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Décisions

TPICE, président, 4 juin 1996, n° T-18/96 R

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

Stichting Certificatie Kraanverhuurbedrijf, Federatie van Nederlandse Kraanverhuurbedrijven

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Saggio

Avocats :

Mes van Empel, Janssens.

TPICE n° T-18/96 R

4 juin 1996

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,

1 La Federatie Nederlandse Kraanverhuurbedrijven (fédération néerlandaise des entreprises de location de grues, ci-après "FNK") est une association sectorielle ayant pour objet statutaire de fédérer les entreprises néerlandaises de location de grues au sein d'une organisation générale, de promouvoir le développement des entreprises de location de grues néerlandaises, de défendre les intérêts des entreprises de location de grues, en particulier de ses membres, et de favoriser les contacts et la collaboration réciproques entre ceux-ci.

2 La Stichting Certificatie Kraanverhuurbedrijf (fondation pour la certification des entreprises de location de grues, ci-après "SCK") est une fondation ayant pour objet statutaire principal d'arrêter des directives visant à l'organisation des entreprises de location de grues, de délivrer des certificats aux entreprises de location de grues, et notamment aux membres de la FNK, qui satisfont à ces directives, et de contrôler si les titulaires des certificats observent celles-ci.

3 Le 13 janvier 1992, onze entreprises de location de grues, dont neuf établies aux Pays-Bas et deux en Belgique, ont déposé une plainte contre la SCK et la FNK. Elles ont fait grief à celles-ci d'enfreindre les règles de concurrence du traité CE en excluant de la location de grues mobiles les entreprises non certifiées par la SCK et en imposant des prix fixes pour la location de ces grues.

4 La SCK et la FNK ont notifié à la Commission leurs statuts et leurs règlements internes respectivement les 15 janvier et 6 février 1992. Toutes deux ont demandé une attestation négative ou, à titre subsidiaire, une exemption en application de l'article 85, paragraphe 3, du traité.

5 Le 29 novembre 1995, la procédure administrative devant la Commission s'est achevée par l'adoption de la décision 95-551-CE, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (IV/34.179, 34.202, 216 - Stichting Certificatie Kraanverhuurbedrijf et Federatie van Nederlandse Kraanverhuurbedrijven, JO L 312, p. 79, ci-après "décision").

6 Selon l'article 1er de la décision, les membres de la FNK ont utilisé un système de tarifs contraire à l'article 85, paragraphe 1, du traité. Le système aurait comporté des "prix conseillés", applicables aux opérations de location de grues à des entreprises non membres de la FNK, et des "prix de compensation", applicables aux opérations de location effectuées entre les membres de l'association. Il aurait ainsi permis à ceux-ci de prévoir, avec un degré raisonnable de certitude, la politique des prix des concurrents. Les entreprises membres de l'association se seraient concertées entre elles et avec la FNK pour la fixation des tarifs. Elles auraient été tenues de les respecter, le non-respect des prix étant susceptible d'être sanctionné par la radiation de l'entreprise en cause, conformément à l'article 10, paragraphe 1, sous d), des statuts de l'association.

Ce système, introduit le 15 décembre 1979, a été supprimé le 28 avril 1992 en exécution d'une ordonnance en référé du président de l'Arrondissementsrechtbank te Utrecht en date du 11 février 1992, qui a enjoint à la FNK de ne plus en faire application.

7 L'article 3 de la décision dispose que la SCK a enfreint l'article 85, paragraphe 1, du traité en interdisant à ses affiliés de prendre en location des grues auprès d'entreprises non affiliées (article 7, deuxième tiret, du règlement interne). Dans les considérants de la décision, la Commission relève que cette fondation est composée, en quasi-totalité, d'entreprises membres de la FNK. Elle estime que l'accès au marché néerlandais des entreprises étrangères de location de grues a été entravé par les conditions exigées par la SCK aux fins de la certification, dans la mesure où ces conditions étaient liées à la situation spécifique du marché néerlandais. Dans ce contexte, l'interdiction de location susvisée aurait comporté la fermeture complète puis presque complète du marché néerlandais aux entreprises établies à l'extérieur des Pays-Bas.

