CA Paris, 13e ch. A, 25 octobre 2000, n° 00-01847
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
CNCT
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guilbaud
Conseillers :
MM. Ancel, Nivose
Avocats :
Mes Dauzier, Antonini
RAPPEL DE LA PROCEDURE:
LA PREVENTION:
Par exploit d'huissier en date des 9, 11 et 15 décembre 1998, le Comité national contre le tabagisme a fait citer directement devant le tribunal C Jean-Dominique en tant que prévenu et la S en tant que civilement responsable, pour y répondre des délits de publicité indirecte en faveur du tabac et Jean L en tant que prévenu et la société M en tant que civilement responsable pour y répondre des délits de complicité de publicité indirecte en faveur du tabac.
LE JUGEMENT:
Le tribunal, par jugement contradictoire, a:
- rejeté l'exception de nullité des citations délivrées à Jean Dominique C et la S,
- déclaré Jean L non coupable et l'a relaxé des fins de la poursuite,
- déclaré C Jean-Dominique non coupable et l'a relaxé des fins de la poursuite du chef de publicité indirecte ou clandestine en faveur du tabac ou de ses produits,
- mis hors de cause la société M et la S,
faits commis le 4 novembre 1997, à Paris,
infraction prévue par les articles L. 355-31 al.1, L. 355-24 al.1, L. 355-26 al. 1, L. 355-25 du Code de la santé publique et réprimée par l'article L. 355-31 al. 1, al.3 du Code de la santé publique
débouté le Comité national contre le tabagisme de ses demandes.
LES APPELS:
Appel a été interjeté par
Comite National Contre le Tabagisme, le 17 février 2000, contre Monsieur C Jean-Dominique, la S civilement responsable;
DECISION:
Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi,
Statuant sur l'appel de la partie civile, interjeté à l'encontre du jugement entrepris;
Le Comité national contre le tabagisme (CNCT), partie civile représentée par son avocat, sollicite, par voie de conclusions à la cour l'infirmation du jugement déféré et demande:
1°) de juger que la délégation de pouvoirs, signée le 22 juillet 1997 et accordée à M. Germain-Thomas, alors directeur commercial avec rang de directeur général-adjoint depuis le 21 avril 1997, ne précise pas qu'elle est rétroactive et qu'en conséquence, le président directeur général Jean-Dominique C, est seul responsable de tous les actes préparatoires à la réalisation de la campagne publicitaire litigieuse; que de surcroît, ce dernier, ne rapporte pas la preuve de la compétence de son délégataire pour la réalisation des actes délégués;
2°) de déclarer Jean-Dominique C coupable des faits de publicité illicite en faveur du tabac et de déclarer la S civilement responsable, au motif que les faits poursuivis ont un caractère illicite dès lors que le consommateur, en achetant un paquet de cigarettes de la marque XS, commercialisée par la S, trouvait une vignette qui cumulée avec d'autres, pouvait lui permettre de gagner un "mémo" M, ou acheter ce mémo à un prix réduit; que cette opération est incontestablement incitative à la consommation des produits du tabac, et constitue, un acte de publicité indirecte en faveur du tabac;
3°) de condamner solidairement Jean-Dominique C et la S à lui payer la somme de 600 000 F, à titre de dommages et intérêts, outre celle de 12 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, en se fondant sur le fait que le CNCT, a pour objet statutaire de lutter contre le tabagisme, et qu'il sollicite, sur le fondement de l'article L. 355-32 du Code de la santé publique, l'indemnisation de son préjudice;
Le Ministère public soutient que la délégation de pouvoirs lui paraît régulière et qu'il est logique de rechercher la responsabilité du délégataire;
Jean-Dominique C représenté par son avocat et la société S civilement responsable, également représentée par son avocat, demandent à la cour, par voie de conclusions de débouter le CNCT de l'ensemble de ses demandes et:
1°) de confirmer dans son principe le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que la délégation de pouvoirs consentie le 22 juillet 1997 à Bruno GT exonère Jean-Dominique C de toute responsabilité au regard des actes accomplis dans le cadre des pouvoirs ainsi délégués et de constater que l'opération " Keep in touch ", aussi bien dans sa phase de préparation que lors de son lancement, relevait de la délégation de pouvoirs précitée,
2°) à titre subsidiaire, de juger que l'opération "Keep in touch" n'était ni illicite ni fautive au regard des lois et règlements en vigueur et en tout état de cause,
RAPPEL DES FAITS:
Le CNCT, reproche à la S d'avoir organisé en octobre et novembre 1997, une opération consistant à insérer dans les paquets de cigarettes de la marque " LS "une vignette, permettant à celui qui reconstituerait un puzzle comportant 6 vignettes différentes, de gagner un mémo électronique "keep in touch " de la marque M et à celui collectionnant 25 vignettes d'acheter le même objet à un prix préférentiel de 410 F au lieu de 590 F, prix public; le CNCT a fait citer directement devant le tribunal correctionnel pour publicité indirecte en faveur du tabac, prévue par les articles L. 355-25, L. 355-26 et L. 355-31 du Code de la santé publique Jean- Dominique C, président directeur général de la S, et la S en qualité de civilement responsable, ainsi que Jean L, président directeur général de la société M et la société M, civilement responsable;
