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Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 26 février 2003, n° 2001-11741

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Première Vision Le Salon (SA)

Défendeur :

A à Z Expo (SARL), Messe Frankfurt France (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Riffault-Silk

Conseillers :

Mme Percheron, M. Picque

Avoués :

SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, SCP Taze-Bernard-Belfayol-Broquet, SCP Gaultier-Kristner-Gaultier

Avocats :

Mes Trey, Drai, Lamotte.

T. com. Paris, 20e ch., du 25 mai 2001

25 mai 2001

La société "Première Vision Le Salon " (société Première Vision) organise, deux fois l'an, au Parc des expositions de Villepinte, un salon dénommé " Première Vision " destiné aux professionnels des tissus d'habillement, regroupant un maximum de 800 exposants et attirant en moyenne 40 000 visiteurs acquittant un droit d'entrée de 40 euros.

De son côté la SARL "A à Z Expo " organise, aux mêmes dates, sur une surface sensiblement plus petite au CNIT de La Défense, un salon de création plus récente, dénommé " Texworld " regroupant des professionnels du tissu au nombre d'environ 500, pour la plupart non admis an salon " Première VISION ", mais généralement concurrents des tisseurs exposant au sein de ce dernier. Le salon du CNIT, dont l'accès est gratuit, reçoit en moyenne 17 000 visiteurs.

Estimant subir une concurrence parasitaire de la part de l'organisateur du salon de La Défense, la société Première Vision a attrait, le 15 novembre 2000, la société A à Z Expo devant le Tribunal de commerce de Paris aux fins de le voir constater cette concurrence parasitaire et d'ordonner sa cessation, outre l'entendre condamner la société A à Z Expo à préparer le préjudice correspondant par le versement des indemnités sollicitées.

Par jugement du 25 mai 2001, le tribunal, estimant notamment que la simultanéité des deux salons n'était pas révélatrice d'une intention parasitaire de la part des organisateurs du salon Texworld, l'a déboutée de ses prétentions et l'a condamnée à verser 20 000 F à la société A à Z Expo pour ses frais irrépétibles.

Appelante le 19 juin 2001, la société Première Vision expose, dans le dernier état de ses écritures signifiées le 30 décembre 2002, que le salon Texworld a " délibérément placé sa communication et sa stratégie de développement sur le terrain du parasitisme de la notoriété du salon Première Vision ", en développant l'idée qu'il accueillait les exposants qui n'avaient pas pu participer au sein du salon de Villepinte et au point, lors du changement des dates de ce dernier pour l'aimée 2002, d'immédiatement changer les siennes pour continuer à se tenir au même moment, alors que, selon l'appelante, l'identité de temps n'est nullement une contrainte objective pour le lancement d'un salon concurrent de celui organisé par la société Première Vision. Elle estime que la société A à Z Expo profite ainsi, sans bourse délier, des investissements qu'elle a effectués pour asseoir la notoriété du salon Première Vision, à raison d'environ sept millions d'euros par an, alors que sa concurrente ne supporte que des dépenses minimales de fonctionnement et d'organisation. La partie du fonds de commerce de la société A à Z Expo correspondant à l'organisation du salon Texworld ayant été cédée en cours d'instance, à la société Messe Frankfurt France (société Messe) et cette dernière ayant indiqué dans sa lettre du 29 janvier 2002, son intention de continuer de l'organiser aux mêmes dates que celles du salon Première Vision, elle l'a assignée en intervention forcée devant la cour pour lui rendre opposable la décision à intervenir.

L'appelante fait valoir :

- qu'aucune prescription n'étant opposée, la solution du litige est indépendante, contrairement à l'analyse des premiers juges, du fait que la concomitance des deux salons s'était antérieurement produite sept fois, au jour de l'acte introductif de la présente instance,

- que l'intimée s'est livrée à des actes de rattachement indirect au salon Première Vision, alors que sans jamais exister par lui-même, le salon Texworld s'en est approprié les critères d'existence, ce que n'autorise pas la liberté du commerce, le parasitisme étant contraire à l'éthique des affaires et perturbateur du marché,

- que les deux salons ne sont pas complémentaires, mais concurrents en s'adressant aux mêmes visiteurs/acheteurs de tissus d'habillement, dans les mêmes circonstances de temps, de lieu géographique et d'action,

- qu'il y a identité des produits présentés et que ses exposants, autrefois uniquement européens, sont désormais également non-européens.

