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Décisions

CA Paris, 13e ch. A, 4 mars 1996, n° 95-05714

PARIS

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Petit

Avocat général :

M. Blanc

Conseillers :

MM. Guilbaud, Barthelemy

Avocat :

Me Bernard

TGI Paris, 31e ch., du 13 juin 1995

13 juin 1995

Rappel de la procédure :

La prévention :

D Jacqueline est poursuivie des chefs :

- de tromperie sur la nature, la qualité, l'origine ou la quantité d'une marchandise, en l'espèce en vendant ou en mettant en vente des aliments (produits diététiques A) présentés comme hypocaloriques destinés à l'amincissement et la perte de poids sans répondre à la définition réglementaire applicable à cette catégorie de produits,

faits commis courant octobre 1992, à Paris et territoire national,

infraction prévue et réprimée par l'article L. 213-1 du Code de la consommation,

- d'exposition ou vente de denrée alimentaire, produit agricole falsifié, corrompu ou toxique, en l'espèce des aliments destinés à une alimentation particulière (produits diététiques dénommés A) qu'elle savait être - falsifiés par adjonction de tartrate de carnitine non conforme-

faits commis courant octobre 1992, à Paris et territoire national,

infraction prévue par l'article L. 213-3 alinéas 1 et 2 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 213-3, L. 213-1 du Code de la consommation,

- de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur, en mettant en vente des produits diététiques dits " A " renfermant de la carnitine en les présentant comme efficaces contre l'obésité, permettant d'accélérer la combustion des graisses et activant l'élimination des corps gras par l'organisme,

faits commis courant octobre 1992, à Paris et territoire national,

infraction prévue par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 alinéa 1 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 121-6, L. 213-1 du Code de la consommation.

Le jugement :

Le tribunal, par jugement contradictoire, a :

Relaxé D Jacqueline des chefs de :

- de tromperie sur la nature, la qualité, l'origine ou la quantité d'une marchandise,

faits commis courant 1992, à Paris et territoire national,

infraction prévue et réprimée par l'article L. 213-1 du Code de la consommation,

- d'exposition ou vente de denrée alimentaire, produit agricole falsifié, corrompu ou toxique,

faits commis courant 1992, à Paris et territoire national,

infraction prévue par l'article L. 213-3 alinéas 1 et 2 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 213-3, L. 213-1 du Code de la consommation,

déclaré D Jacqueline coupable :

- de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur, en mettant en vente des produits diététiques dits " A " renfermant de la carnitine en les présentant comme efficaces contre l'obésité, permettant d'accélérer la combustion des graisses et activant l'élimination des corps gras par l'organisme,

faits commis courant octobre 1992, à Paris et territoire national,

infraction prévue par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 alinéa 1 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 121-6, L. 213-1 du Code de la consommation,

et, en application de ces articles,

- l'a condamnée à 10 000 F d'amende,

- dit que la décision était assujettie à un droit fixe de procédure de 600 F dont est redevable chaque condamné, ainsi qu'à la somme de 290 F représentant les frais avancés par la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes à l'occasion de cette procédure.

Les appels :

Appel a été interjeté par :

Mademoiselle D Jacqueline, le 21 juin 1995,

X (SARL), le 21 juin 1995,

M. le Procureur de la République, le 21 juin 1995 contre Mademoiselle D Jacqueline.

Décision :

Rendue contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,

Statuant sur les appels relevés par la prévenue, la SARL X civilement responsable et le Ministère Public à l'encontre du jugement précité auquel il convient de se référer pour l'exposé des faits et de la prévention ;

Par voie de conclusions conjointes la prévenue et la SARL X demandent à la cour, par infirmation, de renvoyer Jacqueline D des fins de la poursuite pour l'ensemble des faits visés à la prévention et de mettre hors de cause le Laboratoire X ;

Ils font essentiellement valoir qu'à bon droit les premiers juges ont estimé qu'il ne pouvait être reproché à Jacqueline D et à la société X de ne pas avoir respecté une réglementation qui ne concerne pas les " compléments alimentaires " tels que le produit " A Carnitine " qui n'est ni un aliment ni un additif mais un ingrédient dont la commercialisation est libre dès lors que sa totale innocuité n'est pas contestée ;

