Ministre de l’Économie, 17 mars 2000, n° ECOC0000164Y
MINISTRE DE L’ÉCONOMIE
Lettre
PARTIES
Demandeur :
MINISTRE DE L'ECONOMIE
Défendeur :
Directeur du groupe Usinor
MINISTRE DE L'ECONOMIE ET DES FINANCES
Monsieur le directeur,
Par dépôt d'un dossier dont il a été accusé réception le 18 janvier 2000, vous avez notifié une opération permettant au groupe Usinor et à la société Matthey Holding SA (" Matthey ") d'exercer conjointement une influence déterminante sur un ensemble d'activités de production et de commercialisation de tubes en acier destinés à plusieurs applications, dont notamment la fabrication de systèmes d'échappement pour véhicules automobiles.
Le groupe Usinor est actif dans le domaine de la sidérurgie et de la fabrication de produits en aciers. Son chiffre d'affaires mondial s'est élevé en 1998 à 10,9 milliards d'euros, dont 3,516 milliards, soit environ 23 milliards de francs, ont été réalisés en France. Dans le cadre de l'opération notifiée, Usinor apportera à l'entreprise commune la société ISTC, établie aux Etats-Unis, ainsi que la plupart des activités exercées par la société SMCM (anciennement La Meusienne) sur son site de production d'Ancerville. Cette dernière demeurera toutefois filiale d'Usinor et poursuivra certaines activités non intégrées au sein de l'entreprise commune. SMCM a réalisé, en 1998, un chiffre d'affaires de 550 millions de francs.
Matthey est une société de droit suisse détenue par des membres de la famille Matthey. L'entreprise exerce notamment des activités de production ou de commercialisation de tubes en aciers inoxydables en France, via sa filiale Matthey PUM SA sise à Reims, ainsi qu'en Suisse, Allemagne, Espagne et qu'au Royaume-Uni. Ces activités seront, à l'issue de l'opération, soumises au contrôle conjoint de Matthey et du groupe Usinor. L'entreprise a réalisé en 1998 un chiffre d'affaires total de 51,5 millions d'euros, dont 7,6 millions d'euros en France, soit environ 50 millions de francs.
Aux termes du protocole d'accord signé entre les entreprises Usinor et Matthey, les activités concernées par l'opération seront réunies au sein de la société Matthey Holding. A la suite d'une augmentation de capital de la société, réservée à Usinor, ce dernier détiendra une participation comprise entre 40 % et 49,9 % en échange de son apport en actifs. Une convention d'actionnaires donne à Usinor un droit de représentation dans les organes sociaux de l'entreprise commune et un droit d'orientation et de veto sur un certain nombre de décisions importantes relatives notamment à l'approbation du budget annuel.
A l'issue de l'opération, Usinor sera en mesure d'exercer une influence déterminante sur la société Matthey. L'opération constitue donc une concentration au sens de l'article 39 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986.
Le seuil de chiffres d'affaires prévu à l'article 38 de l'ordonnance susvisée ne sont pas franchis. Il convient donc de définir les marchés pertinents.
L'entreprise commune sera active dans les secteurs des tubes pour systèmes d'échappement de véhicules, des tubes de structures de véhicules et des tubes pour sucrerie. Usinor réalise moins de 25 % des ventes de tubes pour structures de véhicules en France et Matthey n'est pas présent sur ce marché. En revanche, les parties à l'opération sont toutes deux actives dans les secteurs des tubes pour systèmes d'échappement et des tubes pour sucreries.
Les tubes pour systèmes d'échappement constituent un élément de ces systèmes composés par ailleurs de collecteurs de gaz d'échappement, de pots de détente et de silencieux. Ils ont pour fonction la canalisation des gaz produits par la combustion des carburants et le refroidissement de ces gaz sur la ligne d'échappement.
Les tubes intégrés aux systèmes d'échappement sont principalement fabriqués à l'aide de trois types de matériaux : les aciers au carbone nus, les aciers au carbone revêtus d'un alliage d'aluminium silicium (aluminiés) ou de zinc (galvanisés ou étamés), et les aciers inoxydables, apparus plus récemment. Les tubes en titane, d'introduction très récente, sont encore très peu utilisés et limités au haut de gamme. S'agissant de leur usage, les trois principaux types de tubes sont interchangeables, qu'ils soient destinés aux systèmes d'échappement de première monte ou au renouvellement, mais les tubes en aciers au carbone revêtu ou en aciers inoxydables offrent une meilleure résistance à la corrosion et leur utilisation tend à se généraliser dans l'industrie automobile. Les parties en concluent que l'ensemble des tubes pour systèmes d'échappement peut être inclu dans un même marché de produits.
