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Décisions

CA Paris, 13e ch. A, 15 mai 2000, n° 99-00080

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Comité national contre le tabagisme

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guilbaud

Avocat général :

M. Blanc

Conseillers :

MM. Ancel, Nivose

Avocats :

Mes Levy, Fourgoux, Caballero.

TGI Paris, 31e ch., du 30 nov. 1998

30 novembre 1998

RAPPEL DE LA PROCÉDURE:

LA PREVENTION:

J Serge Max est poursuivi par requête du Procureur de la République, pour avoir, à Paris et sur le territoire national, depuis mars 1997 et le 11 avril 1997, effectué en sa qualité de directeur de la publication du journal "Y" des publicités indirectes en faveur du tabac, en l'espèce le service "PST" rappelant les cigarettes "PS".

L Pierre François est poursuivi par requête du Procureur de la République, pour avoir, à Paris et sur le territoire national, depuis mars 1997 et jusqu'en avril 1997, dans la presse, notamment le journal "Y" le 1er avril 1997, sur des panneaux d'affichage disposés dans des commerces à Paris et la banlieue parisienne, effectué des publicités indirectes en faveur du tabac, en l'espèce un service dénommé "PST" rappelant les cigarettes "PS".

LE JUGEMENT:

Le tribunal, par jugement contradictoire, a

dit n'y avoir lieu à saisir la Cour de justice des Communautés européennes d'une question préjudicielle,

déclaré:

J Serge Max coupable de PUBLICITE INDIRECTE OU CLANDESTINE EN FAVEUR DU TABAC OU DE SES PRODUITS,

faits commis depuis mars 1997 et avril 1997, à Paris et sur le territoire national,

infraction prévue par les articles L. 355-31 al.1, L. 355-24 al.1, L. 355-26 al.1, L. 355-25 du Code de la santé publique et réprimée par l'article L. 355-31 al. 1, al. 3 du Code de la santé publique;

L Pierre François coupable de PUBLICITE INDIRECTE OU CLANDESTINE EN FAVEUR DU TABAC OU DE SES PRODUITS,

faits commis depuis mars 1997 et avril 1997, à Paris et sur le territoire national,

infraction prévue par les articles L. 355-31 al. 1, L. 355-24 al.1, L. 355-26 al.1, L. 355-25 du Code de la santé publique et réprimée par l'article L. 355-31 al. 1, al. 3 du Code de la santé publique;

Et par application de ces articles,

Condamné:

J Serge Max à 100 000 F d'amende,

L Pierre François à 200 000 F d'amende,

statuant sur l'action civile,

reçu le Comité national contre le tabagisme en sa constitution de partie civile,

condamné solidairement Pierre François L, Serge Max J, à lui payer la somme de 300 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 2 500 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale;

mis hors de cause la SA M et la SARL SNPC,

constaté que la SA Y n'existait pas,

débouté le Comité national contre le tabagisme du surplus de ses demandes,

a dit que cette décision était assujettie au droit fixe de procédure de 600 F dont est redevable chaque condamné.

LES APPELS:

Appel a été interjeté par

Maître Fourgoux, avocat, au nom de Monsieur L Pierre, le 7 décembre 1998, à l'encontre des dispositions du jugement en date du 30 novembre 1998 rendu contre Pierre François L précisant que son appel concerne les dispositions pénales et civiles;

M. le Procureur de la République, le 7 décembre 1998, contre Monsieur L Pierre;

Maître Jean-Paul Lévy, avocat, au nom de Monsieur J Serge, le 10 décembre 1998, à l'encontre des dispositions du jugement en date du 30 novembre 1998 rendu contre Serge Max J précisant que son appel concerne les dispositions pénales et civiles;

la SNPC, prise en la personne de son représentant légal civilement responsable, le 10 décembre 1998 à l'encontre des dispositions du jugement en date du 30 novembre 1998 rendu contre Monsieur J Serge;

M. le Procureur de la République, le 11 décembre 1998, contre Monsieur J Serge;

Le CNCT Comité national contre le tabagisme pris en la personne de son administrateur judiciaire Maître Lebosse-Peluchonneau, le 15 décembre 1998, contre Monsieur J Serge, Monsieur L Pierre;

DÉCISION:

Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi,

Statuant sur les appels interjetés par Pierre L, Serge J, le Ministère Public, la société NPC et le Comité national contre le tabagisme (CNCT) du jugement déféré auquel il est fait référence pour l'exposé des faits et de la prévention.

