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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 15 novembre 2002, n° 2000-14607

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Sybex (SARL), Chavinier (ès qual.)

Défendeur :

GT Interactive Software (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pézard

Conseillers :

Mmes Schoendoerffer, Régniez

Avoués :

SCP Autier, SCP Lagourgue

Avocats :

Mes Chollet, Susini

T. com. Paris, 20e ch., du 4 févr. 2000

4 février 2000

LA COUR est saisie d'un appel formé par la société Sybex, aujourd'hui représentée par son liquidateur judiciaire, Maître Jacques Chavinier, contre un jugement rendu contradictoirement le 4 février 2000 par le Tribunal de commerce de Paris qui a notamment :

- dit que la SARL GT Interactive Software s'est rendue coupable d'imitation illicite du logiciel "Ma vidéothèque" de la SARL Sybex,

- fait interdiction à la SARL GT Interactive Software de poursuivre la commercialisation de son logiciel "vidéothèque", sous astreinte de 200 F par produit vendu à compter du 10e jour qui suivra la signification du présent jugement,

- s'est réservé la liquidation de l'astreinte,

- a condamné la SARL GT Interactive Software à payer à la SARL Sybex la somme de 50 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 20 000 F au titre de l'article 700 du NCPC et aux dépens,

- a débouté la SARL Sybex de ses demandes relatives aux logiciels "puzzle" et "cartes de visite",

- a débouté les parties de l'ensemble de leurs autres demandes.

La société Sybex fabrique et commercialise des logiciels de micro-informatique et notamment des logiciels destinés respectivement à (a) la réalisation de puzzles, (b) la réalisation de cartes de visite et (c) la gestion de vidéothèque,

Estimant en mars 1999 que ces logiciels étaient contrefaits par la société GT Interactive (qui aurait de surcroît débauché l'un de ses responsables de création de logiciels), la société Sybex a fait pratiquer une saisie-contrefaçon puis a introduit plusieurs instances en demande, les 16 juin et 9 août 1999, et en défense le 10 septembre 1999, ces demandes ayant été jointes dans la présente procédure.

Dans ses dernières conclusions, signifiées le 10 octobre 2000, la société Sybex, prise en la personne de Maître Jacques Chavinier, ès qualités de liquidateur judiciaire, appelante, demande à la cour de :

- constater que les logiciels édités par la SARL GT Interactive Software France "Créez vos puzzles", "2 200 Cartes de visite" et "Vidéothèque" sont des reproductions quasi-serviles des logiciels "Puzzles", "Cartes de visite" et "Ma vidéothèque" édités exclusivement par Sybex et que ces reproductions sont de nature à faire obstacle à la diffusion normale des logiciels de Sybex,

- constater que la société Sybex n'a jamais autorisé les auteurs de ces logiciels à consentir à un tiers les droits qu'elle avait en exclusivité,

- constater également que la SARL GT Interactive Software France savait pertinemment que les auteurs lui ayant consenti le droit d'éditer et de distribuer ces logiciels avaient consenti les mêmes droits à un autre éditeur pour la version précédente,

- infirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Sybex de sa demande aux fins de faire constater la contrefaçon par la SARL GT Interactive Software des logiciels "Puzzles" et "Cartes de visite" qu'elle édite,

- dire et juger que la SARL GT Interactive Software France s'est rendue coupable de contrefaçon de ces deux logiciels au sens des articles L. 132-8 et 335-2 du Code de la propriété intellectuelle,

- confirmer le jugement du tribunal de commerce en ce qu'il a reconnu coupable de contrefaçon la SARL GT Interactive Software du fait de l'édition du logiciel "Ma vidéothèque", contrefaisant le logiciel "Vidéothèque" édité par la société Sybex,

- constater les agissements déloyaux de la SARL GT Interactive Software à l'égard de la société Sybex,

- constater que du fait de ces agissements, la société Sybex a subi un manque à gagner ayant entraîné sa mise en redressement judiciaire puis en liquidation judiciaire,

- dire et juger en application de l'article 1382 du Code civil que la SARL GT Interactive Software a engagé sa responsabilité quasi-délictuelle pour concurrence déloyale,

