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Décisions

CA Paris, 13e ch. A, 1 février 1994, n° 93-04862

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Syndicat des artisans & détaillants de la fourrure

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Petit

Conseillers :

MM. Mc Kee, Guilbaud

Avocats :

Mes Tonini, Lussan

TGI Paris, 11e ch., du 4 mai 1993

4 mai 1993

Le jugement :

Le tribunal, par jugement contradictoire, a déclaré V Jean Edgar coupable de :

- Publicité mensongère ou de nature à induire en erreur,

d'octobre 1990 à décembre 1990, à Paris,

infraction prévue par les articles 44 I, 44 II al.7 8 Loi 73-1193 du 27-12-1973 et réprimée par les articles 44 II al.9 10 Loi 73-1193 du 27-12-1973, articles 1 loi du 01-08-1905

et, en application de ces articles, l'a condamné à 8 mois d'emprisonnement avec sursis, ainsi qu'à 100 000 F d'amende. A ordonné la publication par extraits du jugement dans Le Figaro et Elle, aux frais du condamné.

A déclaré la décision assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 600 F dont est redevable chaque condamné.

Sur les intérêts civils :

a condamné Jean Edgar V à verser à la partie civile, le Syndicat des artisans & détaillants de la fourrure la somme de 10 000 F à titre de dommages et intérêts et celle de 3 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Les appels :

Appel a été interjeté par :

Monsieur V Jean Edgar, le 4 mai 1993

M. le Procureur de la République, le 4 mai 1993

Syndicat des artisans & détaillants de la fourrure, le 14 mai 1993

Décision :

Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi,

Statuant sur les appels relevés par le prévenu, le ministère public et la partie civile à l'encontre du jugement précité auquel il convient de se référer pour l'exposé des faits de la prévention.

Par voie de conclusions le prévenu sollicite de la cour, par infirmation à titre principal sa relaxe des fins de la poursuite et, subsidiairement, la désignation d'un expert ou le renvoi de l'affaire afin de recueillir à nouveau l'avis de la Direction de la concurrence.

Il fait essentiellement valoir que le délit de publicité mensongère n'est pas constitué en l'espèce les prix promotionnels annoncés étant bien de 30% inférieurs, pour l'ensemble des articles vérifiés, aux prix marqués qui sont les prix de référence tels que définis par l'arrêté n° 77-105-P du 2 septembre 1977 dans son article 3 et précisés par la circulaire d'application publiée le 4 mars 1978 et non les prix "négociés" et payés.

Il souligne qu'il en est ainsi non seulement pour les 11 articles ayant fait l'objet de ventes antérieures pour des produits similaires mais aussi pour les 62 autres qui, s'ils n'avaient pas été vendus auparavant, faisaient cependant l'objet de prix marqués fournis aux contrôleurs qui n'en ont pas fait état.

Il soutient que c'est à tort que les premiers juges l'ont retenu dans les liens de la poursuite au motif qu'il ne pouvait ignorer " que le prix de référence était le plus bas effectivement pratiqué dans les 30 jours précédent l'opération objet de la publicité " et ce en état de récidive légale pour avoir été condamné le 19 janvier 1990 à une amende pour publicité mensongère.

Il précise en effet que l'infraction commise à l'époque n'avait aucun rapport même lointain avec la définition d'un prix de référence ;

Le représentant du ministère public estime pour sa part les faits établis et demande la confirmation du jugement entrepris.

Par voie de conclusions la partie civile sollicite de la cour la condamnation de Jean-Edgar V à lui verser la somme de 20 000 F à titre de dommages intérêts ainsi que celle de 6 000 F pour frais irrépétibles.

Elle expose qu'elle présente ainsi une demande modérée dans un souci d'apaisement le prévenu ayant cessé les pratiques critiquées.

