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Décisions

CA Rouen, ch. corr., 3 avril 1996, n° 95-00483

ROUEN

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Tardif

Conseillers :

MM. Cardon, Gallais

Avocats :

Mes Fleury, Barbry.

TGI Rouen, ch. corr., du 21 avr. 1995

21 avril 1995

Emmanuel A et Guy B ce dernier sous le pseudonyme de Bernard L ont été à la requête de la partie civile, cités directement par exploits respectivement délivrés le 8 décembre 1994 à mairie (AR non retourné) et le 30 novembre 1994 à personne devant le Tribunal correctionnel de Rouen.

Il était demandé au tribunal de :

" dire et juger que Bernard L s'est rendu coupable du délit d'organisation illicite de loterie, infraction prévue et réprimée par l'article 5 de la loi n° 89-421 du 23 juin 1989.

Dire et juger que Emmanuel A, Président directeur général de la société anonyme X, s'est rendu coupable, par les envois litigieux, du délit de publicité mensongère, prévu et réprimé par les articles 44 de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 et 1er de la loi du 1er août 1905.

Dire et juger que Bernard L s'est rendu complice par aide et assistance, en vertu de l'article 60 du Code pénal, du délit de publicité mensongère, délit prévu et réprimé par les articles 44 de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 et 1er de la loi du 1er août 1905.

Faire application aux prévenus de la loi pénale.

Dire et juger que les agissements des prévenus ont causé un grave préjudice à M. Michel Druz, préjudice né de l'espérance illusoire d'un gain important.

Dire et juger que la société anonyme X, est civilement responsable des agissements délictueux ci-dessus analysés de ses préposés, Bernard L et Emmanuel A, et doit indemniser M. Michel Druz pour le préjudice qu'il en a subi.

Condamner la société X à envoyer la copie du jugement à intervenir à tous les destinataires de sa publicité, sous peine de telles sanction et astreinte qu'il appartiendra.

Condamner in solidum Bernard L, Emmanuel A et la société anonyme X, en qualité de civilement responsable de ses préposés, à payer à M. Michel Druz, à titre de réparation de son préjudice, la somme de 75 000 F.

Condamner solidairement les prévenus et la société X à payer à M. Michel Druz, la somme de 15 000 F, sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale. "

La société X a été citée en qualité de civilement responsable par exploit délivré au siège le 30 novembre 1994.

Après renvoi contradictoire, le tribunal par jugement du 21 avril 1995 contradictoire à l'égard de Guy B, contradictoire à signifier à l'égard d'Emmanuel A et de la société anonyme X, a :

- rejeté l'exception d'irrecevabilité,

- renvoyé Guy B et Emmanuel A des fins de la poursuite,

- débouté la partie civile de ses demandes,

- rejeté la demande reconventionnelle.

Cette décision a été signifiée le 23 juin 1995 à Emmanuel A par exploit délivré à domicile (AR signé le 27-06-95) et le 23-06-95 à la société anonyme X par exploit délivré au siège (AR signé le 26-05-95).

Par déclaration au greffe du tribunal, la partie civile le 24 avril 1995 sur les dispositions civiles a interjeté appel de cette décision.

Emmanuel A a été cité devant la cour par exploit délivré le 24 octobre 1995 à domicile (AR signé le 13/11/95). Ils ne défèrent pas devant la cour. L'arrêt à intervenir sera rendu contradictoirement à leur égard conformément aux dispositions de l'article 410 du Code de procédure pénale.

La partie civile Michel Druz régulièrement citée devant la cour par exploit délivré le 3 octobre 1995 à mairie (AR non retourné) est représentée. L'arrêt sera rendu contradictoirement à son égard.

La société anonyme X, civilement responsable, avisée par exploit délivré le 23 octobre 1995 au siège (AR signé le 24/10/95) est représentée. L'arrêt la concernant sera rendu contradictoirement.

I- Prétentions des parties :

La partie civile fait plaider qu'il y a publicité mensongère lorsque le document ou, en cas de pluralité de documents, l'ensemble de ceux-ci est de nature à induire en erreur un consommateur moyen.

