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Décisions

CCE, 6 juillet 1994, n° M.460

COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Décision

Holdercim/Cedest

CCE n° M.460

6 juillet 1994

1. Le 24 mai 1994, Holdercim, holding filiale française du groupe suisse Holderbank, a notifié à la Commission un projet d'acquisition du contrôle de Cedest (Compagnie et Engrais de Dannes et de l'Est), détenu par CGIP (Compagnie Générale d'Industrie et de Participation).

2. Le 14 juin 1994, l'Etat français, en application de l'article 9 du règlement du Conseil sur les concentrations du 21 décembre 1989, notamment ses paragraphes 1, 2, 3, ont demandé à la Commission le renvoi de la concentration pour ce qui concerne le secteur du béton prêt à l'emploi. L'Etat français considère que l'opération en cause menace de créer ou de renforcer une position dominante ayant comme conséquence qu'une concurrence effective serait entravée de manière significative dans les marchés du béton prêt à l'emploi à l'intérieur de la France.

3. Aprés examen de cette notification concernant le marché du ciment, la Commission a abouti à la conclusion que l'opération notifiée entre dans le champ d'application du règlement du Conseil n° 4064-89 et ne soulève pas de doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le Marché commun.

I. LES PARTIES

4. Holderbank est un groupe cimentier suisse. En 1993, sa production mondiale de ciment a été de 43 millions de tonnes, dont 35 % en Europe, 28 % en Amérique du Nord, 24 % en Amérique du Sud et 13 % dans d'autres régions. Holderbank est sous le contrôle de Hofi (Holderbank Financière Glarus), société contrôlée par M. Thomas Schmidheiny.

5. Cedest est contrôlée par CGIP, holding industrielle constituée en 1977 par le regroupement des activités non-sidérurgiques de la famille de Wendel. Cedest a trois pôles d'activité : les matériaux de construction (ciment, béton prêt à l'emploi et granulats) principalement en France, les engrais et les grenailles abrasives.

II. L'OPERATION

6. L'accord notifié prévoit l'acquisition par Holdercim du bloc de 84 % des actions de Cedest détenu par la CGIP. Les activités de grenailles et engrais de Cedest (Wheelabrator, Allevard, Cedest Engrais et Sud Fertilisants) seront vendues à la CGIP avant l'opération d'acquisition par Holdercim. L'opération ne porte donc que sur l'activité matériaux de construction de Cedest (ciment, béton prêt à l'emploi et granulats). Dés que l'opération sera autorisée, Holdercim déposera un projet de maintien du cours de l'action au même niveau de prix que le bloc CGIP.

7. L'opération notifiée constitue une concentration au sens de l'article 3b du règlement n° 4064-89.

III. DIMENSION COMMUNAUTAIRE

8. Les comptes certifiés du groupe Holderbank et de Cedest pour l'année 1993 font resssortir qu'elles ont réalisé ensemble un chiffre d'affaires total supérieur à 5 milliards d'écus sur le plan mondial. Chacune des entreprises réalise individuellement un chiffre d'affaires communautaire supérieur à 250 millions d'écus. En outre, seule la société Cedest réalise plus des deux tiers de son chiffre d'affaires dans un seul et même Etat membre (la France).

La concentration notifiée a une dimension communautaire au sens de l'article 1er du règlement n° 4064-89.

IV. APPRECIATION

9. Les secteurs économiques concernés par la concentration sont le ciment et le béton prêt à l'emploi (BPE).

A. Le béton prêt à l'emploi

10. Concernant ce produit, le cas a fait l'objet d'un renvoi aux autorités compétentes de l'Etat français par décision de la Commission adoptée le 6 juillet 1994 suivant l'article 9 du règlement n° 4064-89. Sur les marchés géographiques de référence qu'elle a identifiés, la Commission a considéré que la concentration notifiée menace de créer ou de renforcer une position dominante qui pourrait entraver significativement la concurrence.

B. Le ciment

i) Le marché de produit pertinent.

11. Le terme ciment désigne divers liants hydrauliques (ciment gris, ciment blanc) et qui ont en commun la propriété de durcir après avoir été mélangés à l'eau.

Les parties notifiantes ne sont pas présentes sur le marché du ciment blanc, le développement qui suit ne concerne que le ciment gris.

12. Les différents types de ciment dérivent d'un seul produit standard : le clinker. Ce dernier est obtenu par cuisson d'un mélange de matériaux contenant du calcaire (80 %) et des produits siliceux et alumineux (20 %).