Sur l'action publique :

Considérant qu'il convient de rappeler que la société NF (SA), dont le PDG est Jean-Edgar V, a procédé à une opération commerciale de réduction de prix de 30% par escompte de caisse sur toutes ses marchandises du 26 octobre au 31 décembre 1990 qui a été accompagnée d'une campagne publicitaire importante, d'un coût total de 1 947 674 F 80 TTC, par voie d'affichage sur les lieux de vente, d'encarts parus dans Le Figaro et de messages diffusés par RTL et Europe 1 ;

Que cette réduction de prix réalisée en pleine saison commerciale a suscité une plainte du Syndicat des Artisans et Détaillants de la Fourrure

Qu'il est apparu lors de l'enquête effectuée par la DCCRF de la région Ile-de-France que sur les 73 articles vérifiés Jean-Edgar V n'a pu présenter les justificatifs des prix pratiqués antérieurement au 26 octobre 1990 que pour 11 articles seulement ;

Que les prix de référence (" prix marqués ") mentionnés sur les étiquettes de ces 11 vêtements se sont révélés supérieurs aux prix réellement pratiqués durant les mois ayant précédé l'opération de réduction de prix, les prix "promotionnels" étant même supérieurs pour 7 articles aux prix de vente effectivement pratiqués avant le 26 octobre 1990 ;

Que pour les 62 autres articles vérifiés, Jean-Edgar V n'a présenté aucun justificatif satisfaisant, la simple remise aux enquêteurs de la DCCRF de tableaux mentionnant des prix marqués ne pouvant être reconnus comme tel à défaut de la production de notes, bordereaux, bons de commande, tickets de caisse ou tout autre document de nature à étayer la véracité de ces prix ;

Que pour les 11 articles vérifiés ayant fait l'objet de justificatifs le contrôle entrepris a permis de constater en outre l'existence de coefficients multiplicateurs élevés, de 3,35 avant réduction de 30 %, ramenés à un taux moyen de 2,34 après réduction ce qui constitue un taux normal, hors promotion, dans le circuit de distribution des fourrures et des cuirs ;

Considérant qu'en l'état des éléments d'appréciation dont elle dispose la cour n'estime pas devoir ordonner une mesure d'expertise ou recueillir un nouvel avis de la DCCRF ;

Que les demandes subsidiaires présentées par le prévenu seront donc rejetées ;

Considérant que l'arrêté n° 77-105-P du 2 septembre 1977 pris en application de l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 relative aux prix, prévoit que toute publicité à l'égard du consommateur comportant une annonce de réduction de prix doit obéir à des conditions énumérées dans son article 2 et tenant notamment à l'indication du prix de référence ou de l'importance du pourcentage de la réduction par rapport à ce prix ;

Qu'aux termes de l'article 3 du dit arrêté le prix de référence ne peut excéder le prix le plus bas effectivement pratiqué par l'annonceur pour un article ou une prestation similaire, dans le même établissement de vente au détail au cours des 30 derniers jours précédant le début de la publicité ;

Qu'afin de résoudre les difficultés d'interprétation possibles de l'arrêté n° 77-105-P du 2 septembre 1977 une circulaire émanant du Directeur Général de la Concurrence et des Prix a été publiée le 4 mars 1978 précisant que " le prix le plus bas effectivement pratiqué " est celui pratiqué à l'égard de la clientèle courante, c'est-à-dire en fait le prix marquéet qu'il n'y a donc lieu de tenir compte ni de rabais consentis exceptionnellement à un petit nombre de clients, ni des avantages liés à des conditions particulières tels que l'escompte pour paiement comptant ou la remise pour reprise d'appareils usagers.

Considérant cependant que l'arrêté n° 77-105-P du 2 septembre 1977 a pour objet de faciliter l'annonce de rabais réels en accroissant la protection des acheteurs contre les annonces de réduction de prix fictives ;

Que, par ailleurs, l'infraction de publicité trompeuse prévue à l'article 44 de la loi n° 73-11993 du 27 décembre 1973 est distincte de l'infraction à la publicité des prix prévue par les arrêtés pris en application de l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945.