Il soutiennent qu'à tort le tribunal a retenu Jacqueline D dans les liens de la prévention du chef de publicité mensongère ;

Ils indiquent à cet égard qu'il n'est pas exact, contrairement à ce qu'énonce la poursuite, que Jacqueline D ait jamais prétendu dans quelque document publicitaire que ce soit que la L Carnitine " permet de lutter contre l'obésité " ou bien encore ait présenté la L Carnitine " comme efficace contre l'obésité " ;

Ils exposent qu'au contraire, dans un souci de parfaite information du public et en se gardant des effets et des excès publicitaires de la plupart des laboratoires concurrents qui exploitent encore aujourd'hui librement tant en France qu'à l'étranger des produit similaires à l'A Carnitine, le laboratoire X, dont la réputation et le sérieux sont unanimement reconnus, s'est borné en l'espèce à mentionner sur l'emballage de son produit et sur la notice l'accompagnant, en reprenant au mot près l'argumentation des autorités médicales relativement à la carnitine qu'il :

- " active le processus minceur et est une aide appréciable au cours des traitements de l'obésité - "...car " permet d'accélérer la combustion des graisses " ;

Ils versent aux débats plusieurs documents, avis ou rapports et affirment que l'ensemble des avis exprimés concluent unanimement que la L Carnitine a une fonction essentielle dans l'oxydation des acides gras en facilitant leur transport et permet une utilisation lipidique accrue dans la fourniture énergétique au point que le complément alimentaire à base de L Carnitine apparaît aux yeux de la communautés scientifique comme un auxiliaire universellement admis pour réguler le métabolisme et optimiser l'efficience du sportif de compétition ;

Ils soulignent enfin que le seul argument sur lequel se fonde la poursuite pour dénier à la L Carnitine les effets décrits par le laboratoire X est l'avis émis par le CEDAP qui n'a été publié au journal officiel qu'en mars 1993 et n'a pas été suivi par l'administration qui aurait pu revenir sur les autorisations données, et, en application de la loi du 21 juillet 1983, prononcer l'interdiction de mise en vente des médicaments comprenant de la L Carnitine ;

M. l'Avocat général, s'en rapportant aux termes de la requête d'appel établie en date du 22 août 1995 par M. le Procureur de la République de Paris, requiert pour sa part la cour de retenir, par infirmation, Jacqueline D dans les liens de la poursuite pour l'ensemble des faits visés à la prévention, tout en s'en rapportant à son appréciation sur le quantum des sanctions à infliger ;

Considérant tout d'abord que la cour déclarera irrecevable l'appel relevé par la SARL X qui n'était pas partie en première instance, et, par voie de conséquence les conclusions de mise hors de cause de cette société ;

Considérant qu'à tort les premiers juges ont relaxé Jacqueline D des fins de la poursuite des chefs de tromperie et de mise en vente de produits falsifiés ;

Sur la tromperie :

Considérant en effet qu'au vu de l'étiquetage même figurant sur les emballages, les produits A litigieux sont présentés à la clientèles comme étant des " produits diététiques hypocaloriques à teneur garantie en protides et vitamine B11 ", précisant en outre : " minceur sans effort ..."... " Elle permet d'accélérer la combustion des graisses dans l'organisme sans sensation de fatigue ni de régime trop restrictif et sans qu'une activité sportive soit nécessaire " ;

Que cependant ces produits, au vu de leur composition, ne sont pas des produits diététiques car la classe des aliments à teneur garantie en protides n'existe pas ;

Que s'il existe bien une catégorie d'aliments diététiques dit à teneur garantie en certaines vitamines et certains acides aminés essentiels, définie par l'arrêté du 20 juillet 1977, la L Carnitine n'est pas une vitamine et il ne peut donc être fait état de teneur garantie en vitamine B11 ;

Considérant par ailleurs qu'au vu de leur composition les produits A litigieux ne peuvent pas davantage être présentés comme hypocaloriques et favorisant l'amaigrissement (arrêté du 20 juillet 1977 titre 1, chapitre V) ;

Qu'en effet la quantité de protides n'est pas suffisamment élevée et les quantités de glucides assimilables et de lipides ne sont pas conformes ;

Qu'en outre ils ne se présentent pas comme des substituts de repas ;

