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Décisions

CA Bordeaux, 1re ch. A, 7 avril 1994, n° 91004602

BORDEAUX

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Dominguez (Époux)

Défendeur :

Mobi Center International (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Septe

Conseillers :

Mme Gachie, M. Cheminade

Avoués :

SCP Julia, Casteja-Clermontel

Avocats :

Mes Dupuy, Danguy.

T. com. Bordeaux, du 25 juin 1991

25 juin 1991

Faits et procédure

Le 11 octobre 1988, les époux Dominguez ont passé commande auprès de la SA Mobi Center pour un ensemble de meubles d'un montant de 41 000 F sur lesquels ils ont versé un acompte de 5 000 F par chèque.

Le bon de commande portait comme date de livraison prévue à titre indicatif le mois d'avril ou de mai 1989.

La livraison n'étant pas intervenue, les époux Dominguez ont, par lettre du 9 septembre 1989, réclamé le remboursement de leur acompte.

La SA Mobi Center s'est refusée à restituer cet acompte prétendant que le retard dans la livraison n'était dû qu'aux époux Dominguez.

C'est dans ces conditions que les époux Dominguez ont saisi le Tribunal de commerce de Bordeaux pour réclamer la condamnation de la SA Mobi Center au paiement de la somme de 5 000 F qu'elle retenait à titre d'acompte sur leur commande, outre diverses sommes et indemnités.

Par jugement du 25 juin 1991, le Tribunal de commerce de Bordeaux a débouté les époux Dominguez de leurs demandes, dit qu'il n'y avait lieu à annuler la commande passée le 11 octobre 1988, puis, statuant sur la demande reconventionnelle de la SA Mobi Center, a condamné les époux Dominguez à laisser la SA Mobi Center procéder à la livraison des meubles dans les 15 jours de la signification de la décision sous astreinte de 50 F par jour de retard, et au paiement de la somme de 36 000 F représentant le solde du prix de la commande avec intérêt au taux légal à compter de la date de la signification de la décision.

Les époux Dominguez ont relevé appel de cette décision, et demandent à la cour de dire que la clause, relative aux délais de livraison figurant dans le bon de commande conclu le 11 octobre 1988, constitue une clause abusive en ce qu'elle consent au vendeur professionnel un avantage excessif, en lui laissant l'appréciation du délai de livraison, et en réduisant le droit à réparation de l'acquéreur non professionnel, prévu à l'article 1610 du Code civil, en cas de manquement par le vendeur à son obligation essentielle de délivrance.

Ils ajoutent, dans un deuxième jeu de conclusions, que le retard dans la livraison ne leur est pas imputable, qu'au demeurant, la SA Mobi Center ne rapporte pas la preuve qui lui incombe que le mobilier commandé était à leur disposition à compter du mois de juin 1989, la première lettre dans laquelle la SA Mobi Center admet que la commande est "actuellement disponible" étant datée du 20 janvier 1990. En outre, ils font valoir que la clause litigieuse qui figure au bon de commande limite le droit à réparation de l'acquéreur non professionnel, et constitue en conséquence une cause de résiliation ouvrant droit à dommages et intérêts.

Enfin, les époux Dominguez soutiennent que les termes de l'arrêt du 16 juillet 1987, qu'ils invoquent à l'appui de leur thèse, en font un arrêt de principe, que celui-ci a d'ailleurs été confirmé par un second arrêt de la Cour de cassation du 14 mai 1991 qui autorise le juge à sanctionner une clause abusive par la seule application de l'article 35 de la loi du 10 janvier 1978, dès lors que la clause incriminée procure un avantage excessif au vendeur professionnel, et que celui-ci, du fait de sa position économique, se trouve en mesure de l'imposer à sa clientèle.

Ils concluent en conséquence à la réformation de la décision entreprise, à ce que soit constatée l'annulation de la commande passée le 11 octobre 1988, et la SA Mobi Center condamnée au paiement de la somme de 5 000 F représentant l'acompte versé, majoré des intérêts légaux à compter du 11 octobre 1988, outre la somme de 3 000 F à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive, et une somme identique à titre d'indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

A cela, la SA Mobi Center répond que la convention fait la loi des parties, et que loin de constituer un arrêt de principe, la décision, citée par les appelants, ne constitue qu'une décision d'espèce, le principe posé par la jurisprudence et la doctrine en l'espèce étant, d'une part, que les clauses ne prévoyant qu'un délai de livraison indicatif, et refusant au consommateur tout droit à indemnité sont parfaitement valable, et d'autre part, qu'une telle clause ne peut être annulée parce que non conforme aux dispositions de l'article 35 de la loi du 10 janvier 1978, qu'à partir du moment où son caractère abusif a été reconnu par la loi ou son décret.

La SA Mobi Center ajoute que l'annulation ne saurait être davantage fondée sur les dispositions des articles 2 et 3 du décret du 24 mars 1978, dès lors qu'elle ne constitue en rien une limitation au droit à réparation de l'acquéreur non professionnel.

Enfin, et pour le cas où par extraordinaire la cour estimerait devoir juger la clause litigieuse abusive, elle ne pourrait pour autant résilier la convention, en l'absence de clause résolutoire de plein droit, à défaut de pouvoir trouver en l'espèce une cause légitime de résiliation. L'examen des faits de l'espèce démontrant en effet que le retard dans la livraison résulte uniquement de la volonté des époux Dominguez, ainsi que cela est établi par les attestations de divers employés de leur établissement à Mérignac, et que les époux Dominguez sont bien en peine d'établir qu'ils ont, dès le mois de juin 1989, mis la SA Mobi Center en demeure d'effectuer la livraison. Bien au contraire, et même si l'on considère la lettre des époux Dominguez du 9 septembre 1989, comme une mise en demeure, la proposition de livraison effectuée, le 14 septembre 1989, ne permet pas de conclure à un délai qui ne serait pas raisonnable.