Considérant, en conséquence, que le respect, au demeurant purement apparent, des dispositions prévues par l'arrêté n° 77-105-P du 2 septembre 1977 telles que précisées par la circulaire du 4 mars 1978 n'exonère en rien l'annonceur de l'obligation de procéder à une publicité loyale exempte de tout élément de nature à tromper les consommateurs ;

Qu'il lui appartient en outre d'apporter tous éléments propres a justifier les allégations, indications ou présentations publicitaires concernées ;

Considérant que la cour constate qu'en l'espèce la campagne publicitaire réalisée faisait croire aux clients potentiels de la NF qu'ils allaient bénéficier de remises exceptionnelles consenties pendant une période limitée, les incitant ainsi à contracter alors que l'enquête effectuée par l'administration a clairement démontré que les opérations de réduction de prix annoncées étaient sans conteste illusoires puisque le prix de référence à partir duquel se décomptait la réduction de 30 % n'avait jamais été effectivement pratiqué ou avait été surévalué de par l'établissement de coefficients multiplicateurs anormalement élevés ;

Considérant que la cour observe, par ailleurs, que les rabais consentis par la NF avant le 26 octobre 1990 et qui ont été, à juste titre, retenus par la DCCRF pour déterminer les prix effectivement pratiqués avant la période de promotion, ne correspondent en rien aux rabais consentis exceptionnellement à un petit nombre de clients mentionnés dans la circulaire du 4 mars 1978 mais reflètent au contraire une pratique commerciale habituelle ;

Qu'il résulte, en effet, de l'examen de l'ensemble des "feuilles de caisse" fournies aux enquêteurs par la NF (annexe n° 13) que le prix marqué est toujours, sauf exceptions ne concernant pas les articles vérifiés, nettement supérieur au prix effectivement réglé ;

Considérant, en conséquence, que les faits sont établis;

Qu'en effet est inopérante en l'espèce l'argumentation développée par le prévenu selon laquelle le tribunal a, selon lui à tort, retenu qu'il ne pouvait ignorer la définition du prix de référence puisqu'il était en état de récidive légale pour publicité mensongère;

Considérant que vainement Jean-Edgar V soutient que l'infraction reprochée à l'époque n'avait aucun rapport même lointain avec la définition d'un prix de référence s'agissant d'une annonce de remboursement de TVA sur les fourrures fournies alors qu'en réalité la diminution offerte n'était pas égale au montant de la TVA.

Considérant qu'à juste titre la prévention puis le tribunal ont retenu à l'encontre de Jean-Edgar V la récidive légale.

Considérant que peu importe - au regard des règles de la récidive d'une part et de la présente instance d'autre part, que l'infraction reprochée à l'époque ait été étrangère à la définition d'un prix de référence.

Considérant que déjà condamné une première fois pour publicité mensongère le prévenu aurait dû être encore plus attentif à ne pas transgresser les textes spécifiques régissant cette infraction.

Considérant qu'à bon droit le tribunal a estimé que compte tenu de cette première condamnation V était mal fondé à soutenir qu'il ignorait que des soldes ne peuvent être pratiquées que sur des prix de référence définis par la loi dont il devait pouvoir prouver à tout moment la réalité.

Considérant en conséquence que la cour confirmera le jugement déféré sur la déclaration de culpabilité et sur les peines prononcées.

Considérant qu'il y a lieu d'ordonner également la mesure de publication du présent arrêt aux frais du condamné dans les journaux Le Figaro et Elle et ce dans la limite de 15 000 F par extrait.

Sur l'action civile:

Considérant que la cour disposant des éléments nécessaires et suffisants pour apprécier le préjudice certain subi par la partie civile et résultant directement des faits visés à la prévention, infirmera l'estimation trop restrictive qu'en ont faite les premiers juges et condamnera Jean- Edgar V à verser au SADF la somme de 20 000 F à titre de dommages et intérêts ainsi que celle de 6 000 F pour frais irrépétibles.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement ; Reçoit les appels interjetés. Rejette les conclusions de Jean-Edgar V ; Confirme le jugement déféré sur la déclaration de culpabilité et sur les peines prononcées. Ordonne la publication du présent arrêt au frais du condamné, dans la limite de 15 000 F chacune, dans les journaux Le Figaro et Elle. Infirmant le jugement déféré sur les intérêts civils: Condamne Jean-Edgar V à verser à la partie civile la somme de 20 000 F à titre de dommages intérêts ainsi que celle de 6 000 F pour frais irrépétibles. Rejette toutes conclusions contraires ou plus amples.