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Décisions

CA Paris, 13e ch. A, 21 juin 2000, n° 99-07778

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guilbaud

Conseillers :

M. Nivose, Mme Marie

Avocats :

Mes Montenot, Liotard.

TGI Créteil, 17e ch., du 6 mai 1999

6 mai 1999

RAPPEL DE LA PROCEDURE

LA PREVENTION

F David est poursuivi par citation à la requête du procureur de la République remise à domicile le 16 février 1999 (ar signé le 18 février 1999), pour avoir à Rungis (94), le 11 juillet 1997, tenté de tromper le contractant sur les qualités substantielles d'une marchandise offerte à la vente, en l'espèce en détenant en vue de la vente des colis de nectarines munis d'une étiquette mentionnant qu'elles étaient du calibre A, c'est-à-dire que leur diamètre était égal ou supérieur à 67 milimètres, alors que 43,3 % de ces fruits étaient d'un calibre inférieur.

S George René est poursuivi par citation à la requête du procureur de la République remise en mairié le 18 février 1999 (ar signé le 20 février 1999), pour avoir à Rungis (94), le 11 juillet 1997, trompé le contractant sur les qualités substantielles d'une marchandise offerte à la vente, en l'espèce en livrant des colis de nectarines munis d'une étiquette mentionnant qu'elles étaient du calibre A, c'est-à-dire que leur diamètre était égal ou supérieur à 67 milimètres, alors que 43,3 % de ces fruits étaient d'un calibre inférieur.

LE JUGEMENT

Le tribunal, par jugement contradictoire à signifier, a :

déclaré :

F David

coupable de tromperie sur la nature, la qualité, l'origine ou la quantité d'une marchandise,

faits commis le 11 juillet 1997, à Rungis,

infraction prévue par l'article L. 213-1 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 213-1, L. 216-2, L. 216-3 du Code de la consommation.

S George René

coupable de tromperie sur la nature, la qualité, l'origine ou la quantité d'une marchandise,

faits commis le 11 juillet 1997, à Rungis,

infraction prévue par l'article L. 213-1 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 213-1, L. 216-2, L. 216-3 du Code de la consommation.

Et par application de ces articles, a :

condamné :

F David à 40.000 F d'amende,

S George René à 20.000 F d'amende,

a dit que cette décision était assujettie au droit fixe de procédure de 600 F dont est redevable chaque condamné,

vu l'article 473 du Code de procédure pénale,

dit que la contrainte par cors s'exercerait, en cas de besoin, conformément aux articles 749 et suivants du Code de procédure pénale.

LES APPELS

Appel a été interjeté par :

Monsieur F David, le 23 juillet 1999, sur les dispositions pénales ;

Monsieur S George, le 23 juillet 1999, sur les dispositions pénales ;

M. le Procureur de la République, le 23 juillet 1999, contre Monsieur F David, Monsieur S Georges.

DÉCISION

Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi,

Statuant sur les appels des deux prévenus et du Ministère Public, interjetés à l'encontre du jugement entrepris auquel il est fait référence pour l'exposé de la prévention ;

Georges S, présent, assisté de son avocat, expose qu'il est producteur et que dans le Gaec constitué avec son frère, il s'occupe de l'exploitation alors que son frère prend en charge le conditionnement; il demande à la cour, par voie de conclusions, de dire à titre principal qu'il n'est pas responsable au plan pénal, au regard de l'article 121-1 du Code pénal et du procès-verbal d'assemblée générale extraordinaire du 4 novembre 1996 à titre subsidiaire, il sollicite sa relaxe, pour défaut d'intention frauduleuse de sa part ;

David F présent, assisté de son avocat, expose qu'il est grossiste à Rungis, qu'il a mis en place une petite procédure de contrôle aléatoire et qu'il lui arrive de déclasser des fruits lorsqu'il constate des anomalies ; il demande à la cour, par voie de conclusions, de déclarer son appel recevable,