- la condamner en conséquence à payer à Sybex la somme de 10 000 000 F en réparation des préjudices subis,

- la condamner à payer à la société Sybex la somme de 100 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

Dans ses dernières conclusions signifiées le 1er février 2001, la SARL GT Interactive Software, intimée, demande à la cour :

- d'infirmer ledit jugement en ce qu'il a estimé que le logiciel "Vidéothèque" de la SARL GT Interactive Software constituait l'imitation illicite du logiciel "Ma vidéothèque" de la société Sybex et, dès lors, condamné la SARL GT Interactive Software au paiement d'une somme de 50 000 F à titre de dommages-intérêts et au paiement de la somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du NCPC,

- de confirmer le jugement attaqué pour le surplus,

- de débouter la société Sybex de toutes ses demandes,

- de condamner Maître Chavinier, liquidateur de la société Sybex à payer à la SARL GT Interactive Software la somme de 200 000 F au titre de l'article 700 du NCPC et aux dépens.

Sur ce, LA COUR,

Sur la contrefaçon

Considérant qu'à l'appui de ses prétentions, la société Sybex expose qu'étant une filiale du groupe américain Sybex Inc, elle a adapté jusqu'en 1995 en langue française les CD-Rom produits par sa maison mère ; qu'à cette période, elle crée un département d'édition de ses propres logiciels à vocation éducatrice, créative et pratique, et loisirs qu'elle confie par promotion interne à Monsieur Longeard ; que ce dernier démissionne en septembre 1998 et l'informe eu égard à la clause de non-concurrence contractuelle qui les lie jusqu'au 14 avril 1999 qu'il va rejoindre l'équipe de la société GT Interactive Software ; que ce nouveau poste de Monsieur Longeard ne l'inquiète pas, la société GT Interactive Software étant totalement absente du secteur d'édition de logiciels dans lequel elle évolue ; que parallèlement, son employé, Monsieur Chambilly cumulant les fonctions salariées de développeur auprès de Monsieur Longeard et celle d'auteur à succès, démissionne de son emploi, après avoir conclu avec la société qui l'emploie plus de 24 contrats d'édition et pour ce qui concerne son épouse plus de 53 contrats d'édition ;

Qu'elle prétend que selon les contrats qui la liaient à ses auteurs, ces derniers n'avaient pas le droit d'utiliser tout ou partie des fichiers textes dans un autre programme télématique ou informatique de sa composition et étaient tenus par le droit de préférence à son égard sur leurs œuvres futures ;

Que, selon elle, s'agissant des logiciels "Créez vos puzzles" et "2 200 cartes de visite", ils sont contrefaisants de ses propres logiciels ayant pour auteur Monsieur Chambilly du fait même de leurs ressemblances constatées par le rapport de Monsieur Bitan, expert sollicité par la société GT Interactive Software elle-même ; qu'il en est également ainsi pour le logiciel "Ma vidéothèque" dont l'auteur est Monsieur Triau ; qu'au surplus, il est expressément stipulé dans les deux contrats d'édition conclus entre GT Interactive Software et Monsieur Chambilly le 24 novembre 1998 que Monsieur Chambilly est déjà lié par des contrats d'édition avec la société Sybex ;

Considérant que, pour s'opposer aux griefs de la société appelante, la société GT Interactive Software allègue, d'une part, que la société Sybex n'est pas titulaire de droits sur les codes sources des trois logiciels litigieux, d'autre part, que n'est pas établie l'existence de ressemblances entre les codes objets des logiciels en cause ;

Qu'en ce qui concerne la titularité des codes sources, elle souligne que les logiciels "cartes de visite" (version 3.5) et "Puzzles" (version V2) prétendument contrefaits, ne sont pas ceux visés par les contrats d'édition et de distribution conclus avec Monsieur Chambilly les 28 octobre 1995 et 24 janvier 1996 ;

Que les droits de reproduction et de distribution du logiciel "Cartes de visite" (version 3.5) ont été cédés à la société Sybex par Madame Saurel par contrat en date du 14 mai 1997 ;

