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Décisions

CA Grenoble, 1re ch. corr., 17 mai 2000, n° 98-00297

GRENOBLE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Union Fédérale des Consommateurs de la Drôme, Union Nationale Producteurs et Distributeurs de Jus de Fruits et de Légumes, Fédération Départementale des Familles Rurales de la Drôme

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Robin

Conseillers :

MM. Balmain, Baumet

Avocats :

Mes Karpik, Ganancia.

CA Grenoble n° 98-00297

17 mai 2000

LA COUR,

Statuant publiquement et contradictoirement,

Par jugement en date du 18 novembre 1997, le Tribunal correctionnel de Valence statuant:

* Sur l'action publique:

- a déclaré Sabine P épouse Y, ès qualités de gérante de la SARL X et Edouard G, ès qualités de directeur de fabrication de la société X, coupables d'avoir:

1°) sur le territoire national et notamment à Margès (26) du 1er janvier 1991 au 31 décembre 1991, en tout cas depuis temps non prescrit, trompé ou tenté de tromper le consommateur:

- sur la composition, l'origine et les qualités substantielles de 198 077 litres de pur jus de fruits fabriqués, mis en vente et vendus sous cette dénomination alors qu'ils étaient reconstitués par addition d'eau, de concentré d'arôme "identiques nature" ou de sucre;

- sur la composition, l'origine et les qualités substantielles de 133 463 litres de jus de fruits à base de concentré et de 427 422 litres de nectar de fruits fabriqués, mis en vente ou vendus sous cette dénomination alors qu'ils étaient élaborés à partir d'arômes de synthèse et d'additifs interdits, en l'espèce la farine de graines de caroube (épaississant) ou encore d'huile de silicone (anti-moussant);

- sur la composition, l'origine et les qualités substantielles de 3 564 litres de concentré pour boissons aux fruits élaborés avec des additifs interdits, en l'espèce de la farine de graine de caroube (épaississant) et du Bêta Carotène (colorant);

2°) dans les mêmes circonstances de temps et de lieu exposé, mis en vente ou vendu après les avoir falsifiés les boissons susdites;

3°) dans les mêmes circonstances de temps et de lieu, effectué une publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur la composition, l'origine et les qualités substantielles des boissons suivantes:

- 198 027 litres de pur jus de fruits qui, du fait de l'adjonction de sucre, de sel; d'acides ou de concentré ou de fait de leur origine géographique, ne pouvaient prétendre à leur dénomination;

- de jus d'ananas à base de concentré commercialisé sous la marque "A" dont l'étiquetage mentionnait "teneur en fruit 100% jus de fruit aucun traitement chimique" alors que rentraient dans la composition de l'acide, du sucre, de l'eau, du concentré et un arôme de synthèse;

- du jus de tomate à base de concentré commercialisé sous la marque "B" dont l'étiquetage mentionnait "pur jus" alors qu'il contenait de l'eau, du sel et du sucre

- du nectar de fruits rouges dont l'étiquetage mentionnait la présence de jus de groseilles, de mûres, de fraises, de framboises et de myrtilles alors qu'il n'en contenait pas;

- de la préparation pour boissons à base de concentré C dont l'étiquetage mentionnait la présence de jus de fruits de la passion, de cerises et de purée d'abricots alors qu'il n'en contenait pas;

- de la spécialité concentrée pour boissons au citron vert "D Citron" dont l'étiquetage ne mentionnait pas l'introduction de concentré d'orange alors qu'elle en contenait;

4°) dans les mêmes circonstances de lieu, du 1er janvier 1991 au 26 février 1992, en tout cas depuis temps non prescrit, apposé et utilisé la marque "100 % jus de fruits" déposée le 9 mars 1967 à l'INPI par l'UNPJF en violation des droits conférés par son enregistrement et des interdictions découlant de celui-ci;

5°) à Margès, le 26 février 1992, étant gérante et directeur de fabrication de la société X, ayant pour activité la fabrication, le conditionnement et la commercialisation de jus de fruits, nectars de fruits et préparations concentrées pour boissons aux fruits, détenu au sein de l'entrepris sans motifs légitimes des produits propres à effectuer la falsification desdites boissons, en l'espèce du colorant, des arômes de synthèse, un épaississant et un anti-moussant.

- en répression les a condamnés chacun à la peine de 6 mois d'emprisonnement avec sursis et à une amende de 100 000 F;

- a ordonné la publication dans le Dauphiné Libéré.