Elle fait valoir que tel est bien le cas en l'espèce et se réfère à ses conclusions ainsi libellées :

Attendu que M. Druz a régulièrement relevé appel d'un jugement rendu le 21 avril 1995 par le Tribunal de grande instance de Rouen ;

Que cette décision l'a déclaré recevable, mais mal fondé, en sa constitution de partie civile, en raison de la relaxe dont ont bénéficié, en première instance, les prévenus ;

Que la cour ne manquera pas de réformer une décision critiquable, en plusieurs points ;

Sur la responsabilité pénale de M. A :

Attendu que le tribunal a exactement relevé que M. A ne pouvait se faire représenter en justice, en vertu de la règle posée par l'article 411 du Code de procédure pénale, selon laquelle cette représentation n'est possible que si l'infraction est passible d'une peine de prison inférieure à deux années ;

Que l'article 44 de la loi n° 73-1193, définissant le délit de publicité mensongère, renvoie, pour la détermination de la peine réprimant cette infraction, à l'article 1 de la loi du 1er août 1905, relative à la répression des fraudes ;

Que ce dernier texte prévoit une peine pouvant aller jusqu'à deux ans d'emprisonnement ;

Attendu cependant que le tribunal, après avoir à bon droit énoncé que l'avocat de M. A ne pouvait être entendu, s'est contredit, en prenant en considération une pièce versée aux débats dans l'intérêt exclusif de ce prévenu ;

Que cette pièce était constituée par une délégation de pouvoir de M. A à son co-prévenu, M. B, celui-là prétendant ainsi se décharger de sa responsabilité pénale sur son subordonné ;

Que la circonstance que les deux co-prévenus aient, bien qu'ayant des intérêts divergents, confié la défense de leurs intérêts au même conseil, ne pouvait autoriser la prise en considération d'une pièce qui, de toute évidence, ressortissait à la défense exclusive de M. A, lequel ne pouvait être représenté ;

Attendu, pour traiter de la question de fond posée par la production de cette délégation, qu'elle ne saurait, en aucune manière, exonérer M. A de sa responsabilité pénale ;

Que l'on peut tout d'abord relever qu'une délégation de pouvoir, ainsi que l'a précisé le garde des sceaux, par une circulaire interprétative de la loi de 1973, ne saurait autoriser un dirigeant à sa décharger de sa responsabilité pénale, sur le délégataire que pour autant que cet acte ait date certaine, afin de permettre de vérifier son antériorité aux faits poursuivis ;

Qu'ainsi en a notamment jugé la Cour d'appel de Paris (Paris, 13e Ch. corr., 6 décembre 1976 : JCP1978, II, n° 18902) ;

Or attendu que la délégation de pouvoir produite, simple acte sous seing privé, ne s'est vu conférer aucune date certaine, antérieurement aux faits objets de la poursuite, par la formalité de l'enregistrement ou par un des autres modes de certification énumérés par l'article 1328 du Code civil ;

Attendu ensuite qu'une délégation de pouvoir ne saurait absoudre un dirigeant que pour autant que le caractère limité des opérations incriminées laisse croire qu'il n'a pu les connaître et les contrôler ;

Que la Cour de cassation a jugé (Cass. crim. 30 octobre 1990 : Dr Pénal 1991, n°84) que ne saurait être déchargé, par une délégation de pouvoir, le dirigeant d'une société ayant organisé un jeu qui " a servi de support à une vaste opération commerciale tendant à accroître les commandes et donc les ventes de la société " ;

Que les circonstances de l'espèce correspondant exactement au cas envisagé par la Cour de cassation, M. A ne saurait, en tout état de cause, établir sa bonne foi, par une quelconque délégation, eu égard à l'ampleur des opérations litigieuses ;

Qu'il conviendra de le retenir dans les liens de la prévention ;

Sur la constitution du délit de publicité mensongère :

Attendu que le tribunal a estimé que la publicité litigieuse n'était pas de nature à induire en erreur un consommateur moyen, par le motif suivant : " Il ne peut cependant pas échapper à un lecteur moyennement attentif et avisé que l'attribution du chèque de 75 000 F est subordonnée à un tirage ultérieur " ;

