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Décisions

TPICE, président, 11 août 1995, n° T-104/95 R

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

Tsimenta Halkidos AE

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cruz Vilaça

Avocat :

Me Bernitsas

TPICE n° T-104/95 R

11 août 1995

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,

Faits et procédure

1 Le 30 novembre 1994, la Commission a adopté la décision 94-815-CE, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (IV-33.126 et 33.322 - Ciment, JO L 343, p. 1, ci-après "décision").

2 Selon l'article 1er de la décision, les 42 producteurs de ciment et associations professionnelles qui y sont énumérés, dont la requérante, ont enfreint les dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du traité CE en participant à un accord ayant pour objet le respect des marchés domestiques et la réglementation des transferts de ciment d'un pays à l'autre.

3 Selon l'article 6 de la décision, certains de ces producteurs de ciment, dont la requérante, du 1er juillet 1981 au 19 mai 1989, ont également enfreint les dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du traité en participant, dans le cadre de l'EPC (Export Policy Committee), à une pratique concertée continue portant sur l'examen de la situation des marchés communautaires, le partage des marchés des pays tiers, la fixation des prix pour les produits destinés à la grande exportation, l'échange de données individualisées sur les disponibilités à l'exportation et sur les exportations effectuées dans les pays tiers et visant à éviter les incursions des concurrents sur les marchés nationaux respectifs de la Communauté.

4 L'article 9 de la décision inflige à la requérante une amende s'élevant à 1 856 000 écus pour les infractions constatées aux articles 1er et 6. Aux termes de l'article 11, le délai de payement de l'amende est de trois mois à compter de la date de la notification de la décision et le montant porte intérêts de plein droit au taux de 9,25 % à compter de l'expiration de ce délai.

5 La décision a été initialement notifiée à la requérante le 13 décembre 1994. Cependant, cette notification a été remplacée par une notification ultérieure, en date du 8 février 1995, par suite d'une erreur qui s'était glissée dans la reproduction du texte de la décision.

6 Les lettres de notification informaient la requérante que, si elle introduisait un recours devant le Tribunal, la Commission ne procéderait à aucune mesure de recouvrement de l'amende tant que l'affaire serait pendante devant cette juridiction, à condition que la créance produise intérêts à partir de la date d'expiration du délai de payement et qu'une garantie bancaire acceptable par la Commission, couvrant la dette tant au principal qu'en intérêts ou majorations, soit fournie au plus tard à cette date.

7 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 12 avril 1995, la requérante a introduit, en vertu de l'article 173 du traité CE, un recours visant à l'annulation de la décision.

8 Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 17 mai 1995, la requérante a introduit, en vertu des articles 185 et 186 du traité CE, la présente demande de sursis à l'exécution de la décision, dans la mesure où celle-ci lui impose le payement d'une amende d'un montant de 1 856 000 écus.

9 La Commission a présenté ses observations sur la présente demande en référé le 29 mai 1995.

10 Les parties ont été entendues en leurs explications orales le 26 juin 1995. Au cours de cette audition, la requérante a produit un certain nombre de documents relatifs à sa situation financière et a été invitée à produire d'autres documents et éléments chiffrés dans un délai d'une semaine.

11 Le 30 juin 1995, la requérante a transmis au Tribunal les documents demandés.

En droit

12 En vertu des dispositions combinées des articles 185 et 186 du traité CE et de l'article 4 de la décision 88-591-CECA, CEE, Euratom du Conseil, du 24 octobre 1988, instituant un Tribunal de première instance des Communautés européennes (JO L 319, p. 1), telle que modifiée par les décisions du Conseil 93-350-Euratom, CECA, CEE, du 8 juin 1993 (JO L 144, p. 21), et 94-149-CECA, CE, du 7 mars 1994 (JO L 66, p. 29), le Tribunal peut, s'il estime que les circonstances l'exigent, ordonner le sursis à l'exécution de l'acte attaqué ou prescrire les mesures provisoires nécessaires.

