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Décisions

CA Lyon, 7e ch. A, 3 mars 1995, n° 157

LYON

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dulin

Conseillers :

MM. Fayol-Noireterre, Gouverneur

Avocat :

Me Sportouch.

TGI Lyon, 5e ch., du 2 juill. 1993

2 juillet 1993

Par jugement en date du 2 juillet 1993, le Tribunal de grande instance de Lyon a retenu D dans les liens de la prévention du chef d'avoir, le 4 février 1992 à Champagne-au-Mont-D'or:

- étant gérant de la SARL X, exploitant le magasin à l'enseigne Z, réalisé et diffusé une publicité au moyen d'un affichage comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur, portant sur l'existence, les qualités substantielles, prix et conditions de vente ainsi que sur la portée des engagements pris par l'annonceur, en l'espèce, sur l'existence et l'importance des réductions consenties sur un canapé trois places, modèle 025 ou un salon 5 places, en engageant une opération "Prix ouverture" avec l'annonce de "Prix Barrés", alors que les prix de référence n'avaient pas été effectivement pratiqués ;

Et par application des articles 44 de la loi 73-1193 du 27 décembre 1973 et 1er de la loi du 1er août 1905, 463 du Code pénal, 749, 750 du Code de procédure pénale l'a condamné à:

Cinquante mille francs d'amende,

A ordonné la publication du jugement par extrait, dans "Le 69" aux frais du condamné, au coût maximum de 5 000 F HT,

Le prévenu étant redevable du droit fixe de procédure et la contrainte par corps fixée conformément à la loi.

Le même jugement a relaxé H pris en qualité de responsable de la même SARL, du chef de la même prévention.

Attendu que les appels interjetés par le prévenu Gabriel D et par le Ministère Public à l'encontre de Gabriel D et de Jean-Noël H sont recevables en la forme;

Attendu qu'il résulte de l'enquête et des débats les faits suivants:

Le 4 février 1992, les services de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes effectuaient un contrôle au magasin Z de Champagne au Mont d'Or (Rhône), dirigé par Jean-Noël H et exploité par la société à responsabilité limitée X dont le gérant est Gabriel D, et constataient qu'une opération publicitaire prix ouverture était engagée. Parmi les articles proposés à la vente, un canapé trois places, référencé 025 vachette, portait un prix de référence de 24 000 F et un prix réduit de 9 500 F pour l'achat d'un salon cinq places; or après vérification des factures et des bons de commande, ces services relevaient que du 2 novembre 1991 au 17 janvier 1992, le prix de référence n'avait jamais été pratiqué et constituait donc un prix fictif pour l'acquéreur.

Gabriel D, président directeur général de la société anonyme Y, centrale d'achats dont dépendent huit magasins exploités sous forme de société à responsabilité limitée et dont il exerce la gérance de sept d'entre eux, déclarait qu'il avait donné une délégation de pouvoir au responsable de ce magasin, Jean-Noël H, et que lui seul pouvait répondre de l'infraction relevée.

Jean-Noël H, responsable du magasin, estimait que le prix de référence était bien mentionné sur les factures et qu'il n'avait pas été appliqué en raison des remises commerciales effectuées: ainsi le consommateur n'avait pas été induit en erreur. Il reconnaissait qu'il avait une délégation de pouvoir de Gabriel D mais estimait qu'il ne pouvait être tenu pour pénalement responsable de l'infraction dans la mesure ou cette publicité avait été décidée par le directeur général du groupe et par son président directeur général, Gabriel D.

PRETENTIONS DES PARTIES:

Gabriel D soutient in limine litis qu'il a été poursuivi devant le Tribunal de police de Lyon, à l'occasion de la même promotion, pour la contravention d'offre d'une prime différente du produit mis en vente et qu'il a été définitivement relaxé par cette juridiction. Il estime qu'il ne peut être rejugé une deuxième fois pour la même infraction et qu'en tout état de cause la relaxe intervenue a l'autorité de la chose jugée.

Au fond, l'appelant conclut que sa responsabilité doit être écartée en raison de la délégation de pouvoir qu'il avait consentie à Jean-Noël H. Subsidiairement, il soutient que le prix de référence était bien un prix réel qui avait été pratiqué et que les prix n'avaient pas été augmentés pour les besoins de l'opération publicitaire.

Gabriel D conclut, avec la société X, à sa relaxe.

Jean-Noël H, cité à domicile, a adressé à la cour un avis d'arrêt de travail sans solliciter le renvoi de l'affaire. Il sera statué à son égard, contradictoirement en application de l'article 410 du Code de procédure pénale.

MOTIFS ET DECISION:

1°) Sur l'autorité de la chose jugée:

Attendu que Gabriel D a été poursuivi devant le Tribunal de police de Lyon pour avoir, à Champagne au Mont d'Or (Rhône), en octobre et novembre 1991, en tant que gérant de la société à responsabilité limitée X, offert une prime différente du produit mis en vente, en l'espèce en proposant "un canapé trois places cuir à valoir sur l'achat de deux fauteuils" ; que cette juridiction l'a, par jugement du 17 mars 1993, relaxé des fins de la poursuite au motif qu'il était démontré que Gabriel D avait délégué ses pouvoirs à Jean-Noël H, responsable du magasin; que le Parquet a relevé appel de cette décision le 29 mars 1993;

