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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 20 septembre 2002, n° 1999-15582

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Moulages Plastiques du Midi (SA)

Défendeur :

Aprodis Concept (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Boval

Conseillers :

Mmes Schoendoerffer, Regniez

Avoués :

SCP Varin-Petit, Me Teytaud

Avocats :

Mes Tilloy, Desclozeaux.

T. com. Paris, 15e ch., du 21 mai 1999

21 mai 1999

LA COUR statue sur l'appel interjeté par la société Moulages plastiques du Midi (MPM) d'un jugement rendu le 21 mai 1999 par le Tribunal de commerce de Paris dans un litige l'opposant à la société Aprodis Concept.

MPM a pour activité la fabrication et la commercialisation d'accessoires pour appareils d'éclairage. Elle indique avoir mis au point en 1990, au prix d'importants investissements des boîtes de connexion, composées d'un ensemble boîtier-couvercle et d'un manchon souple, vendues sous les dénominations " Isodom BBM " et "Isodom BRC".

Elle reproche à la société Aprodis d'avoir commercialisé des produits identiques à ses boites de connexion. Après avoir fait procéder à un constat d'achat au magasin Le Printemps à Paris le 5 mars 1998 d'une suspension comportant un boîtier de connexion provenant d'Aprodis marqué CMJD 2 x 1,5, le 5 novembre 1997, MPM lui reprochant de commercialiser des boîtiers constituant la copie servile de ses produits, l'a fait citer, par acte du 18 mai 1998, devant le Tribunal de commerce de Paris, afin d'obtenir, sur le fondement de la concurrence déloyale, outre des mesures d'interdiction sous astreinte et de publication, sa condamnation au paiement d'une provision de 200 000 F à compléter après expertise ainsi que de la somme de 30 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Aprodis avait conclu au débouté, faisant valoir que MPM ne démontrait pas la spécificité et l'originalité de son produit, ni un quelconque préjudice et réclamant les sommes de 50 000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et de 30 000 F pour ses frais hors dépens.

Par son jugement du 21 mai 1999, le tribunal a rejeté les demandes de MPM, retenant essentiellement que les différences de couleur, marque et de moulures écartaient tout risque de confusion. Il l'a condamnée à payer à Aprodes la somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Appelante de ce jugement, par ses dernières écritures du 30 mai 2002, MPM demande à la cour de :

- infirmer le jugement en toutes ses dispositions,

- constater que la société MPM fabrique et commercialise depuis 1990 un modèle de boîte de connexion composé d'un ensemble de boîtier-couvercle et d'un manchon souple, ladite boîte ayant fait l'objet de quelques modifications en 1993,

- constater que la société Aprodis Concept commercialise notamment deux modèles de boîte de connexion (modèle 3 x 1,5 et modèle 2 x 1,5) qui sont la copie servile des modèles MPM et dire et juger en conséquence que la société Aprodis Concept s'est livrée au préjudice de la société MPM à des actes de concurrence déloyale et parasitaire,

- interdire, et ce sous astreinte définitive et non comminatoire de 16 euros par infraction constatée, à la société Aprodis Concept de commercialiser des modèles de boîte de connexion reproduisant les modèles MPM,

- condamner la société Aprodis Concept à payer à la société MPM la somme provisionnelle de 30 500 euros de dommages et intérêts et nommer tel expert qu'il plaira à la cour de désigner avec pour mission d'évaluer le surplus des dommages et intérêts dus,

- ordonner, et ce à titre de supplément de dommages et intérêts, la publication de l'arrêt à intervenir dans cinq journaux au choix de la société MPM et aux frais de la société Aprodis Concept, et sans que le coût de chacune de ces publications ne soit inférieur à 4 580 euros HT,

- condamner la société Aprodis Concept au paiement de la somme de 4 600 euros en application de l'article 700 du NCPC.

Aprodis a conclu en dernier lieu le 16 mai 2002. Elle prie la cour de constater que MPM ne démontre pas l'originalité et la spécificité de son produit ni son préjudice, de confirmer le jugement, et, y ajoutant, de condamner MPM à lui payer les sommes de 7 500 euros à titre de dommages-intérêts et de 4 500 euros pour ses frais irrépétibles.

Sont ici expressément visées les conclusions ci-dessus mentionnées.