* Sur l'action civile:

- a condamné solidairement Sabine P épouse Y à payer:

* à l'Union Fédérale des Consommateurs de la Drôme et la Fédérale Départementale des Familles Rurales de la Drôme reçues en leurs constitutions de partie civile, la somme de 2 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 1 500 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Il a été régulièrement formé appel de ce jugement par Sabine P épouse Y, par Edouard G, par le Procureur de la République et par les trois parties civiles.

Suivant conclusions auxquelles il est expressément renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions, Sabine P épouse Y et Edouard Y font plaider leur relaxe. A titre subsidiaire, il sollicitent la plus grande indulgence de la cour.

Monsieur l'Avocat général requiert la confirmation du jugement tout en se rapportant sur la peine complémentaire de publication.

Suivant conclusions auxquelles il est expressément renvoyé pour plus exposé des moyens et prétentions

- l'Union Nationale des Producteurs et Distributeurs de jus de fruits et de légumes, de nectar et de boissons aux fruits de la Métropole et d'Outre Mer (UNPDJF) sollicite une somme de 15 000 F à titre de dommages-intérêts ainsi qu'une indemnité de 8 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale;

- l'Union Fédérale des Consommateurs de la Drôme sollicite une somme de 15 249,52 F à titre de dommages-intérêts et une somme de 5 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale;

- la Fédération des Familles Rurales de la Drôme sollicite une somme de 15 249,52 F à titre de dommages-intérêts et celle de 5 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

MOTIFS DE L'ARRET

A - L'action publique:

Les faits

Dans le cadre d'une enquête générale menée par la DGCCRF sur la fabrication des jus de fruits, les agents de cette administration procédaient, le 26 février 1992 à Margès, à un contrôle de la SARL X.

Cette société a pour activité la fabrication, le conditionnement et la commercialisation de jus de fruits, nectars de fruits et préparations concentrées pour boissons aux fruits sous les marques de la société (X et M) mais également sous des marques de distributeurs divers (B - A - E - F - G - H - I), étant précisé qu'un produit fabriqué selon une formule est indifféremment commercialisé sous l'une quelconque de ces marques.

Sabine P épouse Y est la gérante de la SARL. Son époux Edouard Y, cadre salarié, est responsable technique de fabrication.

Les matières premières utilisées par la SARL X proviennent exclusivement de la SARL CF dont le gérant est Gérard Y; père d'Edouard Y. Ces matières premières sont stockées dans les locaux de la SARL X qui les utilise selon ses besoins.

Les agents de la DGCCRF relevaient lors de leur contrôle:

- l'inexactitude de la mention "pur jus de fruits" sur les produits présentés comme tels ;

- l'emploi de la marque déposée 100 % jus de fruits sans en remplir les conditions;

- l'inexactitude de certaines mentions dont la mention arôme naturel sur des jus à base de concentrés utilisant des arômes de synthèse;

- la falsification de boissons par la mise en œuvre d'additifs interdits.

Sabine P épouse Y et Edouard Y contestent l'ensemble des infractions pour lesquelles, après information, ils ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel, déclarés coupables et condamnés par cette juridiction.

a) purs jus de fruits et marque 100 % jus de fruits :

Ce qualificatif est réservé aux produits obtenus par pressurage des fruits ou à partir de jus de fruits concentrés par restitution de la proportion extraite du jus et qui n'ont subi l'addition d'aucun produit.

Pour promouvoir et valoriser ces produits constituant le haut de gamme des jus de fruits, l'Union Nationale des Producteurs et Distributeurs de Jus de Fruits et Légumes (UNPJF) a créé une marque caractérisée par un carré au centre duquel s'inscrit la mention 100 % jus de fruits, marque qui a été déposée à l'INPI le 9 mars 1967 et qui est, en conséquence, protégée par le Code de la propriété industrielle.

