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Décisions

CA Lyon, 4e ch. F, 12 mars 1996, n° 96-0312

LYON

Arrêt

PARTIES

Défendeur :

Confédération Nationale des Syndicats Dentaires, Conseil départemental du Rhône de l'Ordre des chirurgiens dentistes, Syndicat des chirurgiens dentistes du Rhône

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Finidori

Conseillers :

Mme Walgenwitz Gibert, M. Azoulay

Avocats :

Mes Gilbert, Mettay, Le Masson, Arnaud

TGI Lyon, 5e ch., du 6 juill. 1995

6 juillet 1995

Par jugement contradictoire en date du 6 juillet 1995, le Tribunal de grande instance de Lyon (5e chambre) a retenu le prévenu Guy D dans les liens de la prévention pour avoir :

- à Lyon, Charly, Vénissieux et dans l'arrondissement judiciaire de Lyon, courant 1988, en tous cas depuis non couvert par la prescription, exercé illégalement l'art dentaire, en proposant directement à la clientèle la fabrication ou la réparation de prothèses dentaires,

- faits prévus et réprimés par les article L. 373 et L. 376 du Code de la santé publique,

- à Lyon et dans l'arrondissement judiciaire de Lyon, courant 1988 et 1989, réalisé et diffusé des publicités comportant des indications ou présentations de nature à induire en erreur sur les qualités ou aptitudes du fabricant ou prestataire de service, en proposant directement aux consommateurs, au moyen de tracts publicitaires et d'annonces parues notamment dans Top Affaires n° 38 du 13 juin 1988, n° 40 du 5 septembre 1988, du 28 novembre 1988, n° 55 du 5 décembre 1988, n° 73 du 24 avril 1989, n° 75 du 8 mai 1989, n° 77 du 22 mai 1989, n° 101 du 11 juin 1990, des travaux de fabrication et réparation de prothèses dentaires, alors qu'il n'était pas titulaire des diplômes nécessaires.

A :

Sur l'action publique :

- condamné Guy D à cinq mille francs d'amende.

L'a condamné au droit fixe de procédure et a fixé la durée de la contrainte par corps conformément à la loi.

Sur l'action civile :

- reçu en leur constitution le Syndicat des Chirurgiens Dentistes du Rhône et la Confédération Nationale des Syndicats Dentaires, parties civiles intervenantes;

- condamner le prévenu à verser à chacune des parties civiles la somme de un franc de dommages-intérêts et celle de deux cent cinquante francs en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale;

- ordonné la publication du jugement par extraits du dispositif, aux frais solidaires des condamnés, sans que le coût de chaque insertion excède la somme de cinq mille francs hors taxes, dans le journal " Le progrès " et dans un journal professionnel au choix des parties civiles;

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire du jugement;

- reçu en sa constitution le Conseil Départemental de l'Ordre des chirurgiens dentistes, partie civile intervenante;

- condamné le prévenu à lui payer la somme de un franc de dommages-intérêts et celle de mille cinq cent francs au titre des frais irrépétibles;

- condamné le prévenu aux dépens de l'intervention civile.

Le 24 mars 1989 la Confédération Nationale des Syndicats Dentaires et le Syndicat des chirurgiens dentistes du Rhône déposaient plainte et se constituaient parties civiles contre Guy D, prothésiste dentaire et plusieurs de ses collègues, des chefs d'exercice illégal de l'art dentaire et de publicité fausse ou de nature à induire en erreur.

Les parties civiles faisaient valoir que Guy D se livrait à une intense publicité, revêtant notamment les formes suivantes :

- sur la façade de sa maison, <adresse>, était apposé un panneau publicitaire lumineux portant les termes suivants : " Prothésiste dentaire. Conseil. Fabricant. Réparation " (D21). Sur la porte d'entrée de la villa figurait une plaque avec les mentions " Maître artisan. Prothésiste. Prothèse dentaire. Résine, métal, prothèses dentaires fixées esthétiques, réparation entretien ".