- de saisir la Cour de justice des Communautés européennes, en application des dispositions de l'article 234 du traité de Rome, de la question préjudicielle suivante : " les dispositions de l'article L. 213-1 du Code de la consommation français, relatives aux tromperies sur les qualités substantielles de la marchandise et l'application qui en est faite par la Cour de cassation française (arrêts du 9-3-99 et 7-12-99), qui retiennent la responsabilité délictuelle d'un opérateur de la filière fruits et légumes pour tromperie, au motif qu'il ne s'est pas assuré de la conformité d'un produit régulièrement mis sur le marché dans l'Union européenne, ne sont elles pas contraires aux dispositions des articles 28 et suivants du traité, dès lors que les marchandises dont s'agit sont normalisées en application d'un règlement spécifique (n° 35-96-90 du 12-12-90 pour les pêches nectarines) lui-même pris par application d'un règlement portant organisation commune des marchés dans le secteur des fruits et légumes (n° 10-35 du 18-5-72) et qu'un règlement 2251-92 du 29-7-92 détermine les conditions dans lesquelles les marchandises normalisées sont mises en marché sous la responsabilité d'organismes compétents désignés par l'Etat membre ou d'organismes privés agréés ou d'entreprises agréées pour effectuer un autocontrôle, ce qui les dispense de notifier une mise en marché ? ";

- de transmettre à la Cour de justice des Communautés européennes l'intégralité des pièces remises par l'avocat du prévenu et de surseoir à statuer au sort de l'arrêt qui sera rendu par la Cour européenne ;

- subsidiairement au fond, le prévenu demande l'infirmation du jugement dont appel, en l'absence d'élément intentionnel et sa relaxe;

- il soutient aussi que l'élément matériel tel qu'il a été retenu par le Tribunal correctionnel de Créteil, constitue une violation du principe de la légalité des poursuites et des dispositions des articles 6 et 7 de la Convention européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales;

Le Ministère Public soutient que l'appel de David F est recevable, relève qu'il peut y avoir un doute sur la tromperie et pose la question de savoir si les faits constituent un délit ou plutôt une contravention, visée à l'article R. 214-2 du Code de la consommation ;

RAPPEL DES FAITS:

Le 11 juillet 1997 les inspecteurs de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ont constaté que la société anonyme André et Jean G, dont David F est président du conseil d'administration, grossiste en fruits et légumes sur le marché d'intérêt national de Rungis, mettait en vente des nectarines ne correspondant pas au calibre indiqué sur l'étiquette ; que sur 12 colis contrôlés, soit 312 fruits au total, 135 n'avaient pas le calibre indiqué, soit 43,26 % des marchandises ; un procès-verbal a été aussi dressé à l'encontre de Georges S, producteur et expéditeur de la marchandise ;

David F a indiqué qu'il réceptionne 7 000 à 10 000 colis journellement, qu'il ne peut vérifier tous les étiquetages et que c'est la seule infraction qui a été constatée sur toute une saison ;

Georges S a expliqué que c'est plutôt son frère André qui suit les travaux de conditionnement, et il indique que la calibreuse gère électroniquement un poids associé à un calibre, qu'un mauvais réglage ou un manque de contrôle explique ce type de distorsion ;

SUR CE,

Sur la recevabilité de l'appel formé par David F :

Considérant que David F et Georges S ont été condamnés par jugement du Tribunal de grande instance de Créteil, en date du 6 mai 1999, contradictoire à signifier à leur égard ; que ce jugement a été signifié à David F, à domicile le 30-6-99, et à Georges S le 15-7-99 ; que les 2 prévenus ont relevé appel le 23-7-99;

Considérant que si le délai d'appel a commencé à courir à l'égard de David F à compter du jour de la signification du jugement, soit le 30-6-99, pour expirer 10 jours plus tard, David F, en application des dispositions de l'article 500 du Code de procédure pénale, a bénéficié d'un délai supplémentaire de 5 jours, à compter de l'appel de Georges S le 23-7-1999 ; que la cour étant en mesure de vérifier que l'acte d'appel de Georges S, portant le n° 879-99, est antérieur à celui de David F qui porte le n°880-99, l'appel formé par David F est donc bien recevable;

Sur la demande présentée par Georges S :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 323-1 du Code rural, les groupements agricoles d'exploitation en commun sont des sociétés civiles de personnes régies par les chapitres Ier et II du titre IX du livre III du Code civil et sont formés entre personnes physiques majeures ; que toute personne morale étant régulièrement représentée par son dirigeant, il s'ensuit que Georges S ne saurait opposer, pour tenter d'échapper à sa responsabilité pénale, un procès-verbal d'assemblée générale de répartition interne des tâches entre les gérants, qui n'a absolument pas date certaine ;

Sur la demande de question préjudicielle de David F :