La société Première Vision conclut implicitement à la réformation du jugement déféré, prie la cour de dire que le choix des mêmes dates pour les deux salons constitue un acte de concurrence parasitaire de la société A à Z Expo à son préjudice et lui demande d'enjoindre à la société Messe de décaler d'au moins cinq jours, les dates de ses sessions par rapport à celles du salon Première Vision. Elle sollicite la condamnation de la société A à Z Expo à lui payer 762 245 euros toutes causes de préjudice confondues et la publication de la décision dans des journaux spécialisés français et étrangers au frais de l'intimée outre 4 573 euros de frais irrépétibles.

Intimée, la société A à Z Expo réplique, dans des conclusions signifiées le 10 décembre 2002, que le conseil d'administration de la société Première Vision est essentiellement composé de fabricants européens de tissus et que l'action intentée par celle-ci s'inspire d'un protectionnisme destiné à écarter les concurrents non-européens. Elle conteste s'être livrée à des actes de concurrence parasitaire et prétend que les deux salons sont complémentaires en s'adressant à des professionnels différents, puisque le salon Texworld accueille des exposants hors Europe, tandis que le salon Première Vision est réservé aux fabricants européens. Elle soutient qu'un salon professionnel doit permettre de donner la possibilité aux intéressés de voir un éventail de produits le plus large dans une même période et qu'il existe " une multitude d'autres cas de salons qui se tiennent simultanément dans un but de complémentarité ". Elle estime aussi qu'au moment des changements de date, le salon Première Vision a commencé le mercredi tout comme le salon Texworld, ce qu'il ne faisait pas auparavant et en déduit qu'en dernier lieu, c'est l'appelante qui a, en fait, aligné ses dates sur le nouveau salon.

L'intimée fait valoir :

- que les " plannings " de réservation des lieux d'exposition sont fixés longtemps à l'avance, de sorte que l'obligation de décalage des dates de cinq jours seulement reviendrait à interdire, de fait, l'organisation du salon Texworld pendant plusieurs années,

- qu'elle n'est pas sans assumer des dépenses significatives pour organiser son salon, et que l'appelante ne justifie pas de l'appauvrissement allégué, d'autant que le chiffre d'affaires de celle ci a progressé dans la période considérée,

- qu'il n'existe pas en l'espèce, un ensemble de comportements qualifiables de parasitisme économique ou de concurrence parasitaire,

- qu'il n'y a pas eu davantage d'immixtion de sa part, dans le sillage du salon Première Vision, afin de tirer profit, sans rien dépenser, des efforts et du savoir-faire de ce dernier, et qu'une simple identité de date n'est pas, par elle-même, révélatrice d'une intention parasitaire,

- que les deux salons ne visent pas les mêmes visiteurs, Première Vision étant aussi fréquenté par des amateurs para-professionnels dont l'attirance ne peut résulter que d'une promotion publicitaire importante, tandis que Texworld a recours à des " mailings " d'invitations, suivant le concept, non de " salon ", mais de " rendez-vous mondial du tissu ".

Prétendant que la société Première Vision a mené " toute une campagne publicitaire qualifiant de parasitisme économique, la tenue du salon Texworld ", elle considère, à son tour, subir une concurrence déloyale s'ajoutant au dommage résultant du caractère, à ses yeux abusif, de la présente procédure.

Par ailleurs, invoquant les stipulations contractuelles de la cession partielle de fonds de commerce, excluant la garantie des conséquences du présent litige, la société A à Z Expo s'oppose à la demande principale de mise hors de cause de la société Messe. En raison de cette cession et invoquant l'article 31 du nouveau Code de procédure civile, elle conclut, à titre principal, à sa propre mise hors de cause.

Subsidiairement elle sollicite la confirmation du jugement entrepris et, formant implicitement appel incident, requiert la condamnation de la société Première Vision à lui payer 30 500 euros pour concurrence déloyale et 45 750 euros pour procédure abusive, outre 7 500 euros de frais non compris dans les dépens et la publication aux frais de l'appelante, de la décision à intervenir dans divers journaux spécialisés français et étrangers.

