CA Rennes, 3e ch. corr., 4 avril 1996, n° 95-00990
RENNES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
INAO, Union Départementale de la Confédération du Cadre de Vie, Union Fédérale des Consommateurs de Brest, DGCCRF
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Segondat
Avocat général :
M. Drouet
Conseillers :
MM. Le Quinquis, Le Corre
Avocats :
Mes Chevallier, Gaborel, Phily.
Rappel de la procédure :
Le jugement :
Le Tribunal de Brest, par jugement contradictoire en date du 2 mai 1995, pour publicité mensongère ou de nature à induire en erreur, tromperie sur la nature, la qualité, l'origine ou la quantité d'une marchandise, vente de produit naturel ou fabriqué portant une appellation d'origine régionale inexacte,
A condamné P Antoine à 3 000 F d'amende + des dommages et intérêts.
Les appels :
Appel a été interjeté par :
M. le Procureur de la République, le 12 mai 1995 contre M. P Antoine,
Institution National des Appellations d'Origine, le 15 mai 1995 contre M. P Antoine,
Union Départementale de la Confédération Syndicale du Cadre de vie, le 16 mai 1995 contre M. P Antoine,
Union Fédérale des Consommateurs de Brest, le 16 mai 1995 contre M. P Antoine,
La prévention :
Considérant qu'il est fait grief au prévenu :
- d'avoir dans le Finistère, les Côtes d'Armor et le Morbihan, du 8 au 18 avril 1992, effectué une publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur l'origine du vin désigné " X " d'un bien ou d'un service ;
Infraction prévue et réprimée par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6, L. 121-6 alinéa 1, L. 213-1 et L. 121-4 du Code de la consommation ;
- d'avoir dans le Finistère, les Côtes d'Armor et le Morbihan, courant 1992, trompé le consommateur, contractant, sur l'origine du vin désigné " X " ;
Infraction prévue et réprimée par les articles L. 213-1, L. 216-2 et L. 216-3 du Code de la consommation ;
- d'avoir dans le Finistère, les Côtes d'Armor et le Morbihan, courant 1992, fait apparaître sur un vin de table français (11 % volume, blanc) mis en vente, l'appellation d'origine " Savoie " qu'il savait inexacte ;
Infraction prévue et réprimée par les articles L. 115-16 du Code de la consommation ;
En la forme :
Considérant que les appels sont réguliers et recevables en la forme ;
Au fond :
Les faits :
Antoine P, responsable du groupe de travail n° 2 de Y chargé des achats de vins et champagnes, bénéficiaire d'une délégation de pouvoirs du président du conseil d'administration de la centrale d'achat des [magasins Z] et assumant de ce fait la responsabilité de tout ce qui a trait à la publicité, les dénominations de vente et la qualité des produits qu'il est chargé d'acheter ou de suivre a, au mois d'avril 1992, fait diffuser dans les départements du Finistère, du Morbihan et des Côtes d'Armor un dépliant publicitaire intitulé " Le guide de nos vins " édité à 669 609 exemplaires comportant une rubrique " Savoie " dans laquelle figurait à côté de 2 vins d'appellation d'origine contrôlée un vin désigné comme " X " qui était en réalité un vin de table provenant du Midi de la France.
Le vendeur du vin incriminé a précisé qu'il avait vendu ce vin en notant sa qualité sur la facture, ajoutant qu'une mention spéciale y avait été portée selon laquelle ce vin ne pouvait être vendu avec les produits bénéficiant des appellations contrôlées des vins de Savoie.
Il a en effet motivé cette mention spéciale par le fait que, lors d'une opération publicitaire antérieure, Y avait déjà présenté le vin de marque " X " dans une rubrique " Savoie " à laquelle il ne pouvait prétendre.
Entendu par les services de la DGCCRF Antoine P a déclaré qu'il avait lui-même choisi les appellations figurant dans le " guide de nos vins ", qu'il en avait préparé les textes et que la classification du vin de table français 11 ° volume blanc de marque " X " parmi les vins d'appellation Savoie est une erreur.
Les vérifications opérées dans 2 [magasins Z] du Finistère ont montré que ce vin avait été acheté au prix unitaire de 6,73 F net HTVA la bouteille et revendu au prix de 9,90 F avec les vins de Savoie, à un prix presque trois fois moins cher que les 2 vins d'appellation avec lesquels il était présenté.