- sur le panneau d'affichage de la résidence de personnes âgées située 171, avenue Thiers à Lyon 6e, Guy D avait obtenu que soit fixée une carte ainsi rédigée : " Votre prothèse dentaire cassée, fendue, réparée en deux heures. Téléphone... Laboratoire d'ondototechnie Sainte Odile " (D22).

- dans le journal " Top affaires " avait été effectuée tout au long de l'année 1988 une publicité réitérée ainsi rédigée : " Prothèse dentaire, cassée, réparée en 2 heures " ou bien " En direct en 2 H votre prothèse, Adjointe cassée remplacée (Tél.) prothésiste fabricant conseil <adresse>Bus arrêt Trarieux " (D23- D24).

- des cartes avaient été imprimées portant les mentions suivantes : " Votre prothèse dentaire cassée, fendue, réparée en 2 heures. Un maître artisan prothésiste à votre service Tél. ... Laboratoire dentaire. Fabricant de prothèses adjointes partielles et complètes, métal et résine " (D27).

Par la suite étaient diffusées de nouvelles publicités et notamment :

- dans le journal " Top affaires " n° 77 du 22 mai 1989 était publié l'encart suivant : " Vous avez des problèmes avec votre appareil dentaire ? Tenue, Esthétique, etc... Étude, Conseil, Bilan, Gratuits. Téléphone(...) Laboratoire dentaire Sainte Odile. Prothésiste dentaire conseil agréé par chambre professionnelle. Lyon 3e <adresse>, Bus Arrêt Trarieux. Appareils complet à partir de 2 600 F. Plaque métal (Stellite) à partir de 2 000 F. En direct en 2 h votre prothèse dentaire cassée réparée vos dents remplacées ". (D60-10 - D 60- 11 voir aussi D 60-13).

- dans le même journal n° 127 du 11 juin 1990 était publié l'encart suivant : " Problèmes de prothèses dentaires (Tél....) Prothésiste dentaire conseil <adresse>Bus arrêt Trarieux " (D 65).

- dans une autre publicité (D 61-2) était proposé " un appareil de remplacement ". Guy D reconnaissait effectuer les opérations suivantes (D59 - D151 - D 174) :

- réparations d'appareils cassés (avec coulage en résine, l'appareil étant positionné sur un moule en plâtre). Il s'agissait toujours de cassures franches de l'appareil, ne nécessitant aucune intervention en bouche,

- remplacement de dents cassées sur un appareil,

- nettoyage, détartrage des appareils.

Guy D précisait qu'il ne prenait pas d'empreinte et qu'il ne posait pas d'appareils. La fourniture d'appareil de remplacement constituait, selon, lui, " une prothèse dupliquée ".

Par déclaration du 13 juillet 1995, le prévenu a interjeté appel des dispositions pénales et civiles du jugement rendu le 6 juillet 1995. Le Ministère public et les parties civiles, le Syndicat des Chirurgiens dentistes du Rhône et la Confédération Nationale des Syndicats dentaires ont relevé appel incident les 20 et 21 juillet 1995.

Ces appels sont recevables.

Seul le Conseil Départemental du Rhône de l'Ordre des chirurgiens dentistes n'a pas relevé appel dudit jugement.

Sur quoi, LA COUR

Attendu que Guy D, premier appelant, soutient qu'il ne fait que réparer et fabriquer des prothèses mobiles, sans procéder à des opérations de prise d'empreintes, d'adaptation, de pose et d'installation d'appareils, activité ne constituant pas, selon lui, des actes prothétiques relevant de l'art dentaire; qu'il en conclut qu'une décision de relaxe doit intervenir tant du chef d'exercice illégal de l'art dentaire que du chef de publicité fausse ou de nature à induire en erreur;

Attendu que, dans des conclusions distinctes, il affirme que le délit de publicité fausse serait amnistié; qu'il se prévaut, pour le surplus, des dispositions de l'article 7 de la Convention européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales disposant que " nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou international " et de l'article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques concernant la lutte contre les discriminations;

Attendu que le Ministère public requiert la confirmation du jugement déféré;