Du côté de l'offre, de nombreux tubistes sont néanmoins spécialisés soit dans la production de tubes en aciers au carbone, soit dans celle des tubes en aciers inoxydables. Tel est le cas notamment de Matthey qui n'est actuellement présent que sur le segment de l'acier inoxydable.
La demande des échappementiers et des constructeurs automobiles est pour sa part principalement fondée sur les critères de masse, de résistance à la chaleur et de durée d'utilisation, et porte sur l'un ou l'autre des types de tubes en fonction du cahier des charges applicable au système d'échappement choisi. Selon plusieurs clients, les tubes en aciers inoxydables ne sont pas substituables aux tubes en aciers au carbone revêtu, en raison notamment de leur durée de vie et de leur prix près de deux fois plus élevé. Les parties conviennent également qu'il existe une différence de prix (supérieure à 20 %) entre tubes en aciers inoxydables et tubes en aciers au carbone, justifiée par la durée de vie plus longue des premiers.
Il n'est cependant pas nécessaire de déterminer avec plus de précision s'il convient de considérer un marché de tubes en aciers inoxydables distinct de celui des tubes en aciers au carbone car, quel que soit le segment considéré, l'opération est contrôlable, Usinor ayant réalisé en 1998 [50-60 %] des quantités de tubes en aciers inoxydables vendues en France, et [30-40 %] des quantités de tubes tous segments confondus.
Il en va de même en matière de tubes pour sucreries fabriqués, au moins pour ce qui concerne l'Europe, essentiellement à partir de feuillards d'acier inoxydable, car les quantités vendues par Usinor représentaient en 1998 environ [30-40 %] de volume total réalisé en France, celles de Matthey étant estimées à environ [< 10 %].
L'examen de l'opération permet d'émettre les conclusions suivantes.
Pour ce qui concerne les tubes pour sucreries, le marché géographique est, selon les parties, de dimension européenne. Il n'apparaît cependant pas nécessaire de déterminer s'il convient plutôt de considérer un marché national dans la mesure où, même sur cette base la plus étroite, l'opération n'affectera pas la concurrence.
La part de marché du groupe Usinor n'est en effet pas de nature à conférer à ce dernier une position dominante en France, compte tenu de la présence de producteurs concurrents, de l'absence de barrières techniques à la fabrication de ces produits par la plupart des producteurs de tubes destinés au transport de denrées alimentaires, et de la puissance d'achat des grands sucriers. A l'issue de l'opération, l'addition des ventes de Matthey en France, réalisées à partir de son site de production situé à Apples (Suisse), ne modifie pas substantiellement la position d'Usinor. Le volume des ventes demeure limité et la disparition de cette offre concurrente ne réduit pas significativement la pression concurrentielle exercée par les principaux concurrents européens des parties, tels Fischer et Schöller en Allemagne ou Marcegaglia en Italie.
S'agissant des tubes pour systèmes d'échappement des automobiles, les parties, de même que leurs grands concurrents, commercialisent leurs tubes dans l'ensemble de l'Espace économique européen et, dans une mesure limitée, vers d'autres pays. Selon la notification, les coûts de transport, évalués à 5 % de la valeur des produits, ne constituent pas une barrière aux échanges intra-européens. Par ailleurs, les parties font valoir que les principaux clients des tubistes, constructeurs automobiles, échappementiers, équipementiers, sont des entreprises internationales qui sélectionnent leurs fournisseurs au moyen d'appels d'offres centralisés pour l'Europe. Elles estiment donc que le marché géographique des tubes pour systèmes d'échappement inclut l'ensemble de l'Union européenne, la Norvège et la Suisse.
Les clients interrogés sont généralement d'avis que le marché des tubes pour échappement est de dimension au moins européenne, mais précisent que le coût de transport des tubes et les contraintes liées à la construction automobile, qui imposent la livraison de pièces en flux tendus tout au long de la chaîne de l'offre, conduit à faire appel à des tubistes relativement proches de leurs propres sites de production (quelques centaines de kilomètres). Ces contraintes de livraison ne constituent cependant pas une limitation à la mise en concurrence plus large de leurs fournisseurs, de la part de clients développant leur activité à l'échelle européenne.
Compte tenu de ces éléments, il convient de considérer que le marché pertinent des tubes pour systèmes d'échappements est de dimension européenne, y compris la Suisse.
Aux termes du protocole d'accord signé entre les parties, Usinor s'engage à ne pas concurrencer la nouvelle entité dans les domaines d'activités exercées par cette dernière, pour une période de cinq ans. Cette clause peut être considérée comme visant à garantir le transfert de la valeur complète des actifs au sein de l'entreprise Matthey. Dans la mesure où, à l'issue de l'opération, Usinor conservera quelques activités dans le secteur des tubes pour échappement de véhicules, la concentration conduit néanmoins à favoriser la coordination des activités du groupe Usinor et de la société Matthey. En conséquence, l'analyse concurrentielle des effets de l'opération est menée en prenant en compte les activités conservées exclusivement par Usinor.