L'infraction aurait duré du 1er janvier 1991 au 4 novembre 1993 (à l'exception de la période du 17 février au 9 juillet 1992). Elle aurait cessé à la suite d'une ordonnance du Gerechtshof te Amsterdam en date du 28 octobre 1993, décision ayant confirmé l'ordonnance en référé du président de l'Arrondissementsrechtbank te Utrecht du 6 juillet 1993 en ce qu'elle avait enjoint à la SCK de ne plus appliquer l'interdiction de location.

8 Sur la base notamment de ces considérations, la Commission a ordonné à la FNK et à la SCK de mettre fin immédiatement aux infractions qu'elle leur reprochait respectivement (articles 2 et 4 de la décision). Par ailleurs, elle a infligé une amende de 11 500 000 écus à la FNK et de 300 000 écus à la SCK (article 5 de la décision).

9 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 2 février 1996, la FNK et la SCK ont introduit un recours visant, à titre principal, à faire constater l'inexistence de la décision, à titre subsidiaire à faire déclarer la décision nulle et, à titre plus subsidiaire encore, à faire annuler partiellement la décision de manière qu'aucune amende ne leur soit infligée.

10 Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le même jour, les requérantes ont introduit, en vertu de l'article 185 du traité, une demande de sursis à l'exécution de l'article 4 de la décision ordonnant à la SCK de ne pas faire application de l'interdiction de location énoncée à l'article 7, deuxième tiret, du règlement de cette fondation, ainsi que de l'article 5 de la même décision qui a infligé deux amendes à la SCK et à la FNK. A cet égard, les requérantes demandent à être libérées non seulement de l'obligation de paiement immédiat d'une telle amende, mais également de celle de "constituer une sûreté sous la forme d'une garantie bancaire ou sous une autre forme" à l'effet de garantir le paiement de ces amendes. Par le même acte, les requérantes ont présenté une demande de mesures provisoires visant à ce qu'il soit ordonné à la Commission de leur permettre de prendre connaissance du dossier ouvert dans les affaires IV-34.179, 34.202 et 34.216.

11 La Commission a déposé ses observations sur la demande en référé le 20 février 1996.

12 Les parties ont été entendues en leurs explications orales le 1er mars 1996.

13 Par lettre du 4 avril 1996, la SCK s'est désistée de l'instance en ce qui concerne la demande de sursis à l'exécution de l'article 4 de la décision, en tant que cette disposition prescrit à la SCK de ne plus appliquer l'interdiction de location. Les requérantes ont maintenu les autres chefs de la demande. Dans ses observations déposées le 12 avril 1996, la Commission a pris acte de ce désistement partiel et sollicité la condamnation de la SCK aux dépens correspondants, en application des articles 99 et 87, paragraphe 5, du règlement de procédure.

En droit

14 En vertu des dispositions combinées des articles 185 et 186 du traité et de l'article 4 de la décision 88-591-CECA, CEE, Euratom du Conseil, du 24 octobre 1988, instituant un Tribunal de première instance des Communautés européennes (JO L 319, p. 1), telle que modifiée par la décision 93-350-Euratom, CECA, CEE du Conseil, du 8 juin 1993 (JO L 144, p. 21), et par la décision 94-149-CECA, CE du Conseil, du 7 mars 1994 (JO L 66, p. 29), le Tribunal peut, s'il estime que les circonstances l'exigent, ordonner le sursis à l'exécution de l'acte attaqué ou prescrire les mesures provisoires nécessaires.

15 L'article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal prévoit que les demandes relatives à des mesures provisoires visées aux articles 185 et 186 du traité doivent spécifier les circonstances établissant l'urgence, ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant, à première vue, l'octroi de la mesure à laquelle elles concluent. Les mesures demandées doivent présenter un caractère provisoire en ce sens qu'elles ne doivent pas préjuger la décision sur le fond (voir, en dernier lieu, l'ordonnance du président du Tribunal du 22 avril 1996, De Persio-Commission, T-23-96 R, Rec. FP p. II-0000, point 19).

