CA Paris, 18e ch. C, 21 décembre 2000, n° 00-34698
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Primagaz (SA), Interservices (SA)
Défendeur :
Akimoff, Euverte, Monny, Gougeuil (Epoux), Tennin, Jaconelli, Demoncy, Peno, Perez Gaz (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Feydeau
Avocats :
Mes Ithurbide, Ouard, Leveillard, Rabier, Burnichon.
Faits, procédure et prétentions des parties
En vertu d'un contrat de mandataire régional signé le 21 décembre 1998, la société Primagaz a donné mandat à la société Perez Gaz pour assurer le ravitaillement de la clientèle GPL (Gaz de Pétrole Liquéfiés) située sur un secteur géographique important de la région parisienne dont les contours étaient précisés au contrat.
L'article 4 de la convention stipulait qu'elle était conclue pour une période indéterminée commençant le 1er février 1999, sauf dénonciation, par l'une ou l'autre des parties par lettre recommandée avec accusé de réception en respectant un préavis de six mois.
Par courrier du 26 juillet 1999, la société Primagaz a avisé la société Perez Gaz qu'elle entendait dénoncer le contrat en précisant que compte tenu du délai de préavis, il prendrait fin le 31 janvier 2000.
Le secteur géographique attribué à la société Perez Gaz a alors fait l'objet d'un découpage, 71,15 % de ce secteur revenant à la société Interservices, 19,66 % à l'agence d'Auxerre de la société Primagaz, 5,03 % à la société Houtch, et 4,14 % à la société CVIF.
Sur les quinze salariés de la société Perez Gaz, neuf se sont vu proposer la reprise de leur contrat de travail par la société Interservices ; trois d'entre eux Thierry Jaconelli, Gilles Demoncy et Valérie Peno ont refusé en raison de la modification de leurs lieux de travail.
Les six autres, Boris Akimoff, Sébastien Euverte, Bernard Monny, Danielle et Philippe Gougeuil, et Laurent Tennin se sont présentés le 1er février 2000 dans les locaux de La Courneuve de la société Primagaz pour y être embauchés, ce qui leur a été refusé.
Les neuf salariés qui se sont ainsi retrouvés sans travail ont saisi le Conseil de prud'hommes de Meaux dans le cadre de procédures de référé en demandant que soit ordonnée la poursuite de leurs contrats de travail dans les sociétés Primagaz ou Interservices suivant les cas en application de l'article L. 122-12 du Code du travail.
Par trois décisions du 31 mars 2000, la formation de référé du Conseil de prud'hommes de Meaux a dit qu'en vertu de ce texte, le contrat de travail de Thierry Jaconelli s'était poursuivi au sein de la société Primagaz à compter du 1er février 2000, et qu'il en était de même pour les contrats de Gilles Demoncy et de Valérie Peno au sein de la société Interservices ; elle a ensuite ordonné aux deux sociétés de régler les salaires de février et mars 2000 à leurs employés et de prendre toutes dispositions procédurales conformes au Code du travail (article L. 122-14 et suivants) sous astreinte de 500 F par jour de retard à compter de la 72e heure suivant la notification de la présente ordonnance et ce pour 30 jours.
Par six ordonnances du 28 avril 2000, rendues en formation de départage, le conseil de prud'hommes a constaté la continuation des contrats de travail de Messieurs Akimoff, Euverte, Monny, Tennin, Gougeuil et de Madame Gougeuil, dans les mêmes conditions d'embauche que celles dont il bénéficiait au sein de la société Perez Gaz, par la société Primagaz à compter du 1er février 2000, a ordonné le paiement des salaires à partir de cette même date et a condamné la société Primagaz à payer à chacun des salariés une indemnité de procédure de 2 500 F.
Vu les appels formés par la société Primagaz contre les décisions du 28 avril 2000;
Vu les conclusions en date du 7 août 2000 par lesquelles la société appelante conclut à leur infirmation, au débouté des salariés de leurs demandes de reprise de leur contrat de travail et de paiement des salaires par la société Primagaz, l'article L. 122-12 du Code du travail n'étant pas applicable au cas d'espèce, et à ce qu'il soit ordonné le remboursement des sommes versées dans le cadre de l'exécution des ordonnances, l'appelante sollicitant enfin la condamnation de chaque salarié au paiement d'une indemnité de procédure de 3 000 F;
Vu les écritures du 14 septembre 2000 par lesquelles Messieurs Akimoff, Euverte, Monny, Tennin, Gougeuil et Madame Gougeuil concluent à la confirmation des ordonnances entreprises et à la condamnation de la société Primagaz au paiement à chacun des salariés, d'une somme de 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Vu les appels formés par la société Primagaz et la société Interservices contre les ordonnances du 31 mars 2000 ;
Vu les conclusions des 19 et 25 octobre 2000 de la société Primagaz tendant à l'infirmation de la décision rendue au profit de Monsieur Jaconelli en ce qu'elle a considéré que les dispositions de l'article L. 122-12 du Code du travail devaient recevoir application, et en ce qu'elle lui a ordonné de mettre en œuvre la procédure de licenciement, la société appelante demandant que soit ordonné le remboursement des sommes versées à Monsieur Jaconelli et que ce dernier soit condamné au paiement d'une indemnité de procédure de 5 000 F;
Vu les écritures de la société Interservices du 25 octobre 2000 tendant à l'infirmation des ordonnances rendues au profit de Gifles Demoncy et Valérie Peno, les dispositions de l'article L. 122-12 du Code du travail n'étant pas applicables, la société appelante demandant que la société Perez Gaz soit condamnée à lui rembourser les sommes versées aux salariés en exécution des ordonnances attaquées, et que les intimés soient condamnés solidairement à lui payer une indemnité de procédure de 10 000 F dans chacun des dossiers ;
Vu les conclusions des trois salariés du 25 octobre 2000 tendant à la confirmation des ordonnances et à la condamnation des sociétés Primagaz et Interservices au paiement à chacun d'entre eux d'une somme de 8 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Vu les écritures en date du 25 octobre 2000 par lesquelles la société Perez Gaz conclut à la confirmation des ordonnances rendues et à la condamnation des sociétés Primagaz et Interservices à lui payer la somme de 15 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
MOTIVATION
Dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, il y a lieu de joindre les dossiers ouverts sous les numéros 00-34698, 00-34704, 00-34706, 00-34709, 00-34710, 00-34711, 00-36982, 00- 36983 et 00-36990.