Sur ce, LA COUR :

Considérant qu'Aprodis, qui ne conteste pas avoir commercialisé les boîtiers de connexion marqués CMJD 3 x 1,5 et 2 x 1,5 incriminés par MPM, fait valoir que :

- si ces produits présentent des similitudes avec les boîtiers MPM, ces similitudes sont nécessaires, répondant à des nécessités techniques et aux contraintes résultant de la norme EN 60598,

- ils se distinguent des boîtiers invoqués par leur couleur (blanche au lieu de noire) la rigidité différente des manchons, l'emploi de matériaux dissemblables (les siens ayant "une odeur assez désagréable qui les rend tout à fait reconnaissables"), la longueur moindre des angles intérieurs (16 au lieu de 17,8), le type des vis utilisées (de dimension supérieure), l'intérieur (creux à l'emplacement du domino chez MPM, elliptique pour CJMD);

Mais considérant que MPM ayant fondé son action uniquement sur la concurrence déloyale, et n'invoquant pas de droit d'auteur, l'argumentation d'Aprodis tirée d'un défaut d'originalité des produits invoqués est dépourvue de pertinence ; que par ailleurs la norme EN 60598, qui a pour objet d'assurer une isolation complète des conducteurs d'alimentation, prévoit seulement une dimension minimum du boîtier de raccordement et ne prescrit nullement les formes et dimensions adoptées pour les boîtiers "Isodom BBM" 2 x 1,5 et 3 x 1,5 (qui sont en réalité seuls communiqués, aucun échantillon du boîtier Isodom BRC, qui n'apparaît pas avoir été imité, n'étant versé aux débats) ; que les pièces présentées par MPM démontrent que des produits d'apparence tout à fait différente (catalogue câbles-cordons Girard Sudron 1996, catalogue Steab 1997) sont disponibles sur le marché pour répondre aux mêmes besoins techniques en obéissant à la même norme; que les formes et dimensions des boîtiers invoqués n'ont donc pas un caractère nécessaire ;

Considérant que l'examen comparatif des produits invoqués et incriminés qui comportent pareillement des plots métalliques équipés de vis de serrage, encastrés, pour assurer leur isolation, dans des boîtiers dotés de deux pattes de fixation, refermés par des couvercles, ayant la forme de parallélépipèdes rectangles aux extrémités arrondies et qui permettent le raccordement d'un câble électrique rond d'un côté, à deux ou trois fils conducteurs de l'autre, avec un manchon souple, montre que, sous réserve de leur couleur (noire au lieu de blanche) et de différences de détail difficilement perceptibles (vis légèrement différentes), les produits incriminés, faits dans le même matériau plastique que les produits invoqués (la différence d'odeur alléguée, à la supposer pertinente, n'étant pas apparue à la cour !) reprennent exactement les mêmes formes et dimensions extérieures, les mêmes pattes de fixation, les mêmes systèmes de fermeture constitués de deux petits ergots ronds sur chaque côté des boîtiers s'emboîtant dans des trous de même dimension sur les couvercles ; que la différence de couleur et la présence sur le soubassement des boîtiers de marquages en léger relief peu visibles différents (MPM et CJMD) n'empêchent pas que les produits d'Aprodis soient les copies quasi-serviles des boîtiers Isodom BBM 2 x 1,5 et 3 x1,5 de MPM et suscitent un risque manifeste de confusion avec ceux-ci ; que par réformation du jugement, il convient de retenir qu'en imitant ainsi sans que cela soit justifié par une nécessité technique les produits de son adversaire, Aprodis a commis à son détriment des actes fautifs de concurrence déloyale ;

Considérant, étant rappelé que l'imitation du produit Isodom BRC n'est pas établie, qu'il n'est pas contesté :

- qu'Aprodis n'a été qu'un simple distributeur des boîtiers litigieux, fabriqués en Chine et qu'elle a achetés en France auprès de la société JRL,

- que la commercialisation des boîtiers MPM Isodom BBM invoqués a été interrompue depuis 1998 ;

Considérant qu'il s'ensuit que, sans qu'il soit besoin d'ordonner l'expertise sollicitée, la cour dispose d'éléments suffisants pour fixer à 20 000 euros le montant des dommages intérêts qui répareront le préjudice (ventes manquées, dépréciation de son produit) subi par MPM; que celle-ci ayant cessé la commercialisation des produits invoqués, les mesures de publication sollicitées ne sont pas nécessaires ; que seront en revanche prescrites des mesures d'interdiction sous astreinte ;

Considérant que l'équité commande d'allouer à MPM une indemnité de 4 000 euros pour ses frais irrépétibles ;

Par ces motifs : LA COUR Infirme le jugement entrepris ; Statuant à nouveau ; Dit qu'en distribuant des boîtes de connexion (modèles 3 x 1 ,5 et 2 x 1 ,5) qui sont la copie quasi-servile des produits que commercialisait la société Moulages plastiques du Midi, la société Aprodis Concept a commis au préjudice de celle-ci des actes de concurrence déloyale ; Fait interdiction à la société Aprodis Concept de poursuivre ces actes sous astreinte de 16 euros par infraction constatée passé la signification du présent arrêt ; Condamne la société Aprodis Concept à payer à la société Moulages plastiques du Midi la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts et celle de 4 000 euros par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Rejette toute autre demande ; Condamne la société Aprodis Concept aux dépens de première instance et d'appel ; Admet Me Teytaud au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.