13 L'article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure prévoit que les demandes relatives à des mesures provisoires visées aux articles 185 et 186 du traité doivent spécifier les circonstances établissant l'urgence, ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l'octroi de la mesure à laquelle elles concluent. Les mesures demandées doivent présenter un caractère provisoire, en ce sens qu'elles ne doivent pas préjuger la décision sur le fond (voir l'ordonnance du président du Tribunal du 21 décembre 1994, Laakmann Karton-Commission, T-301-94 R, Rec. p. II-1279, point 10).

Arguments des parties

14 En ce qui concerne les circonstances établissant l'urgence, la requérante expose tout d'abord que, en l'espèce, l'introduction d'un recours devant le Tribunal n'entraîne pas le sursis à l'exécution forcée de la décision, dès lors qu'elle est totalement dans l'impossibilité, étayée par des documents versés au dossier, de présenter la lettre de garantie requise par la Commission et que la présentation d'une telle lettre est une condition essentielle pour que la Commission ne procède pas à des mesures de recouvrement de l'amende à partir de la date d'expiration du délai de payement. Or, selon la requérante, compte tenu de sa situation financière extrêmement difficile et, en particulier, de sa dette réelle atteignant le montant de 104 730 284 254 DR, ainsi que du fait qu'elle est déjà soumise au régime national de la liquidation spéciale, le recouvrement de l'amende par la Commission ou, alternativement, l'obtention d'une lettre de garantie avec les frais y afférents ne pourraient qu'entraîner dans son chef un dommage grave et irréparable, à savoir la faillite, ainsi que le chômage de ses salariés.

15 En ce qui concerne les moyens justifiant à première vue le sursis à exécution demandé, la requérante fait valoir, en premier lieu, que la simple lecture de la décision permet de constater une contradiction entre la partie "les faits" (chapitres 3, 4, 5 et 6), où il ne lui est nulle part fait référence, la partie "appréciation juridique" (chapitres 8, 9 et 10), qui ne comporte que de vagues références à son égard, et le dispositif. En effet, selon la requérante, la Commission n'est pas parvenue à établir ni à démontrer que la requérante a commis les infractions alléguées à l'article 85, paragraphe 1, du traité. Les éléments de fait prouvés ne concerneraient que d'autres entreprises. En deuxième lieu, la requérante estime que la décision viole l'article 15, paragraphe 2, premier et dernier alinéas, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204), en ce que, dès lors que la Commission n'a pas pu établir sa participation, de propos délibéré ou par négligence, à des accords ayant une répercussion sur le marché intérieur, elle n'était pas habilitée à lui infliger une amende en vertu de cette disposition. Enfin, la requérante estime que, dans ces conditions, l'amende qui lui a été infligée constitue simultanément une violation du principe de proportionnalité.

16 La Commission, pour sa part, estime que la requérante n'a pas démontré qu'elle se trouve dans l'impossibilité soit de payer l'amende, soit de constituer une garantie bancaire. A cet égard, la Commission relève, en premier lieu, que la requérante s'est vu attribuer par les juridictions hellénique la somme de 50 milliards de DR dans le cadre d'un litige l'opposant à l'entreprise cimentière italienne Calcestruzzi, bien que ce montant fasse l'objet d'une interdiction d'aliénation, de mise en gage, de compensation ou de cession en faveur de la Banque nationale hellénique, principal créancier de la requérante. En deuxième lieu, la Commission fait observer que, à l'heure actuelle, aucune des affaires pendantes devant les juridictions nationales contre la requérante ne l'oblige de façon définitive et irrévocable à régler immédiatement ses dettes ni ne lui impose une vente forcée de ses biens. En troisième lieu, la Commission souligne que la requérante relève du champ d'application de la loi hellénique sur l'assainissement des entreprises en difficulté, ce qui signifie qu'elle ne peut pas être mise en faillite tant que dure la procédure visant à son assainissement. En quatrième lieu, selon la Commission, le projet de bilan de la requérante pour l'exercice 1994 fait apparaître que celle-ci dispose de créances auprès de clients nationaux qui se chiffrent à 3 190 344 953 DR et, par suite, peut disposer du montant de 550 000 000 DR correspondant à l'amende infligée. Enfin, la Commission estime que les seules lettres de deux banques de dimension moyenne versées au dossier ne constituent pas une preuve suffisante de ce que la requérante n'est pas à même de constituer la garantie bancaire exigée en alternative au payement de l'amende.