L'industrie du ciment nécessite de grandes quantités de matières premières pour ses fabrications. La carrière est donc un élément déterminant pour l'implantation des unités de production : matières premières disponibles et proches du marché afin de réduire le coût de transport.

Il existe deux procédés essentiels de production du clinker : le procédé humide (procédé traditionnel) et le procédé sec (moins consommateur d'énergie que le procédé humide). Après une phase de cuisson à très haute température (1450°C) , le clinker doit être finement broyé pour obtenir le ciment, le broyage nécessite aussi une consommation importante d'énergie.

13. Le ciment est un demi-produit banal pour lequel la concurrence par la marque est faible. En revanche, chaque type de ciment doit répondre à une norme qui lui est propre. Les normes imposées aux ciments évoluent vers une norme européenne unique par type de ciment, leur teneur en clinker et en ajouts. Ces derniers sont des sous-produits d'autres industries et subissent donc leurs contraintes.

La composition des ciments, notamment en ce qui concerne les ajouts, peut varier selon les régions de production. Ainsi le laitier est un sous-produit de la production de la fonte. Il est, donc généralement produit et utilisé dans les régions sidérurgiques. En Belgique par exemple, les ciments Portlands "purs" représentent 31 % de la consommation mais les ciments aux ajouts sont très utilisés (64 % de la consommation, 43 % pour les seuls ciments au laitier) là où il existe une importante industrie sidérurgique. La France utilise également des ciments Portlands "purs" (36 % de la consommation) ou des ciments "aux ajouts" (57 % de la consommation comportant notamment laitier, cendres volantes et fillers calcaires), mais les produits au laitier y représentent une part beaucoup plus modeste.

14. Cependant, tout client peut, à partir d'un ciment Portland "pur", recomposer pratiquement tous les liants. Cette pratique est très répandue, en particulier dans les centrales à béton. Le bétonnier a ainsi le choix entre acheter directement au cimentier un ciment d'"ajouts" ou bien acheter un ciment "pur" et le mélanger directement en centrale à des cendres ou du laitier. La nouvelle norme béton française est construite autour de cette possibilité de recomposition en centrale.

15. Il ressort de ce qui précède que, compte tenu de la forte substituabilité technique des produits, de la similarité des usages qui en sont faits, de la pratique usuelle des industriels du béton de composer leurs propres mélanges et de caractéristiques de prix sensiblement similaires, les différents types de ciments apparaissent substituables entre eux.

ii) Le marché géographique de référence.

16. Etant donné le caractère pondéreux du ciment, son coût de transport est déterminant dans le coût rendu client. En fonction de la densité d'usines dans une zone donnée et de la proximité des zones de consommation, chaque unité aurait un marché privilégié compris dans un rayon de 150 à 200 km.

Cependant, depuis quelques années, la baisse des coûts de production liée notamment à la réduction du nombre des usines et à l'augmentation de leurs capacités a progressivement fait perdre de sa pertinence à ce découpage historique, traditionnellement reconnu par la profession. En outre, on constate l'existence de flux de ciment entre les zones constituant le marché privilégié des opérateurs renforçant l'interdépendance entre les différents marchés privilégiés lesquels sont interdépendants.

Au cas particulier, les faits suivants doivent être relevés :

- l'Ile de France, première région française consommatrice de ciment, connaît une sous-capacité structurelle. Les deux usines implantées dans cette région ne produisent qu'un million de tonnes pour une consommation de trois millions de tonnes. L'Ile-de-France est donc approvisionnée pour les deux tiers depuis des usines situées au nord et à l'est de la France et en Belgique,

- les zones frontalières connaissent des flux d'échange : environ 800 kt [secret d'affaires] de la Belgique vers la France, 500 kt entre l'Allemagne et la France (dont 350 kt de la France vers l'Allemagne et 150 kt de l'Allemagne vers la France),

- par ailleurs, les investigations de la Commission montrent que des opérateurs procèdent à des importations dans ces régions. Ainsi sur les 3 dernières années, les importations ont connu une augmentation sensible en Belgique et dans le Nord Pas de Calais. Les quatre importateurs les plus présents sur ces zones, à savoir Intercement, VVM, Cement Centrale Moerdijk et Reijbo bv, ont déclaré avoir importé en 1993, principalement en Belgique, un total de 238 082 tonnes, soit 84 % de plus qu'en 1991,

- des importations, en provenance de Tchéquie, Slovaquie et de Pologne viennent approvisionner le territoire Allemand. De même, la société grecque Titan transporte son ciment par voie maritime jusqu'à son terminal situé en Normandie, d'où le ciment est ensuite acheminé jusqu'en région parisienne.