Attendu que Gabriel D soutient que depuis cette date aucun acte de poursuite n'a été exercé, qu'ainsi la prescription est acquise et que ce jugement, qui est définitif, possède l'autorité de la chose jugée; qu'il estime que les faits reprochés dans les deux procédures étant identiques puisque procédant de la même campagne publicitaire et ayant le même objet, la cour ne peut, compte tenu de la relaxe définitive intervenue, rejuger une deuxième fois l'infraction qui lui est soumise; qu'enfin cette relaxe ayant été motivée par l'existence d'une délégation de pouvoirs, la cour ne peut plus dire qu'il n'y a pas eu une telle délégation sous peine de violer le principe de l'autorité de la chose jugée ;

Mais attendu, sur le caractère définitif du jugement du Tribunal de police de Lyon, que Gabriel D procède par affirmation; qu'en effet, il n'est pas démontré qu'aucun acte de poursuite n'ait été exercé depuis l'appel du Ministère public; qu'ainsi ce jugement ne peut être considéré, en l'état, comme étant devenu définitif et ayant acquis l'autorité de la chose jugée ;

Attendu, sur l'identité des poursuites exercées devant le tribunal de police et devant le tribunal correctionnel, que les infractions poursuivies devant ces deux juridictions, si elles ont été commises pendant la même campagne publicitaire, ont néanmoins été relevées à des dates différentes puisque la contravention a été commise en octobre et novembre 1991 et le délit le 4 février 1992;que de plus les éléments constitutifs de chacune de ces infractions sont totalement différents, les poursuites exercées devant le tribunal de police concernant une vente avec prime, celles engagées devant le tribunal correctionnel ayant trait à une publicité mensongère relative à un prix de référence qui n'avait pas été pratiqué;qu'en conséquence la relaxe prononcée par le tribunal de police n'empêche pas à la cour de statuer sur l'infraction qui lui est soumise et d'apprécier à nouveau la validité de la délégation de pouvoir;

2°) Sur le fond:

A) Sur la délégation de pouvoir:

Attendu que Gabriel D est président directeur général de la société anonyme Y, centrale d'achats de huit magasins exploités à Paris, Lyon, Grenoble et Marseille, sous la forme de sociétés à responsabilité limitée; que celui-ci est gérant de sept de ces sociétés, dont la société X; qu'il soutient dans ses écritures qu'il a un rôle d'orientation stratégique de son entreprise et de coordination de ses différents services, qu'il ne s'occupe pas personnellement de la vie de chacun de ses magasins dont la gestion quotidienne est dévolue à un responsable en vertu d'une délégation de pouvoirs; qu'en l'espèce Jean-Noël H a reçu une telle délégation le 1er mai 1989 aux termes de laquelle Gabriel D a délégué "ses pouvoirs de contrôle, de direction et de discipline en vue d'assurer et de faire assurer par le personnel le strict respect des dispositions légales et réglementaires dans les domaines suivants :

- détermination des conditions de ventes promotionnelles locales sous leurs différents aspects,

- étiquetage des produits (caractéristiques, prix) et affichage des prestations de service et de leurs prix,

- effectivité des prix de référence en cas de vente avec rabais (promotions, soldes, liquidations)" ;

qu'il est précisé dans cette délégation que Jean-Noël H devra veiller au respect de la réglementation concernant la publicité fausse ou de nature à induire en erreur et la publicité des prix et des produits;

Attendu que Jean-Noël H a déclaré que toutes les opérations publicitaires étaient décidées avec le directeur général du groupe et son président directeur général, Gabriel D; que Gabriel D a déclaré qu'il réunissait chaque mois ses directeurs de magasin afin de fixer les prix des marchandises ;qu'il a précisé, concernant les opérations publicitaires, qu'elles étaient décidées de la même manière et que la décision finale lui appartenait;que s'agissant de cette opération publicitaire, il a reconnu avoir loué un fichier répondant à un certain type de clientèle et avoir adressé près de cent mille invitations, cette opération étant organisée avec une société W;

Attendu qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que les modalités de cette opération ont été décidées par Gabriel D lui-même et qu'en l'espèce la délégation de pouvoir faite à Jean-Noël H, qui n'a été qu'un simple exécutant ne disposant pas de pouvoirs réels, ne peut être invoquée;que la décision qui a relaxé ce dernier des fins de la poursuite sera en conséquence confirmée

B) Sur l'infraction

Attendu que le prix de référence du canapé de 24 000 F qui était indiqué sur les bons de commande et affiché sur l'article concerné, avant réduction et avant le prix réduit de 9 500 F pour l'achat d'un salon, n'a jamais été pratiqué et constitue un prix fictif;que dans ces conditions là, le consommateur est induit en erreur sur la portée des engagements pris dans la mesure où on lui laisse croire que le prix de référence est un prix pratiqué avant la réduction ce qui est faux ;qu'il pense ainsi bénéficier d'une réduction de prix importante alors qu'elle est en réalité illusoire; qu'une telle pratique constitue une publicité mensongère ;qu'en conséquence la décision, qui a maintenu Gabriel D dans les liens de la prévention et a déclaré la société à responsabilité limitée X civilement responsable, sera confirmée;

Attendu que la peine principale a été justement appréciée par le tribunal et sera confirmée ainsi que la publication qui sera effectuée dans le journal Le Progrès;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, par application de l'article 410 du Code de procédure pénale à l'égard de Jean-Noël H, en matière correctionnelle, après en avoir délibéré conformément à la loi, Confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions sauf à dire que la publication sera effectuée dans le journal Le Progrès et concernera le présent arrêt, Dit que le condamné sera redevable du droit fixe de procédure applicable à la présente décision, Fixe la durée de la contrainte par corps conformément à la loi, Le tout par application des articles L. 121-1 à L. 121-6, L. 213-1 du Code de la consommation, 496 à 520, 749, 750 du Code de procédure pénale.