CA Rennes, 3e ch. corr., 5 décembre 1996, n° 95-01748
RENNES
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Segondat
Conseillers :
Mme Algier, M. Le Quinquis
Avocat :
Me Chevallier.
Rappel de la procédure :
Le jugement :
Le Tribunal correctionnel de Brest, par jugement contradictoire en date du 3 octobre 1995, pour :
Publicité mensongère ou de nature à induire en erreur, organisation de formation personnelle aux frais de stagiaire sans respect modalité de paiement, inscription à formation ou perception de frais sans remise préalablement document à stagiaire, direction d'un organisme de formation professionnelle sans déclaration,
A relaxé Claude F du chef de publicité mensongère, l'a déclaré coupable des infractions au Code du travail et l'a condamné à 5 000 F d'amende.
Les appels :
Appel a été interjeté par :
M. le Procureur de la République, le 12 octobre 1995,
M. F Claude, le 17 octobre 1995.
La prévention :
Considérant que Claude F est prévenu d'avoir à Brest, courant 1993 et 1994 :
- effectué une publicité comportant des allégations, indication ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur les qualités substantielles des services faisant l'objet de la publicité, les résultats qui pouvaient être attendus de leur utilisation et la portée des engagements pris par l'annonceur, en l'espèce en prétendant que la formation dispensée par X, centre de formation, était rémunérée alors qu'elle ne l'était pas, en présentant l'admission à X comme la seule condition de l'accès à une formation en alternance X/Entreprise, alors qu'inversement l'admission à X était conditionnée par l'obtention d'un stage en entreprise, et en promettant un emploi à l'issue de la formation alors que X ne peut garantir l'accès à l'emploi ;
Infraction prévue et réprimée par les articles L. 121-5, L. 121-6, L. 121-6 alinéa 1, L. 213-1 et L. 121-4 du Code de la consommation ;
- omis d'informer les stagiaires signataires d'un contrat avec X, dispensateur de la formation, qu'ils avaient la possibilité de se rétracter dans le délai de 10 jours à compter de la signature du contrat ;
Infraction prévue et réprimée par les articles L. 920-13 et L. 993-2 du Code du travail ;
- omis de préciser, dans les publicités écrites, en l'espèce dans les annonces de X parues par voie de presse et dans la plaquette de présentation, les tarifs applicables, les modalités de règlement, les conditions financières prévues en cas de cessation anticipée de la formation ou d'abandon en cours de stage ;
Infraction prévue et réprimée par les articles L. 820-6 et L. 993-2 du Code du travail ;
- omis d'établir un règlement intérieur applicable aux stagiaires de l'organisme de formation ;
Infraction prévue et réprimée par les articles 920-5-1, R. 922-1 à R. 922-12 du Code du travail ;
- en tant que personnes physiques entendant diriger un organisme de formation, omis d'adresser aux services compétents de l'Etat et de la région une déclaration préalable ;
Infraction prévue et réprimée par les articles L. 920-4 et L. 993-2 du Code du travail ;
En la forme :
Considérant que les appels sont réguliers et recevables et la forme ;
Au fond :
X a fait paraître dans le journal Ouest France du jeudi 17 mars 1994, dans son supplément " spécial formation " une annonce ainsi libellée :
X
Une formation, un métier, un emploi
BTS Force de vente
En alternance Institut de Formation/Entreprise/Formation rémunérée
Renseignements : Brest : tél. : <n° de téléphone>Quimper : tél. : <n° de téléphone>
Elle avait auparavant fait paraître de semblables annonces dans les journaux " Le Télégramme " des 9, 16 et 30 octobre 1993 puis dans " le Petit Quimpérois " du 15 juin 1994.
Constatant que cette publicité est inexacte, la DGCCRF a, le 21 juillet 1994, dressé un procès-verbal de délit à l'encontre de Mme Annie L, membre du Conseil d'administration de l'association et Claude F, président de X.
