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Décisions

CA Chambéry, ch. corr., 10 janvier 1996, n° 95-00510

CHAMBÉRY

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Uran (faisant fonction)

Conseillers :

M. Vencent, Mme Kueny

Avocats :

Mes Menard, Mettay, Ballaloud, Le Masson

TGI Thonon, ch. corr., du 13 juill. 1994

13 juillet 1994

Rappel de la procédure :

Le jugement :

Le tribunal, par jugement du 13 juillet 1994 contradictoire, a déclaré A Yves coupable d'exercice illégal de l'art dentaire, entre le 9 mai 1986 et le 9 mai 1989, à Saint-Julien-en-Genevois, infraction prévue et réprimée par les articles L. 356, L. 360, L. 373, L. 375 et L. 376 du Code de la santé publique ;

D Guy, Marcel coupable d'exercice illégal de l'art dentaire, entre le 9 mai 1986 et le 9 mai 1989, à Saint-Julien-en-Genevois, infraction prévue et réprimée par les articles L. 356, L. 360, L. 373, L. 375 et L. 376 du Code de la santé publique ; de publicité mensongère ou de nature a induire en erreur, courant février et mars 1989, à Saint-Julien-en-Genevois, infraction prévue et réprimée par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6, al. 1 du Code de la consommation.

Et par application de ces articles, a condamné

A Yves à 20 000 F d'amende - dommages et intérêts - publication

D Guy, Marcel à 4 mois d'emprisonnement avec sursis - 40 000 F d'amende - dommages et intérêts - publication.

Les appels :

Appel a été interjeté par :

M. Le Procureur de la République, le 18 juillet 1994

Monsieur A Yves, le 18 juillet 1994

Conseil Départemental de l'Ordre des Chirurgiens-Dentistes de la Haute-Savoie, le 18 juillet 1994

Monsieur D Guy, Marcel, le 18 juillet 1994

L'Ordre National des Chirurgiens-Dentistes, le 18 juillet 1994

La Confédération Nationale des Syndicats Dentaires CNSD, le 18 juillet 1994

Le Syndicat des Chirurgiens-Dentistes de la Haute-Savoie, le 18 juillet 1994.

Décision :

Statuant sur les appels interjetés le 18 juillet 1994 par les prévenus, le Ministère Public et les parties civiles d'un jugement rendu le 13 juillet précédent par le Tribunal correctionnel de Thonon-les-Bains, qui a condamné :

- A Yves, à la peine de 20 000 F d'amende, pour avoir à Saint-Julien-en-Genevois entre le 9 mai 1986 et le 9 mai 1989 :

- en tout cas depuis temps non prescrit, pris part habituellement ou par direction suivie à la pratique de l'art dentaire par consultation, actes personnels ou tous autres procédés notamment prothétiques, sans être titulaires d'un diplôme ou titre mentionné à l'article L. 356-2 du Code de la santé publique et exigé pour l'exercice de la profession de chirurgien-dentiste, alors qu'ils n'étaient pas régulièrement dispensé de la possession de l'un de ces documents et sans être inscrit à un Tableau de l'Ordre des chirurgiens-dentistes ;

- D Guy, Marcel, à la peine de 4 mois d'emprisonnement avec sursis et 40 000 F d'amende, pour avoir :

- à Saint-Julien-en-Genevois entre le 9 mai 1986 et le 9 mai 1989 en tout cas depuis temps non prescrit, pris part habituellement ou par direction suivie à la pratique de l'art dentaire par consultation, actes personnels ou tous autres procédés notamment prothétiques, sans être titulaires d'un diplôme ou titre mentionné à l'article L. 356-2 du Code de la santé publique et exigé pour l'exercice de la profession de chirurgien-dentiste, alors qu'ils n'étaient pas régulièrement dispensés de la possession de l'un des documents et sans être inscrit à un Tableau de l'Ordre des chirurgiens-dentistes ;

- à Saint-Julien-en-Genevois courant février et mars 1989 et depuis temps non couvert par la prescription de l'action publique, effectué une publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur les qualités ou les aptitudes du prestataire en laissant croire aux clients que les prestations de service relevaient de sa compétence professionnelle, alors qu'en réalité il ne possédait pas les titres requis pour exercer la profession concernée ;

et qui a alloué :