II ressort des formules de fabrication la composition suivante des purs jus de fruits :

- pur jus d'orange Maroc, commercialisé sous les marques M et B, pour 1 150 litres :

eau: 85 l

concentré d'orange pulpeux 53°5: 20 kg

pur jus d'orange: 1 050 l

- pur jus d'orange, commercialisé sous les marques M et X, pour 1125 litres :

concentré d'orange non pulpeux: 20 kg

arôme 1257: 50 cc

pur jus d'orange: 1 025 l

sucre: 10 kg

- pur jus d'ananas, commercialisé sous les marques M, X, B et E, pour 1 125 litres:

acide ascorbique: 0,4 kg

acide citrique: 0,6 kg

pur jus d'ananas: 120 l

concentré d'ananas fut 60°: 142 kg

sucre: 20 kg

arôme d'ananas: 50 cc

eau q.s.p. "pur brix final" égal à 11°5

- pur jus de pamplemousse, commercialisé sous les marques M, X et B, pour 1 125 litres:

eau: 85 l

pur jus de pamplemousse: 1 025 l

concentré de pamplemousse fut 60°: 20 kg

sucre: 10 kg

Ces produits ne peuvent donc prétendre à la dénomination "Pur jus" de fruits n'étant pas élaborés exclusivement à partir des jus d'orange, ananas, pamplemousse.

C'est très pertinemment que le premier juge a considéré que l'argument des prévenus qui se réfèrent aux analyses ordonnées par le magistrat instructeur a été écarté étant remarqué que les propres formules de fabrication de la société X, relevées par les agents verbalisateurs, sont suffisantes en elles-mêmes pour établir la démonstration des ingrédients utilisés par la société X dans ses produits et par là-même la matérialité des infractions relevées.

De même, l'utilisation illégale de la marque 100 % jus de fruits est établie car, son utilisation étant réservée aux purs jus, ce n'est pas le cas des produits susvisés sur l'étiquetage desquels a été apposée par la société X.

Les prévenus ne sauraient s'affranchir en révoquant que le règlement d'usage de cette marque a introduit depuis une modification en 100 % pur jus direct. En effet si cette modification a dû être apportée, c'est par besoin pour la profession de renforcer la terminologie du logo pour lutter contre toute dérive.

Ainsi qu'il l'a été dit précédemment, la marque déposée 100 % jus de fruit est protégée et ne peut donc être considérée comme une marque générique.

b) Inexactitude de certaines mentions:

(mention arôme naturel pur jus de fruits à base de concentrés utilisant des arômes de synthèse).

Ainsi que l'a relevé à très juste titre le premier juge, il a été constaté que certaines mentions portées sur l'étiquetage n'étaient pas conformes à la réalité de la composition du produit. C'est ainsi qu'a été constaté la commercialisation de jus de tomates sous diverses marques dont la marque B. Sur l'étiquetage " B" ce jus de tomates est déclaré "Pur jus" alors que les fiches de fabrication donnent pour composition pour 1 000 litres de la pulpe de tomates (225 kg) du sucre (12 kg) du sel (6 kg) de l'eau.

De même la société X commercialise sous sa marque un cocktail de légumes dont l'étiquetage mentionne pour ingrédients ; jus de tomate à base de concentré, jus de céleri, carotte, persil, laitue, betterave, oignon, basilic, jus de citron et sel, alors qu'en fait, il ne contient de jus de céleri, de persil, de laitue, de betteraves, d'oignon, de basilic, ni de jus de citron mais un arôme de type "identique nature".

Egalement, l'étiquetage du nectar citron vert vendu sous la marque D mentionne à la rubrique des ingrédients "extrait aromatique naturel provenant uniquement du citron vert" alors qu'il contient exclusivement un arôme de type identique nature.

Encore parmi d'autres, un jus d'ananas à base de concentré commercialisé sous plusieurs marques (A - M - G - X) contient un arôme "identique nature".

Si l'emploi des arômes "identique nature", qui sont obtenus par la synthèse de molécules reproduisant les caractéristiques des substances aromatiques naturelles (art. 5 du décret 91-366 du 11 avril 1991) n'est pas en soi illicite, il n'en demeure pas moins que ces substances sont distinctes de celles extraites du fruit ou du légume correspondant. Dès lors l'allégation d'arôme naturel lorsqu'il est fait usage d'arôme de synthèse (arôme identique nature) est trompeuse.

C'est donc à juste titre que le premier juge a retenu les prévenus dans les liens de la prévention. La déclaration de culpabilité sera confirmée.

c) L'emploi d'additifs interdits:

La visite des locaux d'entreposage des matières premières a permis de saisir de nombreux bidons dont les étiquettes d'origine étaient soit lacérées, soit arrachées sur lesquels figuraient pour certains et de manière manuscrite le nom d'un fruit annoncé comme contenant des arômes, colorants épaississants et anti-moussants interdits pour la fabrication de jus de fruits et de nectar (D.56 - D.58).