Arguments des parties

16 Quant au fumus boni juris, les requérantes invoquent, à titre liminaire, l'inexistence de la décision. A cet égard, elles relèvent que, dans le dispositif de la décision, la Commission ne se prononce pas sur leur demande d'exemption formée au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité, alors qu'elle y fait expressément référence dans les motifs. Elles soulignent que, selon la jurisprudence du Tribunal (arrêt du 17 septembre 1992, NBV et NVB-Commission, T-138-89, Rec. p. II-2181, point 31), quels que soient les motifs sur lesquels repose l'acte, seul son dispositif est susceptible de produire des effets juridiques. La décision serait en conséquence inexistante.

17 A titre subsidiaire, les requérantes invoquent la nullité de la décision, en premier lieu, pour défaut de motivation et pour la conséquente méconnaissance de l'article 85, paragraphes 1 et 3, du traité, et, en second lieu, pour violation des droits de la défense.

18 S'agissant des moyens tirés d'un défaut de motivation et d'une méconnaissance de l'article 85, paragraphe 1, du traité, les deux requérantes soutiennent que la Commission a considéré qu'en l'espèce le commerce entre Etats membres est affecté au sens de cette dernière disposition sans, pour autant, avoir recours aux critères pertinents que le Tribunal a rappelés dans l'arrêt du 14 juillet 1994, Parker Pen-Commission (T-77-92, Rec. p. II-549, points 39 et 40).

En outre, la SCK conteste la qualification contenue dans la décision, selon laquelle elle serait une entreprise ou une association d'entreprises au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité. Cette qualification serait en conflit avec la jurisprudence de la Cour, en particulier avec les arrêts du 23 avril 1991, Hoefner et Elser (C-41-90, Rec. p. I-1979), et du 17 février 1993, Poucet et Pistre (C-159-91 et C-160-91, Rec. p. I-637). Elle fait valoir ensuite que, contrairement à ce qui ressort de la décision, les conditions d'adhésion au régime de certification sont objectives et non discriminatoires et tendent uniquement à assurer un certain niveau de sécurité et de qualité aux adhérents.

Selon la FNK, la Commission se réfère de manière erronée à un système de tarifs qui aurait été imposé aux entreprises membres de l'association. A cet égard, la requérante affirme que ces tarifs étaient destinés à servir de point de départ objectif aux négociations entre les entreprises concernées et que, partant, ils n'avaient pas d'effet obligatoire.

19 S'agissant des moyens tirés d'un défaut de motivation et d'une violation de l'article 85, paragraphe 3, du traité, la SCK fait valoir que la décision ne comporte aucune appréciation circonstanciée justifiant la non-application de cette dernière disposition. Or, contrairement à ce qu'affirme la Commission, le régime de la SCK offrirait des garanties supplémentaires par rapport à celles offertes par la législation des Pays-Bas ou d'éventuels autres régimes. En outre, un tel régime ne pourrait être efficace sans l'interdiction imposée aux membres de la fondation de prendre en location des grues auprès d'entreprises non affiliées. En effet, il n'existerait aucun autre moyen de garantir au maître d'ouvrage qui le souhaite l'utilisation exclusive, sur son chantier, de grues qui remplissent les conditions de certification de la fondation. Par ailleurs, cette interdiction ne concernant que la prise en location de grues par les entreprises certifiées par la SCK n'affecterait nullement la concurrence sur le marché de la location de grues.

La FNK, pour sa part, affirme que le système de tarifs de l'association est de nature à favoriser la transparence du marché. Il permettrait aux clients de comparer les offres concurrentes et d'assurer l'organisation de tout le secteur de la location. En particulier, les tarifs de compensation appliqués dans les contrats de location entre les membres de l'association augmenteraient l'efficacité du système, en simplifiant la conclusion de ces contrats.