17. Il ressort de ce qui précède qu'il existe une interdépendance forte entre les différents marchés privilégiés interséquents conduisant à une homogénéisation des conditions de concurrence entre ces zones qu'il y a lieu de considérer comme un ensemble, lorsqu'il s'agit d'apprécier les conditions de concurrence.

18. Les zones sur lesquelles se trouvent ensemble les usines de Cedest et d'Holdercim figurent dans le tableau ci-après.

Regions implantations et capacites des usines ciment Cedest Holdercim

Est de la France 2 usines : Heming (1 million 4 de tonnes) Ebange (centre de broyage 600 KT) 2 usines : Aukirch (475 Kt) Rochefort (475 Kt)

Nord de la France Belgique 1 usine : Dannes (700 kt) 4 usines : Origny (1 million de tonnes) Lumbres (1 million de tonnes) Obourg (2 millions de tonnes) Haccourt (centre de broyage d'une capacité de 700 kt)

19. En l'espèce, cet ensemble est constitué par les régions du Nord-Est de la France (Nord-Pas-de-Calais, Picardie, Haute Normandie, Ile-de-France, Champagne Ardennes, Lorraine, Alsace, Franche-Comté, Bourgogne), moitié Nord de Rhône-Alpes (Ain, Rhône, et Haute-Savoie), la Belgique et les régions frontalières allemandes (Sarre et provinces proches du Palatinat et du Bade Wurtemberg).

20. Le niveau et le dynamisme des importations pourrait amener à considérer l'existence d'un marché géographique de référence plus large, toutefois, l'opération notifiée ne conduisant ni au renforcement ni à la création d'une position dominante, même sur la base de la définition la plus restrictive du marché géographique, mentionnée aux points 17 et 19, la détermination exacte du marché géographique de référence peut être laissée ouverte .

A. Position dominante

21. La consommation

La consommation de ciment sur le marché défini ci-avant s'établit à 18 millions de tonnes en 1993, soit 11,5 % de la consommation de l'Union Européenne.

22. Parts de marché

Sur cette base, les parts de marché de la future entité et de ses concurrents sont les suivantes:

Holdercim [Secret d'affaire] Cedest [...] Holdercim + Cedest [...] Ciments français [...] Heidelberg [...] Lafarge [...] Vicat [...] Autres cimentiers (principalement allemands (Dyckerhoff), trucs et grecs)[...]

i) Création ou renforcement d'une position dominante individuelle

23. Du tableau ci-dessus, il ressort que la future entité Holdercim détiendrait [...] de part de marché. Son plus proche concurrent, Ciments Français, détient [...] de ce marché.

Sur l'ensemble de l'Union Européenne, la part de marché de la future entité s'élèverait à [...].

24. En outre, elle devrait faire face à des concurrents puissants, qui comme elle, bénéficient d'une intégration verticale (carrières) qui constitue pour cette activité un atout concurrentiel appréciable.

25. La capacité de production de ciment d'Holderbank dans l'Union Européenne est de 20 millions de tonnes, celle de Cedest de 3 millions de tonnes. La capacité totale dans la Communauté étant d'environ 235 millions de tonnes, la future entité en représenterait 9,8 %.

26. La présence de concurrents puissants, les capacités de production importantes sur ce marché, l'entrée récente de nouveaux opérateurs, l'harmonisation des normes et l'existence d'importations en provenance de pays plus éloignés, voire extérieurs à la Communauté conduisent à la conclusion que l'opération notifiée n'aboutira pas à la création ou au renforcement d'une position dominante individuelle de la nouvelle entité.

ii) Création ou renforcement d'une position dominante collective

27. Le marché du ciment est arrivé à maturité; il serait même entré dans une phase de stagnation.

L'industrie du ciment est une industrie lourde, qui demande d'importants capitaux et implique une gestion sur le long terme:

- la durée de vie moyenne des installations est longue, environ 20 à 30 ans,

- au prix de vente de la tonne ciment vrac (430 FF), l'investissement initial pour une usine neuve correspond à 2-3 années de chiffre d'affaires à 100 % d'utilisation.