Jean-Dominique C a fait valoir une délégation de pouvoirs signée le 22-07-97 accordant à son directeur commercial Bruno GT la mise en œuvre de la politique commerciale relative aux cigarettes en France et à l'étranger; la S a également indiqué qu'aucune publicité n'a été faite et que ce n'est qu'après avoir acheté le paquet de cigarettes, que le consommateur prenait connaissance de l'offre faite;
Le bulletin n° 1 du casier judiciaire de Jean-Dominique C mentionne 2 condamnations antérieures pour les mêmes faits
Sur ce, LA COUR
Considérant que le Ministère public n'ayant pas fait appel de la décision de relaxe, rendue à l'égard de Jean-Dominique C et de la S, celle-ci est devenue définitive;
Considérant que cependant, en raison de l'indépendance de l'action civile et de l'action publique, l'appel de la partie civile, si elle est sans incidence sur la force de chose jugée qui s'attache à la décision de relaxe sur l'action publique, saisit valablement la cour des seuls intérêts civils; qu'en conséquence, malgré la décision de relaxe, il appartient à la cour d'apprécier les faits dans le cadre de la prévention pour se déterminer sur le mérite des demandes civiles qui lui sont présentées;
Sur les faits de publicité illicite en faveur du tabac
Considérant que la S ne conteste pas avoir organisé en 1997, l'opération susvisée, consistant à insérer dans des paquets de cigarettes une vignette, permettant à celui qui reconstituerait un puzzle de 6 vignettes différentes, de gagner un appareil électronique et à celui produisant 25 vignettes quelconques, d'acheter le même objet à un prix préférentiel; que cette "campagne" qui participe à la promotion du tabac ou des produits du tabac en incitant ou en encourageant le consommateur à l'achat de paquets de cigarettes constitue, quel qu'en soit l'auteur, une publicité ou propagande interdite par le Code de la santé publique; qu'ainsi, l'infraction pour publicité indirecte en faveur du tabac, prévue par les articles L. 355-25, L. 355-26 et L. 355- 31 du Code de la santé publique pour laquelle le CNCT a fait citer directement devant le tribunal correctionnel notamment Jean-Dominique C, président directeur général de la S, et la S en qualité de civilement responsable, était bien constituée;
Sur la délégation de pouvoir du 22 juillet 1997 accordée à Bruno GT
Considérant que le prévenu, président directeur général de la S, responsable de plein de droit de l'infraction en sa qualité de dirigeant de la personne morale, a invoqué une délégation de ses pouvoirs, consentie le 22 juillet 1997 à Bruno GT, directeur commercial de la S, avec rang de directeur général-adjoint; qu' aux termes de cette délégation, ont été expressément confiées à Bruno GT, pour toute la durée de ses fonctions de directeur commercial "la définition et la mise en œuvre de la politique marketing et commerciale relative aux cigarettes et scaferlatis en France et à l'étranger, l'élaboration, la mise en œuvre et le contrôle des campagnes publi-promotionnelles en France et à l'étranger, la gestion des licences de fabrication et de distribution ainsi que des accords commerciaux avec les partenaires pour les secteurs des cigarettes et scaferlatis, la tutelle opérationnelle des filiales de promotion et de distribution de cigarettes et de scaferlatis à l'étranger"; que dans ce même document, le prévenu précise au délégué que "pour l'exercice de vos fonctions, je vous délègue dans votre domaine de compétence les pouvoirs de direction générale et de représentation de la société vis-à-vis des tiers dont je dispose en ma qualité de président du conseil d'administration, dans les limites prévues par la délibération du conseil d'administration du 11 mai 1995 et par les procédures internes de l'entreprise, et dans le respect des attributions des autres membres de la direction générale; vous pourrez engager toutes dépenses dans la limite impérative des autorisations budgétaires annuelles qui vous seront accordées";
Considérant qu'il résulte de ce document que la délégation du 22 juillet 1997 a confié à Bruno GT la responsabilité directe de la politique marketing et commerciale de la S, en lui conférant les moyens juridiques et financiers nécessaires pour lui permettre d'exercer effectivement les pouvoirs qui lui avaient été ainsi délégués; que cette délégation de pouvoirs exonère Jean-Dominique C de toute responsabilité, au regard des actes accomplis dans le cadre des pouvoirs ainsi délégués;
Considérant que la cour constatant que l'opération " Keep in touch ", aussi bien dans sa phase de préparation que lors de son lancement, relevait de la délégation de pouvoirs précitée, que le délégataire, directeur général-adjoint de la personne morale, était pourvu de la compétence, de l'autorité et des moyens nécessaires, qu'il convient par conséquent de confirmer la décision des premiers juges ayant reconnu la validité de la délégation de pouvoirs susvisée, qui exonère Jean-Dominique C de la responsabilité pénale qui pèse sur lui en sa qualité de chef d'entreprise;
Considérant qu'il y a lieu par conséquent de confirmer le jugement attaqué ayant débouté le CNCT de toutes ses demandes;
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit l'appel de la partie civile, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, et déboute la partie civile de ses demandes formées en cause d'appel.