17 S'agissant de l'apparence de bon droit des moyens avancés à l'appui du recours au principal, la Commission fait valoir que la décision, contrairement à ce que prétend la requérante, se réfère à cette dernière non seulement dans son dispositif, mais aussi dans la partie en fait et dans l'appréciation juridique. En tout état de cause, selon la Commission, à partir du moment où la décision a constaté que la requérante est un des membres fondateurs de l'EPC, la référence à l'EPC ainsi qu'à la pratique concertée vérifiée dans le cadre de celui-ci comprend automatiquement la requérante. La Commission estime que, dans ces conditions, les arguments de la requérante ne semblent pas, à première vue, être fondés et que, par suite, toute appréciation que le juge des référés pourrait émettre à leur égard impliquerait un examen au fond susceptible de préjuger sérieusement la décision au principal. La Commission soutient enfin qu'un examen du montant de l'amende infligée au regard du principe de proportionnalité excéderait le cadre de la présente procédure de référé.

Appréciation du juge des référés

18 Avant de statuer sur la présente demande en référé, il convient de constater que, dans le cadre de celle-ci, la requérante conclut à ce qu'il soit sursis à l'exécution de la décision en ce qu'elle lui inflige, en son article 9, une amende de 1 856 000 écus. Or, il est constant que, dans sa lettre de notification de la décision, la Commission a précisé à la requérante que, au cas où elle introduirait un recours devant le Tribunal, il ne serait procédé à aucune mesure de recouvrement de l'amende tant que l'affaire serait pendante devant cette juridiction, à la condition qu'elle constitue une garantie bancaire, acceptable par la Commission, couvrant la dette principale ainsi que les intérêts et majorations qui seraient dus. Par ailleurs, au cours de l'audition, la Commission a précisé que, malgré le fait que, à la date de l'expiration du délai de payement de l'amende, la requérante n'avait pas fourni de garantie bancaire, il ne serait procédé à aucune mesure de recouvrement tant que le président du Tribunal n'aurait pas statué sur la demande en référé. Dans ces conditions, force est de constater que la demande de la requérante ne peut avoir d'autre objet utile qu'une suspension de la condition à laquelle a été subordonné le non-recouvrement immédiat de cette amende, à savoir la fourniture d'une garantie bancaire en cas d'introduction d'un recours devant le Tribunal.

19 Selon une jurisprudence constante, une telle demande ne peut être accueillie qu'en présence de circonstances exceptionnelles. Cette condition doit être comprise comme étant étroitement liée aux conditions prévues par l'article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure, précité. Il s'ensuit que le juge des référés doit apprécier l'urgence des mesures provisoires demandées en examinant si l'exécution de l'acte litigieux, avant que n'intervienne une décision sur le fond, est de nature à entraîner, pour la partie qui a sollicité ces mesures, des dommages graves et irréversibles, qui ne pourraient pas être réparés, même si la décision attaquée venait à être annulée par le Tribunal. En tout état de cause, c'est à la partie requérante qu'il appartient d'apporter la preuve qu'elle ne saurait attendre l'issue de la procédure au principal sans avoir à subir de tels dommages. Une décision de sursis suppose, en outre, que la balance des intérêts en cause penche en faveur de l'octroi de cette mesure (voir en dernier lieu l'ordonnance du président du Tribunal du 17 février 1995, Cascades-Commission, T-308-94 R, Rec. p. II-265).

20 S'agissant des circonstances établissant l'urgence, la requérante fait valoir en substance que, compte tenu de sa situation financière très difficile, le recouvrement de l'amende par la Commission ou, alternativement, l'obtention d'une lettre de garantie avec les frais y afférents - à la supposer possible malgré le refus des banques jusqu'alors consultées -, ne pourraient qu'entraîner sa faillite ainsi que le chômage de ses salariés.

