CA Paris, 9e ch. B, 1 mars 1996, n° 95-04537
PARIS
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Pelletier
Conseillers :
Mme Beauquis, M. Barreau
Avocats :
Mes Bensard, Malinbaume, Conti, Henri, Tokar.
Rappel de la procédure :
Le jugement :
Le tribunal, par jugement contradictoire, a déclaré :
L Dominique
- coupable d'escroquerie, de février 1991 au 23 mars 1993, à Paris, territoire national, infraction prévue par l'article 313-1 alinéas 1 et 2 du Code pénal et réprimée par l'article 131-1 alinéa 2 du Code pénal,
F Maria dite Mariella divorcée M
- coupable d'escroquerie, de février 1991 au 23 mars 1993, à Paris, territoire national, infraction prévue par l'article 313-1 alinéas 1 et 2 du Code pénal et réprimée par l'article 131-1 alinéa 2 du Code pénal,
G Alain, François, Oreste
- Coupable d'escroquerie, de février 1991 au 23 mars 1993, à Paris, territoire national, infraction prévue par l'article 313-1 alinéas 1 et 2 du Code pénal et réprimée par l'article 131-1 alinéa 2 du Code pénal,
Et par application de ces articles, a condamné :
- L Dominique à 15 mois d'emprisonnement avec sursis et à 250 000 F d'amende,
- F Maria dite Mariella divorcée M à 18 mois d'emprisonnement avec sursis et à 250 000 F d'amende,
- G Alain, François, Oreste à 10 mois d'emprisonnement avec sursis et à 150 000 F d'amende
- R Dominique, Lucien à 15 mois d'emprisonnement avec sursis et à 250 000 F d'amende.
Sur l'action civile, le tribunal a déclaré recevables les constitutions de partie civile de M. Auer et de Mme Bert et a condamné, solidairement :
- Maria F dite Mariella divorcée M, Dominique R, Dominique L, Alain G et Jean-Paul B (ce dernier non en cause d'appel) à payer à M. François Auer la somme de 20 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 5 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale,
- Maria F dite Mariella divorcée M, Dominique R, Dominique L, Alain G et Jean-Paul B (ce dernier non en cause d'appel) à payer à Mlle Agnès Bert, la somme de 3 000 F de dommages-intérêts pour le préjudice financier, 5 000 F de dommages-intérêts pour le préjudice moral et 1 500 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
Les appels :
Appel a été interjeté par :
- M. G Alain, François, Oreste, le 22 mai 1995 contre M. Auer de Guilhermier François, Mme Bert Agnès,
- M. le Procureur de la République, le 22 mai 1995 contre M. G Alain, François, Oreste,
- Mme F Maria, le 23 mai 1995 contre M. Auer de Guilhermier François, Mme Bert Agnès,
- M. L Dominique, le 23 mai 1995,
- M. R Dominique, Lucien, le 23 mai 1995,
- M. le Procureur de la République, le 23 mai 1995 contre Mme F Maria, M. R Dominique, Lucien, M. L Dominique,
Décision :
Rendue, après en avoir délibéré conformément à la loi,
En la forme :
Considérant que la cour, se référant aux mentions qui précèdent et aux pièces de la procédure, constate la régularité des appels du jugement susvisé, interjetés par L Dominique, F Maria dite Mariella divorcée M, G Alain et R Dominique, prévenus, ainsi que la Ministère Public et déclarera, par suite, lesdits appels recevables ;
Au fond :
Considérant que Jean-Paul B, Dominique L et Dominique R ont créé la SARL X le 7 novembre 1990 ; que si Jean-Paul B était désigné comme gérant, les véritables dirigeants étaient Dominique L dont l'épouse détenait 51 % des parts sociales et Dominique R qui détenait le reste du capital social ;
Que cette société avait pour objet la publicité, la promotion de toutes publications écrites, sonores, visuelles et audiovisuelles était spécialisée dans la vente par correspondance de produits se rapportant à l'astrologie ;
Que le 19 février 1991, une convention a été passée entre la société X et Maria F, dite Mariella M, astrologue ayant acquis une réputation dans le public grâce à ses émissions de radio et de télévision, aux termes de laquelle cette dernière concédait à la société, dans le cadre de la réalisation de ses objectifs commerciaux, le droit exclusif d'utiliser son image et son nom dans " tous messages, mailings, publicités, documents de vente par correspondance, à charge (pour la société) d'avoir obtenu préalablement sous la forme d'un bon à tirer, l'accord de l'astrologue sur le contenu rédactionnel du message " ;