Elle y expose que cette association :
- a pour objet " soit directement, soit indirectement ou par l'intermédiaire d'autres organismes, la formation et le perfectionnement du personnel dans le cadre de l'alternance entre la formation et le travail en entreprise et à cet effet l'organisation et le développement de toutes actions de formation ainsi que toute action de formation, d'étude, de recherche, d'action et de communication commerciale ",
- prépare en deux ans aux BTS Force de Vente,
- recrute ses stagiaires par annonces dans la presse offrant " une formation, un métier, un emploi ", et promettant une formation rémunérée,
- reçoit les candidats à un entretien préalable à l'issue duquel leur est remis un dossier d'inscription,
- leur réclame une somme de cent francs pour frais de dossier lors du dépôt de dossier et une somme de cinq cent francs au titre des frais de test, laquelle leur sera restituée si le candidat n'est pas retenu pour subir les tests,
- adresse aux candidats qui passent les tests avec succès un courrier leur annonçant que leur admission deviendra définitive une fois qu'ils auront signé un contrat avec une entreprise,
- prospecte de son côté les entreprises pour se constituer un fichier d'employeurs potentiels auxquels elle adresse les candidats à la formation BTS Force de Vente,
- demande 90 000 F pour une formation de 1 500 heures réparties sur deux années, ce montant correspondant à ce que l'entreprise qui assure le tutorat peut imputer sur son budget au titre de cette formation.
Elle indique que la démarche adoptée par X est inversée par rapport à celle initialement prévue par les pouvoirs publics. En effet, la condition essentielle d'accès à ce type de formation par alternance ouverte aux jeunes de 16 à 26 ans, est l'existence d'un contrat de travail avec une entreprise qui assure le tutorat.
Or, pour X, la recherche de l'emploi n'intervient qu'après l'acceptation du dossier par l'organisme ;
Elle ajoute que la publicité diffusée par M. F est inexacte puisque :
- X ne procure pas d'emploi mais seulement une formation
- X ne rémunère pas ses stagiaires
- pour qu'il y ait rémunération, il faut non seulement un contrat de travail mais encore une habilitation par la direction du travail, de l'emploi et de la formation,
- pour une majorité de personnes répondant à cette annonce, il n'y aura ni emploi, ni rémunération, ni même formation mais seulement un débours de cent francs, voire de six cents francs ;
Selon la DGCCRF, le préjudice financier causé aux candidats peut être chiffré à 22 500 F pour le seul exercice 1992-1993 dès lors que X a perçu les sommes suivantes auprès de personnes qui n'ont en définitive obtenu ni inscription à la formation BTS Force de Vente, ni a fortiori un emploi, ni une rémunération :
- 100 F auprès de 137 personnes soit 13 700 F,
- 500 F auprès de 23 personnes ayant subi les tests mais dont la candidature à l'inscription n'a pas été retenue, soit 11 500 F.
Le contrôle fait par l'inspecteur de la formation professionnelle le même jour a, par ailleurs rappelé que l'ouverture d'un établissement de formation professionnelle et son exploitation étaient conditionnées par le respect d'un certain nombre de règles fixées par le Code du travail, notamment la déclaration préalable à la DRFP, et l'envoi à cette même administration après chaque exercice d'un bilan pédagogique et financier, ce qui n'avait pas été fait lors de la création de X le 8 août 1990, la déclaration n'ayant été faite qu'au début de l'année1994 ;
S'agissant du règlement intérieur, il a été constaté que X ne dispose d'aucun document opposable aux stagiaires et reprenant les éléments suivants prévus par les articles L. 920-5-1, R. 922-12 du Code du travail :
- mesure d'hygiène et de sécurité,
- règles de discipline,
- représentation des stagiaires,
Enfin, s'agissant des frais d'inscription, Mme L a indiqué que les candidats ne reçoivent pas de reçu en contrepartie de leur versement, ne signent pas de contrat et ne sont pas informés de l'existence du délai de rétractation de dix jours prévu à l'article L. 920-13 du Code du travail ;
Entendu sur les infractions relevées, Claude F a déclaré qu'il pratiquait le même type de communication que les autres organismes et notamment la CCI de Brest et qu'il avait modifié la formulation de l'annonce lorsqu'il a été informé de l'erreur, ajoutant qu'il avait aidé environ cent jeunes à trouver un emploi et à suivre une formation qualifiante ;