20 S'agissant, en second lieu, du moyen tiré d'une violation des droits de la défense, les requérantes soutiennent, d'une part, que la Commission a enfreint l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales en arrêtant la décision près de 47 mois après la notification de leurs statuts et de leurs règlements et en rejetant leur demande expresse visant à être entendues avant l'adoption de la décision qui, en application de l'article 15, paragraphe 6, du règlement n 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 (JO 1962, p. 204, ci-après "règlement n 17"), les a privées de l'immunité prévue par le paragraphe 5 de cette disposition en ce qui concerne la sanction de l'amende. Elles estiment, d'autre part, que la Commission a procédé à une interprétation restrictive inacceptable de leur droit d'accès au dossier en affirmant, en réponse à leur demande, qu'elles seraient déchues de leur droit de prendre connaissance du dossier dès lors qu'elles n'en auraient pas sollicité le bénéfice après la transmission de la communication des griefs et avant la réponse à ceux-ci.

21 Enfin, les requérantes soutiennent que la Commission leur a infligé des amendes exorbitantes par rapport aux infractions prétendument établies ainsi qu'à leur situation économique. La SCK fait valoir en particulier que, au 31 décembre 1994, elle disposait de liquidités d'un montant de 796 315 HFL et d'actifs d'un montant total de 955 407 HFL, alors que ses dettes à court terme s'élevaient à 849 208 HFL. Selon elle, le versement de l'amende fixée par la Commission, équivalant à 650 000 HFL, signifierait la fin de la fondation. La FNK souligne que, au 31 décembre 1994, elle disposait de liquidités d'un montant de 318 554 HFL et d'actifs s'élevant au total à 992 481 HFL. Elle en déduit qu'elle n'est pas en mesure de verser une amende équivalant à 24 000 000 HFL. Les requérantes ajoutent que la décision n'indique pas les éléments de fait sur la base desquels les montants des amendes ont été calculés.

22 Sur la condition de l'urgence, les requérantes font valoir que, étant donné les montants exorbitants des amendes, elles ne peuvent les payer ni fournir pendant la durée de la procédure au fond la garantie bancaire demandée par la Commission. Selon elles, les banques consultées ont refusé de leur fournir cette garantie. Faute d'obtenir le sursis sollicité au titre de l'article 185 du traité, la FNK et la SCK seraient ainsi exposées à une faillite imminente. Compte tenu du caractère irréparable du préjudice qui les menace, la Commission n'aurait aucun intérêt à procéder à l'exécution immédiate de la décision en ce qui concerne le paiement de l'amende.

23 Quant au fumus boni juris, la Commission fait valoir que, contrairement à l'affirmation des requérantes, elle a examiné, notamment aux points 32 à 39 de la décision, les arguments invoqués par la FNK et la SCK au soutien de leur demande d'exemption fondée sur l'article 85, paragraphe 3, du traité.

24 S'agissant de la prétendue violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité, elle réplique que le commerce entre Etats membres est effectivement affecté. En effet, les grues en cause pouvant se déplacer, des entreprises d'autres Etats membres pourraient souhaiter avoir accès au marché des Pays-Bas. Cela serait confirmé par le fait que deux des plaignants sont des entreprises belges.

La Commission estime que la SCK conteste à tort la qualification d'"entreprise" retenue à son égard, au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité, par la décision attaquée. En effet, la SCK ne serait pas un organisme de droit public mais plutôt une fondation exerçant des activités commerciales dont l'objet est la certification rémunérée d'entreprises de location de grues. Il s'ensuivrait que cette fondation serait une entreprise au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité. La défenderesse ajoute que les requérantes méconnaissent la motivation de la décision litigieuse quand elles affirment que la Commission n'a pas démontré que les tarifs de la FNK restreignaient la concurrence. A cet égard, elle se réfère au point 20 de la décision, selon lequel le système comportait aussi bien une obligation statutaire d'appliquer des "tarifs acceptables" qu'un mécanisme de sanction visant à imposer le respect de cette obligation par les membres de la FNK.