L'opération ne produit une addition de parts de marché que sur le segment des tubes en aciers inoxydables, sur lequel les parties disposeront de la position la plus forte. Sur le marché européen précité, l'opération leur permettra de détenir le premier rang en matière de tubes en aciers inoxydables. Leur part combinée des ventes en volume s'élève à environ [20-30 %], selon leurs propres estimations, et à 25 % selon les évaluations de tiers.
Le principal concurrent de la nouvelle entité est l'entreprise Tubificio, contrôlée par le sidérurgiste Krupp-Thyssen, qui détient une position comparable. Les concurrents non intégrés Fischer et Scholler disposent également de parts de marché significatives, de l'ordre de 10 %. D'autres acteurs, tel Marcegaglia sont en outre présents sur ce segment.
Par ailleurs, les producteurs de tubes en acier aluminiés, tels Vallourec-Mannesmann ou Profilmec représentent des concurrents potentiels sur le segment des tubes en aciers inoxydables.
Enfin, la demande est caractérisée par la présence de puissants équipementiers, tels Faurecia, Bosal ou Tenneco ou de grands constructeurs automobiles d'autant mieux en mesure d'attiser la concurrence entre offreurs que nombre d'entre eux disposent également de capacités de production de tubes intégrées et possèdent donc une bonne connaissance des produits et du marché.
Compte tenu de la structure de l'offre et de la demande dans le secteur des tubes pour systèmes d'échappements, tout risque de création ou de renforcement de position dominante de la part de l'entreprise commune établie entre Usinor et Matthey peut donc être exclu, quel que soit le marché pertinent considéré.
Aux termes du protocole d'accord notifié, Matthey disposera d'un droit d'information, sur les questions relatives à la cohabitation sur le site d'Ancerville, de Matthey et de la SMCM chargée uniquement d'exploiter les activités résiduelles conservées par Usinor. Matthey disposera en outre du droit de proposer la nomination d'un membre du conseil d'administration de la SMCM. Matthey s'engage par ailleurs à ne pas concurrencer le groupe Usinor dans les domaines de la décoration et de la corrosion, non concernés par l'opération, sur le territoire de l'Union européenne, en Suisse et aux Etats-Unis.
Cette clause de non-concurrence est justifiée, selon les parties, par la nécessité d'éviter que d'éventuelles informations confidentielles relatives aux activités conservées par Usinor, qui pourraient être portées à la connaissance de la société Matthey en raison des droits précités, ne puissent être utilisées par cette dernière en vue d'entrer sur ce marché.
La réunion, au sein d'une entreprise commune, d'un ensemble d'activités auparavant exercées individuellement par chaque entreprise fondatrice de la nouvelle entité, implique normalement la séparation nette des actifs mis en commun de ceux conservés en propre par chaque acquéreur ainsi que la constitution d'organes de direction indépendants.
Dans la mesure où une complète séparation s'avère impossible en raison de l'intégration du site de production concerné, des mesures visant à garantir la pleine valeur des actifs transférés à l'entreprise commune, tels que les droits d'information accordés en l'espèce à Matthey, peuvent être considérées comme légitimes. De telles mesures ne sauraient cependant être assorties d'accords restrictifs de concurrence, que pour autant que ceux-ci sont également directement liés et nécessaires à l'opération, notamment s'ils visent à assurer la même garantie de transfert de valeur.
En revanche, un accord de non-concurrence visant à protéger les intérêts propres de l'une des entreprises fondatrices à l'égard d'un concurrent potentiel n'est normalement pas nécessaire à la réalisation d'une entreprise commune. La clause de non-concurrence sus-visée apparaît au cas présent d'autant moins nécessaire à la réalisation de l'opération notifiée, qu'Usinor ne démontre pas l'impossibilité de prévenir un hypothétique échange d'informations stratégiques entre entreprises indépendantes par d'autres moyens qui ne présenteraient aucun caractère restrictif de concurrence.
L'opération notifiée n'étant cependant pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur les marchés concernés, notamment par création ou renforcement d'une position dominante, je vous informe qu'il n'est pas dans mon intention de saisir le Conseil de la concurrence de cette concentration, la présente décision étant sans préjudice d'un examen éventuel des effets de la clause de non-concurrence au titre de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.
Nota. - A la demande des parties notifiantes, des informations relatives au secret des affaires ont été occultées et la part de marché exacte remplacée par une fourchette plus générale. Ces informations relèvent du " secret d'affaires ", en application de l'article 28 du décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986, modifié par le décret n° 95-916 du 9 août 1995, avant-dernier alinéa.