Assignée en intervention forcée, la société Messe estime, dans des conclusions signifiées le 17 décembre 2002, qu'elle n'est pas concernée par des faits survenus antérieurement à l'acquisition du fonds de commerce du 17 décembre 2001, et soutient que les clauses de garantie insérées dans le contrat de cession avec le cédant du fonds n'ont de valent qu'entre les pailles signataires. Elle souscrit pour le surplus, aux moyens développés par la société A à Z Expo en faisant valoir que les deux salons procèdent de concepts différents et que les agissements de tiers utilisant le nom des deux salons sur les invitations qu'ils diffusent eux-mêmes, ne sont pas opposables aux organisateurs du salon Texworld. La société Messe insiste aussi sur la complémentarité des deux manifestations profitant à l'une et l'autre, et sur le fait que la seule identité de date est insuffisante en elle même, à caractériser un ensemble de comportements révélateur d'une intention parasitaire.

Elle considère en revanche, que l'action diligentée par la société Première Vision " n'a d'autres objectifs que celui de déstabiliser une jeune société en nuisant à son crédit et à sa réputation ".

La société Messe conclut, à titre principal, à sa mise hors de cause et, subsidiairement, à la confirmation du jugement critiqué. Elle sollicite en outre, la condamnation de la société Première Vision à lui payer 10 000 euros de dommages et intérêts et 5 000 euros de frais non compris dans les dépens.

SUR CE,

Sur la mise hors de cause sollicitée par la société Messe Frankfurt France :

Considérant qu'il est constant que les faits invoqués sont antérieurs à l'acquisition du salon Texworld par la société Messe;

Mais considérant que la société Première Vision demande à la cour d'enjoindre à la société Messe de décaler d'au moins cinq jours les dates de sessions ;

Que la société Messe pour sa part formule à l'encontre de la société Première Vision une demande de dommages et intérêts ;

Qu'il n'y a pas lieu de faire droit à sa demande tendant à sa mise hors de cause ;

Sur la mise hors de cause sollicitée par la société A à Z Expo ;

Considérant qu'il est constant que les faits allégués par la société Première Vision émanent de la société A à Z Expo et que celle-ci peut dés lors être assignée par celle qui prétend eu subir un dommage

;

Que l'intimée doit en conséquence, rester dans la cause ;

Sur le parasitisme allégué ;

Considérant qu'il résulte de l'ordonnance n° 45-2088 du 11 septembre 1945 et l'article 2 du décret n° 69-948 du 10 octobre 1969, qu'un salon est une manifestation commerciale constituée par le groupement périodique d'exposants présentant aux acheteurs professionnels ou au public, des échantillons de produits au de services dans l'intention d'en faire connaître les qualités et d'en provoquer les commandes.

Qu'il est constant :

- que les professionnels de la filière textile/habillement sont à la recherche de la possibilité d'exposer, en un lieu spécifiquement dédié aux expositions au sein d'une même entité géographique constituée par la ville de Paris et sa région, les échantillons de leurs produits, dans l'intention d'en faire connaître les qualités aux professionnels concernés et d'en provoquer les commandes,

- que les organisateurs des deux salons en conflit, proposent l'un et l'autre ces services, auxdits professionnels, lesquels les considèrent comme alternatifs et équivalents puisqu'il est reconnu que ceux qui n'ont pas pu avoir accès à l'un des salons pour satisfaire son besoin de se faire connaître des professionnels concernés, exposent leurs produits au sein de l'autre manifestation et qu'il n'est pas davantage discuté que pour la plupart, les visiteurs de l'une, visitent également l'autre;

Considérant en outre, que les parties n'ont pas fait état d'une redevance d'occupation par mètre carré de stand, d'un coût moyen fondamentalement différent entre les deux salons ;

Que si à l'origine l'une ne s'adressait qu'aux candidats d'origine européenne et l'autre à ceux de provenance extra-européenne, elles admettent, dans le dernier état de leurs écritures, que cette distinction s'est estompée depuis que le salon Première Vision actuelle aussi des exposants non-européens;

Qu'il en résulte qu'il n'y a pas aujourd'hui de différenciations significatives dans l'approche des clients/exposants potentiels susceptibles d'être intéressés par les services proposés par l'une ou l'autre organisation,