- à la Confédération Nationale des Syndicats Dentaires les sommes de 5 000 F à titre de dommages et intérêts et de 2 000 F par application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale et ordonné la publication de la décision par extrait dans " Le Messager ", " Le Dauphiné " et le " 74 " ;

- à l'ordre National des Chirurgiens Dentistes de la Haute-Savoie et au Syndicat des Chirurgiens Dentistes de la Haute-Savoie, 5 000 F chacun à titre de dommages et intérêts, et ensemble la somme de 2 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

1°) - Sur l'action publique :

Attendu que les prévenus, qui ont comparu à l'audience, ont fait plaider leur relaxe ;

Sur les faits :

Attendu que la Confédération Nationale des Syndicats Dentaires, le Conseil Départemental de l'Ordre des Chirurgiens Dentistes de la Haute-Savoie et le Syndicat des Chirurgiens Dentistes de la Haute-Savoie ont déposé une plainte avec constitution de partie civile entre les mains du Doyen des Juges d'Instruction près le Tribunal de grande instance de Thonon-les-Bains, en dénonçant les pratiques de prothésistes dentaires, d'Yves A et de Guy D, cogérants de la SARL " E ", constituée depuis juillet 1988, située <adresse>74160 Saint-Julien-en-Genevois ;

Que ces instances syndicales et ordinale reprochaient à l'un comme à l'autre de ces prothésistes d'une part d'exercer illégalement l'art dentaire, d'autre part d'opérer une publicité mensongère ;

Attendu que Guy D et Yves A ont immatriculé le 17 novembre 1989 une SARL devenue " l'E " sis <adresse>- 74160 Saint-Julien-en-Genevois ; que cette société avait pour objet principal " la fabrication de prothèses dentaires et dérivés, la réparation et la modification des prothèses, puis également, comme activités secondaires la création de laboratoires de prothèses dentaires et la formation de prothésistes " ;

Que Guy D et Yves A ont exercé à Saint-Julien-en-Genevois une activité de prothésistes dentaires du 16 novembre 1988, date du commencement d'activité de la SARL " E ", qu'ils ont créée, au 3 avril 1992, date du jugement prononçant la liquidation de cette société ;

Qu'ils ont multiplié des publicités auprès de particuliers pour favoriser leur activité ;

Sur l'amnistie :

Attendu que la loi n° 88-828 du 20 juillet 1988 portant amnistie, prévoit cette mesure pour trois types d'infractions commises avant le 22 mai 1988 :

- les contraventions de police ;

- les délits pour lesquels seule une peine d'amende est encourue ;

- certains délits spécifiques énumérés aux articles 2-2° à 8°, 3 et 5 de la Loi, relatifs essentiellement aux infractions médicales visées aux articles 317 du Code pénal et L.645 à 647 du Code de la santé publique, et certaines infractions militaires ;

Attendu que les faits décrits par Madame Veuve Blanc sont extérieurs aux poursuites et qu'ainsi la loi d'amnistie susvisée ne s'applique pas en l'espèce ;

Sur la publicité mensongère :

Attendu que les plaignants reprochent à Guy D d'avoir opéré une publicité tapageuse et mensongère dans la presse écrite local, dont le libellé est trompeur pour un public qui peut conclure à l'aptitude postulée du technicien de laboratoire dentaire à adapter, réparer, diagnostiquer un appareil ;

Qu'ils s'appuient notamment sur un communiqué du BVP, daté du 14 février 1985, qui classe les messages laissant supposer la capacité des prothésistes dentaires à installer l'appareil en bouche au titre de ceux susceptibles d'induire en erreur ; qu'ils ajoutent que de telles annonces représentent un réel danger pour la santé des clients ;

Attendu que Guy D estime que la publicité incriminée n'est ni mensongère ni trompeuse ;

Qu'il souligne qu'il a été précédemment relaxé de ce chef et qu'il n'a pas introduit d'élément nouveau dans ses publicités depuis ;

Qu'il communique un avis du BVP daté du 21 décembre 1987 estimant ne pas être de nature à induire en erreur la publicité d'un prothésiste proposant des renseignements, devis gratuits sur simple appel téléphoné et des réparations de prothèses ;

Attendu que les publicités incriminées parues du 28 février 1989 au 6 mars 1989 dans le " 74 ", journal local gratuit de grande distribution et non spécialisé, n'étaient pas adressées aux chirurgiens-dentistes mais aux particuliers, clients locaux potentiels dans ces termes : " Vous avez des problèmes avec vos appareils dentaires " ;

Qu'elles mentionnaient :

" E

Laboratoire des Prothésistes Libéraux

Diplôme du Collège Mont-Petit Montréal (Canada)

Devis gratuit - entretien conseil

Exemples :

Prothèse haut : 3 200 F ;

Stellite : 4 400 F ;

Réparation : 250 F ;

En accord avec l'article L. 373 du Code de la santé publique.

