Livv
Décisions

TPICE, président, 25 août 1994, n° T-156/94 R

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

Siderúrgica Aristrain Madrid SL

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cruz Vilaça

Avocats :

Mes Creus, Ruiz, García-Gallardo.

TPICE n° T-156/94 R

25 août 1994

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Faits à l'origine du litige

1 Les faits essentiels qui sont à l'origine du litige, tels qu'ils résultent des mémoires déposés et des explications orales données par les parties au cours de l'audition, peuvent être résumés comme suit.

2 Le 16 février 1994, la Commission a adopté, sur la base de l'article 65 du traité CECA, une décision constatant la participation de certains producteurs européens de poutrelles à des accords et à des pratiques concertées interdits par cette disposition du traité (décision 94-215-CECA de la Commission, du 16 février 1994, relative à une procédure d'application de l'article 65 du traité CECA concernant les accords et pratiques concertées impliquant des producteurs européens de poutrelles, JO L 116, p. 1, ci-après "Décision").

3 Bien que la Commission, dans la motivation de la Décision, ait estimé que deux sociétés appartenant au groupe espagnol Aristrain avaient participé aux infractions en cause, seule la société Siderúrgica Aristrain Madrid, SL (ci-après "SAM, SL" ou "requérante") a été destinataire de la Décision et s'est vu infliger une amende de 10,6 millions d'écus.

4 Conformément à l'article 5 de la Décision, l'amende en question était payable dans les trois mois suivant sa notification à la destinataire, ce délai devant expirer le 7 juin 1994. S'agissant d'une amende supérieure à 20 000 écus, elle pouvait aussi être payée sous forme de cinq tranches annuelles d'un montant égal, la première devant être versée dans le même délai de trois mois, à condition qu'une garantie bancaire soit constituée, couvrant le montant principal et les intérêts y afférents. Au plus tard à la date d'expiration du délai de trois mois, l'entreprise en cause devait informer la Commission du mode de paiement choisi.

5 Par lettre du 28 février 1994 et se tenant à une ligne de conduite adoptée en 1981, la Commission a informé SAM, SL qu'aucune mesure de recouvrement de l'amende ne serait prise au cas où un recours contre la Décision serait introduit devant le Tribunal, à condition que l'entreprise constitue en faveur de la Commission une caution bancaire, laquelle devrait couvrir le montant total de l'amende et des intérêts exigibles pour la période pendant laquelle la procédure serait pendante.

6 A la suite de contacts qui ont eu lieu entre des représentants de la Commission et du groupe Aristrain en mai et en juin 1994, le membre de la Commission en charge de la politique de la concurrence, M. Karel Van Miert, a fait savoir à SAM, SL, par lettre du 22 juin 1994, qu'il proposerait à la Commission de modifier la Décision afin que Siderúrgica Aristrain Olaberría, SL (ci-après SAO, SL), société soeur de SAM, SL, en soit aussi destinataire. Selon les termes de cette lettre, la modification en question consisterait à faire supporter par chacune de ces deux sociétés du groupe Aristrain, proportionnellement à leurs chiffres d'affaires respectifs, une amende dont le montant total serait équivalent à celui de l'amende infligée à la seule SAM, SL. Cette modification aurait été envisagée après que le conseiller juridique de SAM, SL eut attiré l'attention des services de la Commission sur le fait que, selon le droit espagnol des sociétés, une société ne répond pas sur son patrimoine des obligations d'une autre société appartenant au même groupe.

Procédure

7 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 16 avril 1994, SAM, SL a introduit, en vertu des articles 33 et 36 du traité CECA, un recours visant à l'annulation de la Décision, pour autant qu'elle constate la participation de SAM, SL à certains accords et pratiques concertées impliquant des producteurs européens de poutrelles et lui inflige une amende d'un montant de 10,6 millions d'écus.

8 Par télécopie du 7 juin 1994, SAM, SL a introduit, en vertu de l'article 39 du traité CECA, une demande de sursis à l'exécution des articles 3, 4 et 5 de la Décision, en ce qu'elle lui impose une amende de 10,6 millions d'écus. La requérante a également demandé au président du Tribunal de la délier de l'obligation de constituer une caution bancaire garantissant le paiement éventuel de l'amende ou, subsidiairement, de déterminer le montant de ladite garantie, ainsi que, à titre conservatoire, d'ordonner à la Commission de ne pas procéder à l'exécution de l'amende avant qu'une décision sur la demande de mesures provisoires soit prise.

9 La Commission a présenté ses observations sur la présente demande en référé le 22 juin 1994. Les parties ont été entendues en leurs explications orales le 5 juillet 1994.