25 S'agissant de la prétendue violation de l'article 85, paragraphe 3, du traité, la Commission fait valoir que les requérantes n'ont apporté aucun élément qui puisse remettre en cause la motivation de la décision. Elles n'auraient pas démontré en particulier que le système de certification était plus performant que les règles légales et que l'interdiction de location était indispensable. Or, étant donné que la Commission peut refuser l'exemption même sans examiner toutes les conditions de l'article 85, paragraphe 3, du traité, cette constatation suffirait à elle seule à justifier le rejet de la demande d'exemption présentée par la SCK et la FNK.

26 La Commission nie avoir commis une violation des droits de la défense des requérantes. Compte tenu des circonstances du cas d'espèce, elle n'aurait pas adopté la décision au-delà d'un délai raisonnable. Quant au défaut d'audition de la SCK et de la FNK avant l'adoption de la décision prise sur le fondement de l'article 15, paragraphe 6, du règlement n° 17, il ne constituerait pas davantage une violation des droits de la défense. Aucune disposition n'obligerait la Commission à procéder à l'audition des parties. Seules des circonstances de fait particulières pourraient rendre indispensable une telle consultation. Enfin, la Commission n'aurait pas méconnu le droit d'accès au dossier, puisque les requérantes auraient pu y accéder avant l'adoption de la décision et après la transmission de la communication des griefs.

27 La Commission estime que l'amende de 300 000 écus infligée à la SCK ne peut être considérée, même en valeur absolue, comme exorbitante. L'amende de 11 500 000 écus infligée à la FNK ne serait pas non plus exorbitante compte tenu du chiffre d'affaires des membres de la FNK qui, conformément à la jurisprudence du Tribunal (arrêt du 21 février 1995, SPO ea-Commission, T-29-92, Rec. p. II-289, point 385), doit être pris en considération dans le calcul du montant de l'amende. Cette amende ne serait pas exorbitante également en raison de la durée de l'infraction, supérieure à dix ans.

28 Quant à l'urgence, la Commission fait valoir que les parties requérantes n'ont pas démontré la menace imminente de faillite à laquelle elles seraient exposées. Les chiffres fournis constitueraient en réalité uniquement un instantané de la situation au 31 décembre 1994, alors que la solvabilité devrait être appréciée sur la base des flux monétaires dans le temps. Quant à la FNK, elle aurait omis d'envisager la possibilité pour les entreprises membres de l'association de payer l'amende de 11 500 000 écus ou de constituer une garantie bancaire, alors que le montant de cette amende serait loin d'atteindre le plafond de 10 % du chiffre d'affaires total de celles-ci.

29 Enfin, la défenderesse soutient que les requérantes n'ont pas établi l'urgence d'une mesure ayant pour objet de leur ouvrir l'accès au dossier et que, en tout état de cause, la demande correspondante ne vise pas en réalité une mesure provisoire, telle que prévue à l'article 186 du traité, mais plutôt une mesure d'organisation de la procédure ou une mesure d'instruction, respectivement prévues aux articles 64 et 65 à 67 du règlement de procédure du Tribunal.

Appréciation du juge des référés

30 A la suite du désistement partiel des requérantes, qui concerne la demande de sursis à l'exécution de l'article 4 de la décision intimant à la SCK de ne pas faire application de la "clause d'interdiction de location", énoncée à l'article 7, deuxième tiret, du règlement de cette fondation, le juge des référés est appelé à se prononcer uniquement sur la demande de suspension de l'exécution de l'article 5 de la décision et sur la demande d'une mesure ayant pour objet d'ouvrir aux parties requérantes l'accès au dossier de la procédure administrative en cause.