Qu'il était prévu au contrat une redevance égale à 6 % du chiffre d'affaires au profit de Mariella M ;
Que le 9 décembre 1991, Alain G, propriétaire d'un progiciel dénommé Y, a signé au profit de la société X, un contrat de licence d'utilisation de ce produit informatique permettant d'automatiser l'édition de prévisions et de thèmes astraux ;
Que la société X, après s'être constitué un fichier de 800 000 noms, à partir de fichiers achetés ou loués à d'autres entreprises, a adressé à raison d'une fois par mois environ, à plusieurs milliers de personnes sélectionnées sur ce fichier, des courriers publicitaires censés émaner de Mariella M, dont le graphisme était celui d'un manuscrit et ayant pour but de proposer aux personnes prospectées la vente de leur " voyance astrale personnelle " ou de leur thème astral de naissance ;
Que dans les différentes versions de ce courrier " personnalisé " diffusées au cours du second semestre 1992, qui portait toujours en en-tête le prénom de la personne destinataire, Mariella M prétendait d'être livrée à une étude de la " courbe de biorythme astral de chance " ou du " dossier personnel confidentiel " du destinataire et en avoir retiré la conviction que celui-ci se trouvait dans une situation personnelle catastrophique qu'elle décrivait dans des termes susceptibles d'impressionner le lecteur ; qu'elle offrait ensuite le moyen de mettre fin à cette situation grâce à l'astrologie et plus précisément à une meilleure connaissance de soi résultant de la réalisation, soit du thème astral de naissance, soit de " la voyance astrale personnelle " prestations qu'elle proposait pour un prix de 200 ou 260 F ;
Qu'en outre et pour que " la réussite soit complète ", elle conseillait l'achat du " bracelet des souhaits " qu'elle-même portait, et de la médaille " Mariella M " ;
Que la cour relève qu'un de ces courriers avait été adressé en décembre 1992 à une personne décédée depuis plusieurs années ;
Considérant qu'il est établi par la procédure etqu'il n'est pas contesté par les prévenus que les courriers publicitaires ci-dessus mentionnés ont été rédigés et diffusés sans qu'aucune étude préalable de la situation personnelle de leurs destinataires, à partir de leur date de naissance, n'ait été réalisée par Mariella M ou par un autre astrologue ;
Qu'à cet égard, Dominique L a reconnu qu'aucune sélection par la date de naissance des personnes démarchées ne pouvait être effectuée, dans la mesure où, au moins dans 35 % des cas, cette information ne figurait pas dans le fichier utilisé par la société C ;
Que l'offre de thème astral établi par Mariella M, proposée par la lettre circulaire, était également mensongère ;
Qu'en effet, il résulte tant des déclarations d'Alain G que de celle de Mariella M que les thèmes commandés étaient édités automatiquement par le progiciel A et étaient expédiés sans être soumis auparavant à Mariella M qui n'en avait dès lors pas connaissance ;
Que Dominique L et Dominique R ont tenté d'expliquer qu'une méthode de calculs astrologiques mise au point par Mariella M avait été incluse dans le progiciel Y ;
Mais considérant que cette assertion, dont au demeurant la véracité n'est pas démontrée, est inopérante ;
Considérant en effet que Mariella M a elle-même reconnu que tous les systèmes de calculs conçus par les astrologues se ressemblaient et que seule l'interprétation donnée par l'astrologue permettait de présenter un thème astral personnel ;
Considérant que les fausses assertions ci-avant énumérées faites par voie publicitaire portant sur la qualité de la prestation offerte et sur l'identité du prestataire, caractérisent le délit de publicité fausse ou de nature à indure en erreur prévu et réprimé, à la date des faits, par l'article 44 de la loi du 27 décembre 1973 et dont les éléments d'incrimination retenus au cas d'espèce ont été repris par l'article L. 121-1 du Code de la consommation ;
