CA Paris, 1re ch. A, 18 septembre 1996, n° 96-12075
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Belin (Sté), Belin Lu Biscuits France (Sté)
Défendeur :
Biscuits Delacre (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Vigneron
Conseillers :
Mmes Regniez, Deslaugiers Walche
Avoués :
Me Baufume, SCP Teytaud
Avocats :
Mes Cavaillon, Colon, Greffe
Exposé :
Une ordonnance de référé du Président du Tribunal de commerce de Paris du 22 mars 1996 a dit les SA Belin et Belin Lu Biscuits France irrecevables en leur action tendant à voir ordonner sous astreinte, la cessation immédiate de la publicité mensongère, faire défense à la SA Biscuits Delacre de commercialiser ou faire commercialiser les biscuits sous l'indication " Biscuits Maison " et d'utiliser cette indication sur tout support commercial ou publicitaire.
Les SA Belin et Belin Lu Biscuits France ont interjeté appel de cette décision par déclaration du 6 mai 1996.
Procédure et prétentions des parties :
Par ordonnance du délégataire du premier président du 7 mai 1996, les appelantes ont été autorisées à assigner à jour fixe.
Elles font valoir que la 31e chambre correctionnelle du Tribunal de grande instance de Paris par jugement contradictoire du 4 décembre 1995 a dit que la commercialisation par Delacre de biscuits dénommés " Biscuits Maison " fabriqués industriellement avec des additifs alimentaires constituait une publicité mensongère et a condamné Delacre à payer à Belin 1 million de francs à titre de dommages-intérêts ; que malgré cette décision, Delacre poursuit la commercialisation litigieuse.
Elles soutiennent que c'est à tort que le juge des référés commerciaux a refusé de recevoir leur action en se fondant sur les dispositions de l'article 121-3 du Code de la consommation, alors que ce texte ne confère aucune compétence exclusive au juge pénal pour prendre toutes mesures propres à faire cesser les agissements.
Elles estiment qu'elles subissent un trouble manifestement illicite ; qu'elles ont été contraintes de cesser la fabrication de l'une des deux gammes de biscuits (" Booggy Classique ") directement touchée par la concurrence déloyale de Delacre ; que le lancement de nouvelles variétés sous la même indication illicite met en péril la commercialisation de la deuxième gamme (" Booggy Moelleux ").
Elles demandent en conséquence :
- de constater que la continuation par Delacre de la commercialisation de biscuits sous l'indication " Biscuits Maison de Delacre " constitue un trouble manifestement illicite,
- d'ordonner la cessation immédiate de la publicité mensongère et notamment de faite interdiction à Delacre de commercialiser les paquets de biscuits sous l'indication " Biscuits Maison " et lui faire défense d'utiliser cette indication sur tous documents commerciaux, promotionnels, publicitaires, sur les emballages des produits concernés et, d'une manière générale, dans toute publicité et ce sous astreinte de 50 000 F par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt.
La SA Biscuits Delacre rappelle qu'elle utilise depuis 1992 la dénomination " Biscuits Maison Delacre " pour désigner des biscuits ; que M. Oberman, responsable de la publicité Delacre et le Ministère public ont interjeté appel du jugement correctionnel, qui n'est donc pas définitif, que le juge pénal n'a pas pris de mesure d'interdiction, bien que la SA Belin lui en ait fait la demande ; que l'action en référé est, donc, irrecevable ; qu'au surplus il n'y a pas d'urgence, que Blin continue à commercialiser ses cookies ; que l'usage est ancien ; que Belin avait perdu, bien avant, des parts de marché ; que la plainte de Belin a l'administration des fraudes a été classée ; qu'il y a une contestation sérieuse ;
Elle demande la confirmation de l'ordonnance et le paiement de 30 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Sur ce, LA COUR :
Si l'article L. 123-3 du Code de la consommation dispose que la cessation de la publicité peut être ordonnée par le juge d'instruction ou par le tribunal saisi des poursuites, il en résulte la reconnaissance d'un droit concurrent du juge pénal pour mettre fin aux agissements dont il a à connaître et non l'affirmation d'une compétence exclusive de celui-ci qui déposséderait le juge des référés des pouvoirs que lui confère l'article 809 du nouveau Code de procédure civile de prescrire les mesures conservatoires qui s'imposent pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
La demande est, en conséquence, recevable ;
Quant à son bien fondé, la cour considère que si la mention " Biscuits Maison " apposée sur l'emballage d'aspect rustique des biscuits Delacre est de nature à évoquer naturellement une fabrication artisanale, cette mention peut ne pas être comprise en ce sens par un consommateur moyennement avisé compte tenu que les biscuits sont fabriqués par une importante biscuiterie industrielle très connue du public et commercialisés dans le réseau de la grande distribution ;
Il existe donc une contestation sérieuse sur le sens de la mention susvisée ;
Ainsi ce litige échappe à la compétence du juge des référés ;
Eu égard aux circonstances de la cause, il ne paraît pas inéquitable de laisser à la charge de la société Biscuits Delacre ses frais irrépétibles ;
Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement ; Reçoit la demande ; Dit n'y avoir lieu à référé ; Déboute la société Biscuits Delacre de sa demande en paiement de ses frais irrépétibles ; Condamne la société Belin et la société Belin Lu Biscuits France aux dépens de première instance et d'appel ; Et pour ceux d'appel, accorde un droit de recouvrement direct au profit de la SCP Teytaud conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.