31 S'agissant de la première demande, ayant pour objet le sursis à l'exécution de la décision en ce qu'elle inflige, en son article 5, une amende de 11 500 000 écus à la FNK et de 300 000 écus à la SCK, il y a lieu de relever que, dans ses observations écrites et orales, la Commission a précisé qu'elle serait disposée à autoriser le paiement de ces amendes par tranches, à condition que soit constituée une garantie bancaire couvrant à tout moment le solde à payer. Partant, le juge des référés doit apprécier l'urgence de la mesure demandée en examinant non seulement si le paiement de l'amende, avant que n'intervienne une décision sur le fond, est de nature à entraîner pour la SCK et la FNK des dommages graves et irréversibles, qui ne pourraient pas être réparés même si la décision attaquée venait à être annulée par le Tribunal, mais également si la simple constitution d'une garantie bancaire pourrait comporter les mêmes dommages graves et irréversibles (voir, en dernier lieu, l'ordonnance du président du Tribunal du 11 août 1995, Tsimenta Chalkidos-Commission, T-104-95 R, Rec. p. II-2235, point 19).

32 A cet égard, les requérantes font valoir que, compte tenu de leur situation financière, le recouvrement de l'amende par la Commission ou, alternativement, l'obtention d'une garantie, avec les frais y afférents, ne pourrait qu'entraîner leur disparition. Au soutien de cette affirmation, elles se réfèrent à la situation de leurs patrimoines respectifs à la date du 31 décembre 1994 (voir point 21 de la présente ordonnance). En outre, elles produisent les lettres, datées du 4 et du 10 janvier 1995, de deux banques néerlandaises qui refusent de leur fournir une garantie bancaire couvrant respectivement 300 000 écus et 11 500 000 écus, eu égard, en particulier, à l'insuffisance de leurs patrimoines et de leurs "sûretés bancaires". Pour sa part, la Commission fait valoir que la SCK et la FNK ont exposé leur situation financière sans tenir compte du fait que les entreprises membres de l'association, qui bénéficiaient également du système de certification créé par la fondation, avaient un chiffre d'affaires d'ensemble de 200 000 000 écus. Ainsi, l'amende infligée à la SCK serait très faible par rapport à ce chiffre d'affaires et celle infligée à la FNK ne représenterait que 5 % du total de ce même chiffre d'affaires.

33 Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le plafond de l'amende, équivalant à 10 % du chiffre d'affaires réalisé durant l'exercice antérieur (article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17), doit être calculé par rapport au chiffre d'affaires réalisé par chacune des entreprises qui sont parties aux accords et pratiques concertées en cause et, dans le cas où l'infraction se réalise à travers la décision d'une association d'entreprises, par l'ensemble des entreprises membres de l'association, à tout le moins lorsque ses règles internes permettent à l'association d'engager ses membres. Une telle analyse se fonde sur l'idée que l'influence qu'une association d'entreprises a pu exercer sur le marché ne dépend pas de son propre "chiffre d'affaires", qui ne révèle ni sa taille ni sa puissance économique, mais bien du chiffre d'affaires de ses membres, qui constitue une indication de sa taille et de sa puissance économique (arrêts du Tribunal, SPO ea-Commission, précité, point 385, et du 23 février 1994, CB et Europay-Commission, T-39-92 et T-40-92, Rec. p. II-49, point 137).

34 En l'espèce, les statuts et règlements de la FNK et de la SCK contiennent des dispositions qui leur permettent d'engager les entreprises de location de grues, membres de l'association et/ou bénéficiaires des services de la fondation.