Discussion :
Bien qu'il ait reconnu les faits qui lui reprochés en insistant sur leur caractère non intentionnel (D20), Antoine P prie la cour de le relaxer des fins de la poursuite aux motifs :
1°) que le terme " Savoie " n'est pas une appellation d'origine mais un simple indication d'origine mais une simple indication d'origine qui n'entre pas dans le champ d'application de l'article L. 115-16 du Code de la consommation,
2°) que le catalogue s'adresse à des consommateurs avertis pouvant déceler les inexactitudes et erreurs,
3°) que l'étiquette de la bouteille était conforme aux prescriptions légales et réglementaires et que la présentation en rayonnage dans les [magasins Z] était conforme à la nature du produit,
4°) que le consommateur ne pouvait croire compte tenu du prix indiqué qu'il pouvait s'agir d'un vin d'appellation d'origine.
L'INAO soutient pour sa part qu'il y a eu utilisation frauduleuse de l'appellation d'origine contrôlée " Savoie " et sollicite la confirmation du jugement.
L'Union Départementale de la Confédération Syndicale du Cadre de vie conclut quant à elle à l'existence d'une volonté délibérée de tromper le consommateur et, compte tenu de l'importance de la publicité mensongère, elle sollicite 50 000 F à titre de dommages et intérêts, la publication de la décision et 10 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
Enfin, l'Union Fédérale des Consommateurs de Brest n'admet pas davantage la thèse de l'erreur et, au regard du préjudice subi par l'intérêt collectif des consommateurs, du travail d'information à mettre en œuvre, des profits réalisés et de l'importance de la publicité mensongère, elle réclame 50 000 F à titre de dommages et intérêts, la publication de la décision et 10 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
Motifs de la décision :
1) Sur la publicité trompeuse :
Considérant qu'il est reproché au prévenu d'avoir effectué une publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur l'origine du vin désigné " X ".
Considérant qu'en classant ce vin dans le catalogue diffusé à 669 609 exemplaires sous la rubrique " Savoie " avec une étiquette évoquant un paysage montagnard et une appellation évoquant la neige alors qu'il s'agissait d'un vin de table en provenance non de la Savoie mais de l'Hérault et du Midi de la France, Antoine P s'est rendu coupable de publicité trompeuse.
Considérant qu'il ne peut utilement soutenir que l'étiquette de la bouteille était conforme aux prescriptions légales et réglementaires puisque l'information est constituée par la classification inexacte du produit sur le catalogue parmi les vins de Savoie, et non par un étiquetage non approprié ; qu'il ne peut pour le même motif tirer aucune conséquence utile de la présentation en rayonnage conforme à la nature du produit ; qu'il n'est pas davantage fondé à soutenir que le consommateur ne pouvait se méprendre compte tenu du prix indiqué alors qu'un prix aussi attractif de 9,90 F pour un vin de Savoie présenté à côté d'un vin d'Apremont et d'un vin de Roussette de Savoie plus onéreux est de nature à tromper le consommateur davantage soucieux de réaliser une bonne affaire sur un vin de Savoie que de s'interroger sur l'adéquation entre le prix et l'origine réelle du vin ; qu'il est enfin mal venu à affirmer que la lettre du fournisseur indiquant qu'il s'agit d'un vin de table français " spécial fondues et raclettes " ne laisse aucun doute sur l'usage attendu par le consommateur dès lors que cet usage n'est nullement vanté dans la publicité et qu'en classant ce vin sous la fausse origine " Savoie " sans informer le consommateur d'un tel usage, le prévenu a commis le délit qui lui est reproché.
Considérant sur l'intention délictueusequ'en sa qualité de spécialiste reconnu, à l'origine notamment de foires au vin organisées annuellement parles [magasins Z], spécialement averti par le fournisseur de l'impossibilité de classer ce vin avec les vins de Savoie et antérieurement destinataire d'une lettre recommandée avec accusé de réception précisant la nature exacte du vin incriminé, Antoine P ne peut être suivi en ce qu'il prétend qu'aucune intention frauduleuse ne peut lui être imputée.
2) Sur la tromperie :
Considérant qu'il est encore reproché à Antoine P d'avoir trompé le consommateur contractant sur l'origine du vin désigné " X ".
Considérant que la vente de ce vin acheté par les [magasins Z] sous la désignation " X 75 cl " et revendu au consommateur comme tel au cours d'une opération commerciale ayant eu lieu du 8 au 18 avril 1992, constitue bien le délit de tromperie sur l'origine du vin qui ne provenait pas de Savoie.
Considérant que la clientèle variée des [magasins Z] ne saurait être réduite en ce qui concerne les vins et champagnes à un cercle d'initiés ayant des connaissances oenologiques telles qu'il ne saurait se méprendre sur l'origine d'un vin.
Considérant que la publicité trompeuse massive suivie d'une vente ponctuelle conforme aux indications erronées données dans le dépliant distribué à des milliers d'exemplaires et au besoin dans le magasin lui-même caractérise l'infraction, à l'article L. 213-1 du Code de la consommation.