Pour le relaxer des fins des poursuites exercées contre lui du chef de publicité trompeuse, le tribunal a estimé que la formation rémunérée était bien effective et correspondait à la réalité, que la mention " une formation, un métier, un emploi " tenait du slogan et non de la promesse ferme d'un emploi et que des annonces similaires étaient diffusées par des organismes officiels. Il a en revanche estimé réunis les éléments constitutifs des autres infractions ;
Au soutien de l'appel interjeté le 17 octobre 1995, Claude F fait valoir :
1°) qu'il n'existe pas de publicité de nature à induire en erreur puisque la formation dispensée dans le cadre d'un contrat de qualification est rémunérée et que l'emploi est effectif dès le premier jour de la formation par la signature du contrat de qualification qui est bien un contrat de travail,
2°) qu'au demeurant les candidats " ciblés " par X sont des jeunes bacheliers et non des chômeurs et que ceux-ci reçoivent une formation de qualité et efficace,
3°) que X ne conclut pas de convention avec les candidats et n'est dès lors pas tenue de faire mention du délai de rétractation de dix jours à compter de la signature du contrat conclu en réalité avec un employeur,
4°) que les frais de formations étant pris en charge par un Fonds d'Assurance Formation et non par le candidat, l'article L. 920-6 du Code du travail qui ne s'applique qu'aux conventions ou contrats de formation professionnelle ne peut recevoir application en l'espèce,
5°) que X avait décidé d'appliquer le règlement intérieur du groupe Y où est dispensée la formation,
6°) que la contravention de défaut préalable était prescrite au jour de délivrance de la citation le 8 juin 1995,
Il prie en conséquence la cour de le relaxer des fins de toutes les poursuites exercées contre lui ;
Discussion :
Considérant qu'est prohibée par l'article L. 121-1 du Code de la consommation toute publicité comportant sous quelque forme que ce soit des allégations, indication fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur la portée des engagements pris par l'annonceur ;
Considérant que l'annonce diffusée par X dont le prévenu est président doit s'apprécier dans son entier et par rapport au public auquel elle s'adresse, c'est-à-dire aux jeunes bacheliers à la recherche d'une formation, d'un métier, d'un emploi, dans un contexte économique de chômage des jeunes à la recherche d'un premier emploi ;
Considérant qu'à la lecture de la publicité ci-dessus reproduite le jeune candidat au BTS Force de Vente se voit proposer une formation en alternance : institut de formation/entreprise avec formation rémunérée ;
Considérant qu'une telle proposition est susceptible de l'induire en erreur dès lors qu'elle laisse à penser que la rémunération s'attache à la formation dispensée par l'institut de formation et non par l'entreprise dans le cadre d'un contrat de qualification dont la publicité ne fait pas clairement état ;
Considérant que Claude F est d'autant moins fondé à soutenir que X offre une formation rémunérée puisque dispensée dans le cadre d'un contrat de qualification alors qu'elle laisse aux candidats qu'elle a sélectionnés le soin de trouver une entreprise acceptant de signer un contrat de qualification,se contentant pour les y aider d'entretenir des contacts réguliers avec certaines d'entre elles et de préparer ses élèves à l'entretien d'embauche ; qu'en conséquence son offre réelle porte sur une aide à la recherche d'un contrat de qualification permettant une formation en alternance et non comme le laisse entendre la publicité sur une formation rémunérée dispensée dans le cadre d'une formation en alternance institut de formation/entreprise dont l'annonce donne l'assurance ;
Considérant par ailleurs que la mention " une formation, un métier, un emploi " ne peut qu'induire en erreur son jeune lecteur à la recherche d'un premier emploi ;qu'elle ne s'inscrit pas comme l'ont estimé les premiers juges dans le cadre d'un slogan mais bien d'une annonce éditée par X aux fins de proposer à ses lecteurs une formation, un métier, un emploi ;qu'en réalité X procure bien une formation à ses adhérents mais ni contrat de qualification, ni emploi à l'issue de celui-ci ;que soutenir comme le fait prévenu que la formule correspond à la réalité dans la mesure où le jeune bachelier reçoit une formation, apprend un métier et obtient ensuite un emploi du fait de la qualification obtenue et de son intégration dans l'entreprise revient à occulter les cas où le candidat ne trouvant pas de contrat de qualification au maximum un mois après le début de la formation sera exclu de celle-ci et le cas où le jeune ne trouvera pas d'emploi à l'issue de sa formation ; qu'en tous cas le lecteur est susceptible d'être induit en erreur sur les prestations offertes ;