Que ce motif procède d'une erreur de fait manifeste ;

Que l'un des documents que l'on fit parvenir à M. Druz (pièce n°1, côte 7) énonce : " X organise, du 22 décembre 1993 au 30 juin 1994, sous la référence 4201 un jeu gratuit sans obligation d'achat appelé "tirage chèque bienvenue" dont le prix a été attribué par tirage effectué sous le contrôle de Maître Perard. La dotation est constituée d'un chèque de 75 000 F ; pour savoir s'il a gagné chaque destinataire du jeu doit renvoyer son bon de commande avant le 30 juin 1994 " ;

Que, précisément, le passage précité a contribué à tromper M. Druz, qui a jugé moralement impossible qu'on lui persuadât qu'il était gagnant, en sachant que ce n'était pas le cas ;

Que la cour réformera donc la décision des premiers juges et dira que M. A s'est rendu coupable, avec la complicité de M. B, du délit de publicité mensongère ;

Sur la constitution du délit d'organisation de loterie illicite :

Attendu que l'article 5 de la loi n° 89-421 du 23 juin 1989 vise : " Les opérations publicitaires, réalisées par voie d'écrits, qui tendent à faire naître l'espérance d'un gain, attribué à chacun des participants, quelles que soient les modalités du tirage (...) " ;

Que les prévenus ont fait plaider que le jeu litigieux n'entrerait pas dans les prévisions de ce texte, les destinataires des documents publicitaires étant avertis qu'un seul prix serait attribué ;

Mais attendu que l'infraction prévue par l'article 5 précité est constitué dès lors que chacun des participants au jeu peut en espérer un gain, peu important que celui-ci aille à un seul de ces participants, ou soit réparti entre eux ;

Que, de toute évidence, le législateur a voulu réglementer un type de publicité considéré comme particulièrement dangereux, puisque jouant sur l'espérance de gens impécunieux de réaliser des gains ;

Que ce type d'opération est d'autant plus dangereux que les lots annoncés sont importants et, donc, que l'on fait miroiter aux intéressés la possibilité d'assouvir leurs passions ;

Or attendu que les opérations garantissant un lot à chaque participant réalisent, par-là, une certaine modicité de gains, ceux-ci étant partagés entre tous les destinataires ;

Que le jeu où toute la dotation va à un seul gagnant, donnant donc, à dotation égale, le plus d'espoir d'un gain important, apparaît donc, socialement, comme le plus dangereux ;

Que le législateur eût été bien inconséquent s'il avait omis d'incriminer le type de jeu qui présente les plus grands dangers ;

Attendu qu'il est donc demandé à la cour d'arrêter que M. Guy B s'est rendu coupable du délit prévu par l'article 5 de la loi n° 89-421 du 23 juin 1989 ;

Par ces motifs : Adjuger à M. Druz l'entier bénéfice de sa citation introductive ; Sous toutes réserves.

Le Ministère public considère que le délit de publicité mensongère n'est pas constitué et s'en rapporte à l'appréciation de la cour en ce qui concerne l'autre infraction.

La société X fait plaider que les jeux qu'elle met en place sont organisés avec rigueur, que les documents en cause sont établis en termes clairs et que les règles juridiques ont été respectées.

Elle développe son argumentation dans les écritures suivantes :

1- Par exploit en date du 30 novembre 1994, M. Michel Druz a fait citer les concluants à comparaître devant le Tribunal correctionnel de Rouen pour :

- entendre dire et juger M. Guy B s'est rendu coupable du délit d'organisation illicite de loterie, infraction prévue et réprimée par l'article 5 de la loi du 23 juin 1989,

- entendre dire et juger qu'il s'est, avec Emmanuel A, rendu coupable ou complice de publicité mensongère.