Considérant que pour les motifs ci-dessus invoqués, l'absence d'intention frauduleuse ne peut davantage être admise.
3) Sur l'appellation d'origine inexacte :
Considérant qu'il est en dernier lieu reproché à Antoine P d'avoir fait apparaître sur un vin de table français mis en vente l'appellation d'origine " Savoie " qu'il savait inexacte.
Considérant que cette qualification ne peut s'appliquer aux faits de la cause puisque la fausse appellation n'a pas été apposée sur le produit lui-même.
Considérant toutefois que si cette qualification prévue par le premier paragraphe de l'article L. 115-16 du Code de la consommation ne peut être retenue, le troisième paragraphe de cet article prévoit que quiconque aura vendu, mis en vente ou en circulation des produits naturels ou fabriqués portant une appellation d'origine inexacte sera puni des mêmes peines.
Considérant que ce délit est établi quelque soit le support de la fausse appellation : facture, bon de commande, publicité le concernant.
Considérant que cette requalification s'impose en l'espèce dès lors que l'appellation " Savoie " a été portée sur le dépliant publicitaire et que le vin a été facturé par Y aux différents [magasins Z] sous la référence " X Savoie 75 cl " (D2 et D4).
Considérant que si le décret du 4 septembre 1973 ne protège que les appellations contrôlées " Vins de Savoie " et " Roussette de Savoie " employées seules ou suivies d'un nom de cru, il n'en demeure pas moins qu'en plaçant le vin incriminé sur le dépliant publicitaire sous l'unité géographique viticole " Savoie " au côté de 2 vins d'appellation contrôlée Apremont et Roussette de savoir sous un nom et avec une étiquette évoquant la montagne, sous une appellation laissant faussement croire que le vin a été produit dans l'aire géographique de production et d'agrément du produit, et après avoir retranché de l'appellation d'origine " Vin de Savoie " les mots " Vin de ", sachant cette indication inexacte, en reproduisant cette indication sur ses factures et en proposant à la vente ce vin ainsi dénommé par l'intermédiaire des [magasins Z], Antoine P a bien commis le délit de mise en vente de produits naturels ou fabriqués portant une appellation d'origine qu'il savait inexacte.
4) Sur la peine :
Considérant qu'eu égard à la gravité des faits consistant à utiliser un produit d'appel dont la qualité ne peut répondre à l'attente du consommateur trompé sur son origine, eu égard à la mauvaise foi du prévenu déjà mis en garde par son vendeur, eu égard enfin aux intérêts économiques gouvernant de telles pratiques émanant d'un professionnel la peine d'amende sera aggravée.
Qu'il y a lieu en outre d'ordonner l'insertion par extraits de la présente décision dans le journal Ouest France édition de Brest, St-Brieuc et Vannes, chaque insertion ne pouvant excéder un coût de 2 500 F.
5) Sur l'action civile :
Considérant que les premiers juges ont fait une exacte appréciation des demandes des parties civiles ; que la décision sera confirmée sur les dommages et intérêts alloués.
Qu'il sera alloué à l'UFC et à l'UDCSCV de Brest une somme de 2 000 F chacune au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale en cause d'appel.
Par ces motifs : LA COUR, après en avoir délibéré conformément à la loi, Statuant publiquement, par arrêt contradictoire à l'égard de P Antoine, Institut national des appellations d'origine, Union départementale de la Confédération Syndicale du Cadre de vie, Union fédérale des consommateurs de Brest et par arrêt défaut à l'égard de la DGCCRF, En la forme, Reçoit les appels ; Au fond, Réforme le jugement sur la qualification, Dit que les faits reprochés à Antoine P sous la qualification d'apposition sur des produits d'appellation d'origine inexacte constituent en réalité le délit de mise en vente de produits portant une appellation d'origine qu'il savait inexacte, fait prévu et réprimé par les articles L. 115-16 paragraphe 3 et L. 213-1 du Code de la consommation, Confirme le jugement sur les autres qualifications et la déclaration de culpabilité, Le réformant sur la peine, Condamne Antoine P à une amende de 50 000 F, Ordonne la publication du présent arrêt par extraits aux frais du condamné dans le journal Ouest France, édition de Brest, St-Brieuc et Vannes, le coût de chaque insertion ne pouvant excéder 2 500 F, Confirme les dispositions civiles du jugement, Condamne Antoine P à payer à l'UFC de Brest et à l'UDCSCV 2 000 F chacune au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale en cause d'appel. La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 800 F dont est redevable le condamné. Prononce la contrainte par corps. Le tout par application des articles susvisés, 800-1, 749 et 750 du Code de procédure pénale.