10 Lors de l'audition, la requérante a demandé à être admise à déposer un certain nombre de documents relatifs à sa situation financière qui, selon elle, renforceraient les éléments de preuve déjà apportés au dossier. La défenderesse a déclaré, à ce propos, que, n'ayant pas eu une connaissance préalable de ces documents, elle souhaiterait avoir l'occasion de les examiner et de faire parvenir au Tribunal ses observations. Dans ces circonstances, le juge des référés, ayant estimé qu'il serait utile de disposer d'informations complémentaires pour statuer sur le litige, a invité SAM, SL à déposer au greffe du Tribunal, pour le 8 juillet 1994, les documents qu'elle jugerait pertinents en vue de démontrer le caractère grave et irréparable du préjudice allégué dans sa demande de mesures provisoires. Ces nouveaux éléments devraient être communiqués à la Commission pour la même date, lui permettant ainsi de faire part au Tribunal de ses observations sur les documents en question avant le 12 juillet 1994.

11 Par télécopie du 8 juillet 1994, SAM, SL a versé au dossier plusieurs documents, ainsi qu'une note explicative, concernant sa situation financière et celle d'autres sociétés appartenant au groupe Aristrain. Par télécopie du 12 juillet 1994, la Commission a présenté ses observations sur les documents déposés par la requérante.

En droit

12 En vertu des dispositions combinées de l'article 39, deuxième alinéa, du traité et de l'article 4 de la décision 88-591-CECA, CEE, Euratom du Conseil, du 24 octobre 1988, instituant un Tribunal de première instance des Communautés européennes (JO L 319, p. 1), telle que modifiée par la décision 93-350-Euratom, CECA, CEE du Conseil, du 8 juin 1993 (JO L 144, p. 21), le Tribunal peut, s'il estime que les circonstances l'exigent, ordonner le sursis à l'exécution de l'acte attaqué ou prescrire les mesures provisoires nécessaires.

13 L'article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal prévoit que les demandes relatives à des mesures provisoires visées à l'article 39, deuxième alinéa, du traité doivent spécifier les circonstances établissant l'urgence, ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l'octroi de la mesure à laquelle elles concluent. Les mesures demandées doivent présenter un caractère provisoire en ce sens qu'elles ne doivent pas préjuger de la décision sur le fond (voir l'ordonnance du président du Tribunal du 14 décembre 1993, Gestevisión Telecinco/Commission, T-543-93 R, Rec. p. II-1409, point 16).

Arguments des parties

14 Pour démontrer le bien-fondé prima facie de ses prétentions, la requérante se réfère, tout d'abord, à une prétendue violation par la Commission d'un principe général garantissant le droit à un tribunal indépendant et impartial, dans la mesure où la constatation de l'infraction et l'imposition de la sanction pécuniaire correspondante émanent du même organe administratif qui a assuré l'enquête et l'instruction de la procédure et où le contrôle juridictionnel exercé par le Tribunal n'est pas de nature à purger ce vice de partialité. En effet, selon la requérante, le Tribunal ne connaît pas de toutes les questions de fait ni de ce qui relève du pouvoir discrétionnaire de la Commission. En l'absence d'un contrôle de pleine juridiction de la part du Tribunal, il y aurait, dans le système procédural du droit communautaire de la concurrence, une violation de l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme, ainsi que d'un principe général reconnu par les traditions constitutionnelles des États membres.

15 En outre, SAM, SL invoque plusieurs arguments tirés d'une application erronée de l'article 65 du traité. En premier lieu, la Commission aurait eu recours à des critères régissant l'interprétation de l'article 85 du traité CEE, ce qui aurait entraîné une méconnaissance des principes spécifiques du traité CECA, ainsi qu'une évaluation erronée des faits et de la participation du groupe Aristrain aux échanges d'informations mis en cause dans la Décision. En deuxième lieu, l'amende litigieuse aurait été calculée en tenant compte du chiffre d'affaires global du groupe Aristrain, ce qui serait contraire à l'article 65, paragraphe 5, du traité, en vertu duquel seul le chiffre d'affaires relatif aux produits CECA de SAM, SL aurait dû être pris en considération. En troisième lieu, l'amende imposée représenterait plus de 10 % du chiffre d'affaires annuel de SAM, SL, en violation de la même disposition du traité. Toujours selon la requérante, le montant de l'amende a été calculé sur la base du taux de change peseta/écu de 1990, sans tenir compte des dévaluations de la peseta intervenues en 1992 et en 1993, ce qui aurait pénalisé SAM, SL en majorant le montant de l'amende de 22 %.