Et pour :

- les entendre condamner à lui payer la somme de 75 000 F à titre de dommages et intérêts, outre celle de 15 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

A l'appui de sa demande, M. Druz expose :

- que, dans le courant du mois de janvier 1994, il a reçu une enveloppe adressée à Mme Druz, enveloppe émanant du service des jeux de la société concluante,

- qu'en ouvrant l'enveloppe, il découvrit un bon de commande comportant un prétendu code,

- que les mentions apparemment préimprimées, en haut à gauche du document, étaient les suivantes ; " Je soussigné(e) ... dans la mesure où Me Perard m'aurait désigné... souhaiterait assister à une réception officielle, organisée à la Croix, en l'honneur du gagnant ou préférerais recevoir ce chèque de 75 000 F à domicile ".

- que le destinataire était invité à faire valider uniquement par courrier sa notification officielle s'il ne commandait pas ; mais dans le cas contraire, pouvait participer par téléphone ou Minitel,

- que cette missive précisait que : " pour le cas où Me Philippe Perard vous aurait désigné comme gagnant, j'aurais besoin de toute urgence de votre décision concernant la remise du prix de 75 000 F ".

- que la lettre, aussi bien que le recto du bon de commande, précisant que le tirage avait déjà eu lieu, il jugea qu'il était moralement impossible qu'on lui eût laissé croire qu'il était gagnant, en sachant que ce n'était pas le cas,

- qu'il adressa alors à la concluante sa participation,

- qu'il appris quelque temps plus tard qu'il n'était pas le gagnant de ce jeu.

M. Druz reproche donc aux concluants d'avoir violé les dispositions de la loi du 23 juin 1989 et commis des faits de publicité mensongère.

2- Par jugement en date du 21 avril 1995, le Tribunal de grande instance de Rouen a relaxé les concluants et débouté M. Michel Druz, de ses demandes, fins et conclusions.

3- M. Druz a interjeté appel de cette décision.

Par voie de conclusions d'appel, M. Druz :

- soutient que c'est à tort que le tribunal a retenu pour M. A, le bénéfice de la délégation de pouvoir, et il demande en conséquence à ce que M. A soit retenu dans les liens de la prévention,

- estime en second lieu que les concluants se sont rendus coupables de délit de publicité mensongère et du délit d'organisation de loterie illicite.

Cet appel est irrecevable, ou en tous cas, mal fondé.

Discussion :

I- Sur la responsabilité pénale de M. A :

M. Emmanuel A était parfaitement recevable et bien fondé à demander sa mise hors de cause pure et simple, en raison de la délégations parfaitement régulière qui avait été consentie à M. Guy B.

Toutefois, ce problème n'a plus guère d'intérêt, dans la mesure où le jugement n'a pas été frappé d'appel en ce qui concerne ses dispositions pénales.

II- Sur l'opération critiquée :

Ceci étant, la demande formulée par M. Michel Druz apparaît tout autant irrecevable que mal fondée.

A- Sur la recevabilité :

Il résulte des pièces produites aux débats et des propres écritures de M. Druz qu'en fait, les documents ont été adressés non pas à lui-même, mais à Mme Druz.

On se demande dès lors à quel titre M. Druz a pu s'estimer gagnant de ce jeu.

En vain soutiendrait-il que c'est par erreur que la concluante aurait adressé le courrier à Mme Druz, puisqu'il était célibataire.

M. Druz ne pouvait et n'avait pas à s'approprier un courrier qui ne lui était pas destiné.

En tout cas, il est constant qu'il ne pouvait se considérer comme étant le gagnant de ce jeu.

B- Au fond :

Non seulement la demande de M. Druz est irrecevable, mais encore, elle est mal fondée.

1- Il importe tout d'abord de souligner qu'il s'agit d'un jeu gratuit. La participation n'est subordonnée à aucune obligation d'achat.

2- Un seul prix était mis en jeu : à savoir, un chèque de 75 000 F.

Le gagnant est désigné par un prétirage au sort [ce qui est parfaitement autorisé], tirage au sort effectué sous contrôle d'huissier de justice.

A défaut par le gagnant d'avoir réclamé son lot, un post-tirage a été effectué, toujours par huissier, parmi toutes les participations enregistrées [article 6 du règlement].

3- Plusieurs documents ont été remis à la clientèle, documents qu'il convient successivement d'examiner.