Plus précisément, d'après la décision (points 10 et 20), l'article 6, paragraphe 1, des statuts de la FNK prévoit que les décisions prises conformément aux statuts et aux règlements lient les membres. En outre, l'article 10, paragraphe 1, sous d), des mêmes statuts dispose que tout membre qui enfreint ces décisions peut être radié de l'association. Pour ce qui est notamment de l'application des tarifs conseillés et de compensation, qui constitue l'infraction sanctionnée par la Commission, la décision fait référence à l'article 3, sous b), du règlement intérieur, selon lequel les membres de la FNK doivent appliquer des tarifs acceptables. Elle fait également référence à l'article 3, sous c), qui oblige les membres à appliquer les conditions générales fixées par l'association, lesquelles renvoient aux tarifs conseillés par celle-ci. Les requérantes contestent que ces règles puissent être interprétées comme instituant un système contraignant de prix, compte tenu du fait que les tarifs auxquels se réfère la Commission seraient uniquement des tarifs conseillés et constitueraient des "exemples d'estimations" utilisés comme "point de départ" aux négociations entre les entreprises. Toutefois, il y a lieu de relever qu'aucun élément du dossier ne permet, à première vue, de mettre en doute le fait que leur application répondait aux intérêts des entreprises qui y adhéraient. En outre, il ressort des termes de la demande en référé que les requérantes elles-mêmes considèrent un tel système comme une "structure tarifaire" capable d'organiser le marché de la location des grues (points 95 à 97 de la requête en référé).

Par ailleurs, la SCK ne nie pas que ses dispositions statutaires et réglementaires étaient contraignantes. Elle rappelle en particulier que, d'après l'article 7, deuxième tiret, de son règlement, les titulaires du certificat qu'elle délivre sont tenus "de (faire) fournir uniquement des grues pourvues de plaques (dudit) certificat en cours de validité" (point 17 de la requête en référé). Il est donc constant que les entreprises bénéficiant des services de la SCK étaient obligées de respecter les dispositions susvisées et notamment celle relative à l'interdiction de location, qui a fait l'objet d'une constatation d'infraction par la Commission.

Sur la base de ces considérations, le juge des référés constate que, prima facie, les entreprises de location de grues se conformaient aux dispositions de l'association et de la fondation. Les intérêts objectifs des requérantes ne peuvent donc pas, à première vue, être considérés comme présentant un caractère autonome par rapport à ceux des entreprises qui adhèrent à la FNK et/ou bénéficient des services de la SCK.

35 Il s'ensuit que, selon la jurisprudence précitée, il faut apprécier le risque de préjudice grave et irréparable qui résulterait du paiement des amendes infligées ou de la constitution de garanties bancaires en prenant en considération la taille et la puissance économique des entreprises membres de l'association et-ou bénéficiant des services de la fondation.

36 Or, s'agissant de la FNK, les requérantes et la défenderesse ont indiqué que le chiffre d'affaires total des entreprises membres de cette association est d'environ 180 à 200 000 000 écus. En l'absence d'éléments de justification contraires, il y a donc lieu de présumer qu'elles disposent d'une capacité financière suffisante pour payer une amende correspondant à environ 5 à 6,5 % de ce chiffre d'affaires ou, a fortiori, pour offrir une caution bancaire équivalente. En conséquence, l'exécution de l'article 5 de la décision avant que le Tribunal ait statué sur le fond ne peut entraîner le dommage grave et irréparable allégué, qui consisterait dans une prétendue faillite de l'association.

37 La même analyse vaut pour l'appréciation du risque de préjudice grave et irréparable invoqué par la SCK, qui résulterait de l'exécution immédiate de l'obligation de la SCK de payer l'amende de 300 000 écus, prévue à l'article 5 de la décision, ou bien d'offrir la caution bancaire destinée à garantir un tel paiement. Le juge des référés constate que, même si la SCK est une fondation et devrait donc, en tant que telle, agir, contrairement à l'association, de manière autonome par rapport aux entreprises qui contribuent à son patrimoine, il ressort clairement du dossier qu'elle agit dans le cadre de la FNK, exerce les mêmes activités et poursuit les mêmes buts que celle-ci.