16 La requérante fait encore valoir que la Décision viole différents principes généraux de droit. En premier lieu, il y aurait une violation des droits de la défense du fait de l'absence de clarté dans la définition de l'étendue des infractions reprochées à SAM, SL et dans la portée juridique des charges qui lui sont imputées. En deuxième lieu, la Commission aurait violé le principe d'égalité, dans la mesure où elle n'aurait pas pris en considération certaines circonstances particulières propres à la requérante ni les sanctions infligées dans d'autres affaires comparables. En troisième lieu, la Décision ne serait pas suffisamment motivée, eu égard à l'article 15 du traité CECA, et violerait également le principe de proportionnalité. Enfin, la Commission n'aurait pas agi avec la diligence requise en ce qui concerne le déroulement de la procédure et l'adoption de sa décision finale.

17 Lors de l'audition, la requérante a produit copie de la lettre de M. Van Miert, précitée (voir, ci-dessus, point 6), dans laquelle le signataire annonçait qu'il allait proposer une modification de la Décision afin d'en faire destinataires les deux sociétés du groupe Aristrain, responsables en proportion de leurs chiffres d'affaires respectifs. Selon la requérante, la Commission, ayant ainsi reconnu une limitation à son pouvoir de poursuivre le recouvrement de l'amende litigieuse sur le patrimoine de SAM, SL, devrait également prendre en considération cette limitation en ce qui concerne l'exigence d'une caution.

18 S'agissant de l'urgence des mesures provisoires demandées, la requérante allègue, en substance, que, en vertu des circonstances particulières ayant trait à sa situation financière et à sa qualité d'entreprise privée et familiale, ainsi qu'au caractère disproportionné de l'amende infligée par rapport à la taille de l'entreprise, la constitution de la garantie, exigée par la Commission pour éviter un recouvrement immédiat de l'amende en cas d'introduction d'un recours contentieux, représente une charge financière insupportable. Une telle charge empêcherait la requérante de poursuivre son activité d'une façon normale et entraînerait pour elle une forte perte de compétitivité dans un secteur en crise. SAM, SL fait valoir que les banques avec lesquelles elle entretient des relations commerciales ne sont pas disposées à lui accorder des lignes de crédit supplémentaires, dont elle aurait besoin afin de constituer ladite garantie. L'épuisement prévisible des lignes de crédit accordées à SAM, SL, résultant de la constitution et du maintien de la caution, affecterait sérieusement le programme d'investissements en cours, indispensable pour assurer sa viabilité sur un marché "hautement compétitif et sursaturé". Selon la requérante, le préjudice allégué est grave et irréparable, puisque, même dans le cas où ses conclusions dans le recours au fond seraient accueillies par le Tribunal, elle ne serait plus en mesure de retrouver la position concurrentielle entre-temps perdue. La requérante estime qu'elle remplit, de ce chef, les conditions exceptionnelles relevées dans l'ordonnance du président de la Cour du 15 mars 1983, Ferriere di Roè Volciano/Commission (234-82 R, Rec. p. 725), par laquelle le sursis à l'exécution d'une décision infligeant une amende a été accordé, sans que le bénéfice de cette mesure ait été subordonné à la constitution préalable d'une caution.

19 Concernant la mise en balance des intérêts en présence, SAM, SL soutient que le préjudice qu'elle subirait, suite à la constitution et au maintien d'une garantie bancaire onéreuse, est disproportionné par rapport à l'intérêt qu'une telle garantie peut revêtir pour la Commission. La requérante ajoute que l'intérêt public communautaire sera mieux protégé en lui permettant de poursuivre ses activités sur le marché, afin qu'elle soit en mesure de payer l'amende le moment venu, au cas où il en serait ainsi décidé par le Tribunal.

20 La partie défenderesse, dans ses observations et lors de l'audition du 5 juillet 1994, a confirmé son intention de procéder à la modification de la Décision. La Commission n'en tire, pour autant, aucune conséquence en ce qui concerne l'obligation pour le groupe Aristrain de constituer, sur la base de la présente Décision, une caution couvrant le montant total de l'amende et des intérêts exigibles jusqu'à ce que le Tribunal ait statué sur le recours au fond.