Ces documents sont d'une parfaite clarté ; et nul ne peut prétendre avoir été induit en erreur.

a) Une lettre adressée à la cliente :

- indique tout d'abord la nécessité de faire valider sa participation.

En effet, à défaut, le destinataire tiré au sort ne peut participer. Il est alors procédé à un post tirage, toujours sous contrôle d'huissier.

- ce document poursuit : " En effet, pour le cas où Me Philippe Perard vous aurait désigné gagnant, j'aurais besoin... ".

Donc, et par définition, le destinataire ne sait pas et ne peut savoir s'il a gagné.

- la lettre poursuit encore : " N'oubliez pas de m'indiquer si [en cas de gain] :

Vous préféreriez assister à une réception officielle,

- ou vous souhaiteriez recevoir le chèque ".

Si le gagnant était connu, il lui serait tout simplement demandé s'il préfère assister ... ou s'il souhaite recevoir le chèque...

- un peu plus loin encore, la concluante indique attendre la réponse afin de prendre les dispositions nécessaires à la remise du prix, non pas selon votre souhait, mais selon " les souhaits du gagnant ".

- au verso de cette lettre, il est encore indiqué de faire valider la participation avec " peut-être " 75 000 F à la clé.

b) Un document intitulé " notification officielle " comprenait un talon qu'il convenait de détacher et de coller sur un document destiné à être retourné à X pour pouvoir participer.

Sur cette notification il est demandé un choix concernant la relise du prix :

" pour autant que vous soyez la gagnante désignée par Me Perard ".

c) Enfin, sur le document à adresser à X pour participer :

- il est indiqué en haut à gauche : " Je soussigné[e] ... dans la mesure où Me Perard m'aurait désigné[e], gagnante du prix de 75 000 F,

souhaiterais assister à une réception officielle,

préférerais recevoir ce chèque de 75 000 F à domicile.

Il est donc encore précisé qu'il y a désignation par tirage au sort sous contrôle d'huissier.

D'autre part, si Mme Druz était la gagnante, il lui serait demandé là encore, si elle souhaite assister, ou préfère recevoir.

- au verso de ce document, figure un extrait de règlement.

Entre autres mentions, il y est indiqué :

" Pour savoir s'il a gagné, chaque destinataire du jeu doit renvoyer... "

Donc et par définition, lorsqu'il reçoit les documents, le client ne sait pas et ne peut pas savoir s'il est ou non le gagnant.

Il ne peut donc ensuite soutenir s'être mépris.

4- A noter que cet extrait de règlement précise que chaque personne qui en fait la demande, peut obtenir à titre gratuit, le règlement complet de l'opération.

Or, ce règlement était également d'une parfaite clarté.

Il y était indiqué :

- article 1 : X organise ... un jeu gratuit, sans obligation d'achat ... dont le prix a été attribué par un tirage effectué sous contrôle de Me Perard, huissier ...

- article 2 : pour savoir s'il a gagné, chaque participant doit renvoyer sa participation à X...

- article 3 la dotation est la suivante : un chèque de 75 000 F.

- article 4 : le nom du gagnant pourra être obtenu...

- article 5 : le gagnant s'engage à laisser...

- article 6 : si le gagnant ne s'est pas manifesté avant la fin du jeu, un second tirage sera effectué parmi les participations reçues, afin d'attribuer le chèque de 75 000 F.

En droit :

M. Michel Druz soutient donc que la concluante a commis les délits de publicité mensongère d'une part et d'organisation de loterie illicite d'autre part.

1- Sur la publicité mensongère :

Il est constant que :

a) Il s'agissait d'un jeu gratuit, la participation n'étant subordonnée à aucune obligation d'achat.

b) Le gagnant était désigné par un pré-tirage au sort, effectué sous contrôle d'huissier.

c) Le prix réservé au gagnant était un chèque de 75 000 F. Ce chèque a effectivement été remis à la gagnante, c'est-à-dire Mme Remond.

d) Et ainsi qu'il a été démontré, les documents remis à la clientèle pour lui permettre de participer, étaient d'une parfaite clarté.

Un consommateur moyennement avisé ne pouvait se méprendre.