Attendu que le Syndicat des chirurgiens dentistes du Rhône et la Confédération Nationale des Syndicats dentaires, concluent à la confirmation du jugement sur la déclaration de culpabilité, sollicitent chacun la somme de 50 000 F à titre de dommages-intérêts, celle de 10 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, la publication de l'arrêt à intervenir et la confiscation du matériel ayant permis l'acte illégal;

Attendu que le Conseil Départemental de l'Ordre des chirurgiens dentistes demande la confirmation du jugement et l'allocation de la somme de 5 000 F au titres de l'article 475-1 du Code de procédure pénale; Attendu qu'aux termes de l'article 373 du Code de la santé publique " La pratique de l'art dentaire comporte le diagnostic et le traitement des maladies de la bouche, des dents et des maxillaires, congénitales ou acquises, réelles ou supposées... Exerce illégalement l'art dentaire :

" Toute personne qui prend habituellement ou par direction suivie, même en présence d'un praticien, à la pratique de l'art dentaire, par consultation, acte personnel ou tous autres procédés, quels qu'ils soient notamment prothétiques, sans être titulaire d'un diplôme, certificat ou autre titre mentionné à l'article L. 356-2 et exigé pour l'exercice de la profession de médecin ou de chirurgien dentiste... "

Attendu qu'il appartient aux prothésistes dentaires de procéder, conformément aux directives et aux prescriptions des chirurgiens dentistes aux opérations de fabrication et de réparation des prothèses dentaires;

Attendu qu'en l'espèce, Guy D proposait directement à la clientèle la fabrication et la réparation de prothèses dentaires, actes relevant indubitablement de l'art dentaire;qu'à supposer même que Guy D n'ait effectué, de son propre chef, que des réparations de prothèses facturées, il convient d'observer que les cassures prothétiques peuvent résulter de causes diverses :

- cause accidentelle en cas de chute de la prothèse qu'il convient, néanmoins, d'analyser,

- causes spontanées, souvent en bouche, pouvant résulter d'une mauvaise adaptation au support ostéo-muqueux, d'une mauvaise occlusion entraînant un effet de torsion sur la prothèse, d'un vieillissement des matériaux constituants, de déficiences mécaniques;

Attendu que l'acte technique de réparation, entrant dans le domaine du prothésiste dentaire, doit être distinguée des phases cliniques préparant à cet acte et permettant de transmettre au prothésiste les bases de travail et les indications particulières assurant la réalisation de la réparation;

Attendu qu'en se livrant, par appel direct à la clientèle, à des opérations de réparation de prothèses dentaires, Guy D, simple prothésiste, s'affranchissant de toute directive, de toute prescription et de tout contrôle des chirurgiens dentistes, a pratiqué illégalement l'art dentaire;

Attendu que bien vainement Guy D soutient qu'il ne se livrait qu'à des interventions sur des " Cassures franches ", alors que l'examen de sa publicité permet de constater qu'il proposait la réparation des prothèses " fendues ", dont l'étiologie n'était pas recherchée, mais aussi des études, bilans et conseils gratuits, actes constituant la consultation et le diagnostic, essence de l'art dentaire;

Attendu que le délit d'exercice illégal de l'art dentaire, visé à la prévention étant ainsi parfaitement caractérisé, il convient de confirmer le jugement déféré sur la déclaration de culpabilité;

Attendu qu'en proposant directement aux consommateurs des travaux de fabrication et de réparation de prothèses dentaires, effectuées de son propre chef, alors qu'il n'était pas titulaire des diplômes nécessaires, Guy D s'est livré par voie d'affiches, de tracts et de presse à une publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur, portant sur les qualités ou aptitudes du fabricant ou du prestataire de service, au sens de l'article 44 I de la loi 73-1193 du 27 décembre 1973, devenu l'article L. 121-1 du Code de la consommation;

Attendu que bien vainement Guy D se prévaut des dispositions de l'article 7 de la Convention européenne susvisée, les actes délictueux reprochés étant parfaitement définis par la loi nationale au moment où ils ont été commis, et des dispositions de l'article 26 du Pacte international relatif à la lutte contre les discriminations, lequel n'interdit pas que l'exercice de l'art dentaire ou de l'art médical soit réservé, pour d'évidentes raisons de santé publique, aux personnes titulaires des diplômes exigés par la loi;