Par voie de conclusions Serge J et la société NPC demandent par infirmation du jugement déféré de relaxer Serge J des fins de la poursuite. Ils font valoir:

1°) l'absence de comportement fautif de Serge J,

2°) l'absence de l'élément de publicité indirecte en faveur du tabac, et plus précisément d'une part, l'absence de similitude entre la publicité querellée et les cigarettes PS et, d'autre part, l'absence d'élément intentionnel,

3°) subsidiairement, l'application à leur profit de la dérogation à l'interdiction de publicité indirecte contenue dans les dispositions de l'alinéa 2 de l'article L. 355-26 du Code de la santé publique,

4°) plus subsidiairement encore, l'irrecevabilité de l'action du CNCT.

Ils demandent enfin de condamner le CNCT à leur payer la somme de 30 000 F sur le fondement de l'article 472 du Code de procédure pénale.

Dans un second jeu de conclusions Serge J et la société NPC, sollicitent la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a mis hors de cause, sur le fondement de l'article 1384 al.5 du Code civil, la société NPC, en l'absence de lien de subordination entre cette société et ses mandataires sociaux.

Par voie de conclusions Pierre L et la société M sollicitent par infirmation du jugement déféré la relaxe de Pierre L. Ils font valoir:

1°) l'absence d'une publicité indirecte en faveur du tabac,

2°) l'application à leur profit de l'exception tirée des dispositions de l'al 2 de l'article L. 355-26 du Code de la santé publique,

3°) le défaut d'intérêt à agir du CNCT,

4°) l'importance des dommages-intérêts alloués au CNCT dont ils sollicitent la réduction.

Subsidiairement Pierre L et la société M, et au cas où la cour retiendrait la culpabilité de Pierre L, demandent de dire que la société M sera civilement responsable de son représentant légal.

Par voie de conclusions le CNCT demande de:

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a déclaré Serge J et Pierre L coupables du délit de publicité indirecte en faveur du tabac,

- augmenter le montant des dommages-intérêts alloués par le tribunal et les porter à la somme de 2 531 695,76 F qui seront supportés solidairement par les deux prévenus,

- condamner en outre Pierre L à lui verser la somme supplémentaire de 1 520 847,88 F,

- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a mis hors de cause la société M et la société NPC,

- condamner la société M et la société NPC à garantir solidairement Pierre L et Serge J des condamnations prononcées contre eux sur le fondement de l'article 1382 du Code civil,

- ordonner "l'exécution provisoire des condamnations civiles prononcées à l'encontre de Serge J et de Pierre L",

- condamner solidairement les prévenus et civilement responsables à lui payer la somme de 20 000 F sur le fondement des dispositions de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

RAPPEL DES FAITS

Le Comité national contre le tabagisme (CNCT) déposait plainte le 1er avril 1997 pour infraction aux dispositions de l'article L. 355-25 du Code de la santé publique, relativement à une publicité indirecte en faveur du tabac par voie d'affichage dans les rues de l'agglomération parisienne en faveur de la marque PST et de publicités parues dans la presse, notamment dans le journal.

Il rappelait les termes d'une décision de condamnation de la cour de céans en date du 22 mars 1995 et notamment le fait que la publicité en faveur de PST évoquait les cigarettes PS et constituait ainsi une publicité indirecte illicite rappelant le tabac.

Le conseil du CNCT condamnait en outre les excès de la campagne de publicité parue dans le quotidien L, considérant qu'elle apparaissait plus nocive qu'une campagne publicitaire directe en présentant une marque de tabac comme un produit associé à des valeurs telles que les voyages pouvant séduire la jeunesse.

Serge J, directeur de publication du journal entendu par les policiers estimait que la promotion de la marque PST, ayant acquis une notoriété dans la prestation de voyages ne pouvait être considérée comme un réel outil de promotion de la marque de cigarette.

Pierre L, président directeur général de la société NPC, expliquait que sa société, agence de voyages, utilisait le nom commercial PST depuis sa création mais affirmait qu'elle n'avait aucun lien avec la marque de cigarette. Il indiquait par ailleurs que sa clientèle était composée de voyageurs âgés de trente ans en moyenne.

