CA Limoges, ch. corr., 15 février 2002, n° 01-00170
LIMOGES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Fédération Départementale des Familles Rurales de la Corrèze, UFC Union Départementale des Consommateurs de la Corrèze, Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Mercier
Conseillers :
Mmes Renon, Barberon-Pasquet
Avocats :
Mes Roy, Bersat.
DÉCISION DONT APPEL
Sur l'action publique:
Le tribunal a déclaré C Jean-Philippe coupable des faits qui lui sont reprochés, en répression l'a condamné à 20 000 F d'amende, a ordonné la publication de la décision par extrait dans les journaux La Montagne et Le Populaire et a condamné Jean-Philippe C au paiement d'un droit fixe de procédure d'un montant de 600 F.
Sur l'action civile
Le tribunal a reçu la Fédération Départementale des Familles Rurales de la Corrèze et l'Union Départementale des Consommateurs de la Corrèze en leur constitution de partie civile et a condamné Jean-Philippe C à payer:
- à UFC l'Union Départementale des Consommateurs de la Corrèze la somme de:
- à titre de dommages et intérêts : 1 000 F
- au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale : 1 500 F
- à payer à la Fédération Départementale des Familles Rurales de la Corrèze :
- à titre de dommages et intérêts : 1 000 F
- au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale : 1 500 F
APPELS
Appel de cette décision a été interjeté par :
- Monsieur C Jean-Philippe, le 27 mars 2001.
- Monsieur le Procureur de la République, le 27 mars 2001.
- FDFR Fédération Départementale des Familles Rurales de la Corrèze, le 28 mars 2001.
- UFC Union Départementale des Consommateurs de la Corrèze, le 28 mars 2001.
LA COUR
Monsieur Philippe Vayrette, inspecteur des services déconcentrés de la DGCCRF s'est présenté le 17 février 2000 au magasin hypermarché X à Brive afin de procéder à diverses enquêtes nécessaires à l'application de l'article L. 121-1 du Code de la consommation et L. 121-2 du même Code, et a rencontré Monsieur T, responsable du rayon fruits et légumes.
Au rayon " traditionnel " boucherie il a constaté une pancarte publicitaire apposée devant l'étal sur lequel étaient exposées les pièces de viande bovine avec le prix au kilo, contre la vitrine et ainsi libellée :
Race : Limousin type racial : A viande.
Origine : France catégorie vache Race : Limousine.
Monsieur Vayrette a demandé de vérifier la chambre froide, que lui soient communiquées les factures et les bons de livraison des différentes pièces de boeuf.
Il a constaté la présence, sur un rayonnage roulant dans la chambre froide, de onze paquets de filets de boeuf pour un poids total de 36,46 kg, comportant le n° E 206051 du 20 février 2000, provenant de l'usine d'Egletons des Etablissements Y désignés sous la dénomination de Filet SP + 3 kilos Boeuf Y et comportant tous l'indication VBF Vache adulte type laitier.
L'employé de boucherie a indiqué à Monsieur Vayrette que ces morceaux étaient destinés à confectionner des tournedos mis en vente au prix de 169,80 F et présentés à ce prix à l'étal du magasin traditionnel boucherie. Les factures communiquées par Monsieur T des 3 et 9 février portent mention des filets de boeuf ainsi que d'autres livraisons.
Le 21 février 2000, Monsieur Vayrette s'est présenté à l'usine Y d'Egletons et a été reçu par Monsieur Maurice P, directeur et Monsieur A, responsable du développement organisation formation. Il s'est fait remettre les factures intéressant les livraisons effectuées en cours du mois de février 2000 destinées au magasin X de Brive, qui faisaient apparaître l'existence des livraisons suivantes :
3 février 2000 : jumeau, noix,
4 février 2000 : palette, filet SP boeuf
8 février 2000 : jumeau, queue, noix de joue,
10 février 2000 : jumeau, palette, filet,
15 février 2000 : palette, filet, queue, noix de joue,
17 février 2000 : queue, noix de joue, filet. Cette dernière facture concernant notamment le lot de 36,46 kg de filet semi-paré, correspondant aux livraison des 3 et 9 février.
Monsieur Vayrette relevait qu'ainsi 91,12 kg de filet semi paré de boeuf ont été livrés au rayon " traditionnel " boucherie de l'hypermarché dans la première quinzaine du mois de février 2000. Après examen des documents de traçabilité à partir des carcasses et des numéros de lots il a pu en déduire que ces viandes provenaient de vaches laitières en l'occurrence des " Holstein " et " Prim Hostein " et non des bêtes à viande de race limousine, et qu'avaient été livré le 4 février 2000 : 25,58 kg répartis sous 3 lots numérotés, le 10 février 2000 : 11,38 kg sous un lot, les 15 et 17 février 2000 : 27,58 kg et 26,58 kg sous un lot, et concluait à la fausseté de l'allégation race limousine type racial à viande pour les découpes de filets de boeuf revendus au rayon " traditionnel " de l'hypermarché X.