21 Or, il convient de relever à cet égard que la requérante n'a pas été à même de réfuter l'affirmation de la Commission selon laquelle elle est soumise à l'article 44 de la loi hellénique sur l'assainissement des entreprises en difficulté, ce qui signifie qu'elle ne peut pas être mise en faillite tant que dure la procédure visant à son assainissement. Dans ces conditions, force est de constater qu'il n'a pas été démontré, même à première vue, que l'exécution immédiate de la décision pourrait entraîner un risque de mise en liquidation judiciaire dans le chef de la requérante.

22 En tout état de cause et à supposer même que la requérante ne soit pas soumise au régime juridique susmentionné et que, par suite, un risque sérieux de mise en liquidation judiciaire soit réel, compte tenu, entre autres, du montant de ses dettes, la prise de mesures de recouvrement de l'amende par la Commission n'apparaît pas, à elle seule, de nature à déclencher un tel résultat. A cet égard, il convient tout d'abord de constater que, ainsi qu'il ressort du dossier, sans que cela n'ait été contesté par la requérante, une telle amende ne représente que 0,025 % du montant total de ses dettes. Par ailleurs, il résulte de l'article 192, deuxième alinéa, du traité CE que l'exécution forcée de la décision est régie par les règles de procédure civile en vigueur dans l'Etat membre en question, en l'occurrence la République hellénique. Le recouvrement de l'amende par la Commission passe donc par la mise en œuvre d'une telle procédure au cours de laquelle il est vraisemblable que la situation de la Commission par rapport aux autres créanciers, privilégiés ou non, et le rang de sa créance dans le contexte d'une situation d'endettement extrêmement important de la requérante, doivent encore être examinés. Il s'ensuit que, à première vue, les mesures de recouvrement de l'amende auxquelles la Commission pourra procéder ne risquent pas de se répercuter immédiatement sur la situation financière de la requérante, au moins jusqu'à ce que la situation juridique en présence soit définitivement éclaircie. Dans ce contexte, il y a lieu de tenir compte également de ce qu'un arbitrage international est en cours, portant sur le litige opposant la requérante à l'entreprise Calcestruzzi, dont la décision devrait, selon les explications fournies par la requérante, intervenir pendant le mois de juillet 1995.

23 Il convient de constater, par ailleurs, que, dans ces conditions, la balance des intérêts en présence ne penche pas en faveur de l'octroi de la mesure provisoire demandée. En effet, compte tenu des circonstances particulières du cas d'espèce, le sursis à l'exécution de la décision, dans la mesure où elle impose à la requérante le payement d'une amende, serait, malgré son caractère provisoire, hors de proportion avec l'intérêt de la Commission à pouvoir recouvrer effectivement l'amende au cas où le recours au principal serait rejeté et, par suite, à sauvegarder les intérêts financiers de la Communauté.

24 Il résulte de ce qui précède que la requérante n'a pas démontré que l'exécution de la décision pourrait lui causer un préjudice auquel il ne pourrait plus être remédié par l'exécution d'un arrêt du Tribunal qui lui serait favorable. Elle n'a pas démontré davantage que les préjudices éventuellement subis par elle seraient manifestement hors de proportion avec l'intérêt de la défenderesse à ce que la décision soit exécutée.

25 Dans ces conditions, il convient de rejeter la demande de sursis à l'exécution de la décision, sans qu'il soit nécessaire d'examiner si les moyens et arguments invoqués par la requérante à l'appui du recours au principal revêtent une apparence de bon droit.

26 En tout état de cause, il y a lieu d'observer que, en vertu de l'article 108 du règlement de procédure, une ordonnance de référé peut à tout moment, à la demande d'une partie, être modifiée ou rapportée par suite d'un changement de circonstances. Il appartiendra, le cas échéant, à la requérante de s'adresser au Tribunal au cas où elle se trouverait, du fait de l'évolution de sa situation financière à la suite, notamment, de la décision de la cour arbitrale, exposée au risque de subir un préjudice imminent qui ne saurait attendre l'issue de la procédure au principal (voir en dernier lieu l'ordonnance du président du Tribunal du 12 mai 1995, SNCF et British Railways-Commission, T-79-95 R et T-80-95 R, Rec. p. II-0000, point 43).

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL,

Ordonne :

1) La demande en référé est rejetée.

2) Les dépens sont réservés.