2- Sur la loi du 23 juin 1989 :

Aucune infraction n'a non plus, à cet égard, été commise par la société concluante.

En effet la loi du 23 juin 1989 (intégrée dans le Code de la consommation), et relative à l'information et la protection des consommateurs, est présentement inapplicable. En outre, elle a été parfaitement respectée.

a) L'article 5 de la loi du 23 juin 1989 ne vise que les loteries où un gain est attribué à chacun des participants.

- le législateur lui-même : travaux préparatoires et procès-verbal d'assemblée nationale,

- la jurisprudence,

- la doctrine : la Publicité et la loi de Pierre et François Greffe ; les Études de M. le Professeur Mousseron ; Francis Lefebvre - Distribution 1995 ;

s'accordent à considérer que ce texte n'est pas applicable lorsqu'il n'y a qu'un gagnant potentiel.

Or, tel est le cas en l'espèce.

b) Ceci étant et en toute hypothèse, la loi du 23 juin 1989 a été parfaitement respectée.

- il s'agit d'une opération gratuite - sans participation financière.

- les documents précisent le lot remis au gagnant avec sa valeur.

- le règlement a été déposé chez huissier et toute personne pouvait le recevoir sur simple demande.

- le bulletin de commande est distinct du bulletin de participation.

- il n'y a aucune confusion avec un quelconque document administratif.

Incontestablement donc, aucune infraction n'a été commise par la concluante.

2- Sur le préjudice :

Non pas à titre subsidiaire, mais simplement pour démontrer le peu de sérieux de la demande, il convient d'observer que le préjudice n'est en rien justifié.

M. Druz, dans une lettre, ne fait d'ailleurs état que d'un préjudice " moral ".

Par ces motifs : Dire M. Michel Druz irrecevable, tout autant que mal fondé en son appel. Constater, dire et juger irrecevable sa demande. Subsidiairement : la dire mal fondée. Débouter M. Michel Druz de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions. Le condamner à payer à la concluante la somme de 1 F à titre de dommages et intérêts, pour procédure abusive et injustifiée. Le condamner en tous les frais et dépens. Sous toutes réserves. Pour conclusions.

Sur ce, LA COUR saisie de l'appel du jugement de relaxe uniquement par la partie civile doit apprécier et qualifier les faits en vue, s'il y a lieu, de condamner le prévenu à lui verser des dommages-intérêts.

Il résulte des pièces produites et des débats qu'aux mois de janvier 1994, dans un pli contenant une " notification officielle " et un autre courrier étaient adressés par la société X à Mme Druz demeurant 10 rue Fontenelle à Rouen.

Michel Druz, célibataire et domicilié à cette adresse, se considérait légitimement comme destinataire de cet envoi.

Celui-ci de décomposait de la manière suivante :

- à l'intérieur du pli se trouvait une " information officielle concernant prix de 75 000 F " (sic) ainsi libellée " Je soussigné B. Sonneville, responsable du service des jeux X, vous requiert, Mme Druz, en tant qu'ayant pris part au tirage, de bien vouloir nous indiquer sur le bon ci-joint, votre choix concernant la remise du prix de 75 000 F, pour autant que vous soyez la gagnante désignée par Maître Pérard ".

Ce texte était accompagné d'une mention par laquelle Maître Pérard, huissier de justice, attestait avoir été requis pour contrôler le tirage au sort du gagnant du prix de 75 000 F.

- une enveloppe contenant d'une part le bon de commande susvisé, d'autre part une lettre explicative.

Sur le bon de commande figurait la mention " Je soussigné(e) Mme Druz, dans la mesure où Maître Pérard m'aurait désigné(e) comme gagnant(e) du prix de 75 000 F, souhaiterais assister à une réception officielle, organisée à Croix en l'honneur du gagnant (ou) préférerais recevoir ce chèque de 75 000 F à domicile ", l'une des deux mentions devant être choisie par la personne.