Que de plus les pré-emballages PAD de viande bovine dans la chambre froide qu'il avait vus le 17 février, pour ce qui concerne huit paquets de joue de boeuf provenant de Y, n'indiquaient aucune provenance d'origine sur les emballages, qu'aucune garantie ne pouvait être apportée au consommateur sur le type de boeuf dont proviennent les joues de boeuf. Qu'il en allait de même, après constatations, pour des onglets provenant de la société anonyme Z.
Le 29 février 2000 Monsieur Vayrette s'étant présenté à nouveau au magasin X rencontrait Monsieur Jean-Philippe C, chef de département " produits frais " qui s'est dit être habilité au titre d'une subdélégation de pouvoirs donnée le 2 janvier 1999, par Monsieur S, directeur de l'hypermarché.
Monsieur C a déclaré à Monsieur Vayrette, ainsi que ceci figure dans la procès-verbal du 29 février 2001 qu'il n'y avait pas de sa part volonté de tromper le consommateur en indiquant sur le panneau origine vache limousine, et que la majorité des pièces exposées sur l'étal du supermarché au rayon " traditionnel " boucherie étaient bien des bêtes de provenance limousine. Il a précisé que lorsqu'il avait pris ses fonctions à l'hypermarché le panneau y était déjà. Il a été modifié à la suite d'une visite de la DGCCRF pour tenir compte du règlement communautaire n° 620197. Il veillera à l'avenir à la provenance des bêtes.
Dans un procès-verbal du 29 février 2000, Monsieur Vayrette a consigné ses observations et les a transmis à Monsieur le procureur de Brive pour poursuites éventuelles.
Entendu par la Police Judiciaire de Brive en charge de l'enquête Monsieur C le 10 avril 2000, a reconnu les faits et indiqué qu'il avait pris des mesures disciplinaires pour sanctionner ces pratiques et a notamment licencié le chef de rayon, qui à ses dires s'était mis d'accord avec le fournisseurs, et aurait ainsi bénéficié de ressources extérieures à l'entreprise et à son détriment. Monsieur C a affirmé qu'il n'était pas au courant de ce que le panneau race limousine était apposé sur des morceaux de filets non estampillés, et que les pics de prix proches de ceux pratiqués pour des morceaux de race limousine lui laissaient supposer que l'origine était celle annoncée ; qu'il a depuis normalisé l'ensemble du rayon " traditionnel " boucherie.
La Fédération Départementale de la Corrèze des Familles Rurales s'est constituée partie civile devant le tribunal correctionnel, ainsi que l'Union Départementale des Consommateurs de la Corrèze.
Monsieur C qui est marié et à trois enfants, n'est pas connu des services de Police et a un casier judiciaire sur lequel n'apparaît aucune condamnation.
A l'audience,
Les parties civiles, l'UFC et la Fédération Départementales des Familles Rurales de la Corrèze, représentées par leurs avocats, Maître Vigier et Maître Couturon, font valoir les graves conséquences des pratiques mises en évidence par la DGCCRF, dans la mesure où la traçabilité des morceaux de boeuf n'est pas assurée, en ces périodes de contamination ; que la sécurité des consommateurs est en jeu, et qu'elles sont bien fondées à réclamer une somme de 1 525 euros pour chacune des associations qu'elles représentent, et une indemnité de 765 euros chacune sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
La DGCCRF, représentée par Monsieur Vayrette, expose que ses services ne savaient pas lors de l'enquête que des malversations avaient été commises par le chef de rayon. Cependant, elle fait valoir le défaut de surveillance du chef de département, Monsieur C, au regard de la réglementation qui impose un étiquetage fiable en matière bovine notamment et le contrôle de celui ci, et doit indiquer les viandes émanant de bêtes nées et abattues en France.
Le Ministère Public, représenté par Monsieur le Substitut Général Jean-Pierre Vergne, requiert la confirmation de la décision en ce qui concerne la culpabilité mais que la peine d'amende soit portée à 1 500 euros.
Monsieur C comparait assisté de son avocat Maître Roy.
