Ministre de l’Économie, 5 septembre 2002, n° ECOC0300084Y
MINISTRE DE L’ÉCONOMIE
Lettre
PARTIES
Demandeur :
MINISTRE DE L'ECONOMIE
Défendeur :
Conseils de la société Pinault Bois et Matériaux
MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE
Maîtres,
Par dépôt d'un dossier déclaré complet le 5 août 2002, vous avez notifié la prise de contrôle de la société Carmat par la société Pinault Bois & Matériaux (ci-après PBM).
I. Les parties et l'opération envisagée
La société PBM est une filiale du groupe Pinault Printemps Redoute (ci-après le groupe PPR) dirigé par la société Artemis, elle-même contrôlée par les membres de la famille Pinault. Le groupe PPR est organisé autour de quatre grands pôles d'activités diversifiées que sont la distribution Grand Public (FNAC, Conforama, le Printemps, etc.), le luxe (groupe Gucci, etc.), les services financiers (FINAREF) et le pôle professionnel (Guilbert, Rexel, CFAO et PBM). Le groupe a réalisé un chiffre d'affaires consolidé de 27 800 millions d'euros sur le plan mondial et de 12 500 millions d'euros sur le territoire français. La plus grande partie du chiffre d'affaires de la filiale PBM est issue de ses activités d'importation et transformation de bois d'une part et de son activité de négoce de matériaux de construction d'autre part. PBM est la seule société du groupe à exercer ce type d'activités.
La société Carmat est une société anonyme de droit français, dont le siège social est situé à Beauvoir-sur-Mer, en Vendée. La société est actuellement contrôlée, directement et indirectement, par Mme Stella Leaute. La société est active dans le secteur du négoce de matériaux de construction en général et en particulier dans le négoce de matériaux, appareils, articles et pièces se rapportant au carrelage. Elle a réalisé en 2001 un chiffre d'affaires de 28,1 millions d'euros, essentiellement sur le territoire français, à travers sept points de ventes répartis sur les départements de Vendée et de Loire-Atlantique.
L'opération envisagée a pour objet l'acquisition de la totalité des titres de la société Carmat par la société PBM aux différents actionnaires de la société Carmat. L'opération constitue donc bien une concentration au sens de l'article L. 430-1 du Code de commerce en ce qu'elle doit conférer à la société PBM le contrôle exclusif de la société Carmat. Compte tenu des chiffres d'affaires précités, cette opération n'est pas de dimension communautaire et est soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du Code de commerce, relatives au contrôle de la concentration économique.
II. La définition des marchés en cause
Les parties sont toutes deux présentes dans le secteur de la distribution en gros de matériaux de construction. Cette activité comprend la vente de matériaux tels que le bois, les panneaux de bois, les produits de gros œuvre (parpaings, ciment, agrégats, briques, armature, etc...), les matériaux d'isolation, les matériaux de couverture, les produits d'aménagement intérieur ou extérieur, les produits se rapportant au carrelage, sanitaire, cuisine, menuiserie, chauffage, etc. En conséquence, les parties interviennent à la fois en amont en tant qu'acheteurs de matériaux auprès des fabricants de ces matériaux (i) et en aval en leur qualité de grossistes sur le marché du négoce de matériaux de construction (ii).
(i) Le marché de l'approvisionnement
La société PBM achète environ [80-90] % des matériaux qu'elle revend ensuite en tant que négociant. Le montant total de ses achats s'est élevé à [...] millions d'euros. La part des achats de PBM est évaluée à environ [0-10] % de la demande totale en France de matériaux de construction. Pour sa part, la société Carmat achète la totalité des matériaux qu'elle revend et ce pour un montant total de [...] millions d'euros. La part de ses achats se situe donc approximativement à [0-10] % de l'approvisionnement total.
En matière d'approvisionnement, il est possible de distinguer autant de marchés distincts qu'il existe de familles de produits (cf. note 1). En effet, chaque famille de produits a ses caractéristiques propres, faisant intervenir un nombre d'opérateurs très variable ou dont la taille est sans commune mesure, en fonction des investissements, du savoir-faire ou encore du niveau de recherche et développement nécessaires à la fabrication des différents matériaux de construction.
Au cas d'espèce, il n'est toutefois pas nécessaire de segmenter aussi précisément le marché de l'approvisionnement dans la mesure où, quelle que soit la délimitation produit ou géographique retenue, l'apport de la société objet de l'opération n'entraîne que de très faibles additions en termes de parts de marché sur le ou les différents marchés de l'approvisionnement.