Au verso du bon de commande figurait un extrait du règlement du jeu, avec outre l'indication de la possibilité de toute personne de demander que lui soit expédié le règlement complet, la mention suivante : " X organise du 22 décembre 1993 au 30 juin 1994 sous la référence 4201 un jeu gratuit sans obligation d'achat appelé " tirage chèque bienvenue " dont le prix a été attribuée par tirage effectué par Maître P. Pérard. La dotation est constituée par un chèque de 75 000 F . Pour savoir s'il a gagné, chaque destinataire du jeu doit renvoyer son bon de commande avant le 30 juin 1994 ".

La lettre d'accompagnement expliquait à Mme Druz qu'il était de son intérêt de renvoyer le bon ; il était indiqué notamment : " En effet, pour le cas où Maître Pérard vous aurait désigné gagnant, j'aurais besoin de toute urgence de votre décision concernant la remise du prix de 75 000 F ".

" Alors sans attendre, collez le coupon pose portant vos nom et adresse sur le bon de commande joint. Et n'oubliez pas de m'indiquer si :

- vous préféreriez assister à une réception officielle à Croix,

- ou souhaiteriez recevoir ce chèque de 75 000 F à domicile. "

Michel Druz s'est considéré comme trompé par cet envoi de la société X.

Il y a lieu de rechercher si ces faits peuvent recevoir les qualifications visées par la citation qu'il a fait délivrer.

En ce qui concerne le délit prévu et réprimé par l'article 5 de la loi du 23-6-89 repris par les articles L. 121-36 et suivants du Code de la consommation, il échet de constater que seules sont visées par ces textes " les opérations publicitaires réalisées par voie d'écrit qui tendent à faire naître l'espérance d'un gain attribué à chacun des participants ".

Or, il résulte des renseignements figurant sur les documents ci-dessus analysés ainsi que du règlement complet du jeu produit par la société X qu'un seul des participants serait bénéficiaire du chèque de 75 000 F.

Il s'ensuit que le délit n'est pas constitué.

En ce qui concerne le délit prévu par l'article 44 de la loi du 27 décembre 1973 repris par les articles L. 121-1 et suivants du Code de la consommation, et réprimé par l'article 1er de la loi du 1er août 1905 repris par les articles L. 213-1 du Code de la consommation, il convient de constater qu'il suppose des allégations, indications ou présentations soit fausses, soit de nature à induire en erreur.

Or, il n'est pas démontré par la partie poursuivante que les indications portées sur les documents litigieux étaient fausses. Il résulte au contraire des documents versés aux débats par la société X et spécialement d'un procès-verbal dressé les 12 juillet et 12 septembre 1993, par Maître Philippe Pérard, huissier de justice, qu'un pré-tirage avait eu lieu, que la personne désignée par celui-ci n'a pas participé au jeu de sorte qu'il a été procédé conformément à l'article 6 du règlement à un post tirage parmi tous les bulletins de participation, ce qui a permis la désignation de la gagnante dont l'identité est indiquée, du chèque de 75 000 F.

Par ailleurs, les mentions figurant sur les divers documents ci-dessus analysés étaient telles qu'elles permettaient à un lecteur moyen, normalement attentif et intelligent, de comprendre qu'il n'était pas nécessairement le gagnant du chèque de 75 000 F.

En effet, ce qui n'était qu'une éventualité était affirmé sous des expressions diversifiées et cette idée se trouvait reprise dans les différents documents de sorte que le lecteur normalement avisé ne pouvait se méprendre sur la portée de l'envoi qui lui était adressé.

Dans ces conditions, le délit de publicité mensongère n'est pas non plus caractérisé.

Le jugement sera dès lors confirmé en ce qu'il a reçu Michel Druz en sa constitution de partie civile mais l'a débouté de ses demandes.

L'action exercée par la partie civile, fondée sur les éléments de fait et de droit précis, ne peut être considérée comme présentant un caractère abusif.

La demande de dommages-intérêts présentée par la société X sera en conséquence rejetée.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, l'arrêt devant être signifié à Emmanuel A et Guy B. en la forme, Reçoit l'appel. Au fond, Confirme le jugement entrepris. Rejette la demande de dommages-intérêts présentée par la société X. Met les dépens à la charge de la partie civile.