L'élasticité prix de la demande globale est faible : le ciment ne représente qu'une faible part (moins de 5 %) du coût de la construction.

28. Si l'existence d'un marché de produits banals sur lequel la demande à long terme est stagnante et l'élasticité aux prix est faible, est de nature à favoriser une situation de domination oligopolistique, tant le taux de concentration relativement modéré du marché que la structure des coûts de l'industrie et l'existence de flux d'importation relativement importants (11 % du marché) rendent improbable, au cas d'espèce, une telle éventualité :

a) les quatre premiers concurrents représentent 80 % du marché (88 % pour les 5 premiers),

b) La structure des coûts de l'industrie du ciment se caractérise par l'importance de ces coûts fixes (coûts de la main d'œuvre, d'entretien et d'amortissement des installations.). Le coût unitaire est donc très sensible au taux d'utilisation de la capacité: il augmente de près d'un tiers lorsque le taux d'utilisation baisse à 70 %. Pour cette raison, les économies d'échelle sont importantes et le point mort n'est atteint qu'à un niveau élevé d'utilisation des capacités de production. Cette structure de coûts explique la tendance à la réduction du nombre d'unité de production et les investissements réalisés pour accroître la capacité des unités restant sur le marché. En conséquence, les différentes unités de production actives sur la zone présentent des coûts fixes pouvant varier de façon importante.

c) La clientèle se compose de quatre grandes familles représentées par les entreprises de bâtiment travaux publics (BTP), du négoce, des entreprises de préfabrication, les fabricants de béton prêt à l'emploi (BPE). La caractéristique commune de ces quatre familles de clients est la démarche d'achat ponctuel après la concrétisation de marché avec le cimentier qui se fait souvent de façon informelle.

d) L'importance des économies d'échelle et le faible coût du transport par voie maritime ou fluviale, peuvent conduire certains producteurs à réaliser des ventes à destination de zones géographiques éloignées. Ainsi, les importations par voie maritime de pays extérieurs à la Communauté se sont développées depuis 5 ans, en particulier dans certains pays comme l'Espagne, qui a importé 2,6 millions de tonnes en 1992. Ces importations proviennent de Turquie, Roumanie, Russie ou ex-Yougoslavie.

Les importations terrestres se produisent principalement en Allemagne en provenance de Tchéquie, Slovaquie et de Pologne. Les importations de ces trois pays ont été supérieures à 4,5 millions de tonnes en 1993. Sur le marché pertinent, le niveau des importations est actuellement d'environ 200 Kt en provenance de Turquie, Roumanie et Lettonie. Les principaux importateurs sont les sociétés Reijnders, CCM, De Meister et Intercement.

Par ailleurs, certains opérateurs (producteurs grecs) ont également pénétré en procédant par "entrées indirectes". Le surcoût de ce type d'accès, par rapport au coût unitaire est d'environ 130 FF par tonne importée (frais de transport et d'utilisation d'un terminal d'importation. Si les coûts de fabrication de l'opérateur sont bas ou s'il raisonne au coût marginal, une entrée de ce type est économiquement possible. Ainsi, la société grecque Titan est présente sur les zones concernées par l'opération via son terminal en Normandie. Des entreprises turques ont procédé de la même façon dans les ports de Gand et d'Anvers.

Il est probable que les importations tant par voie maritime que terrestre vont progresser dans les années à venir dans les marchés de la Communauté, en particulier à partir des pays du bassin méditerranéen (Turquie), des pays de l'Europe de l'Est (Roumanie) et de l'ex-URSS.

29. En conclusion, compte tenu des contraintes de gestion auxquelles l'industrie cimentière est soumise et de la structure de ses coûts, de l'existence de capacités importantes disponibles dans des régions proches, de la présence de plus en plus importante des importateurs dans l'Union Européenne et de la faible élasticité de la demande, la mise en œuvre d'un parallélisme de comportement anticoncurrentiel est peu probable, de sorte qu'il n'y a pas lieu de craindre qu'il résulte de l'opération notifiée - qui n'emporte d'ailleurs pas un changement dramatique du taux de concentration de l'industrie - une situation de dominance oligopolistique.

Pour les raisons exposées ci-dessus, la Commission a décidé, pour ce qui concerne le marché du ciment, de ne pas s'opposer à l'opération notifiée et de la déclarer compatible avec le Marché commun. Cette décision est prise sur la base de l'article 6, paragraphe 1, point b, du règlement du Conseil (CEE) n° 4064-89.