(ii) Le marché du négoce de matériaux de construction
La Commission définit le marché du négoce de matériaux comme étant " une activité traditionnelle par laquelle les négociants stockent l'ensemble des matériaux nécessaires aux entreprises du secteur du bâtiment " (cf. note 2). En effet, l'activité consiste à fournir en gros un large assortiment de matériaux qui, bien que non substituables entre eux, sont toutefois nécessaires et souvent associés pour réaliser un projet de construction.
Ce marché se distingue de la distribution au détail de matériel de bricolage dans la mesure où l'offre des négociants s'adresse en priorité à des professionnels, ce qui implique des différences notables dans l'organisation de distribution des produits (stocks plus importants, délais de paiement, peu de ventes à emporter, demande de livraison directe par le fournisseur en cas de commande importante, etc.) ainsi que dans la largeur et la profondeur des gammes de matériaux et matériels proposés par les négociants. Par ailleurs, si des particuliers s'adressent parfois à des négociants en matériaux de construction, il s'agit généralement de " bricoleurs lourds " dont les attentes sont proches de celles de professionnels (cf. note 3).
La question de la possibilité d'une segmentation plus fine du marché du négoce de matériaux a été abordée à plusieurs reprises par le Conseil de la concurrence (cf. note 4) et la Commission (cf. note 5). Il est ainsi possible de distinguer les négociants " généralistes ", qui proposent une gamme de produits large mais peu profonde, des négociants " spécialisés ", dont l'offre est centrée sur une famille de produits. Les parties à l'opération disposent toutes deux de points de vente généralistes et spécialisés. Ainsi, un peu moins de la moitié des points de vente du réseau PBM est composée de négociants de type généraliste, tandis que le reste des points de vente PBM sont spécialisés, soit dans les produits de second œuvre et couverture, soit dans la vente de panneaux de bois. De la même façon, la société Carmat dispose de quatre points de vente généralistes et de trois points de vente spécialisés dans le carrelage.
Du point de vue géographique, la Commission a relevé qu'en matière de distribution de matériaux de construction, la dimension à retenir était au plus nationale, mais que la question d'une délimitation plus restreinte restait ouverte. En effet, les professionnels du bâtiment effectuent très généralement leurs achats dans un périmètre relativement restreint. Selon les parties, la clientèle des négociants en matériaux de construction n'est prête à se déplacer pour ses approvisionnements que dans un rayon maximum de 50 à 75 km pour ce qui concerne les points de vente spécialisés, voire de seulement 30 à 50 km pour ce qui est des points de ventes généralistes.
III. L'analyse concurrentielle
(i) Sur le marché amont de l'approvisionnement
Il a déjà été constaté ci-dessus qu'en termes de parts de marché sur le ou les marchés de l'approvisionnement, l'addition que constituait l'apport de la société Carmat restait marginale.
Toutefois, un renforcement de la puissance d'achat des parties à l'opération pourrait se manifester à partir de l'augmentation que représentent les achats cumulés des parties dans le chiffre d'affaires de leurs fournisseurs communs. Or, d'une part, pour la plupart des fournisseurs communs, la part des achats de la société Carmat reste très peu significative par rapport à celle de PBM. L'opération ne modifiera donc pas de façon sensible les rapports commerciaux entre ces fournisseurs et le nouvel ensemble. D'autre part, dans les cas où le montant des achats cumulés des parties franchit le seuil de 10 % d'augmentation, la part des achats du nouvel ensemble dans le chiffre d'affaires des fournisseurs concernés reste faible. En conséquence, sans qu'il soit même nécessaire d'examiner les débouchés alternatifs dont pourraient disposer les fournisseurs communs aux parties, on constate que l'opération n'aura pas pour effet de placer leurs fournisseurs en situation de dépendance économique.
Enfin, il faut préciser que l'opération envisagée n'emporte pas un degré de concentration sur le marché du négoce de matériaux de construction tel que le nouvel ensemble puisse constituer à terme un débouché incontournable du point de vue des fournisseurs. Dès lors, dans la mesure où les fournisseurs conservent une alternative crédible de débouchés parmi les nombreux opérateurs présents dans le secteur du négoce de matériaux de construction, tant au niveau national(Point P, Bigmat, Gedimat, MC Matériaux, etc.) que local(pour la côte atlantique par exemple VM Matériaux, Morineau matériaux, Océane de Matériaux, etc), l'opération n'entraîne pas de renforcement significatif de la puissance d'achat de la nouvelle entité.
(ii) Sur les marchés avals du négoce de matériaux de construction
Au plan national, PBM réalise [0-10] % des ventes en gros de matériaux de construction, tandis que la société Carmat n'en réalise que [0-10] %.