Considérant qu'en présence d'entreprises en situation de concurrence, le comportement parasitaire est un acte de concurrence déloyale et que la société Première Vision prie la cour de dire que le choix des mêmes dates pour les deux salons constitue un acte de concurrence parasitaire;

Considérant que le parasitisme économique se définit comme l'ensemble des comportements par lesquels un agent économique s'immisce dans le sillage d'un autre afin de tirer profit de ses efforts et de son savoir-faire, sans rien dépenser on en exposant des frais bien moindres que ceux auxquels il aurait dû normalement faire face pour arriver au même résultat, s'il n'avait pas bénéficié des efforts de l'autre ;

Mais considérant que l'article 7 de la loi des 2-17 mars 1791 proclame la liberté du commerce et que la libre concurrence est de règle dans une économie de marché alors que la société Première Vision fonde l'essentiel de ses griefs, sur la seule concomitance de dates des deux manifestations;

Qu'outre que ce seul élément est en l'espèce insuffisant à constituer un ensemble de comportements fautifs, la concomitance critiquée constitue, en fait, un facteur d'accroissement de la " substituabilité " des services proposés par les deux entreprises concurrentes et en conséquence contribue à l'amélioration de la concurrence sur ce marché;

Qu'au surplus, les parties n'ont pas prétendu qu'il existait des risques de confusion entre les deux manifestations etque l'appelante n'a pas démontré que l'existence au même moment du salon organisé au CNIT de La Défense banalisait celui qu'elle organise au Parc des expositions de Villepinte, ni que la fréquentation de ce dernier s'en trouvait affectée;

Sur la concurrence déloyale, dont se plaint la société A à Z Expo, et sur le caractère prétendument allusif de l'action eu justice diligentée par la société Première Vision :

Considérant que l'intimée prétend que l'appelante aurait " mené toute une campagne publicitaire qualifiant de parasitisme économique, la tenue du salon Texworld ", aux motifs:

- qu'un client coréen lui a indiqué par fax, qu'il lui aurait été rapporté qu'une rumeur laisserait entendre que le salon Texworld pourrait être reporté parce qu'il se tient aux mêmes périodes que celui de Première Vision,

- qu'un article de presse paru dans le " Journal du textile " du 16 septembre 2002, prêtant à un acteur du secteur économique concerné, sans établir au demeurant le lien pouvant le relier à la société Première Vision, que si le salon Première Vision s'était ouvert plus tôt aux exposants non européens, " on aurait évité la création d'un salon parasite ",

- la réponse prêtée au président de la société Première Vision dans un interview publié dans le journal " Textile Market ", lequel interrogé sur l'éventuelle opportunité d'intégrer dans son salon ceux "comme Tex World qui gravirent autour de Première Vision et accueillent de plus en plus de visiteurs" aurait répondu : "vous parlez là de ces salons parasites...".

Mais considérant que ces éléments sont insuffisants à établir la réalité de la faute alléguée et qu'ai' surplus la société A à Z Expo rie rapporte pas la preuve, qui lui incombe, de l'existence d'un préjudice, ni a fortiori le lien de causalité le reliant à la faute prétendue ;

Que par ailleurs, elle ne rapporte pas davantage la démonstration du caractère malicieux de l'action en justice diligentée à son encontre ni d'une erreur grossière qu'elle renfermerait ;

Considérant que les prétentions principales des parties étant rejetées, la demande de publication de la décision à intervenir devient sans intérêt ;

Que la société Messe ne rapportant pas la preuve du caractère abusif de l'action engagée à son encontre par la société Première Vision, sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts ;

Qu'il est équitable que la société A à Z Expo et la société Messe Frankfurt France soient indemnisées de leurs frais irrépétibles d'appel dans les conditions fixées ci-après ;

Par ces motifs : Rejette les demandes de la société Messe Frankfurt France et la société A à Z Expo tendant à leur mise hors de cause ; Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, Y ajoutant, Déboute la société Messe Frankfurt France de sa demande de dommages-intérêts ; Condamne La société " Première Vision - Le Salon " aux dépens d'appel et à verser, au titre des frais irrépétibles complémentaires, 2 500 euros à chacune des sociétés " A à Z Expo " et "Messe Frankfurt France" ; Admet les SCP Taze-Bernard & Belfayol-Broquet et Gaultier & Kistner- Gaultier, chacune pour ce qui la concerne, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.