Considérant qu'il ne résulte pas avec certitude des déclarations des plaignants, dont douze seulement affirment avoir versé des fonds, la preuve que les obligations fausses contenues dans les courriers publicitaires aient été la cause déterminantes de ces remises ;
Considérant en conséquence, que les éléments du délit d'escroquerie reproché aux prévenu n'étant pas réunis en l'espèce, la cour requalifie en délit de publicité fausse ou de nature à induire en erreur les faits qui lui sont déférés ;
Considérant que Dominique L et Dominique R sont, en leur qualité de dirigeants de fait de la société C, les auteurs de cette infraction ;
Considérant qu'Alain G qui intervenait dans la société, comme prestataire de service, à un double titre, d'une part, en fournissant le matériel informatique permettant d'éditer les thèmes astraux et d'autre part, en rédigeant et en réalisant le graphisme des courriers publicitaires, savait exactement comment étaient établis les thèmes proposés dans ces courriers et savait nécessairement qu'aucune étude préalable à l'envoi desdits courriers n'était effectuée ;
Que sa responsabilité pénale sera retenue en tant que complice pour avoir fourni les moyens nécessaires à la commission du délit ;
Considérant enfin qu'il est établi par la procédure et qu'il n'est pas contesté par l'intéressée, que Mariella M a eu connaissance de toutes les lettres publicitaires et qu'elle a expressément autorisé leur diffusion en y apposant conformément aux clauses du contrat, la mention " bon à tirer " ;
Que sa responsabilité pénale sera également retenue en tant que complice pour avoir apporté aide et assistance dans la commission de l'infraction ;
Sur les peines :
Considérant qu'en raison de son contenu et de la nature de la prestation proposée, la publicité fallacieuse conçue et diffusée par les prévenus, a trompé principalement des personnes démunies ou en état de détresse ;
Que le préjudice social causé par de tels agissements est important ;
Qu'en outre cette publicité frauduleuse a procuré aux prévenus et notamment à Mariella M des profits substantiels ;
Qu'il est en conséquence justifié d'infliger aux prévenus des peines significatives de prison avec sursis et d'amendes ;
Que conformément aux dispositions de l'article L. 121-4 du Code de la consommation, reprenant celles de l'article 44 de la loi du 27 décembre 1973, la cour ordonnera la publication du présent arrêt dans deux quotidiens ;
Sur l'action civile :
Considérant que par courrier adressé à la cour le 28 décembre 1995, M. François Auer de Guilhermier a fait connaître qu'ayant été indemnisé de son préjudice, il se désistait de son action contre les appelants, qu'il lui en sera donné acte ;
Considérant qu'en ce qui concerne la constitution de partie civile de Mme Agnès Bert, la cour confirmera la décision des premiers juges ;
Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en second ressort. En la forme : Reçoit les appels de L Dominique, de F Maria dite Mariella divorcée M, de G Alain et de R Dominique et du Ministère Public contre ces quatre prévenus ; Donne acte à L Dominique et à F Maria dite Mariella divorcée M de leur comparution volontaire ; Au fond : Disqualifiant et requalifiant les faits déférés par la poursuite ; Déclare L Dominique et R Dominique coupables du délai de publicité fausse ou de nature à induire en erreur et G Alain et F Maria dite Mariella divorcée M coupables de complicité de ce délit ; Condamne : - L Dominique, R Dominique et F Maria dite Mariella divorcée M à quinze mois d'emprisonnement avec sursis et deux cent mille (200 000) francs d'amende, - G Alain à dix mois d'emprisonnement avec sursis et cent cinquante mille (150 000) francs d'amende, Ordonne la publication du présent arrêt, par extrait, aux frais des condamnés, dans les journaux " France Soir " et " Le Parisien " ; Sur les intérêts civils : Donne acte à M. François Auer de Guilhermier de son désistement d'action ; Statuant sur la constitution de partie civile de Mme Agnès Bert, confirme le jugement déféré ; La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 800 F dont est redevable chaque condamné.