Plusieurs éléments conduisent à une telle conclusion. Premièrement, la SCK a été créée par un mandataire de la FNK. Deuxièmement, d'après la décision, sept entreprises sur les 190 affiliées à la SCK en 1994 n'étaient pas membres de la FNK, proportion qui paraît avoir augmenté depuis lors mais ne dépasse pas actuellement 11 à 13 %, selon les indications fournies par les requérantes lors de l'audition. Troisièmement, les statuts originaires de la SCK prévoient que cette fondation a pour objet d'adresser aux membres de la FNK des directives visant à l'organisation de l'activité de location de grues, de délivrer des certificats aux membres de la FNK qui satisfont à ces directives et de contrôler si les titulaires des certificats respectent celles-ci (article 2 des statuts originaires de la SCK). Quatrièmement, il ressort de la décision que, jusqu'en 1987, l'organisation interne de la SCK était réglée par les statuts originaires qui prévoyaient que la SCK était gérée par un conseil dont les membres étaient nommés et révoqués par les gérants de la FNK (article 5, paragraphe 2, des statuts) et que, de plus, ce conseil était assisté et contrôlé par un comité consultatif dont les membres étaient nommés et révoqués par le conseil en concertation avec les gérants de la FNK (article 7, paragraphe 1, des statuts). A la suite d'une modification des statuts en date du 15 décembre 1987, les relations entre ces deux organismes ont été réduites. Elles demeurent cependant très étroites puisque, comme l'ont indiqué les requérantes lors de l'audition, deux des quatre membres du conseil d'administration sont encore désignés par la FNK et que, dans le collège des experts (appellation du comité consultatif depuis le 20 juin 1994), deux membres siègent au nom de la FNK, tandis que les autres représentent les donneurs d'ordres, les fournisseurs et les autorités publiques.

38 Eu égard à l'ensemble de ces éléments, la situation financière de la SCK doit être appréciée en tenant compte des liens de cette fondation avec la FNK et, partant, avec les entreprises membres de cette association. Afin d'évaluer la capacité de la SCK de verser l'amende ou de constituer la garantie bancaire exigée alternativement par la Commission, il est donc approprié de prendre en considération la capacité financière des entreprises bénéficiaires des services de la fondation(voir, en dernier lieu, l'ordonnance du président du Tribunal du 21 décembre 1994, T-295-94 R, Buchmann-Commission, Rec. p. II-1265, point 26).

39 Sur la base de considérations identiques à celles qui ont été développées pour apprécier la situation financière de la FNK, le juge des référés constate que les entreprises bénéficiaires des services de la SCK apparaissent en mesure de payer l'amende et, à plus forte raison, d'offrir l'assistance nécessaire pour la constitution d'une garantie bancaire correspondant à l'amende imposée à l'article 5, paragraphe 2, de la décision. Dans ces conditions, l'exécution d'une telle disposition ne risque pas d'entraîner, contrairement à ce qu'allèguent les requérantes, la disparition de la SCK.

40 Partant, la demande de sursis à l'exécution de l'article 5 de la décision doit être rejetée, sans qu'il soit nécessaire d'examiner si les moyens et arguments invoqués par la requérante à l'appui du recours au principal paraissent, à première vue, fondés.

41 Enfin, s'agissant de la demande des requérantes visant à ce qu'il soit ordonné à la Commission de leur permettre de prendre connaissance du dossier dans leurs affaires IV-34.179, 34.202 et 34.216, il y a lieu de relever que la mesure sollicitée participe, en principe, des mesures d'organisation de la procédure ou des mesures d'instruction, qui relèvent de la compétence du Tribunal (articles 64 à 67 du règlement de procédure), et non pas des mesures provisoires adoptées dans le cadre d'une procédure de référé. A cet égard, il découle de la jurisprudence que, dans l'hypothèse où la Commission a refusé l'accès au dossier à une partie à la procédure administrative, il appartient au Tribunal d'apprécier l'opportunité de lui donner accès à ce dossier, au cours de la procédure au principal, en vue de permettre à l'intéressée d'assurer sa défense et au Tribunal d'examiner, en connaissance de cause, les moyens et arguments qu'elle invoque (voir l'arrêt de la Cour du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche-Commission, 85-76, Rec. p. 461, point 15).

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL,

Ordonne :

1) La demande en référé est rejetée.

2) Les dépens sont réservés.