Que les droits de reproduction et de distribution du logiciel "Puzzles" (version V2) ont été cédés à la société Sybex par Madame Saurel par contrat en date du 25 août 1998 ;

Que l'examen de ces contrats des 14 mai 1997 et 25 août 1998 révèle que la cession de droit au profit de la société Sybex ne portait que sur le "code objet", "les fichiers textes" et le "manuel d'utilisation" ;

Que s'agissant du logiciel "Ma vidéothèque" (version V2) pour lequel le Tribunal de commerce de Paris a retenu la contrefaçon, Monsieur Triau a, par contrat du 22 juin 1998, cédé à la société Sybex le "code objet", les "fichiers texte" et le "manuel d'utilisation" dudit logiciel ;

Que, dans ces conditions, le développement de logiciels à partir de codes sources n'est pas de nature à porter atteinte aux droits de la société Sybex ;

Qu'en ce qui concerne la prétendue contrefaçon des codes objets, la société GT Interactive Software fait valoir qu'aucun des éléments résultant d'une comparaison visuelle des copies cités dans les procès-verbaux des constats de Maître Philippe Wald, huissier instrumentant à la demande de la société Sybex, n'est susceptible de faire l'objet d'une protection par le droit d'auteur (fonctionnalités, menus, icônes, et interfaces graphiques dépourvus d'originalité), et que l'analyse comparative des logiciels par Monsieur Bitan, expert, tant au niveau des codes sources et objet (composition de l'interface utilisateur et fonctions présentes dans les menus et icônes) démontre l'absence de contrefaçon,

Considérant que la cour observe, d'une part, s'agissant de la propriété des droits sur les logiciels prétendument contrefaits, que, lors de la conclusion par la société intimée des contrats d'édition avec Messieurs Chambilly et Triau, auteur pour le premier des logiciels "Créez vos puzzles" "2 200 cartes de visite" et, pour le second, du logiciel "Vidéothèque", ainsi que leur commercialisation par la société GT Interactive Software, la société Sybex était toujours propriétaire des droits d'édition, de reproduction et de commercialisation des logiciels et ce contrairement à ce qu'affirme la société intimée pour les codes sources des trois logiciels et pour l'ensemble des droits des deux premiers logiciels susvisés ; qu'en effet, la portée des contrats de cession susvisés s'étend expressément "à l'ensemble du programme informatique", et que les contrats des 28 octobre 1995 et 24 janvier 1996 produits prévoyaient leur cession exclusive, l'accord avec Madame Saurel, épouse Chambilly, du 14 mai 1997 opposé par la société GT Interactive Software ayant pour unique objet la commercialisation du logiciel "Cartes de visite" ; que, d'autre part, la cour constate à la lecture des trois rapports de Monsieur Bitan que la comparaison des logiciels litigieux révèle des fonctionnalités identiques, quand bien même de nombreuses fonctionnalités nouvelles ont été ajoutées aux logiciels édités par la société intimée ; que, sur les 31 fichiers sources du logiciels "Puzzle", un figure à l'identique dans le logiciel "Créez vos Puzzles" et 21 fichiers portant des noms identiques à hauteur de 75 % environ, ajoutés au 24 fichiers nouveaux, que sur les 48 fichiers-sources du logiciel "Cartes de visite", deux sont présents à l'identique dans le logiciel "2 200 cartes de visite" ; que ce logiciel comporte 41 fichiers nouveaux et 44 fichiers portant des noms identiques modifiés à hauteur de 40 % environ, que le logiciel "Ma vidéothèque" compte 58 fichiers sources dont trois figurent à l'identique dans le logiciel "Vidéothèque", lequel comporte 13 fichiers nouveaux et 53 fichiers portent des noms identiques modifiés à hauteur de 40 % environ ; que dès lors les similitudes reconnues par la société intimée portent sur des caractéristiques nombreuses qui donnent aux programmes informatiques leur physionomie , et, ainsi que l'a retenu le tribunal mais uniquement pour les logiciels "Ma vidéothèque" et "Vidéothèque", en ce qui concerne tous les logiciels incriminés, ces ressemblances manifestes sont constitutives de contrefaçon ;