Tél. : 50.35.01.63 "

Attendu que l'article L. 373 du Code de la santé publique énonce :

" La pratique de l'art dentaire comporte le diagnostic et le traitement des maladies de la bouche, des dents et des maxillaires, congénitales ou acquises, réelles ou supposées, dans les conditions prévues par le Code de la déontologie des chirurgiens-dentistes ;

Exerce illégalement l'art dentaire ; toute personne qui prend part habituellement ou par direction suivie, même en présence d'un praticien, à la pratique de l'art dentaire, par consultation, acte personnel ou tous autres procédés, quels qu'ils soient, notamment prothétiques ... ;

Attendu que la publicité litigieuse qui comprend le prix des services offerts laisse entendre que les prothésistes mentionnés sont habilités ou font sous le contrôle de personnes habilitées des diagnostics nécessaires à l'établissement des devis de prothèses dentaires, ainsi que tous les actes nécessaires à la confection de ces prothèses qui sont inclus dans le forfait mentionné ;

Attendu que Guy D ne justifie pas la réalité de cette affirmation ;

Qu'il ressort au contraire des éléments du dossier que Guy D revendique le droit de recevoir de la clientèle à son cabinet et de procéder à des actes tels des devis ou des réparations de prothèses, sans l'intervention d'un dentiste ;

Attendu que cette appréciation est contraire à l'interprétation jurisprudentielle de l'article 373 du Code de la santé publique ;

Que selon la jurisprudence : " constituent des actes prothétiques relevant de l'art dentaire, visés à l'article L. 373-1 du Code de la santé publique, les opérations de prise d'empreinte, d'adaptation et de pose d'un appareil dentaire, sans qu'il y ait lieu de distinguer si ces interventions ont pour objet d'installer un premier appareil ou d'ajuster ou de remplacer une prothèse " ;

Que d'ailleurs la convention collective applicable dans les laboratoires de prothèses dentaires, rappelle que les prothésistes agissent sous la responsabilité directe des praticiens, quelle que soit la forme juridique du rattachement de ces laboratoires au cabinet d'odontologie ;

Que le prévenu qui ne justifie pas de ce qu'il travaillait sous la responsabilité et avec le concours d'un dentiste et qui n'ignorait pas les divergences entre son interprétation de l'article " L. 373 du Code de la santé publique " et celle de la jurisprudence dominante s'est donc rendu coupable du délit de publicité mensongère ;

Sur l'exercice illégal de l'art dentaire :

Attendu que Yves A conteste avoir travaillé en méconnaissant les règles de sa profession de prothésiste-dentaire ; qu'il affirme n'avoir jamais pris d'empreinte et n'avoir jamais établi de prothèse qu'après intervention du chirurgien dentiste ;

Qu'il a concédé au maximum une seule activité reprochable, à savoir la réalisation de devis, reprochable parce qu'impliquant un examen buccal ;

Attendu que Guy D a nié toute activité illégale ; qu'il prétend n'être jamais intervenu en bouche, expliquant que les clients reçus avaient été systématiquement orientés sur des chirurgiens ;

Qu'il admet cependant faire des devis et réparations à la clientèle qui se rend à son cabinet sans l'intervention d'un dentiste ;

Qu'il prétend : " je ne regarde jamais la bouche des clients, y compris pour faire les devis. Ce sont les clients eux-mêmes qui disent combien ils pensent avoir de dents à changer " !!! ;

Attendu que l'information établit que Guy D et Yves A ne sont que des prothésistes dentaires et qu'ils ne possèdent pas le diplôme de chirurgien-dentiste ;

Qu'ils ont accepté la gérance d'un laboratoire dont l'objet déclaré était la fabrication, la réparation et la modification de prothèses dentaires ;

Que cette activité est licite tant qu'elle est réalisée sur instructions de praticien diplômé ;