Que les mêmes nécessités de la défense de la santé publique justifient une atteinte limitée à la liberté totale du commerce et de l'industrie, invoquée par le prévenu;

Attendu que les délits ont certes été commis antérieurement au 18 mai 1995, mais punis à la fois de peines d'amendes, d'emprisonnement et de peines complémentaires, ils n'entrent pas dans les prévisions de l'article 2 de la loi 95-884 du 3 août 1995 portant amnistie, alors qu'il n'est ni démontré ni allégué qu'ils ont été commis à l'occasion de conflits du travail, d'activités syndicales ou revendicatives de salariés ou qu'ils soient en relation avec des conflits de caractère industriel, agricole, rural, artisanal ou commercial;

Attendu qu'il sera fait une juste application de la loi pénale en condamnant Guy D à une amende de 10 000 F et en ordonnant, en application de l'article L. 121-4 du Code de la consommation, la publication du présent arrêt dans le journal " Le progrès ", par extraits, aux frais du condamné et ce, sans que le coût de l'insertion puisse excéder 6 000 F hors taxes; que le jugement déféré sera réformé en ce sens;

Attendu que les actions civiles du Conseil Départemental de l'Ordre des chirurgiens dentistes et des deux syndicats professionnels intéressés, sont recevables en application de l'article L. 375 du Code de la santé publique;

Attendu que le préjudice du syndicat des chirurgiens dentistes du Rhône et de la Confédération nationale des syndicats dentaires, représentant la profession de chirurgien dentiste, victime de l'exercice illégal de l'art dentaire, sera exactement réparé par l'allocation d'une somme de 2 000 F à chacun d'eux à titre de dommages-intérêts;

Attendu que le Conseil Départemental de l'Ordre des chirurgiens dentistes n'ayant pas relevé appel, la cour ne peut que confirmer le jugement lui ayant alloué la somme de 1 franc à titre de dommages-intérêts;

Attendu qu'il est équitable d'allouer à chacune des trois parties civiles la somme de 3 000 F au titre des frais par elles exposés et non payés par l'Etat;

Attendu que la publication de l'arrêt ayant été ordonnée au titre de l'action publique, il n'y a pas lieu de l'accorder à titre de réparation civile, le préjudice des parties civiles étant justement et complètement réparé;

Attendu qu'il convient de rejeter toutes les autres demandes des parties civiles et notamment la confiscation du matériel ayant permis l'exercice illégal, laquelle constitue une peine complémentaire;

Par ces motifs et ceux non contraires adoptés par les premiers juges, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement à l'égard de toutes les parties, en matière correctionnelle et après en avoir délibéré conformément à la loi; Reçoit les appels du prévenu Guy D, du Ministère public, du Syndicat des chirurgiens dentistes du Rhône, et de la Confédération nationale des syndicats dentaires. Sur l'action publique : Confirme le jugement déféré sur la déclaration de culpabilité; Le réformant sur la peine, Condamne Guy D à une (1) amende de dix mille francs (10 000 F), Prononce la publication du présent arrêt, par extraits, aux frais du condamné, dans le journal " Le progrès " sans que le coût de l'insertion puisse excéder six mille francs (6 000 F) hors taxes. Dit que Guy D sera tenu au paiement du droit fixe de procédure. Fixe la durée de la contrainte par corps conformément à la loi. Sur l'action civiles : Confirme le jugement sur la recevabilité des actions civiles, Réformant partiellement le jugement déféré dans la limite des actes d'appel, Condamne Guy D à payer à titre de dommages-intérêts : au Conseil Départemental de l'Ordre des chirurgiens dentistes la somme de un franc (1 F), au Syndicat des chirurgiens dentistes du Rhône la somme de deux mille francs (2 000 F), à la Confédération nationale des syndicats dentaires la somme de deux mille francs (2 000 F). Condamne Guy D à payer à chacune des trois parties civiles la somme de trois mille francs (3 000 F) au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, Rejette toutes les autres demandes des parties civiles. Le condamne aux frais de l'action civiles.