Qu'en conséquence le délit est bien constitué et justifie le prononcé d'une sanction pénale ;
Considérant sur le défaut de mention du délai de rétractation de dix jours à compter de la signature du contrat prévu par les articles L. 920-13 et L. 993-2 du Code du travail qu'il résulte des dispositions de ce texte que X dispensateur de formation, était tenue d'une part de conclure avec ses élèves un contrat précisant la nature, la durée et l'objet des actions de formation, le niveau de connaissances requis, les conditions de la formations, les références des enseignants et les modalités de paiement ainsi que les conditions de cessation anticipée ou d'abandon de stage et d'autre part, d'y mentionner la faculté de rétractation et de résiliation en cas de force majeure ;
Considérant que, de son propre aveu et malgré l'obligation légale qui lui en était faite, elle ne signait aucun contrat avec les stagiaires ;
Considérant qu'elle a pourtant bien la qualité de dispensateur de formation puisqu'après sélection du candidat, elle organise des réunions en groupe de travail individuel aux fins d'information sur le contrat de qualification, sur la manière de prospecter les entreprises et sur les démarches à entreprendre à cette fin, puis, lorsque le contrat de qualification est signé, elle dispense aux stagiaires 1273 heures de cours et examens blancs et assure le suivi en entreprise ;
Considérant que faute par elle de se conformer à l'obligation de signer un contrat il est manifeste qu'elle n'a pas, corrélativement, informé les stagiaires du délai de rétractation de dix jours prévu par la loi, information qu'au demeurant son président ne prétend pas leur avoir fourni ;
Qu'ainsi l'infraction est bien constituée ;
Considérant qu'il est en outre reproché à Claude F un défaut d'indication dans les publicités des conditions financières de la formation et de sa cessation ;
Considérant que ni les annonces parues par voie de presse, ni la plaquette de présentation de X ne comportaient d'indication relative aux connaissances indispensables pour suivre la formation proposée ni à la nature, à la durée et les sanctions de celle-ci ;
Que, faute pour ces publicités de préciser les moyens pédagogiques et les titres ou qualités des personnes chargées de la formation, les tarifs applicables, les modalités de règlement et les conditions financières prévues en cas de cessation anticipée de la formation ou d'abandon en cours de stage, leur auteur s'est bien rendu coupable de l'infraction prévue à l'article L. 920-6 du Code du travail, lequel s'applique aux organismes de formation intervenant dans le cadre des conventions passées conformément au titre II du livre 9 du Code du travail ;
Considérant que l'omission d'établir un règlement intérieur applicable aux stagiaires de l'organisme de formation n'est pas contestée par le prévenu ;
Que le délit d'omission de déclaration préalable punie d'une peine d'amende de 30 000 F commis courant 1993 n'est pas davantage contesté puisqu'il a fait l'objet d'une régularisation postérieure aux faits ;
Considérant que l'ensemble des infractions reprochées à Claude F justifie compte tenu de leur cumul et de leur gravité le prononcé d'une peine de 30 000 F d'amende ;
Par ces motifs : LA COUR, Après en avoir délibéré conformément à la loi, Statuant publiquement, par arrêt contradictoire à l'égard de F Claude, En la forme, Reçoit les appels, Au fond, Confirme le jugement sur la qualification des faits, Le réforme sur la déclaration de culpabilité et sur l'application de la peine, Condamne Claude F à une amende d'un montant de trente mille francs (30 000 F), La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 800 F dont est redevable le condamné, Prononce la contrainte par corps, Le tout par application des articles susvisés, 800-1, 749 et 750 du Code de procédure pénale.