Sur ce, LA COUR:

Sur l'action publique

Considérant qu'aux termes de l'article L. 355-25 du Code de la santé publique "toute propagande ou publicité directe ou indirecte en faveur du tabac ou des produits du tabac... est interdite"; qu' aux termes de l'article L. 355-26 du même Code "est considérée comme propagande ou publicité indirecte toute propagande ou publicité en faveur d'un organisme, d'un service, d'une activité, d'un produit autre que le tabac ou le produit du tabac lorsque, par son graphisme, sa présentation, l'utilisation d'une marque, d'un emblème publicitaire ou de tout autre signe distinctif elle rappelle le tabac ou un produit du tabac";

Considérant que par des motifs pertinents que la cour adopte les premiers juges ont retenu Serge J et Pierre L dans les liens de la prévention qu'en effet à l'évidence la marque PST rappelle la marque Peter Stuyvesant, que la notoriété acquise par PST ne saurait suffire à faire disparaître l'infraction à l'interdiction de publicité directe ou indirecte pour le tabac ; qu'avec pertinence le CNCT fait observer au surplus que la ressemblance entre les deux signes a été choisie à dessein par les dirigeants du groupe R qui en ont fait un élément essentiel de leur politique de diversification, visant selon la partie civile, à tourner les dispositions des lois Veil et Evin ;

Considérant que les prévenus ne peuvent utilement invoquer la dérogation tirée des dispositions de l'al 2 de l'article L. 355-26 du Code de la santé publique dès lors que la marque PST est un service et non un produit, la société PST ayant une activité d'agence de voyages;

Considérant que le délit est imputable tant à Pierre L, qui est l'annonceur de la publicité incriminée qu'à Serge J, directeur de la publication qui a diffusé la campagne publicitaire litigieuse ; que Serge J peut d'autant moins invoquer son ignorance de l'illéicité d'une telle campagne, qu'il a d'une part été condamné pour des faits de même nature et qu'il a d'autre part, continué à faire paraître dans le journal des publicités en faveur de PST après l'engagement des poursuites à son encontre et même après le prononcé du jugement déféré;

Considérant que les éléments constitutifs de l'infraction sont donc réunis à l'encontre des deux prévenus; que le jugement déféré sera confirmé en ce qui concerne la déclaration de culpabilité; que les premiers juges ont fait une juste application de la loi pénale à leur encontre qui sera également confirmée;

Sur l'action civile

Considérant que le CNCT qui a été créé pour lutter contre le tabagisme et qui est reconnu d'utilité publique a un intérêt certain à agir; qu'il subit un préjudice direct et personnel du fait d'une publicité illicite en faveur du tabac; que la désignation d'un administrateur provisoire, l'existence d'un rapport de 1'IGAS sur son fonctionnement et la mise en cause de son ancien directeur n'ont pas d'incidence sur la recevabilité de son action; que le tribunal qui l'a déclaré recevable à agir sera confirmé;

Considérant que la partie civile sollicite d'une part, une augmentation des dommages-intérêts qui lui ont été alloués, mettant en exergue le "principe de réparation médiatique" et, d'autre part, une distinction selon la gravité des agissements des prévenus, ceux de Pierre L étant selon lui plus graves que ceux reprochés à Serge J;

Considérant que compte tenu de l'ampleur de la campagne publicitaire effectuée, il y a lieu, de condamner solidairement les deux prévenus, leurs fautes ayant concouru à la réalisation de l'ensemble du préjudice du CNCT et sans qu'il soit besoin de dissocier leurs responsabilités, à payer à la partie civile la somme de 500 000 F à titre de dommages-intérêts, et ce par infirmation du jugement déféré;

Considérant que Serge J et Pierre L seront également condamnés solidairement à payer au CNCT la somme de 10 000 F sur le fondement des dispositions de l'article 475-1 du Code de procédure pénale pour ses frais irrépétibles d'appel;

Considérant que la société NPC (SARL) ne conteste pas devoir garantir en sa qualité de civilement responsable les condamnations prononcées contre Pierre L qu'elle sera condamnée à garantie sur le fondement de l'article 49 de la loi du 24 juillet 1966;

Considérant que la société M (société anonyme) sera également condamnée sur le fondement de l'article 98 de la même loi à garantir Serge J des condamnations prononcées à son encontre et ce par infirmation du jugement déféré;

Considérant que Serge J sera débouté de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 472 du Code de procédure pénale, les conditions de cet article n'étant pas réunies;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement à l'encontre de Serge J, Pierre L, la société M, la société NPC, et le CNCT; Sur l'action publique, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions pénales; Sur l'action civile, Confirme le jugement déféré sur la recevabilité du CNCT; L'infirmant pour le surplus; Condamne Serge J et Pierre L solidairement à payer au CNCT la somme de 500 000 F à titre de dommages-intérêts outre une somme de 10 000 F sur le fondement des dispositions de l'article 475-l du Code de procédure pénale; Déclare la société M civilement responsable de Pierre L et la société NPC civilement responsable de Serge J; Les condamne respectivement à garantir Pierre L et Serge J des condamnations prononcées à leur encontre; Rejette le surplus des demandes.