II était de plus saisi un flacon entamé d'un produit anti-moussant provenant de l'achat en 1990 à la société Rhône-Poulenc d'huile de silicone et diméthyle-polysiloxanique, commercialisé sous la marque R, destiné à servir d'additif pour les peintures, produits d'entretien, d'agent de traitement des fibres textiles, d'anti-adhérent, de lubrifiant et enfin de fluide thermostatique ou diélectrique, ce produit ne pouvant, du fait de sa toxicité, recevoir application en alimentation humaine.

Il était également trouvé dans une chambre froide 104 kg de farine de graine de caroube (épaississant).

En ce qui concerne les anti-moussants, c'est à juste titre et par des motifs pertinents adoptés par la cour, que le premier juge a retenu la qualification de détention de substances propres à la falsification de boissons.

En effet d'une part aucun des prélèvements effectués n'a apporté la preuve de l'emploi du R, produit hautement toxique en industrie agroalimentaire, et d'autre part, s'il ressort des constatations qu'un produit anti-moussant a été intégré dans la préparation du concentré de jus d'orange commercialisé sous la marque E, cet anti-moussant n'a pu être identifié.

En ce qui concerne la farine de graine de caroube, il résulte des éléments de l'information et des débats que celle-ci a été utilisée comme épaississant. Il ressort en effet des formules de fabrication de nombreux cocktails et de nectars. Or, si la farine de caroube figure dans la liste des additifs autorisés par l'arrêté du 14 octobre 1991, son utilisation est limitée aux boissons sans alcool aux extraits végétaux ou aux arômes artificiels. En l'espèce, le contrôle et l'information ont établi que l'épaississant à base de farine de graine de caroube a été utilisé dans la fabrication de nectar et de boissons à base de concentré, boissons qui ne répondent pas aux critères donnant possibilité d'introduire dans la composition un épaississant.

De ce qui précède, il ressort que la déclaration de culpabilité sera confirmée.

Sur la peine, en condamnant chacun des prévenus à la peine de 6 mois d'emprisonnement avec sursis et à une amende de 100 000 F le premier juge a fait une exacte application de la loi pénale. Le jugement sera confirmé sur ce point.

Eu égard à l'ancienneté des faits, la cour considère qu'il n'y a pas lieu à faire publier l'arrêt, même par extrait, dans la presse.

B - L'action civile:

Au vu des pièces justificatifs produites et des éléments de la procédure, la cour dépose des éléments suffisants pour fixer ainsi le préjudice subi par les parties civiles:

- 12 000 F à L'union Nationale des Producteurs et Distributeurs de Jus de Fruits;

- 6 000 F à L'union Fédération des Consommateurs de la Drôme;

- 6 000 F à la Fédération Départementale des Familles Rurales de la Drôme.

Il est équitable d'allouer à chacune des parties civiles, la somme de 4 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Par ces motifs, LA COUR, Recevant les appels comme réguliers en la forme, Sur l'action publique : Confirme le jugement déféré en tant que déclaratif de culpabilité et en ce qu'il a condamné chacun des prévenus à la peine de 6 mois d'emprisonnement avec sursis et à une amende de 100 000 F; Réformant pour le surplus, dit n'y avoir lieu à publication; Infirmant les dispositions civiles et statuant de nouveau: Condamne in solidum Sabine P épouse Y et Edouard Y à payer: - à L'Union Nationale des Producteurs et distributeurs de Jus de Fruits (UNPDJF) reçue en sa constitution de partie civile, la somme de 12 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 4 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale; - à L'Union Fédérale des Consommateurs de la Drôme, reçue en sa constitution de partie civile, la somme de 6 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 4 000 F au tire de l'article 475-1 du Code de procédure pénale; - à la Fédération Départementale des Familles de la Drôme, reçue en sa constitution de partie civile, la somme de 6 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 4 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale; Les condamne également aux dépens de l'action civile; Constate que le présent arrêt est assujetti au droit fixe de 800 F résultant de l'article 1018 A du Code général des impôts, et dit que la contrainte par corps s'exercera conformément aux dispositions des articles 749 à 751 du Code de procédure pénale, Le tout par application des dispositions des articles L. 213-1, L. 213-2, L. 213-3 al. 1-2, L. 213-4, L. 216-1, L. 216-2, L. 216-3, L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 al. 1 du Code de la consommation, 132-29 à 132-39 du Code pénal, 410, 446, 473 et 800 du Code de procédure pénale.