Que la décision des premiers juges doit être infirmée en ce qui concerne les deux autres logiciels ; qu'en conséquence, la cour condamnera la société GT Interactive Software pour contrefaçon des trois logiciels ;

Sur la concurrence déloyale

Considérant que la société Sybex fait grief à la société GT Interactive Software d'avoir désorganisé son service logiciel par une politique systématique de débauchage de son personnel ;

Considérant que la société GT Interactive Software oppose à la société Sybex une lettre de mission qu'elle avait adressée le 14 octobre 1998 à Monsieur Longeard précisant que ses fonctions exercées au sein de la société de son nouvel employeur étaient différentes des précédentes ;

Considérant que la cour estime que ce seul élément n'est pas suffisant pour faire obstacle à la demande de la société appelante alors que celle-ci, au vu des pièces produites, rapporte la preuve qu'elle a fait part en mars 1999 à la société GT Interactive Software des contraintes résultant de la clause de non-concurrence de Monsieur Longeard; que la société intimée a non seulement détourné Messieurs Chambilly et Triau sur les trois logiciels litigieux, mais qu'elle a également conclu des contrats avec d'autres auteurs sous contrat avec elle, comme Monsieur Billault; qu'ainsi, elle va conquérir un nouveau marché en profitant des investissements importants réalisés par la société Sybex ; que, les procès-verbaux de constat établis le 29 juillet 1999 par l'huissier ayant procédé aux saisies-contrefaçon, relèvent que la société GT Interactive Software a vendu 2980 exemplaires du logiciel "Créez vos puzzles" de fin mars 1999 au 23 juillet 1999, 7598 exemplaires du logiciel "2 200 cartes de visite" de fin mars 1999 au 23 juillet 1999, 4 630 exemplaires du logiciel "Vidéothèque" de fin mars 1999 au 23 juillet 1999; que dès le mois de septembre 1999, elle a rencontré des difficultés financières qui ont abouti à une liquidation judiciaire en juin 2000 ; que la cour condamnera la société GT Interactive Software pour concurrence déloyale à l'égard de la société Sybex;

Que quand bien même dès le début de la commercialisation des logiciels contrefaisants, les ventes de CD-ROM de la société Sybex auraient commencé à décliner, cette société ne démontre pas que les agissements de la société GT Interactive Software soient l'unique cause directe de la liquidation judiciaire de la société appelante ;

Que le préjudice subi par cette société compte tenu de ses difficultés financières qui ont suivi les faits de contrefaçon et les agissements déloyaux de la société concurrente, est évalué à un montant de 15 000 euros ;

Que dès lors, la cour condamnera la société GT Interactive Software à payer à la société Sybex la somme de 75 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice ;

Sur l'application de l'article 700 du NCPC

Considérant que l'intimée qui succombe devra supporter les dépens d'appel, comme deux de première instance, ce qui entraîne le rejet de sa demande fondée sur l'article 700 du NCPC ;

Qu'il est équitable, en application de ce texte, de la condamner à payer à la société Sybex, 5 000 euros en sus de la somme allouée en première instance ;

Par ces motifs, LA COUR, Infirme le jugement sauf en ce qu'il a dit que la SARL GT Interactive Software s'est rendue coupable d'imitation illicite du logiciel "Ma vidéothèque" de la SARL Sybex et a condamné cette société à payer à la société Sybex la somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du NCPC; Statuant à nouveau, Condamne la société GT Interactive Software pour contrefaçon des logiciels "Puzzle" et "Cartes de visite" et concurrence déloyale à l'encontre de la société Sybex prise en la personne de Maître Chavinier, liquidateur judiciaire ; Condamne la société GT Interactive Software à payer à la société Sybex la somme de 75 000 euros à titre de dommages-intérêts ; La condamne à payer à la société Sybex la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel ; Déboute les parties de toutes autres demandes. Condamne la société GT Interactive Software aux dépens de première instance et d'appel et admet la SCP Autier, avoué, au bénéfice de l'article 699 du NCPC.