Selon l'article L. 122-12 alinéa 2 du Code du travail, les contrats de travail en cours sont maintenus entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise en cas de transfert d'une entité économique conservant son identité dont l'activité est poursuivie ou reprise.
En l'espèce, il n'est pas contesté que la distribution par la société Perez Gaz, avec son propre personnel, des produits de la société Primagaz sur un secteur géographique et auprès d'une clientèle déterminés par le contrat de mandataire régional précité, constituait une activité économique poursuivant un objectif propre et donc une entité économique au sens de ce texte.
Cependant les sociétés appelantes soutiennent que le transfert des contrats de travail n'a pas lieu de s'opérer dès lors que cette entité n'a pas conservé son identité, l'activité assurée par la société Perez Gaz ayant été éclatée entre plusieurs sociétés.
Sur ce point, il convient d'observer qu'au 31 janvier 2000, date à laquelle a pris fin le contrat de mandataire régional consenti à la société Perez Gaz par la société Primagaz, l'activité de distribution correspondant au secteur géographique et à la clientèle visés au contrat a nécessairement, dans un premier temps tout au moins, été reprise par la société Primagaz.
Le choix de gestion fait par cette dernière de n'exploiter directement qu'environ 20 % du secteur à travers son agence d'Auxerre, et de conclure plusieurs semaines après des contrats de mandataires régionaux avec trois autres sociétés pour l'exploitation du reste, n'est pas de nature à faire obstacle aux transferts de plein droit des contrats de travail des salariés de l'entreprise Perez Gaz, laquelle a cessé toute activité, étant observé au surplus qu'il est acquis aux débats que la société Interservices, qui a repris, par l'effet du contrat de mandataire régional consenti par la société Primagaz, plus de 70 % de la clientèle de Perez Gaz, est une filiale de la société Primagaz.
Il y a d'ailleurs lieu de relever que la société Interservices était tellement consciente de la poursuite de l'activité précédente, qu'avant même d'être bénéficiaire du contrat de mandataire régional, elle a proposé à neuf des quinze salariés de Perez Gaz de reprendre leurs contrats de travail avec leur ancienneté au service de cette entreprise.
Ainsi, les refus d'accepter les transferts de plein droit des contrats de travail des salariés de Perez Gaz ont causé à ces derniers un trouble manifestement illicite, et l'obligation au paiement des salaires pesant sur les sociétés Primagaz et Interservices suivant les cas, n'apparaît pas sérieusement contestable.
Les décisions attaquées seront donc confirmées en ce qu'elles ont ordonné la poursuite des contrats de travail et le paiement des salaires réclamés.
En revanche, s'il appartenait aux sociétés concernées de tirer les conséquences des refus des salariés de signer les nouvelles conventions qui leur étaient proposées en raison du changement de leur lieu de travail, il n'appartenait pas au juge des référés de leur ordonner, sous astreinte, d'engager des procédures de licenciement.
Les ordonnances concernant Monsieur Jaconelli, Monsieur Demoncy et Madame Peno seront réformées sur ce point.
Il y a lieu d'allouer à chacun des salariés, au titre des frais non répétibles exposés en appel une indemnité de procédure de 3 000 F.
Par ces motifs : Joint les dossiers ouverts sous les numéros 00-34698, 00-34704, 00-34706, 00- 34709. 00-34710, 00-34711, 00-36982, 00-36983 et 00-36990, Réformant partiellement les trois ordonnances rendues le 31 mars 2000, Dit n'y avoir lieu d'ordonner à la société Primagaz pour Monsieur Jaconelli et à la société Interservices pour Monsieur Demoncy et Madame Peno de prendre toutes les dispositions procédurales conformes aux articles L. 122-14 et suivants sous astreinte de 500 F par jour de retard, Confirme ces trois ordonnances pour le surplus de leurs dispositions et les six ordonnances rendues le 28 avril 2000 dans leur intégralité, Y ajoutant, condamne la société Primagaz à payer à Messieurs Akimoff, Euverte, Monny, Tennin, Jaconelli, Gougeuil et à Madame Gougeuil une indemnité de procédure de 3 000 F pour chacun, et la société Interservices à payer la même somme à Monsieur Demoncy et à Madame Peno, Condamne les sociétés Primagaz et Interservices aux dépens.