le fondement de l'article 6, les associations doivent remplir les conditions prévues par l'article 1, alors que ce droit ne leur est reconnu par la présente loi, que dans le cadre de l'action civile en réparation d'un dommage causé à l'intérêt collectif des consommateurs par une infraction à la loi pénale, et que les associations ne répondant pas aux critères de l'article 1 et non agréées ne peuvent exercer aucune des actions prévues par cette loi,

Que l'article 6 de la loi du 5 janvier 1988 sur lequel l'UFC fonde sa demande ne prévoit pas qu'une association de consommateurs puisse obtenir des dommages et intérêts en réparation du préjudice porté à l'intérêt collectif des consommateurs causé par la présence de clauses abusives lequel ne résulte pas d'une infraction pénale mais d'une faute de nature civile,

Que la demande en dommages et intérêts de l'UFC est donc irrecevable, au regard des dispositions de ce texte,

Que le jugement entrepris sera dès lors infirmé de ce chef.

Considérant que l'équité justifie d'allouer à l'UFC la somme de 8 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

Que la société Hertz France, qui succombe à titre principal en ses prétentions et supportera les dépens d'appel, est irrecevable en sa demande au même titre.

Par ces motifs, Statuant publiquement contradictoirement et en dernier ressort, Vu l'ordonnance de clôture du 10 mars 1994, En la forme, Déclare la SA Hertz France recevable en son appel, Au fond, Confirme le jugement déféré sauf en ses dispositions concernant les dommages et intérêts alloués à l'Union Fédérale des Consommateurs, Et statuant à nouveau, Déclare l'Union Fédérale des Consommateurs irrecevable en sa demande en dommages et intérêts fondée sur l'article 6 de la loi du 5 janvier 1988, Condamne la SA Hertz France à payer à l'Union Fédérale des Consommateurs la somme de 8 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, La déclare irrecevable en sa demande au même titre, La condamne aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.