Au plan local, la société Carmat n'est implantée que dans les départements de Vendée et de Loire-Atlantique. Si l'on considère que le négoce de matériaux de construction s'exerce sur un périmètre réduit à 75 km de rayon maximum, il convient d'apprécier la position du nouvel ensemble par rapport au total des ventes de matériaux réalisées par les négociants en matériaux dans chacun de ces deux départements. Ainsi, en Loire-Atlantique, la part des ventes de PBM est de [10-20] % et celle de Carmat de [0-10] %. L'addition reste par conséquent faible et la part totale de la nouvelle entité demeure modérée. En Vendée, la part des ventes de PBM est de [0-10] % et celle de Carmat de [0-10] %. Là encore, la part cumulée du nouvel ensemble reste faible.
Si l'on appréhende l'opération du point de vue des effets unilatéraux qu'elle pourrait engendrer, on constate que l'opération conduit à regrouper des points de vente pouvant constituer des substituts proches sur le plan géographique sur les agglomérations de Nantes (cinq points de vente PBM et un point de vente Carmat), de Pornichet et Guérande (un point de vente PBM et deux points de vente Carmat) et de La Roche-Sur-Yon (un point de vente PBM et un point de vente Carmat).
Toutefois, si ces points de vente sont proches géographiquement, ils ne constituent que des substituts très imparfaits, les uns relevant du négoce généraliste et les autres du négoce spécialisé. A Nantes, le magasin Carmat est exclusivement spécialisé en carrelage tandis que les magasins PBM sont soit généralistes, soit spécialisés dans la vente de panneaux de bois. Sur la zone Pornichet/Guérande, le magasin PBM est spécialiste en second œuvre et couverture, tandis que les magasins Carmat sont spécialistes en carrelage. Enfin, sur la zone de La Roche-Sur-Yon, le magasin PBM est spécialiste en second œuvre et couverture, tandis que le point de vente Carmat est spécialisé dans le carrelage. Dès lors, sans qu'il soit nécessaire d'examiner de manière plus approfondie cette question, il s'en conclut que l'opération n'est pas susceptible de conduire à des effets unilatéraux de nature à porter atteinte à la concurrence. On relève en outre que, sur les agglomérations concernées, sont actifs de nombreux concurrents constituant une alternative proche de l'offre des parties.
En conséquence, quelles que soient les définitions de marchés retenues, l'opération n'emporte pas de risque de nature à porter atteinte à la concurrence.
Aux termes du protocole d'accord notifié, les vendeurs des titres de la société Carmat s'engagent, pour une durée de dix ans (*) à ne s'intéresser, directement ou indirectement, à aucune entreprise, sous quelque forme juridique que ce soit, dont l'activité serait de nature à concurrencer celle de la société Carmat dans le cadre de ses activités actuelles, dans les départements de Loire-Atlantique, Vendée, Morbihan et Maine-et-Loire. Cette restriction n'apparaît pas directement liée et nécessaire à l'opération de concentration, à tout le moins pour une durée aussi longue. De manière générale, la Commission européenne considère que de telles clauses peuvent être justifiées pour des périodes n'excédant pas deux à trois ans (1). La présente décision est ainsi sans préjudice d'un examen éventuel des effets de la clause de non-concurrence au titre de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
Il ressort de ces éléments que l'opération notifiée n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence, notamment par création ou renforcement d'une position dominante. Je vous informe que j'autorise cette concentration.
Je vous prie d'agréer, Maîtres, l'expression de mes sentiments les meilleurs.
(*) Par un avenant au protocole notifié en date du 14 septembre 2002, la clause de non-concurrence a été réduite à 3 ans
Nota. - A la demande des parties notifiantes, des informations relatives au secret des affaires ont été occultées. Ces informations relèvent du " secret d'affaires ", en application de l'article 8 du décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence.
NOTE (S) :
(1) Aff. M. 1684 Carrefour/Promodès du 25 janvier 2000. Décision du ministre Mr. Bricolage/Tabur du 29 août 2002, en instance de publication.
(2) Aff. M. 486, Holdercim/Origny-Desvroises du 5 août 1994.
(3) Décision Mr. Bricolage/Tabur précitée.
(4) Décision du Conseil de la concurrence n° 88-D-30, BOCCRF n° 19 du 30 septembre 1988.
(5) Aff. M. 764, Saint-Gobain/Poliet du 4 juillet 1996 et M. 1974 Cie Saint-Gobain/Raab Karcher du 22 juin 2000.