Il expose qu'il est investi d'une subdélégation de pouvoirs émanant de Monsieur Eric S, et qu'il ne conteste pas les pouvoirs subdélégués en ce qui concerne l'approvisionnement et le contrôle de la traçabilité des morceaux de boeuf vendus aux deux rayons boucherie, le rayon " traditionnel " et le rayon boucherie libre service, dont il est le chef de département. Il fait état de ce que Monsieur S, au vu des faits constatés, a licencié le chef de rayon depuis. Ce dernier en effet, avait l'habitude de passer les commandes d'approvisionnements auprès de certains fournisseurs, et avait mis au point une fraude dont il tirait bénéfice en achetant des pièces de boeuf, qu'il savait provenir de vaches laitières, et les faisait sur facturer, alors que le rayon " traditionnel " boucherie ne propose à la vente que des vaches à viande de type Limousin. Que les faits de tromperie ne peuvent lui être imputés, dans la mesure où il les ignorait, l'élément intentionnel de l'infraction ne peut être établi. Il demande en conséquence, la relaxe de ce chef. Quant à la publicité mensongère qui lui est reprochée, bien qu'il ne sous-traite pas les obligations de contrôle au laboratoire en charge du contrôle des produits au regard des réglementations en vigueur, celui ci ne lui ayant rien signalé de particulier, Monsieur C fait valoir la difficulté de mettre en évidence les pratiques mises au point par son chef de rayon. Il demande en conséquence la relaxe pour ces faits.
MOTIVATION DE LA DÉCISION
Attendu que les faits de tentative de tromperie sur la nature, la qualité, l'origine ou la quantité d'une marchandise, pour lesquels Monsieur C est prévenu ne sont pas établis à son encontre, l'élément intentionnel de l'infraction ne pouvant pas être retenu en ce qui le concerne, une fraude ayant été organisée par le chef de Rayon, Franck M, et mis en place de sa propre initiative, à l'insu de Monsieur C ; qu'il a pris les mesures nécessaires pour faire sanctionner et licencier Monsieur Montoux ; que le jugement sera réformé de ce chef, et Monsieur C sera relaxé du chef de la poursuite de tentative de tromperie;
Attendu qu'en ce qui concerne la prévention relative à la publicité mensongère dont Monsieur C fait l'objet : - il reconnaît être investi d'une subdélégation de pouvoirs, lui permettant de contrôler les approvisionnements et la conformité à la réglementation des produits dont il a la charge et destinés à la vente ; - les faits sont avérés et établis;
Attendu qu'il ressort des dossiers que la DGCCRF a très facilement, par un seul contrôle de la chambre froide, et au vu des étiquettes figurant sur les packs de viande entreposés mis en évidence les irrégularités d'étiquetage des produits vendus et destinés au rayon " traditionnel";
Attendu que Monsieur C, n'a pas mis en place un système de contrôle pour prévenir les dérives de son département, ni les moyens appropriés pour contrôler la conformité des étiquetages aux règles et législation en vigueur et vérifier que les obligations publicitaires du rayon " traditionnel " boucherie étaient conformesque le jugement sera confirmé en ce qu'il a reconnu Monsieur C, coupable pour ces faits du délit de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur;
Attendu qu'en ce qui concerne la peine, Monsieur C n'ayant jamais été condamné, et dans la mesure où la seule infraction de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur, est retenue à son encontre, qu'il y a lieu de réformer le jugement sur ce point et de condamner Monsieur C à une peine d'amende de 1 500 euros;
Attendu qu'il y a lieu également de confirmer le jugement en ce qui concerne les dispositions intéressant l'action civile et le montant des dommages intérêts allouées aux parties civiles par le premier juge ; que la nature de l'affaire ne justifie cependant pas qu'il leur soit attribué en cause d'appel, d'indemnité sur le fondement de l'article 475-1 ;
Par ces motifs, LA COUR : Statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit en leurs appels Monsieur Jean-Philippe C, le Ministère public, l'UFC et la Fédération Départementale des Familles Rurales se la Corrèze, Sur l'action publique, Sur la culpabilité: Réforme le jugement entrepris, et statuant à nouveau, Relaxe Monsieur Jean-Philippe C du fait de tentative de tromperie, Le reconnaît coupable du chef de la prévention de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur, Sur la peine: Réforme le jugement entrepris et statuant à nouveau, Condamne Monsieur Jean-Philippe C à une peine d'amende de mille cinq cents euros (1 500 euros); Condamne C Jean-Philippe au paiement d'un droit fixe de procédure d'un montant de cent vingts euros, (120 euros). Le tout par application des articles L. 213-1, L. 216-2, L. 216-3, L. 121-1, L. 121-5, L. l21-6 al. 1, L. 121-6, L. 121-4 du Code de la consommation, 121-5 du nouveau Code pénal, 473 et 800 du Code de procédure pénale. Sur l'action civile : Confirme le jugement en ce qu'il a reconnu régulière et recevable les actions formées par l'UFC et la Fédération Départementale des Familles Rurales de la Corrèze, et a condamné Monsieur Jean-Philippe C à payer à chacune des parties civiles la somme de cent cinquante euros (150 euros) à titre de dommages intérêts et à une somme de deux cent vingt cinq euros (225 euros) sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale; Rejette toutes autres demandes des parties.