Que l'article 15 de la convention collective nationale des prothésistes dentaires et laboratoires de prothèses dentaires, cabinet d'odontologie, définit en effet la profession de technicien de laboratoire dentaire comme celle qui consiste : " sur les indications et les empreintes fournies par la praticien, qui reste seul responsable de tous les stades de la conception du traitement prothétique, à confectionner, à réparer ou à modifier tous les appareillages destinés à la restauration et au rétablissement fonctionnel et esthétique du système manducateur " ;

Qu'il en ressort que le rôle du prothésiste dentaire consiste à réaliser la partie mécanique des travaux en laboratoire, suite aux prescriptions des praticiens compétents ;

Que les prévenus ont refusé de façon constante de préciser le nom des praticiens avec lesquels ils travaillaient ;

Attendu que l'information judiciaire a également permis d'établir qu'avant les faits incriminés et après les faits incriminés, dans son cabinet d'Annemasse, Guy D a posé des appareils dentaires sur des clients, en les réparant sans intervention d'un professionnel, a fortiori en prenant des empreintes ou en procédant à l'adaptation de ces appareils comme l'ont déclaré Madame Blanc, Monsieur Mordanisi et Madame Parat ;

Attendu qu'en juin 1990, le cabinet " E " à Saint-Julien-en-Genevois a disparu ;

Qu'Yves A s'est retiré à Ferney Voltaire et que le cabinet de Saint-Julien-en-Genevois s'est transféré à Annemasse, avec Guy D qui en a conservé le numéro de téléphone ;

Attendu qu'à Annemasse Guy D disposait d'un cabinet équipé pour recevoir habituellement des clients, salle d'attente, inscription d'honoraires et heures d'ouverture, carnet de rendez-vous, ... ;

Attendu que Guy D a d'ailleurs fait disparaître le nom de ses clients, remettant un carnet de rendez-vous déchiré aux enquêteurs en prétendant que sa fille en avait déchiré les pages ;

Attendu que l'existence illégal de l'art dentaire commis à Annemasse apparaît comme confortant la preuve de l'exercice illégal commis par Guy D à Saint-Julien-en-Genevois ;

Qu'en effet, l'établissement d'un devis rend nécessaire l'établissement d'un diagnostic ; que l'adaptation ou la réparation d'un appareil dentaire implique nécessairement des vérifications qui relèvent incontestablement de l'art dentaire ;

Attendu que les prévenus doivent donc être déclarés coupables des faits qui leur sont reprochés, en limitant l'exercice illégal de l'art dentaire à Saint-Julien-en-Genevois à la période du 16 novembre 1988 à juin 1990, et ce par confirmation du jugement déféré ;

Attendu, sur la sanction que la gravité des faits justifie par réformation du jugement déféré la réduction de la peine d'amende infligée à chaque prévenu ;

2°) Sur l'action civile :

Attendu que le réquisitoire introductif, dont la régularité n'a jamais été contestée, a validé les éventuelles erreurs commises dans le mandat donné par les parties civiles et que l'article 375 du Code de la santé publique n'interdit pas formellement la plainte avec constitution de partie civile ;

Attendu que si les prévenus ont commis les actes qui leur sont reprochés dans le cadre de la SARL " L'E ", cette SARL en tant que telle n'est pas concernée par la prévention, en sorte qu'il n'y a pas lieu d'exiger des parties civiles qu'elles se soumettent à la procédure de vérification des créances ;

Attendu que le préjudice subi par les parties civiles justifie la confirmation du jugement déféré en ses dispositions civiles, y compris celles ayant ordonné la publication dans "Le Messager", le " Dauphiné Libéré " et le " 74 ".

Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement, après en avoir délibéré conformément à la loi, contradictoirement à l'égard d'Yves A et Guy D ; Déclare les appels recevables en la forme ; Au fond, confirme le jugement rendu le 13 juillet 1994 par le Tribunal correctionnel de Thonon-les-Bains en ce qu'il a retenu les prévenus dans les liens de la prévention ainsi que dans ses dispositions civiles ; Réforme ledit jugement en ce qui concerne la peine, et condamne désormais : - Yves A à la peine de 10 000 F d'amende ; - Guy D à la peine de 4 mois d'emprisonnement avec sursis et 10 000 F d'amende. La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 800 F dont est redevable chaque condamné. Fixe la contrainte par corps, s'il y a lieu, conformément aux dispositions de l'article 750 du Code de procédure pénale ; Le tout en vertu des textes sus-visés.