21 Ainsi que la partie défenderesse l'a expliqué à l'audition, le seul but de la modification annoncée serait de s'assurer que le patrimoine de SAO, SL répondra aussi de l'amende infligée à SAM, SL, au cas où il serait nécessaire de demander le recouvrement de l'amende devant un tribunal espagnol. De l'avis de l'institution défenderesse, la constitution de la garantie est un acte volontaire, auquel le groupe Aristrain peut avoir recours pour éviter soit le paiement immédiat de l'amende en cause, soit son exécution judiciaire. Toujours selon la Commission, les deux sociétés constituent une seule entité économique, responsable de l'ensemble des infractions qui sont reprochées au groupe Aristrain par la Décision. La Décision aurait été adressée à SAM, SL en tant que société "représentative" du groupe. Selon la Commission, une telle pratique ne suscite, en général, pas de problèmes, puisque normalement la destinataire est la société mère ou la filiale des autres sociétés responsables. Les difficultés qui ont été soulevées dans le cas d'espèce résultent, de l'avis de la Commission, du fait que les deux sociétés responsables sont des sociétés soeurs.

22 Se référant au prétendu caractère excessif de l'amende infligée, la Commission rappelle que le montant de l'amende n'excède pas la limite de 10 % du chiffre d'affaires annuel, fixée à l'article 65, paragraphe 5, du traité, prenant en considération le chiffre d'affaires de la SAM, SL en 1990.

23 En ce qui concerne l'urgence, la partie défenderesse estime que SAM, SL n'a nullement fait la preuve de ce que la constitution de la garantie demandée par la Commission lui causera un préjudice grave et irréparable, "au-delà du sacrifice qui résulte nécessairement de l'imposition d'une amende de 10,6 millions d'écus". Après avoir examiné les documents déposés par la requérante et afférents à la situation financière du groupe Aristrain, la Commission s'est déclarée persuadée que la viabilité de SAM, SL n'est pas menacée par la charge financière découlant de la constitution et du maintien de la caution.

24 La Commission estime, au surplus, que la situation de la requérante ne correspond à aucune des "circonstances exceptionnelles" auxquelles fait référence l'ordonnance Ferriere di Roè Volciano/Commission, précitée. Contrairement à ce que soutient la requérante, la Commission fait observer que SAM, SL n'est pas une petite entreprise, puisque en 1990 son chiffre d'affaires a été de 129 994 939 écus et qu'elle appartient à un groupe qui est le troisième producteur européen de poutrelles. La Commission met également en évidence que SAM, SL n'est pas une entreprise sous-traitante et que le fait qu'elle n'ait pas une production diversifiée est sans pertinence au regard de la jurisprudence récente de la Cour. La partie défenderesse considère, en outre, que SAM, SL n'a pas démontré son incapacité à constituer la garantie en cause, soit par l'obtention de lignes de crédit supplémentaires auprès d'autres banques, soit par l'utilisation des ressources disponibles du groupe Aristrain. La Commission souligne, enfin, que le groupe Aristrain dispose de ressources suffisantes pour payer la totalité de l'amende, bien que cette utilisation des fonds puisse affecter les investissements prévus.

25 Du point de vue de la balance des intérêts en présence, la partie défenderesse fait valoir que l'exigence d'une caution représente le "minimum requis par l'intérêt public communautaire" et assure un équilibre entre l'intérêt public et l'intérêt particulier des entreprises qui contestent des décisions leur infligeant une amende. La Commission considère qu'il serait particulièrement injustifié de soustraire la requérante à l'obligation de constituer une caution, compte tenu de sa forte situation économique et financière.

Appréciation du juge des référés

26 Il convient de constater, à titre liminaire, que, en ce qui concerne la demande de surseoir à l'exécution des articles 4 et 5 de la Décision, pour autant qu'elle impose à la requérante le paiement d'une amende, la Commission a fait savoir que, conformément à sa pratique habituelle, elle ne procéderait à aucune mesure de recouvrement au cas où un recours serait introduit devant le Tribunal, pour autant que cette entreprise constituerait, au plus tard à la date d'expiration du délai prévu pour le paiement de l'amende, une garantie bancaire couvrant le montant principal et les intérêts de la dette. Un tel recours ayant été introduit, il y a lieu de considérer que l'objet de la présente procédure en référé se limite à la demande visant à obtenir, à titre provisoire, le déliement total ou partiel de l'obligation de constituer une caution bancaire pour garantir le paiement de la totalité du montant de l'amende litigieuse, jusqu'à l'issue de la procédure au fond.

27 Quant à la demande de surseoir à l'exécution de l'article 3 de la Décision, en ce qu'elle enjoint à la requérante de mettre immédiatement fin aux infractions visées par la Décision et de s'abstenir de répéter ou de continuer les actes ou comportement en question, il y a lieu d'observer que SAM, SL n'avance aucune considération de fait ou de droit de nature à motiver une telle demande. Celle-ci doit, dès lors, être rejetée.