En conséquence, la SA Mobi Center conclut à ce que l'appel interjeté par les époux Dominguez soit déclaré irrecevable ou en tout cas mal fondé, et à la confirmation en son principe de la décision entreprise soit par adoption de motifs, soit par toute substitution utile, et y ajoutant à la condamnation des époux Dominguez au paiement de la somme de 5 000 F à titre de dommages et intérêts pour appel abusif et de celle de 6 000 F sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Discussion

L'intimée ne mettant pas la cour à même de vérifier, par la production de pièces de procédures, et notamment, la signification de la décision entreprise, la régularité de l'appel interjeté, il convient de déclarer celui-ci recevable.

Il résulte des dispositions de la clause 2-a, figurant au bon de commande signé par les époux Dominguez, qui impose, après un délai de 7, voire 8 mois, à l'acquéreur non professionnel de ne pouvoir rompre son engagement qu'après un délai supplémentaire de 3 mois, intervenant lui-même après une mise en demeure du vendeur, que celles-ci confèrent au vendeur professionnel un avantage excessif, dès lors qu'il peut contraindre son cocontractant à accepter la livraison durant une période anormalement longue, manquant ainsi à l'obligation de délivrance telle que définie par les dispositions de l'article 1610 du Code civil,

En conséquence, une telle clause doit être qualifiée d'abusive, et réputée non écrite, au regard des dispositions de l'article 35 de la loi du 10 janvier 1978.

Par ailleurs, la SA Mobi Center soutient qu' elle détient les meubles acquis par les époux Dominguez, depuis le mois de juin 1989, et affirme que l'absence de livraison résulte uniquement de la volonté des époux Dominguez de la reporter au mois de septembre 1989.

Cependant, dès lors que, pour établir ces affirmations, la SA Mobi Center se borne à verser aux débats l'attestation d'une de ses employées aux termes de laquelle Monsieur Dominguez aurait indiqué qu'il ne pourrait recevoir son mobilier avant la fin du mois de juillet 1989, alors qu'un tel écrit qui émane d'une personne subordonnée à la direction de la SA Mobi Center, répondant à une précédente des époux Dominguez, de laquelle il résulte que celle-ci, face à la demande de restitution de l'acompte versé par l'acquéreur, se borne à proposer un rendez-vous pour étudier la difficulté, sans opposer la présence des meubles dans ses entrepôts, alors que ceux-ci sont censés s'y trouver depuis le mois de juin 1989.

En outre, les documents présentés par la SA Mobi Center, comme les bons de livraison des meubles acquis par les époux Dominguez, ne permettent pas en raison de l'imprécision des termes employés et de l'absence de toute concordante entre ceux-ci et ceux du bon de commande d'acquérir la conviction qu'il s'agit du même mobilier.

Il faut en déduire que la SA Mobi Center ne rapporte pas la preuve de ce que les meubles destinés aux époux Dominguez se trouvaient dans ses entrepôts dès le mois de juin 1989, ni de ce que l'absence de livraison résultait de la seule volonté des époux Dominguez.

En conséquence, dès lors que le seul écrit émanant de la SA Mobi Center duquel il résulte sans équivoque que la livraison est en mesure d'être effectuée, est daté du 8 février 1990, que force est d'admettre que c'est seulement depuis cette date que la SA Mobi Center a été en mesure d'assurer la livraison, qu'il s'ensuit que le délai utilisé par le vendeur professionnel pour remplir son obligation est anormalement long, et autorise les époux Dominguez à se prévaloir des termes de l'article 1610 du Code civil pour solliciter la résiliation de la vente, et condamner la SA Mobi Center à leur rembourser le montant de l'acompte versé au moment de la commande portant sur la somme de 5 000 F, majoré des intérêts au taux légal à compter de la décision entreprise.

Les époux Dominguez ne justifient pas d'un préjudice distinct de celui immédiatement et directement réparé par l'annulation de la commande et la restriction de l'acompte versé ; ils seront en conséquence déboutés de leur demande en dommages et intérêts.

La SA Mobi Center, partie qui succombe, doit être condamnée au paiement envers les époux Dominguez, d'une somme de 3 000 F sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Décision : Dit l'appel relevé par les époux Dominguez recevable ; Réforme la décision entreprise ; Dit abusive la clause n° 2-a du bon de commande conclu entre les époux Dominguez et la SA Mobi Center, le 11 octobre 1988, et la répute non écrite ; Prononce la résiliation de la vente conclue le 11 octobre 1988, entre les époux Dominguez et la SA Mobi Center, et condamne la SA Mobi Center à rembourser aux époux Dominguez le montant de leur acompte pour la somme de 5 000 F, majoré des intérêts au taux légal à compter de la décision entreprise ; Déboute les époux Dominguez de leur demande en dommages et intérêts ; Condamne la SA Mobi Center à payer la somme de 3 000 F sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Déboute la SA Mobi Center de l'ensemble de ses demandes ; Condamne la SA Mobi Center aux entiers dépens de première instance et d'appel, et autorise Maître Julia, avoué, à recouvrer ceux pour lesquels il n'aurait pas reçu provision conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.