Considérant que vainement Jacqueline D soutient que les produits concernés sont des compléments alimentaires non soumis à la réglementation existante ;

Que cette argumentation ne tient aucun compte de l'étiquetage et de la présentation au public des produits A ;

Qu'au surplus l'existence d'un projet de texte n'implique en rien l'absence de réglementation applicable en l'état ;

Qu'à supposer même que les produits A soient des compléments alimentaires, ils rentrent actuellement dans la réglementation applicable aux aliments destinés à une alimentation particulière ;

Considérant que les faits de tromperie visés à la prévention sont en l'espèce parfaitement établis puisque les produits A, présentés comme diététiques et hypocaloriques et favorisant l'amaigrissement, ne respectent pas la réglementation afférente à ces produits et garantissent aux consommateurs une composition bien déterminée ;

Considérant que la cour, par voie de conséquence, infirmera le jugement déféré en ce qu'il a relaxé Jacqueline D pour les faits de tromperie et déclarera la prévenue coupable de ce chef ;

Sur la mise en vente de produits falsifiés :

Considérant qu'en raison d'alimentation humaine, et en particulier en matière d'additifs, le législateur a institué le principe de la " liste positive ", c'est-à-dire l'autorisation préalable, pour toute substance destinée à être utilisée dans la préparation des denrées alimentaires après avis d'instances scientifiques spécialisées ;

Qu'il faut donc que le produit soit nommément désigné dans l'arrêté, et sa forme précisée, pour qu'il soit autorisé ;

Que cependant le tartrate de L Carnitine n'est autorisé ni en alimentation courante (décret du 15-4-1912 : additif à but nutritionnel, décret du 18-9-1989 et arrêté du 14-10-1989 : autres additifs), ni en alimentation diététique (décret du 29-8-1991 et arrêté du 4-8-1989) ;

Considérant que la L Carnitine n'est autorisée que pour les produits diététiques et seulement sous deux formes : la L Carnitine de base et le chlorure de L Carnitine (remplacé depuis 1994 par la chlorhydrate de L Carnitine) ;

Qu'en outre la dose maximale autorisée est de 100 mg pour 1 000 kilo-calorie de produit ;

Qu'en l'espèce l'analyse des trois produits litigieux a démontré que la dose utilisée de L Carnitine, à supposer que la forme de l'additif soit correcte (L Carnitine de base ou chlorure et non tartrate), dépassait de 328 à 1 066 fois celle autorisée pour les produits diététiques ;

Considérant que peu importe que la Carnitine soit qualifiée par la prévenue d'ingrédient et non d'additif ;

Qu'en effet un tel argument de sémantique, purement artificieux, est radicalement inopérant en la matière ;

Considérant que le fait de fabriquer et de mettre en vente des produits contenant un additif ou un ingrédient non autorisé, ou dépassant largement la dose autorisée, constitue sans conteste une falsification ;

Qu'au vu des éléments soumis à son appréciation la cour est convaincue que Jacqueline D, responsable d'entreprise très avertie en matière de réglementation applicable aux produits qu'elle commercialise, a volontairement méconnu les textes en vigueur et qu'elle a pris, sciemment, la responsabilité de laisser à la vente, malgré les objections de l'administration, des produits qu'elle savait être falsifiés et trompeurs ;

Considérant que par voie de conséquence, la cour infirmera la décision critiquée en ce qu'elle a relaxé Jacqueline D pour les faits de mise en vente de produits falsifiés et déclarera la prévenue coupable de ce chef ;

Sur la publicité mensongère :

Considérant en revanche qu'à bon droit les premiers juges ont déclaré Jacqueline D coupable de publicité trompeuse ;

Considérant en effet que vainement la prévenue soutient qu'elle n'a jamais prétendu dans quelques documents publicitaires que ce soit que la L Carnitine permet de lutter contre l'obésité ou présenté ce produit comme efficace contre l'obésité ;

Que la cour observe à cet égard que sur certains documents publicitaires destinés au public et fournis par la société X apparaissent des allégations telles que :

- A Carnitine + 10 : " Minceur sans effort - énergie " ;

- les compléments de la forme et de la beauté : " Minceur - énergie : A Carnitine 160 " ;