28 Dans ces conditions, il y a lieu, pour le juge des référés, d'examiner si, comme l'exige l'article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, les conditions pour l'octroi de la mesure provisoire sollicitée, à savoir, le déliement de l'obligation de constituer une garantie couvrant le montant total de l'amende, se trouvent réunies en l'espèce.

29 A cet égard et à la suite des observations formulées par les conseils de la requérante sur le régime de responsabilité des sociétés en droit espagnol, M. Van Miert a indiqué, dans sa lettre du 22 juin 1994 qu'il allait "proponer a la Comisión la modificación de la decisión para dirigirla a ambas sociedades, Siderúrgica Aristrain Madrid SL y Siderúrgica Aristrain Olaberría SL, imponiéndoles una multa a cada una de ellas. Cada una de las multas estará en relación con el volumen de negocios para las vigas de cada una de las dos sociedades en el año 1990 de modo que la suma de las dos multas sea igual a la multa impuesta en la actualidad a Siderúrgica Aristrain Madrid SL" ("proposer à la Commission la modification de la la Décision en vue de l'adresser aux deux sociétés Siderúrgica Aristrain Madrid, SL et Siderúrgica Aristrain Olaberría, SL, en infligeant une amende à chacune d'elles. Chacune des amendes sera proportionnelle au chiffre d'affaires relatif aux poutrelles réalisé par chacune des deux sociétés au cours de l'année 1990, de telle façon que le total des deux amendes sera égal au montant de l'amende infligée actuellement à Siderúrgica Aristrain Madrid, SL").

30 Dans ces circonstances, il n'apparaît plus justifié, à première vue, que la Commission continue à exiger de la requérante, pour éviter le recouvrement de l'amende en question, une caution couvrant la totalité de son montant.

31 Il y a lieu de relever, par ailleurs, que la requérante a invoqué, à l'appui de son recours, un certain nombre d'arguments, tirés soit d'une application erronée de l'article 65 du traité, soit de la violation de certains principes généraux de droit, qui n'apparaissent pas, à première vue, devoir être considérés comme manifestement sans fondement.

32 Au vu de l'ensemble de ces éléments, il convient, par conséquent, d'ordonner un sursis partiel à l'obligation de constituer une caution, dans la mesure où l'amende infligée dépasse l'importance de la position de la requérante au sein du groupe Aristrain, en attendant que la situation juridique relative à l'imputation de l'amende se clarifie.

33 Certes, la requérante n'a pas versé au dossier des éléments de preuve de nature à étayer de façon convaincante son allégation d'un préjudice grave et irréparable. Il convient d'observer, à cet égard, que SAM, SL appartient à un groupe sidérurgique qui est le premier producteur espagnol et le troisième producteur européen de poutrelles, que ce groupe a mis en place dans les dernières années une forte politique d'investissement qui a beaucoup renforcé sa compétitivité et que l'excès de liquidités du groupe prévu pour l'année 1994 paraît supérieur au coût estimé de la garantie bancaire en cause. On ne saurait cependant pas exclure que la charge financière en question soit susceptible de causer à la requérante un dommage considérable, en particulier au cas où les frais de constitution et de maintien de la caution ne feraient pas l'objet d'un remboursement par la Commission.

34 Bien que le dossier ne contienne pas d'éléments suffisants pour calculer le montant des amendes qui pourront être infligées à chacune des deux sociétés du groupe Aristrain sur la base de leurs chiffres d'affaires en 1990, il paraît approprié d'ordonner que, eu égard aux chiffres d'affaires indiqués pour les années 1992 et 1993, la requérante ne devra pas constituer une garantie bancaire supérieure à 50 % du montant de l'amende litigieuse, jusqu'à ce que la Commission procède à la modification qu'elle a annoncée de la Décision ou, en tout état de cause et au plus tard, jusqu'au prononcé de l'arrêt du Tribunal mettant fin à l'instance dans la procédure au principal.

35 Dans ces conditions, il n'est pas nécessaire de statuer sur la demande visant à ce qu'il soit enjoint à la Commission de ne pas adopter de mesures de recouvrement de l'amende litigieuse avant que le juge des référés ne se soit prononcé dans la présente procédure.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL,

ordonne:

1) Il est sursis à l'obligation, pour la requérante, de constituer, en faveur de la Commission, une caution bancaire, pour autant que le montant de la somme à garantir excède 50 % du montant de l'amende infligée à la requérante par la Décision et des intérêts y afférents, jusqu'à ce que la Commission procède à la modification de la Décision quant à l'imputation de ladite amende ou, en tout état de cause et au plus tard, jusqu'au prononcé de l'arrêt du Tribunal mettant fin à l'instance dans la procédure au principal.

2) Les dépens sont réservés.