Considérant que la législation française et particulièrement l'article L. 213-1 du Code de la consommation, - en ce qu'elle incrimine celui qui aura trompé ou tenté de tromper le contractant, par quelque moyen ou procédé que ce soit, même par l'intermédiaire d'un tiers notamment sur la nature, l'espèce, l'origine, les qualités substantielles, la composition ou la teneur en principes utiles de toutes marchandises -, est justifiée par la loyauté des transactions commerciales et la protection des consommateurs ; que celle ci s'appliquant à tous les produits commercialisés en France, sans distinction de leur origine, elle n'institue aucun régime discriminatoire, ni en faveur, ni au détriment de la production nationale, par rapport aux produits concurrents importés d'autres Etats membres ;

Considérant qu'en l'état actuel du droit communautaire, une disposition imposant au responsable de la première mise sur le marché national d'un produit de vérifier, sous peine d'engager sa responsabilité pénale, la conformité de ce produit aux prescriptions en vigueur sur ledit marché et relatives à la sécurité et à la santé des personnes, à la loyauté des transactions commerciales et à la protection des consommateurs, est compatible avec les articles 30 et 36 du traité instituant la Communauté économique européenne, à la condition que son application aux produits fabriqués dans un Etat membre ne soit pas assortie d'exigences qui dépassent ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif visé, compte tenu, d'une part, de l'importance de l'intérêt général en cause et d'autre part, des moyens de preuve normalement disponibles pour un importateur ; que dès lors, les contrôles pour la vérification des informations sur la composition d'un produit, fournies aux consommateurs lors de la mise en vente de ce produit, imposés à l'importateur et au grossiste, ne dépassent pas ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif visé à l'égard des consommateurs et ne masque aucune restriction interdite dans le commerce entre les Etats de la Communauté, d'autant plus qu' elle vise tant les productions nationales que les fruits importés ;

Considérant par conséquent qu'il n'y a pas lieu à poser une question préjudicielle à la Cour de justice des Communautés européennes, et la demande présentée par David F de ce chef doit être rejetée ;

Sur l'action publique :

Considérant qu'il résulte du jugement déféré que lors d'un contrôle effectué en juillet 1997, sur les marchandises mises en vente par David F, grossiste en fruits et légumes du marché d'intérêt national de Rungis, les agents de la Direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ont constaté que 43,26 % des nectarines provenant de la vallée du Rhône, présentaient un calibre inférieur à celui indiqué sur l'emballage en application de la réglementation communautaire ; que les colis de nectarines lui avaient été fournis par le GAEC " Les Petits Robins ", ayant pour gérants André et Georges S;

Considérant que les deux prévenus sont poursuivis, aux termes de la citation, pour avoir trompé le consommateur sur les qualités substantielles de la marchandise, en mettant sur le marché des fruits d'un calibre inférieur à celui annoncé ; que contrairement aux affirmations des prévenus, et comme l'ont justement relevé les premiers juges, il y a lieu de considérer que le calibre du fruit, qui conditionne aussi son prix, est une qualité substantielle au sens de l'article L. 213-1 du Code de la consommation, susvisé ;

Considérant que les prévenus qui ne contestent pas les constatations faites par les agents de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, se bornent à soutenir l'absence d'élément intentionnel de leur part ;

Considérant que Georges S, en sa qualité de producteur, ne peut invoquer sa bonne foi, alors que la proportion importante de fruits calibrés dans la catégorie supérieure, établit l'absence de contrôle sérieux ou à tout le moins des négligences graves de sa part ; que sa mauvaise foi se déduit du fait qu'il n'a pas, avant la vente vérifié que les fruits présentaient les caractéristiques essentielles indiquées à l'acquéreur ;

Considérant que David F, grossiste en fruits et légumes, qui met à la disposition des consommateurs français, des marchandises non conformes à l'étiquetage effectué par le producteur, en application de la réglementation européenne, est tenu comme tel de vérifier la conformité des produits aux prescriptions en vigueur et de s'assurer de la conformité des produits aux prescriptions relatives au calibre, concernant la loyauté des transactions commerciales ;

D'où il suit que le délit de tromperie, caractérisé dans tous ses éléments, est imputable à chacun des prévenus Georges S, producteur et David F grossiste à Rungis et il convient par conséquent de confirmer le jugement déféré pour chacun des prévenus, sur la déclaration de culpabilité et sur la peine prononcée à l'égard de David F, mais que pour mieux prendre en compte la réelle gravité de cette affaire pour Georges S, il convient de modifier la peine prononcée par les premiers juges en le condamnant à une amende de 40 000 F.

Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement ; Reçoit les appels des prévenus et du ministère public ; Sur l'action publique : Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, à l'égard de David F, et sur la déclaration de culpabilité, à l'égard de Georges S ; L'Infirme sur la peine, prononcée à l'égard de Georges S et le Condamne à une amende de 40 000 F.