Considérant qu'ainsi que souligné à juste titre par le tribunal, il appartient à l'annonceur de justifier de la véracité de ses assertions ;

Que la cour constate à son tour qu'aucun des documents versés aux débats par Jacqueline D ne permet, en dépit des affirmations de la prévenue, d'établir une action positive de la L Carnitine sur la combustion des graisses, l'élimination des corps gras par l'organisme ou, plus particulièrement, une efficacité quelconque sur les problèmes de surcharge pondérale ;

Qu'à l'inverse la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes a joint à son procès verbal de délit du 14 avril 1994 un avis de la commission interministérielle d'étude des produits destinés à une alimentation particulière (CEDAP) concluant que " la démonstration d'un effet amaigrissant chez les sujets obèses ou ayant une surcharge pondérale n'a pas été faite " et précisant que les publications actuelles " ne fournissent pas une base suffisante pour justifier une supplémentation en Carnitine ou permettre les allégations reliant la prise de Carnitine à ... un effet favorable sur le métabolisme des lipides, à l'effet amaigrissant ou à toutes les propriétés les suggérant " ;

Considérant que peu importe que l'avis précité n'ait été publié au Journal Officiel qu'en mars 1993 dans la mesure où il appartenait à Jacqueline D, en sa qualité d'annonceur, de s'assurer personnellement, et par tous moyens appropriés, que la publicité effectuée pour le compte de la SARL X dont elle était la gérante, était exempte de toutes allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur, ce qu'elle a manifestement omis de faire en l'espèce ;

Que par ailleurs le fait que les médicaments comprenant de la Carnitine restent autorisés à la vente est sans incidence sur les faits poursuivis compte tenu de la nature des infractions visées à la prévention et étant observé par ailleurs que les produits commercialisés par la SARL X ne sont pas des médicaments ;

Considérant que par ces motifs, et ceux pertinents des premiers juges que la cour fait siens, il convient de confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a déclaré Jacqueline D coupable de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur ;

Qu'il y a lieu, par contre, infirmant le jugement dont appel, d'aggraver, ainsi que précisé au dispositif, l'amende infligée pour mieux tenir compte de la gravité de l'ensemble des agissements retenus à l'encontre de la prévenue ;

Qu'eu égard à la nature des faits reprochés il échet, au surplus, d'ordonner la publication du présent arrêt aux frais de la condamnée dans les journaux " Le Monde " et " Libération " et ce dans la limite de 45 000 F par extrait ;

Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Déclare irrecevable l'appel de la SARL X et les conclusions de mise hors de cause de cette société, Rejette les conclusions de relaxe de la prévenue, Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a relaxé Jacqueline D des chefs de tromperie et de mise en vente de produits falsifiés, Déclare Jacqueline D coupable d'avoir : - à Paris et sur le territoire national courant octobre 1992 et depuis temps non prescrit, trompé, tenté de tromper le contractant sur la nature, l'espèce, l'origine, les qualités substantielles, la composition ou la teneur en principes utiles de la marchandises vendue, en vendant ou en mettant en vente des aliments (produits diététiques A) présentés comme hypocaloriques destinés à l'amincissement et la perte de poids sans répondre à la définition réglementaire applicable à cette catégorie de produits (AM du 20-07- 1977), - sous les mêmes circonstances de temps et de lieux exposé, mis en vente ou vendu des denrées servant à l'alimentation de l'homme, en, l'espèce des aliments destinés à une alimentation particulière (produits diététiques dénommés A) qu'elle savait être falsifiés par adjonction de tartrate de carnitine non conforme (AM du 4-8-1986), Faits prévus et punis par les articles L. 121-1, L. 121-4, L. 121-5, L. 121-6 alinéa 1, L. 213-1, L. 213-3 alinéa 1 et 2, L. 216-2, L. 216-3 du Code de la consommation ; Confirme le jugement déféré en ce qu'il a déclaré Jacqueline D coupable de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur, L'infirme en répression, Condamne Jacqueline D à 80 000 F d'amende, Ordonne la publication du présent arrêt aux frais de la condamnée dans les journaux " Le Monde " et " Libération " et ce dans la limite de 45 000 F par extrait, Rejette toutes conclusions plus amples ou contraires, La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 800 F dont est redevable chaque condamné.